L’espérance messianique chez les Prophètes. — Elle se transforme après l’exil. — Au premier siècle, l’attente du Messie occupe tous les esprits. — Les derniers jours sont arrivés. — On attend les précurseurs du Messie. — L’Antéchrist. — La personne du Messie. — On s’occupe davantage de son œuvre que de sa personne. — Les croyances apocalyptiques. — Le jugement dernier.
Au premier siècle, une préoccupation dominait toutes les autres, et tous les Juifs, à quelque classe qu’ils appartinssent, le prêtre qui officiait au Temple, comme le pêcheur du lac de Tibériade, l’Essénien des bords de la mer Morte, comme le Pharisien de Jérusalem, tous attendaient l’ère messianique. Cette attente datait de loin, Elle avait été le rêve de l’antique Hébraïsme. La Loi et les Prophètes en étaient remplis. Pendant des siècles, le peuple s’était posé cette grande question : Quel sera l’avenir national ? Les hommes de Dieu lui avaient répondu : Il sera magnifique, si tu es fidèle. Mais auparavant un châtiment est nécessaire parce que tu n’as pas obéi aux commandements de Jahveh. Ce châtiment était arrivé. Le peuple avait été transporté en masse à Babylone. L’ère messianique était aussi apparue : Esdras et Néhémie, en ramenant les tribus dans la Terre-Sainte, avaient restauré la gloire nationalea.
a – Ésaïe 45.1, Cyrus est appelé l’Oint de l’Éternel. Voir aussi les noms donnés à Zorobabel : Zaccharie, ch. 3 et 4.
A dater du jour de la restauration, le peuple s’était montré fidèle. Le monothéisme avait prévalu. Les cultes étrangers lui étaient devenus en abomination.
Mais voici que de nouvelles calamités fondent sur Israël et celles-ci ne viennent plus de Dieu, qui ne peut frapper un peuple fidèle. Elles viennent des ennemis de Jahveh, acharnés à la destruction de son culte. C’est Antiochus Epiphane qui songe à substituer le culte de l’Olympe au culte du vrai Dieu, et qui dresse un autel païen à la place de l’autel des holocaustes. A la vue de ces abominations, les espérances messianiques se ravivent. Elles reprennent une force extraordinaire, et en même temps, elles changent de nature. Le rêve messianique, qui avait été d’abord presque raisonnable, grandit et devient gigantesque, insensé. On se met à relire les prophéties, on y trouve des prédictions non encore accomplies. On compose des Apocalypses en grand nombre qui racontent tout ce qui doit arriver, et il ne s’agit plus seulement dans ces livres nouveaux d’un relèvement national mais d’une victoire du vrai Dieu sur les faux dieux, et de la conversion des peuples païens à la religion de Jahveh. Le triomphe des Macchabées est comme le présage d’une prochaine réalisation de ces espérances.
Tout à coup de nouveaux malheurs surviennent encore : Pompée, 63 ans avant J.-C., s’empare de Jérusalem, pénètre dans le Lieu très-saint du Temple et le profane. La splendeur macchabéenne a disparu et, à vues humaines, l’indépendance nationale est perdue sans retour. Bientôt il devient évident que la nation tout entière marche à sa ruine. Mais quoi ? les livres sacrés ne disent-ils pas que c’est à l’heure où tout semblera perdu que la délivrance sera imminente. Et alors, plus le Juif souffre, plus l’étranger l’humilie, plus il sent grandir sa foi en l’avenir promis. L’ère nouvelle, l’ère messianique sera d’autant plus glorieuse qu’elle aura été précédée d’angoisses plus terribles ; et chacun voulant hâter la venue de ce jour si désiré, des révoltes partielles éclatent çà et là. Ces révoltes, cruellement réprimées, mettent le comble à la surexcitation des esprits ; les conceptions religieuses les plus bizarres germent dans cette atmosphère embrasée. Pendant les premières années du premier siècle, l’idée messianique arrive à son paroxysme d’intensité. Elle produit tout ce qu’elle peut produire.
La foi de ce peuple en son avenir est, sans doute, une folie ; mais il n’y a peut-être pas dans toute l’histoire de folie d’un caractère aussi grandiose que celle de ces Juifs héroïques. Au commencement de ce siècle qui devait finir par un si épouvantable drame, et, plus tard, pendant la durée même de ce drame, quand Jérusalem était déjà prise, quand le Temple seul restait au pouvoir des derniers de ces fanatiques, il n’est pas un d’eux qui ne se fût écrié : les prophéties vont s’accomplir ; le Messie va paraître.
Avant cette date mémorable et aux jours mêmes de la vie du Christ, il semblait que la souffrance était à son comble.
[Le théologien juif divisait l’histoire du monde en deux périodes : celle de la misère et celle de la félicité. Dans les Targoums cette distinction est nettement indiquée (V. Targ. Jonath. sur Ésaïe 4.3). La première période avait commencé avec la création de l’homme et pendant sa durée des calamités sans nombre avaient pesé sur Israël : il devait en être ainsi jusqu’à la fin. Les malheurs du peuple élu iront toujours croissants. Et puis, tout à coup, à l’heure où les souffrances de toute nature seront inouïes, une révolution brusque, soudaine se produira, et l’ère nouvelle, l’ère de la félicité et du bonheur commencera. (V. Reuss. Histoire de la Théologie chrétienne au siècle apostolique. Tome I, p. 124 et suiv.).]
Il va donc y avoir, disait-on, une révolution soudaine, une brusque transition qui sera marquée par l’apparition imprévue du Libérateur annoncé par les Prophètes. On n’attendait plus rien des hommes, mais tout de Dieu, tout du miracle, tout du Messie. L’angoisse physique et morale augmente chaque jour, disaient les Docteurs et les Rabbis du haut de leurs chaires à Jérusalem, nous souffrons les douleurs de l’enfantement de l’époque messianique (Ὄδινες, Matthieu 24.8). Ici les guerres d’indépendance et les révoltes se multiplient et elles sont toujours plus cruellement réprimées ; là vous entendez parler de famines, de tremblements de terre ; ailleurs, le débordement de l’impiété est terrible et les apostasies nombreuses, la terre sainte est profanée, nous vivons donc « aux derniers temps. » Bientôt viendra « la fin. » Et si elle ne survient pas immédiatement, c’est, sans doute, que les calamités n’ont pas été assez grandes, et que d’épouvantables malheurs vous attendent encore. Mais quand vous souffrirez, réjouissez-vous. Plus le malheur sera terrible, plus aussi la délivrance sera prochaineb.
b – Livre d’Énoch, ch. 99, 100, 102, 103 ; Carm. sybill., iii, 334 et suiv. ; Daniel 7.25 ; 8.23 ; 9.26-27 ; 12.1.
Les prédicateurs religieux de tous les temps ont une tendance naturelle à représenter leur époque comme extraordinaire et pire que les autres. A les entendre, l’incrédulité n’a jamais été aussi grande ; quelque chose d’anormal se prépare. Les classes populaires acceptent très facilement ces prédictions. A toutes les époques, on rencontre des gens qui croient qu’ils seront témoins de la fin du monde. Au premier siècle, chacun était persuadé qu’il vivait « aux derniers temps ». Le monde allait finir. Les apôtres, qui l’affirment dans les livres du Nouveau Testamentc, n’avaient fait que garder une de leurs plus anciennes convictions bien antérieure à leur conversion au christianisme (4Esdras.4.26). Maran-Atha, disait-on en langue étrangère, c’est-à-dire : le Messie vientd.
c – 1 Pierre 4.7 ; Romains 13.11-12 ; 1 Corinthiens 7.29-32 ; Hébreux 10.25, etc.
d – Ascension d’Isaïe, iv, 12 et 14. Cf. 1 Corinthiens 16.22.
La personne du Messie se détachait, on le voit, sur ce fond un peu vague qui s’appelait l’ère messianique. Le désir suprême du Juif pieux était de voir « le jour du Fils de l’homme » avant de mourir. Chacun du reste pouvait l’espérer. Qui sait, disaient quelques-uns, s’il n’est pas déjà né, car il doit rester caché jusqu’au moment de sa manifestatione. Quelquefois on voulait préciser la date de l’avènement de ce « Deus ex machina » qui devait apparaître à l’heure où tout serait perdu (Luc 17.20 ; Matthieu 24.3). Sans l’indiquer d’une manière exacte on donnait cette date en chiffres ronds. On cherchait à l’induire de quelques passages de Daniel ; toutefois le jour et l’heure restaient un mystèref.
e – T. Colani, J.-C. et les Croyances messianiques de son temps, p. 38.
f – 4 Esdras 6.7-10 ; 13.51-52 ; Marc 13.32
On serait averti cependant ; un certain nombre de signes annonceraient le dernier moment ; un astre extraordinaire paraîtrait dans le Ciel. Élie se montrerait le premier ; il serait le précurseur du Messie. Cette opinion était répandue par les Scribes, et quand un des Rabbis, qui parcouraient le pays, arrivait à une certaine renommée, on, se demandait s’il n’était pas Élie. Quelques personnes ne manquaient pas d’affirmer que c’était lui.
[Malachie 3.23 ; Siracide 48 ; Marc 6.15 ; 8.28 ; 9.11 ; Matthieu 11.14 ; 17.10 ; Luc 9.8, 19. Le Talmud (Traité de Berakhoth. Revue pol. et litt., année 1872, p. 374) dit : Quand le prophète Élie sera revenu dans ce monde et nous aura expliqué ce qu’est le crépuscule, personne ne contestera. » Justin Martyr (Dial. avec Tryphon, ch. 48) fait dire à Tryphon : « nous attendons le Messie… et Élie qui viendra le sacrer. » Lorsque Jésus sur la croix s’écrie : Éli ! Éli ! (mon Dieu ! mon Dieu !) la foule croit qu’il appelle Élie. Matthieu 27.48 et parall.]
On parlait aussi d’apparitions de Moïse et d’Énochg. L’origine de cette doctrine des précurseurs se trouve dans l’Ancien Testament. Il nous y est dit qu’Élie et Énoch ne moururent pas. Énoch « ne parut plus parce que Dieu le prit (Genèse 5.24), » et Élie fut enlevé au Ciel « sur un chariot de feu (2 Rois 2.11) ; » ils n’étaient donc pas morts : ils étaient au Ciel, et vivantsh. Moïse passait aussi pour n’être pas mort ; son tombeau n’avait pu être retrouvé (Deutéronome 34.5-6). On se souvenait du reste, de ce passage : « C’est un prophète semblable à moi (Moïse) que Dieu te suscitera (Deutéronome 18.15). » Et on attendait ces trois prophètes au temps de Jésus.
g – Matthieu 17.3 ; Apocalypse 11.3 ; 2 Maccabées 15.13 ; Matthieu 16.13.
h – Énoch, xii, 1-4 ; Cf. Jean 14.2 ; Sira.48.9, 14 ; Hébreux 11.5.
[Matthieu 16.14 ; Jean 1.21 ; 7.40. Jean-Baptiste déclare qu’il n’est pas Élie. Jésus-Christ affirme au contraire que Jean-Baptiste est Élie. Cf. Jean 1.21 ; Matthieu 11.14.]
Encore une fois les propos de Stapfer sont tendancieux (c-à-d qu’ils tendent à dénigrer la véracité des Écritures). Il est parfaitement compréhensible que Jean-Baptiste réponde qu’il n’est pas littéralement Élie à des gens qui croyaient et attendaient cet ancien prophète, qui d’après le témoignage du deuxième livre des Rois, avait été enlevé au ciel sans passer par la mort. D’autre part, Jésus enseigne à ses disciples que Jean-Baptiste est figurativement Élie, puisqu’il a été son précurseur, appelant Israël à la repentance, comme Élie doit l’être à la fin des temps, avant la parousie finale du Messie : « et si vous voulez recevoir ceci (ou si vous voulez le comprendre), il est cet Élie qui doit venir. » Ce qui, dans la pensée de Jésus, n’exclut pas une réalisation future du retour d’Élie au sens propre, puisqu’il ajoute plus loin : « il est vrai qu’Élie doit venir premièrement, et qu’il rétablira toutes choses. » (Matthieu 17.11) le verbe rétablir est incontestablement au futur, et Jean-Baptiste n’a pas rétabli toutes choses. (ThéoTEX)
La tradition qui affirmait le retour de Moïse était moins constante que celle qui concernait Énoch et Élie. Il n’est point parlé de l’œuvre que Moïse devra accomplir ; au lieu que nous savons exactement ce que devaient faire Énoch et Élie. Ils sont désignés dans l’Apocalypse de Jean comme deux témoins qui agiront comme prophètes pendant douze cent soixante jours (Apocalypse 11.3). Ils lutteront contre l’Antéchrist ; la bête sortira de l’abîme et les tuera. Leurs corps resteront exposés pendant trois jours et demi dans les rues, à la joie des habitants de la terre qui ne se seront pas repentis. Ensuite, rappelés à la vie, ils seront emportés au Ciel sur une nuée.
[La repentance doit précéder la résurrection générale. Langen, op. cit., p. 489. Contrairement à ce qu’affirme Stapfer, les deux témoins dans Apocalypse ne sont pas nommés. La raison pour laquelle il est naturel de penser à Élie et Énoch doit se trouver dans le fait qu’ils sont les deux seuls personnages de lA.T. à avoir été enlevés vivants au ciel ; Moïse quant à lui est passé par la mort. (ThéoTEX)]
Nous venons de nommer l’Antéchrist. Son apparition sera le dernier signe de la venue du Messie. On entendait par l’Antéchrist un personnage singulier, demi-homme et demi-démon, résumant en sa personne toutes les oppositions contre Dieu. Daniel en faisait déjà le portrait et les Pharisiens l’avaient rendu populaire au temps de Jésus (1 Jean 2.18) ; on l’appelait Armillus.
[Targ. Jonath. sur Ésaïe 11.2. Ce nom n’a peut-être été introduit ici que plus tard. Onkelos (sur Nombres 25.19), fait aussi annoncer à Balaam une sorte de faux Messie « qui sort de la ville » (vraisemblablement Rome). Comme celle des Précurseurs, cette doctrine de l’Antéchrist a son origine dans « les Prophètes. » (Voir Ezéchiel, ch. 38 et 39.)]
Alors viendra l’instant suprême : le soleil éclairera la nuit et la lune le jouri. On verra du sang sortir du bois, les tremblements de terre se succéderont sans interruption, le monde sera renversé, les meilleurs amis seront divisés (4 Esdras, v, 9), des révolutions politiques inouïes désoleront la terre (4Esdras, xiii, 37), et le Messie paraîtra au son delà trompette ; il sera entouré d’anges ; il vaincra Armillusj et le tuera par sa parole. Cette victoire spéciale sera le prélude d’une victoire générale. La terre sera détruite ; elle fondrak. Les astres, qui seront entrés en lutte les uns contre les autres, tomberont sur elle et y mettront le feu. Ce feu purifiera toutes choses. Un monde nouveau paraîtra, qui ne sera pas éclairé par le soleil, mais par Dieu lui-même ; et sur cette nouvelle terre, sous ce nouveau ciel, commencera pour le peuple juif une ère de félicité parfaite. Le Messie, qui doit ainsi paraître tout à coup, naîtra à Bethléem et restera caché jusqu’à sa manifestationl. Celle-ci sera si soudaine qu’on ne saura d’où il vient (Jean 7.27 ; Matthieu 24.23). Ce sera son avènement (παρουσία) ; sa révélation (ἀποκάλυψις), et, malgré l’attente générale, on sera surpris comme si on ne l’attendait pasm.
i – 4Esdras, v, 4. Assompt. de Moïse, Edit. Ceriani, p. 60.
j – Targ. Jonath. sur Ésaïe 11.2.
k – Car. Sybill., v, 274 ; v, 528 et suiv.
l – Talmud, traité Berakhoth ; Trad. de H. Schwab, p. 42 (Revue pol. et litt. année 1872, p. 376). Michée 5.1. Justin Martyr, Dial. avec Tryph., ch. viii.
m – Talm, de Babyl., Sanhédr. 97 a. « Le moment où l’on attendra le royaume de Dieu sera celui où il ne viendra pas. » Cf. Luc 17.20.
Il sera un descendant de David, un simple homme, mais un homme supérieur, une sorte de personnage idéal.
[Osée 3.5, avait dit qu’il serait de la branche de David. L’auteur des Ps. de Salomon l’affirme 63 ans avant Jésus-Christ (Psaume xvii), Talm. de Jérus. Berakhoth. 5 a (Trad. de M. Schwab, p. 42). Cf. Matthieu 15.22 ; 20.30 ; 21.9 ; 22.45 ; Marc 12.35 ; 10.47-48 ; Luc 18.38 et suiv. Jean 6.14 ; Justin Martyr, Dial. avec Tryph. « Nous attendons le Messie, un homme ; » mais il faut se défier des paroles que Justin Martyr met dans la bouche de son interlocuteur.]
On commençait à l’affirmer. Ainsi les Targoums lui assignent une œuvre de transformation du monde qui dépasse les forces d’un homme ordinaire.
[Et cependant ils suppriment avec soin tout ce qui le supposerait d’essence divine. Jonath. interprète le passage Ésaïe 9.6, comme les lxx. Le Messie à venir y est appelé Dieu, les lxx remplacent le mot Dieu par le mot ange : « il sera un ange de bon conseil. »]
Les noms qu’il recevait l’indiquent déjà. Depuis Daniel, on commençait à l’appeler Messie, Oint du Seigneur, roi d’Israël. Ces dernières expressions étaient populaires. Peut-être se servait-on quelquefois du nom : Fils de Dieu ; mais il était nouveau.
[On sait que ce terme est peu usité dans l’Ancien Testament. Les prophètes disaient ordinairement : serviteur de Dieu, héros divin, dominateur, prince de la paix, etc. Michée 5.1 ; Ésaïe 42.1 ; 59.7 ; 9.5-6 ; 11.1-5,10-13.]
Le livre d’Énoch l’emploie une fois dans un passage que Dillmann croit authentique (cv, 2). On se servait souvent du mot de prophète (Luc 7.39 ; Jean 6.14). Quelques commentateurs expliquent le terme de Fils de l’homme par prophète, et ce nom est, à leurs yeux, une désignation messianique.
Les Targoums suppriment tout ce qui supposerait la préexistence du Messie. Son nom seul est de toute éternité ; et il va sans dire que les paraphrastes ne voient rien de commun entre la Parole de Jahveh et le Messie à venir.
Notons un curieux passage de Jonathan (sur Ésaïe 13.1) : « Voici mon serviteur, le Messie, en qui ma Parole a pris plaisir. » Nous lisons dans le Talmud : « Le Messie vit dans le Paradis avant de venir sur la terre, » mais l’influence du christianisme est ici bien évidente.
Le livre d’Énoch affirme en maints passages la préexistence du Messie, mais nous ne sommes pas assez certains de leur authenticité pour en rien conclure.
Le nom que l’auteur d’Énoch emploie le plus souvent pour désigner le Messie est celui de Fils de l’homme. D’après certains passages des Évangiles, il semblerait qu’en Galilée, dans les campagnes, le Messie ne portait pas encore ce nom de Fils de l’homme, tandis qu’il le portait à Jérusalem (Matthieu 16.13 ; Jean 12.34). Le livre d’Énoch l’appelle aussi l’Élu, l’Oint. Les démoniaques, dans le Nouveau Testament, disent souvent : « le Saint de Dieu (Marc 1.24 ; Luc 4.34) ». On l’appelait encore : « Celui qui doit venir » (ἐρχόμενος).
D’après les Psaumes de Salomon, le Messie sera sans péché (Psaumes 17 et 18n. Son époque sera tout entière une époque de saintetéo. Lui-même sera toujours parfaitement heureux. Chaque fois qu’Ésaïe parle des souffrances du serviteur de Jahveh, les Targoumistes appliquent ces expressions au peuple d’Israël, au risque d’imposer des contradictions au prophète. S’il parle, au contraire, de son élévation et de sa gloire, ils déclarent ces passages messianiques.
n – Ce n’est pas exactement cette idée que contiennent les Psaumes de Salomon 17 et 18 ; mais plutôt que le Messie ne tolérera pas le péché parmi son peuple. (ThéoTEX)
o – Targ. Jonath. sur Ésaïe 53.10 ; 11.6. « Tous seront saints et il n’y aura plus d’iniquité en Israël. »
[Voir aussi l’histoire de l’eunuque d’Ethiopie. Actes 8.26 et suiv. L’eunuque demande si le serviteur souffrant de Jahveh ne serait pas Ésaïe lui-même.]
Nous n’avons parlé jusqu’ici que de la personne du Messie. On se préoccupait certainement davantage de l’ère de bonheur qu’il devait inaugurer, parce qu’on rattachait cette époque de félicité suprême à la fin du monde et à l’histoire générale de l’humanité.
Depuis la Restauration, les Juifs étaient restés fort préoccupés du sort des grands empires qui les entouraient. Ils sentaient très bien que leur propre destinée en dépendait dans une grande mesure ; et ils avaient été naturellement appelés à combiner leurs espérances messianiques nationales avec les prévisions que leur suggérait l’histoire de leur temps sur l’avenir de l’humanité en général. Ils bâtirent des systèmes compliqués sur « les choses finales « (eschatologie). Ils décrivirent les bouleversements à venir des empires du monde, et, dans cette histoire anticipée, eux et leur Messie jouaient naturellement le plus beau rôle. C’est ainsi que les espérances messianiques des prophètes, espérances particularistes et exclusivement nationales, étaient devenues ce qu’on appelle des croyances eschatologiques. Le livre de Daniel nous révèle le premier ces préoccupations et les apocalypses d’Énoch et d’Esdras écrites, l’une un peu avant J. -C., l’autre immédiatement après, nous montrent qu’à la date même de l’ère chrétienne on était dans toute l’effervescence de ces rêves.
[On peut se rendre compte de l’importance que prenaient les idées sur le monde à venir à cette époque par la place capitale qu’elles occupent dans l’enseignement de Jésus. Voyez les paraboles des « vignerons, » de « l’ivraie et du bon grain, » des « talents, » du « grain de moutarde, » les « discours sur la fin du monde, » etc., etc.]
L’enseignement de Jésus ne visait certainement pas à encourager une tendance malsaine, qui aurait été à l’œuvre dans le peuple d’Israël à cette époque. Si donc le Fils de l’homme a enseigné de manière répétée sur le monde à venir et la fin des temps, c’est que ces sujets avaient une importance spéciale pour lui. (ThéoTEX).
Nous avons déjà parlé de la victoire générale que le Messie remporterait tout d’abord sur les païens ; ceux-ci se convertiraient tous au culte du vrai Dieu. On appelait ce triomphe, le jugement, et le Messie devait être un jugep. Ce terme impropre de jugement avait été emprunté aux prophètes qui avaient annoncé un jugement véritable, appelé par eux « le jour de Jahveh » à l’origine de l’ère messianique. L’Éternel devait, ce jour-là, châtier la partie rebelle de la nation. Plus tard, nous l’avons dit, il n’en fut plus ainsi ; le peuple était devenu tout entier fidèle. Il n’y avait pas à le juger mais à le récompenser ; et quant aux païens, le Messie devait les vaincre, puis ils se convertiraient et deviendraient fidèles à leur tour. C’est à cette victoire qu’était resté l’ancien nom de jugement ; elle séparera αἰών οὖτος de αἰών ἐρχόμενος. Elle aura lieu à Jérusalem ; quelques-uns en plaçaient la scène sur le mont Sinaï.
p – Livre d’Énoch, lv, 4. Cf. Matthieu 25.31 ; 26.64 et parall.
[Targ. Jonath. sur Ésaïe 33.14. Livre d’Énoch, i, 4 et suiv. Il s’agit du mont Sinaï en Arabie, et non d’un Sinaï apocalyptique. Le Livre d’Énoch ne parle pas de transformation du monde.]
Le bruit de la trompette, dont nous avons parlé, sera le signal du commencement du jugement. Sept anges la sonneront. Michaël sonnera le dernier. Le juge aura un livre : « le Livre de Vie » ou : « Livre du Souvenir » où sont écrites toutes les actions des hommes (Pirké Aboth, ii, 1). Le jugement sera tenu d’après le contenu de ce livre. Personne ne pourra intercéder pour son prochain. Toute sentence sera prononcée irrévocablement.
On voit que la première de toutes les fonctions du Messie était exclusivement politique ; il s’agissait avant tout pour lui de délivrer les Juifs du joug de l’étranger, de relever le trône de David. Les Juifs dispersés reviendraient dans leur patrie (Tobie 13.10 ; 14.7 ; 2 Maccabées 2.18).
Plus tard, à ces rôles de capitaine et de roi, on joignit ceux de prophète, de prédicateur et de docteur. C’est à sa parole que les peuples se convertiront au culte du vrai Dieu (Enoch 48.4). Il annoncera la vérité et son règne sera une époque de pacification (Psa. Sal. 17 et 18). Il enseignera aux hommes les œuvres de la justice et la crainte du Seigneur. Il sera le Docteur des païens et le consolateur du peuple d’Israël. Il sera aussi un intercesseur pour les péchés d’Israël. Ses jours seront des jours de consolationq. Il promulguera une loi nouvelle, tous les peuples ne formeront qu’un peuple, parleront la même langue, auront une nouvelle doctrine. D’une manière générale, Jonathan lui attribue trois fonctions : il sera prophète, prêtre et roi.
q – Targ. Jonath sur Ésaïe 53.11 ; 2 Samuel 23.3.
[Tobie, ch. 14 et suiv. Test. des douze patriarches, Juda, § 35. Levi, § 16. Targ. Jonath. sur Ésaïe 12.2. Carm. Sybill., iii, 755-758. « L’Éternel du haut du ciel étoilé dispensera aux hommes une loi commune à toute la terre. » Gesenius, Comm. sur Ésaïe 1.1, 79.]
Il va sans dire que le Messie, devant être le dernier organe de la révélation, serait le plus élevé de tous, et ferait un grand nombre de miracles. Les faux messies commençaient toujours par accomplir des prodiges. Theudas, qui se donnait pour un prophète, prédisait à ses disciples le passage du Jourdain à pieds secs. Il parut aussi un Égyptien qui prétendait renverser les murailles de Jérusalem du haut du mont des Oliviers par sa seule parole.
[Jean 7.31 ; Matthieu 12.23. Quiconque s’élevait un peu au-dessus de l’ordinaire faisait des miracles (4 Esdras, xiii, 50). Simon le magicien (Actes 8.8) se faisait une grande réputation par ses miracles. Plotin et les philosophes alexandrins passèrent pour en avoir fait beaucoup. (Voir la vie de Plotin, par Porphyre).]
Le Messie ne devait pas mourir. Des rois régneront sur le peuple pendant sa domination. Il occupera vis-à-vis d’eux une place semblable à celle que Jahveh occupait auprès des rois des Hébreux.
[Jean 12.34. L’idée de la mort du Messie bouleverse les disciples. Matthieu 16.22 ; Marc 8.33 ; 9.12 ; Luc 9.22, 45 ; 18.34. On sait que le quatrième livre d’Esdras parle de la mort du Messie après 400 ans de règne. Il n’y a pas à s’y méprendre : il subit là l’influence des idées chrétiennes. Pour un Juif, la pensée que le Messie pourrait mourir était un scandale (1 Corinthiens 1.23). Pour l’auteur du IVe livre d’Esdras, le Messie ne sera qu’un homme (vii, 28 et suiv. ; xiii, 32, 37, 52 ; le filius du latin est le παῖς du grec : serviteur) cependant il lui suppose un pouvoir magique. Il ne lutte pas avec des armes, mais avec le feu de sa bouche (xiii, 10 et passim). Targ. Jonath. sur 1 Rois 4.33. Salomon parle des rois qui régneront dans le monde messianique (Voir aussi Targ. Jonath, sur Ésaïe 9.6).]
La domination future du Messie portait différents noms. Le plus commun était celui de « Royaume de Dieu » ou « des Cieux », dans la langue rabbinique, qui évitait de prononcer le nom de Jahveh (Malkat Schamajim). On disait encore le Siècle à venir (Olam-ha-ba), ou bien le « Renouvellement (Matthieu 19.28) » et la « Consolation d’Israël (Luc 2.25). »
On comprend que cette attente continuelle du Messie devait être une des sources les plus pures et les plus vives de la piété. Elle portait à la vigilance, au jeûne, à la prière. Elle favorisait l’ascétisme et l’austérité de la vie.
[Matthieu 24.42-51 ; Luc 1. La secte des Esséniens, le genre de vie de Jean-Baptiste et de Banus en sont des preuves. Voir aussi Luc, ch. 2, l’histoire d’Anne et de Siméon. Ils nous offrent deux types certainement authentiques.]
Chez quelques personnes cependant l’idéal messianique était fort peu élevé. Le livre de Judith met en scène ceux qui n’attendent le salut que de l’épée et ne reculent pas devant le meurtre. Au premier siècle, ce courant d’idées avait pris une grande force. Les sicaires étaient très nombreux. Toutes les opinions se rattachaient à l’espérance commune, l’ère messianique. Mais tandis que cette attente portait les uns à la piété et à la résignation, chez d’autres elle soulevait, on le voit, des idées de guerre et de vengeance. Pour ceux-ci, les termes de Royaume de Dieu, de salut, de Messie étaient pris dans un sens grossièrement réaliste ; à ceux-là, au contraire, ils n’offraient qu’un nuageux idéal et ils les faisaient rêver à une fraternité universelle de tous les peuples.
Tout porte à croire que ce caractère grossier et réaliste de l’espérance messianique a été se fortifiant toujours davantage. Dans le livre des Jubilés, l’idée messianique est encore très belle, d’une grande pureté et d’une vraie largeur. C’est après la destruction du Temple qu’elle prit un caractère exclusivement fanatique.
[Le lecteur aura remarqué que dans ce chapitre nous avons tiré la plupart de nos données du Nouveau Testament. Nous croyons, en effet, que les idées de l’entourage de Jésus telles que les reproduisent les livres de la nouvelle alliance et, en particulier, les trois Synoptiques, sont la plus pure expression de la doctrine messianique des contemporains du Christ (Voir en particulier Luc 1.31, 50, 68 ; 2.32, etc.) Et quand l’affirmation d’un texte évangélique se trouve confirmée par celle d’un des livres juifs de l’époque, c’est-à-dire par les Targoums, les Psaumes de Salomon, le Livre des Jubilés, ou déjà par le Livre d’Énoch, ce texte prend une grande autorité.]
L’Apocalypse d’Esdras, écrite à cette époque, nous montre précisément comment se transforma l’espérance messianique. Les Juifs attendent toujours leur Libérateur. Il n’a point paru dans la grande catastrophe de 70. Où est donc la justice de Dieu ? Quand viendra le châtiment des païens ? Les fidèles se posent cette question ; mais ils ne se laissent pas gagner par le doute. Ils croient toujours aux promesses divines. C’est le propre de la foi de se fortifier au jour de l’épreuve. Les calamités publiques et privées, les souffrances physiques et morales qui devraient, semble-t-il, amener le doute avec elles, donnent, au contraire, une vie nouvelle aux convictions religieuses. Après 70, les Juifs espèrent encore. Sous Trajan, ils croient le moment venu de reprendre les armes ; et- ils sont vaincus de nouveau. Enfin, sous l’empereur Adrien, un fanatique, Bar-Kokeba, se persuade qu’il est le Messie ; il rassemble les derniers survivants de sa malheureuse nation. Il meurt dans la lutte. Ses partisans sont défaits. C’en est fait de l’espérance messianique. Elle subsistera sans doute encore au cœur de quelques fidèles ; mais elle n’aura plus d’histoire. Le judaïsme n’existera plus comme nation. La révolte de Bar-Kokeba sera la dernière.