L’archéologie n’a pas apporté au Nouveau Testament de confirmations aussi spectaculaires qu’elle en a apporté à l’Ancien Testament, mais ses découvertes n’en sont pas moins importantes. Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner quelques attestations fournies par les inscriptions et les papyri ; nous allons maintenant considérer quelques autres exemples du même type avant de passer à un tout autre genre d’attestation.
On se souvient qu’au cours de la dernière visite de Paul à Jérusalem dans le livre des Actes, il y eut un émeute dans le temple parce que le bruit s’était répandu qu’il avait profané l’enceinte sacrée en y introduisant des Gentils (Actes 21.27). Ces derniers, en effet, avaient le droit de pénétrer dans la cour extérieure qui ne faisait pas partie du temple proprement dit, mais il leur était formellement interdit de pénétrer plus avant sous peine de mort. 1 Les autorités romaines étaient si désireuses de ménager les susceptibilités religieuses des Juifs qu’elles sanctionnaient l’exécution des citoyens romains eux-mêmes pour cette offense 2 et, afin que nul ne puisse plaider l’ignorance, des pancartes rédigées en grec et en latin avaient été fixées à la barricade qui séparait la cour intérieure de l’enceinte extérieure, prévenant les Gentils que toute contravention à ce règlement était punie de mort. C.S. Clermont-Ganneau découvrit en 1871 à Jérusalem une de ces inscriptions, conservée à Istanbul, sur laquelle on peut lire :
1 Josèphe, Guerre des Juifs, 5, 5.
2 Ibid. 6, 2.
Aucun étranger n’est autorisé à pénétrer au-delà de la barricade qui entoure le temple et son enceinte. Quiconque sera pris en flagrant délit de contravention sera mis à mort et ne pourra s’en prendre qu’à lui-même. 3
3 Une autre copie en moins bon état a été découverte à Jérusalem 60 ans plus tard ; elle est au Musée Archéologique de Palestine à Jérusalem.
Certains ont pensé que la métaphore utilisée par Paul dans Ephésiens 2.14, d’un ‘mur de séparation’ entre Juifs et Gentils qui a été ‘renversé’ par le Christ se réfère à cette barrière du temple qui interdisait aux païens de pénétrer dans un lieu exclusivement réservé aux Juifs.
Les découvertes archéologiques faites à l’intérieur et aux alentours de Jérusalem ont éclairé d’autres incidents du Nouveau Testament. La piscine de Bethesda décrite dans Jean 5.2 a été localisée dans la partie N-E de la vieille ville de Jérusalem qui, au premier siècle après J.-C., s’appelait Bezetha, la ‘ville neuve’. Des fouilles entreprises en 1888 près de l’église Ste Anne, dans ce quartier, ont mis à jour les restes d’une ancienne église sous laquelle se trouvait une crypte dont le mur était divisé en 5 parties imitant des arches ; sur le mur, on pouvait encore distinguer les restes d’une vieille fresque représentant l’ange en train d’agiter l’eau. Ceux qui avaient bâti cet ensemble croyaient visiblement qu’il marquait le site de la piscine de Bethesda ; et des fouilles ultérieures en-dessous de la crypte montrèrent qu’ils ne se trompaient pas, car elles révélèrent une série de marches conduisant à une piscine, avec cinq portiques creux sur le côté Nord, exactement à l’aplomb des imitations d’arches du mur Nord de la crypte. Peu de sites de Jérusalem mentionnés dans les Evangiles ont pu être identifiés avec autant de certitude.
L’une des raisons de cette difficulté d’identifier les lieux avec certitude est d’une part la destruction de la ville en 70 suivie en 135 de la fondation d’une nouvelle ville païenne sur le même site, et d’autre part le problème énorme que représente l’entreprise de fouilles un tant soit peu importantes sur un site aujourd’hui encore fortement peuplé. Ainsi, il reste des doutes sur l’emplacement véritable du tombeau et sur le lieu de la crucifixion. Le site traditionnel, marqué par l’église du Saint-Sépulcre est celui qui fut indiqué à l’empereur Constantin lors de sa visite à Jérusalem en 327, mais nous ne sommes pas sûrs que ce lieu ait vraiment été en dehors de la deuxième enceinte de Jérusalem, comme devait forcément l’être le Golgotha. Le tracé de ce mur n’a pas encore été totalement retrouvé. 4
4 Pour un bon livre à la portée de tous, voir A. Parrot, Golgotha et l’église du Saint-Sépulcre (1957).
En 1945, le professeur E. L. Sukenik, de l’Université hébraïque, découvrit ‘les traces les plus anciennes du christianisme’ selon lui, sous la forme d’inscriptions gravées sur deux ossuaires près de Jérusalem. Mais il est plus ou moins certain maintenant que les inscriptions n’ont rien à voir avec le christianisme mais qu’elles se réfèrent à deux individus différents du 1er siècle qui s’appelaient Jésus, ni l’un ni l’autre étant Jésus de Nazareth.
Dans sa lettre aux Romains écrite à Corinthe durant l’hiver 56-57, Paul transmet les salutations de quelques-uns de ses compagnons, et il ajoute : ‘Eraste, le trésorier de la ville vous salue’ (Romains 16.23). Lors de fouilles entreprises à Corinthe en 1929, le professeur T.L. Shear découvrit un dallage portant l’inscription: ERASTUS PRO: AED: S:P: STRAVIT (‘Eraste, curateur des édifices publics, a fait poser ce dallage à ses frais’). Il est prouvé que ce dallage existait déjà au premier siècle, et il est fort probable que le donateur n’est autre que l’Eraste dont parle Paul.
A Corinthe également fut découverte une inscription fragmentaire venant d’un linteau de porte qui, reconstituée, semble dire : ‘Synagogue des Hébreux’. On peut penser qu’elle provient de la synagogue qui vit Paul faire des discours lors de son séjour à Corinthe, jusqu’au moment où les autorités né purent plus le supporter, et où il dut passer dans la maison voisine, chez un nommé Justus (Actes 18.4-7). Une autre inscription de Corinthe mentionne le makellon ou ‘marché aux viandes’ de la ville, auquel Paul fait allusion dans 1 Corinthiens 10.25.
Parfois, des détails mineurs du récit du Nouveau Testament ont été éclairés et confirmés par les recherches archéologiques. Quand Paul et Barnabas, par exemple, visitent Lystre au cours de leur premier voyage missionnaire en Asie Mineure, et y guérissent un impotent, la foule en conclut que les dieux sont descendus vers eux sous forme humaine, et ‘ils appelaient Barnabas Zeus et Paul Hermès parce que c’était lui le porte-parole’ (Actes 14.12). Or, le culte de Zeus et d’Hermès (Jupiter et Mercure pour les Latins) était traditionnellement associé à cette région. Ovide, au 8ème livre de ses Métamorphoses raconte la légende bien connue selon laquelle les deux dieux s’étaient rendus incognito dans la région en question et y avaient reçu l’hospitalité d’un couple âgé, Philémon et Baucis, qui furent largement récompensés de leur générosité tandis que leurs voisins inhospitaliers furent submergés par le déluge.
Des preuves plus déterminantes du culte associé des deux divinités dans la région de Lystre furent découvertes en 1910, quand Sir William Calder découvrit à Sedasa, près de Lystre, une inscription datant de 250 après J.-C., qui indiquait la dédicace à Zeus d’une statue d’Hermès ainsi que d’un cadran solaire, par des hommes aux noms lycaoniens ; 5 de plus, en 1926, Calder, en collaboration avec le professeur W.H. Buckler, découvrit près de Lystre un autel de pierre dédié à ‘Celui qui écoute les prières’ (probablement Zeus) et à Hermès. 6
5 Cf. Classical Review 24 (1919), p. 79 ; 38 (1924), p. 29, n. 1 ; Expositor, julliet 1910, p. 1 et 148.
6 Cf. Discovery VII (1926), p. 262.
Dans le De Mysteriüis (Sur les Mystères égyptiens) de Jamblique, nous trouvons une expression tout à fait parallèle à celle des Actes, ‘qui portait la parole’ (en. Grec, ho hègoumenos tou logou, c’est-à-dire, littéralement : ‘le chef de la parole’) ; en effet, Jamblique décrit Hermès comme ‘le dieu qui est le chef des discours’ (en Grec, theos ho tôn logôn hègèmôn). A leur façon, ces ‘coïncidences fortuites’ sont aussi significatives que les confirmations les plus directes des affirmations bibliques.
Nous avons déjà parlé de l’importance des découvertes de papyri pour l’étude du Nouveau Testament, lorsque nous avons discuté de certains fragments des Ecritures découverts parmi eux ; mais ces découvertes de papyri ont bien d’autres choses à nous apprendre. L’une des conséquences les plus bénéfiques en fut la découverte d’un grand nombre d’écrits grecs, rédigés sur des morceaux de parchemin ou sur des poteries par des gens peu éduqués, ce qui nous a permis de connaître le genre de grec que parlait l’homme de la rue, du moins en Egypte, du temps du Nouveau Testament.
Il était communément reconnu que le grec du Nouveau Testament était, par bien des aspects, différent de la langue classique des grands écrivains grecs. Les experts avaient donné plusieurs sortes d’explications aux particularités de ce ‘grec biblique’. Certains, comme Richard Rothe (1863), suggérèrent qu’il s’agissait d’un nouveau ‘langage du Saint-Esprit’, 7 créé spécialement pour exprimer la vérité divine. Nous ne nions pas, bien sûr, que le Nouveau Testament ne soit exprimé, en un sens, dans le ‘langage du Saint-Esprit’ — quel qu’il puisse être — étant donné la vérité divine qu’il nous révèle ; mais la découverte de ces écrits non-littéraires dans les sables d’Egypte bouleversa complètement les théories des savants, car la langue employée s’y révélait très semblable au grec du Nouveau Testament. Ce dernier était, en fait, très voisin de la koiné vernaculaire, ou grec ‘commun’ de l’époque ; le ‘langage du Saint-Esprit’ était en fait le langage des gens du peuple — une leçon dont nous pouvons tirer profit. 8
7 Cité par H. Cremer dans la Préface du Lexique biblico-théologique de Grec du NT.
8 Il ne faut pourtant pas exagérer cette ressemblance entre le grec du N.T. et le langage vernaculaire des papyri, le premier étant plus littéraire. Pour citer le professeur A.D. Nock, ‘tout homme, connaissant le grec classique, qui lit le NT. puis consulte les papyri est étonné des ressemblances qu’il y trouve ; mais tout homme qui connaît d’abord les papyri, puis consulte Paul est étonné des différences qu’il y trouve. On a beaucoup exagéré la part de la Koiné dans le Nouveau Testament.’ Journal of Biblical Literature LII (1933), p. 138, voir aussi E.K. Simpson, Words Worth Weighing in the Greek New Testament (1944). Néanmoins, les remarques faites ci-dessus restent valables.
Vers la fin du siècle dernier et au début de notre siècle, une découverte souleva une grande émotion : B.P. Grenfell et A. S. Hunt trouvèrent à Oxyrhynchus trois fragments de papyrus contenant des sentences de Jésus, dont certaines semblables aux paroles de nos Evangiles, mais d’autres sans parallèles connus. La découverte de sentences de Jésus inconnues par ailleurs n’est pas autrement surprenante, car, dans l’Eglise primitive, il devait en circuler un grand nombre, transmises de génération en génération. Les papyri d’Oxyrhynchus qui datent de 140 de notre ère au plus tard, ne sont pas des morceaux d’Evangile, comme les papyri mentionnés précédemment ; ils faisaient partie d’un recueil de paroles isolées, introduites chacune par quelques mots du genre : Jésus a dit… On peut douter qu’elles soient toutes authentiques, mais il est intéressant de constater que, dans certaines, Jésus parle comme dans le 4e Evangile, non pas tellement pour le style, mais pour le thème des discours.
En 1946 fut découvert en Egypte une version copte d’une œuvre grecque appelée ‘L’Evangile de Thomas’, constituée de 114 sentences de Jésus, rattachées ensemble sans aucun cadre narratif. Dans le nombre se trouvaient les sentences déjà connues par les papyri d’Oxyrhynchus. La collection de sentences est introduite par ces mots :
Voici les paroles secrètes que Jésus prononça de son vivant ; Judas Thomas Didyme les a écrites et il a dit : ‘Quiconque saura interpréter ces paroles ne verra pas la mort’. 9 Jésus a dit : ‘Que celui qui cherche ne cesse pas de chercher jusqu’à ce qu’il ait trouvé, et quand il aura trouvé, il sera touché profondément ; quand il sera touché, il s’émerveillera et il régnera sur l’univers’. 10
9 Cf. Jean 8.51.
10 Cette dernière sentence (‘que celui qui cherche…’) est citée avec des variantes par Clément d’Alexandrie (180 après J.-C.) comme venant de l’Evangile selon les Hébreux.
Les rapports entre ces sentences et la tradition canonique sont à étudier de plus près ; il est évident que plusieurs d’entre elles reflètent une pensée gnostique. La coloration gnostique de cet Evangile de Thomas n’est pas surprenante, car il fut découvert parmi toute une bibliothèque de textes gnostiques. Ces textes de Nag-Hammadi, nommés ainsi d’après le lieu où ils furent découverts (anciennement Chenoboskion, sur la rive Ouest du Nil, à une centaine de km au Nord de Louxor) comprennent 48 traités en 13 codices de papyrus. Les codices datent des 3ème et 4ème siècles, mais les originaux grecs furent composés un ou deux siècles auparavant. Ils ne nous aident pas à mieux comprendre le Nouveau Testament, mais ils nous indiquent ce qu’un groupe de personnes du second siècle, très représentatif, sinon orthodoxe, pouvait penser de sa signification ; ils montrent aussi que l’Eglise orthodoxe n’était pas la seule à avoir admis pratiquement tout le canon catholique dès le milieu du IIème siècle. Nous avons déjà parlé des affinités de langue et de pensée existant entre les documents de Qumrân et l’Evangile de Jean. Ces documents qui sont venus au jour en 1947 nous apprennent beaucoup de choses sur la vie et les croyances d’une communauté juive qui prospéra durant 200 ans environ (de 130 avant à 70 après J.-C.) et qui, par bien des points, ressemble aux communautés de l’Eglise primitive. Toutes deux se considéraient comme les véritables restes d’Israël, chacune s’appuyant sur une interprétation différente de l’Ancien Testament, et toutes deux interprétaient leur vocation en termes eschatologiques. Vouloir établir des contacts directs entre les deux communautés paraît difficile ; les tentatives dans ce sens qui s’annoncent le moins mal sont celles qui sont centrées sur la personne de Jean-Baptiste. A côté des ressemblances entre les deux communautés, il nous faut aussi noter les divergences radicales, et notamment le fait que le christianisme primitif était dominé par la personne et l’œuvre de Jésus, être unique, et par la conviction que seule la puissance de Sa résurrection maintenait l’Eglise en vie. Néanmoins, l’archéologie a commencé à remplir un blanc subsistant jusque-là quant à la situation du récit évangélique dans son ‘milieu de vie’, et elle fournira certainement encore d’autres apports inattendus et passionnants à l’étude du Nouveau T’estament. 11
11 Cf. K. Stendahl, The Scrolls and the New Testament (1957) ; F.F. Bruce, Qumrân and the New Testament ; Faith and Thought XC (1958-59), p. 92.