Ce qui trouble le plus souvent notre vie, c’est le souci de l’avenir. Parcourez les demeures de ceux qui gémissent et vous trouverez presque toujours que ce qui les tourmente est moins une souffrance actuelle que la prévision de malheurs futurs. Si la source amère des inquiétudes pouvait être tarie, on verrait soudain leurs plaintes se transformer en chants de joie. De là vient que les hommes se sont montrés de tout temps avides de signes, de pronostics favorables, de présages de bonheur. Autrefois ou interrogeait le firmament ; on consultait les oracles et le vol des oiseaux. De nos jours ces signes ont perdu leur crédit, mais on en cherche d’autres, et la soif des hommes pour cette sorte d’indications n’est nullement éteinte. Combien n’est-on pas enclin, dans toutes les circonstances importantes, comme célébration de mariages, etc., à attribuer à tout ce qui arrive un sens mystérieux ? Le moindre incident est alors capable ou d’étendre sur un jour de fête un voile de deuil, ou de mettre le comble à l’allégresse, suivant qu’on croit y découvrir un présage de bon ou de mauvais augure.
Tous ces pronostics signifient peu de chose. Mais il est un signe de bénédiction qui ne peut tromper. Que ceux qui le possèdent tressaillent de joie et rejettent tout souci. Mais que nul ne s’abuse. Ce signe n’appartient point à tous. — Est-ce peut-être la richesse ?… Songez à celui qui avait agrandi ses greniers. Sont-ce les honneurs ?… Il les possédait celui qui s’étendait comme un laurier vert et qui disparut en un moment. Sont-ce les dons de l’intelligence ?… Mais l’intelligence n’est point un paratonnerre qui puisse détourner la colère de Dieu. Sont-ce les mérites civils, ou la probité, ou les lumières du christianisme ?… Hélas ! toutes ces choses ne pourront tenir devant le feu du jugement. Quel est donc le signe que nous avons en vue ? Nous lisons au Psaume 86 : Montre-moi quelque signe de ta faveur ! Ce signe est double : C’est d’abord une blessure. — Une blessure ? — Oui, une blessure du cœur. Aucun baume de la terre ne peut la guérir. Le péager la portait à sa poitrine. Le brigand la connaissait aussi lorsqu’il s’écriait : Seigneur, souviens-toi de moi ; et Madeleine, lorsqu’elle lavait de ses larmes les pieds de Jésus. — C’est donc la blessure du péché ? — Oui, mes frères, c’est la conviction douloureuse que l’on n’est devant Dieu qu’un pécheur digne de malédiction. Signe peu apparent, peu connu du monde, mais signe d’un prix inestimable. Toute la Bible en rend témoignage.– Mais ce qui le complète, c’est ce dont parle Ézéchiel 9.4 : Passe par la ville, dit l’Eternel à l’homme vêtu de lin, et marque la Lettre Thau sur les fronts de ceux qui gémissent. Cette lettre avait la forme d’une croix, comme on peut s’en assurer par la comparaison des alphabets antiques. Tel est le signe, mes frères : une croix, gravée non sur les lèvres, non dans les paroles, non dans les idées, mais marquée par le feu du Saint Esprit dans le cœur, dans les moelles de la vie ; tellement que la croix de Christ soit pour l’homme l’astre le plus cher ; que son amour l’embrasse comme une verte liane, que toute son espérance y soit suspendue, et qu’il s’écrie avec Paul : Je ne veux savoir autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Là où ces deux choses se rencontrent : la blessure et la croix ; le cœur brisé et la foi en l’agneau immolé pour nous ; là se trouvent tous les bons pronostics, tous les heureux présages.– Le monde en fait peu de cas, c’est une décoration qui ne donne pas ici-bas le moindre honneur ; mais les anges s’inclinent devant ceux qui la portent et se soumettent volontiers à leur service. Dieu soit loué de ce que plusieurs d’entre vous en sont parés. C’est le signe de leur noblesse. Qu’ils ne cherchent point d’autre présage. Ce signe est une garantie suffisante qu’ils seront heureux dans le temps et dans l’éternité.
Qu’est-elle pour nous, la magnifique scène dont le préambule va nous occuper aujourd’hui, si ce n’est un commentaire de ces paroles du Psalmiste : Montre-moi quelque signe de ta faveur ? Que le Seigneur en bénisse la méditation pour nos âmes !
1 Or, Naaman, chef de l’armée de Syrie, était un homme puissant auprès de son seigneur ; et il était en grand honneur, parce que l’Eternel avait délivré les Syriens par son moyen ; mais cet homme fort et vaillant était lépreux. 2 Et quelques troupes sorties de Syrie avaient amené prisonnière une petite fille du pays d’Israël, qui servait la femme de Naaman.
Une scène frappante de la vie d’Élisée va se dérouler devant nous ; une scène qu’on chercherait plutôt sur l’un des feuillets de l’Evangile que dans un livre de l’Ancien Testament. La mission particulière de notre prophète s’y dévoile plus que jamais. Le mur de séparation entre Israël et les païens s’abaisse. Un type vivant du baptême chrétien se présente à nos yeux avec une foule d’autres traits évangéliques.
Notre méditation d’aujourd’hui, qui servira d’introduction à plusieurs autres, vous fera connaître le héros de cette histoire, le Syrien Naaman, et vous dira quelques mots de l’esclave israélite dont Dieu fit l’instrument de son salut temporel et éternel.
Notre texte nous transporte à Damas. Cette antique capitale du royaume de Syrie, située dans le riant Eden qui s’étend au delà du Liban, est le théâtre de ce qu’il va nous raconter. Nous quittons pour un moment la Terre Sainte et mettons le pied dans les régions ténébreuses du monde païen. Partout les ombres de la mort ! partout des autels d’idoles, et nulle part un seul rayon de pure lumière parmi ce peuple plongé dans un effroyable aveuglement.
On dirait qu’un monde nous sépare de la terre des prophètes, et cependant il n’y a entre nous et Canaan qu’un revers de montagne. Mais une barrière plus haute s’y trouve encore, c’est la haine nationale, qui poussa de tout temps les Syriens à repousser les mœurs et les lois d’Israël. L’orgueil de ces païens était comme un cordon sanitaire entre les deux royaumes, il repoussait toute contrebande, toute parcelle de vérité révélée, que le voisinage du peuple de Dieu aurait pu leur communiquer.
Cependant l’Eternel a résolu dans sa grâce de lancer le flambeau de sa parole au cœur même de ce royaume si bien gardé, et d’établir auprès des autels d’idoles un autel où l’on voit briller le nom de Jéhovah. Dès que le Seigneur veut éclairer il ne sert de rien de fermer les issues. Il dit : Que la lumière soit ! et les ombres disparaissent. Sa grâce est soutenue par sa puissance. Qui pourrait lui résister ?
Mais Dieu n’est pas seulement le Dieu des cieux. Il est aussi, il veut être le Dieu des hommes. Il veut être comme demeurant parmi nous, dirigeant nos pensées, nos actes et toute notre vie. C’est pour cela qu’au lieu de grandes manifestations du haut du ciel, il préfère accomplir sa volonté par des moyens humains, et cacher sa main royale sous des circonstances peu apparentes. C’est ainsi qu’il agit dans l’histoire qui nous occupe.
Sur le trône de Damas est assis Ben-Hadad, le prince belliqueux que nous vîmes combattre contre Israël, au temps d’Élie, et qui commandait en personne le jour où Achab maudit de Dieu tomba percé d’une flèche. Dans le cercle brillant qui l’entoure, on distingue un homme que ses talents et ses exploits ont rendu l’appui du souverain et l’idole du peuple. Il porte un nom justifié peut-être par ses grâces corporelles. Il s’appelle Naaman, ce qui signifie gracieux, aimable, nom qui plus tard dut sembler une ironie, mais qui devait devenir bientôt plus vrai et plus applicable encore. Maintenant, nous ne voyons briller en lui que l’éclat douteux des terrestres grandeurs. Son front est paré de nombreux lauriers cueillis dans de sanglantes batailles ; il est couvert des marques éblouissantes de la faveur de son roi. La voix publique le signale comme le premier des héros et les chants patriotiques perpétuent ses louanges. Au reste, Naaman n’est encore qu’un païen comme les autres, nourri dès son bas âge dans l’idolâtrie. Il connaît le pays des révélations, mais il ne l’a traversé qu’en ennemi. Il ressemble aux insensés qui, de nos jours, combattent de préférence les usufruitiers de l’arbre de vie qui pourrait les guérir et les vivifier.
Mais heureusement le salut de l’homme n’est pas l’œuvre de ses misérables efforts, l’exécution n’est pas la récompense du vouloir, mais Dieu lui-même donne le vouloir (Philippiens 2.13) comme gage de l’exécution. Heureusement la grâce ne se contente pas d’attirer, elle surmonte ; elle ne cherche pas seulement le peuple de franche volonté, elle l’engendre par Jésus-Christ. (Psaumes 110.3) Sans cela qui pourrait être sauvé ? Naaman doit éprouver cette grâce toute-puissante. Le Dieu qu’il ignore a sur lui de grands desseins. Il saura les accomplir en lui et par lui, quelque grands que soient les obstacles, quelque faibles que soient les apparences favorables. Le Seigneur est maître dans le monde des âmes, comme dans le règne de la nature. Il ne commande pas seulement aux étoiles, il commande à nos pensées et elles obéissent. Tous les cœurs sont en sa main. Le même sceptre qui dirige l’univers dans son ensemble, dirige le vol de l’insecte éphémère et les pas des fils de la poudre. Il est vrai que, s’il en est ainsi, la prétendue indépendance des individus et des peuples s’évanouit. Mais nous n’en serons que plus tranquilles. Nous contemplerons d’un œil plus serein la marche de ce monde. Que serait-ce et que ne devrions-nous pas redouter si la main de l’homme et non celle de Dieu tenait les fils invisibles de nos destinées ?
Mais aujourd’hui ce n’est plus le Naaman glorieux que nous rencontrons. Quoi qu’il soit encore un héros puissant et couronné d’honneur, personne ne lui porte plus envie. Une goutte d’absinthe a changé son nectar en amertume, et dans la moelle de sa félicité s’est formé un cancer dévorant qui l’a mis au niveau des plus misérables de la terre. Naaman est lépreux ; il est attaqué de cette horrible maladie dans laquelle Israël devait voir le type du péché, et de la guérison de laquelle le Seigneur avait fait le type assuré de la Rédemption. Tout son corps, depuis la plante des pieds jusqu’à la tête n’est qu’une tumeur ; sa peau n’est qu’une enveloppe purulente, crevassée et enflammée. On évite son approche, car elle est dégoûtante. On fuit sa présence, car son souffle empoisonne ; il répand autour de lui l’atmosphère de la mort. Il faut qu’il se glisse dans une chambre isolée, ce héros du jour, et s’il voulait se montrer, il faudrait qu’il avertît les passants en criant : impur, impur ; il faudrait que le peuple se dispersât à la vue de son libérateur. Tel est le sort de celui que naguère on surnommait l’heureux des heureux. Quel est le pauvre qui voudrait être à sa place et qui n’aimerait mieux être le serviteur de Naaman que Naaman lui-même ?
Tous les jours on entend dire : Ah ! celui-ci nage dans le bonheur ; qu’il est riche ! qu’il est considéré ! Mais, hélas ! si l’on savait ce que cache parfois cette apparence brillante ! Il en est mille que vous enviez parce que vous n’avez pas vu le revers de leur vie, qui changeraient aussi volontiers avec vous que vous avec eux. Que chacun soit donc content de l’état où il se trouve. Cessez d’être envieux. Avez-vous la paix de Dieu ? C’est elle qui fait d’une hutte de boue l’avant-cour du paradis.
Vous présumez bien que tout fut mis en œuvre pour la conservation d’un homme aussi considérable. Le roi, qui voyait en Naaman son plus ferme appui, ne manqua pas de lui envoyer ses meilleurs médecins. Ceux-ci rivalisèrent d’application et de sollicitude ; mais tous leurs soins furent inutiles et tous les remèdes superflus. Jamais, en effet, remèdes humains n’avaient pu triompher de cette maladie profonde. — On voit encore aujourd’hui des maladies semblables. Elles sont là pour abattre l’orgueil des hommes, pour faire rentrer leur sagesse dans les bornes de l’humilité, et pour que nous ne présumions point que la conservation de notre souffle soit notre propre œuvre. Quelle défaite pour la science moderne que cette contagion terrible qui, plus meurtrière que les plaies d’Egypte, s’est répandue de l’Inde sur le reste du monde et qui n’a point encore fini ses ravages ! Je ne puis, quant à l’Esprit, que me réjouir de cet échec de notre intelligence. La fanfaronnerie du siècle ne connaissait plus de bornes. On commence, à présent, à plier un peu les voiles. La science, idolâtre d’elle-même, commence à reconnaître par la bouche de ses plus illustres représentants qu’elle ne saurait pénétrer la cause de ce fléau mystérieux. Des magistrats ne font point difficulté de recommander la confiance en Dieu comme le plus sûr remède, et rendent ainsi gloire à Celui qui a dit : « Je suis l’Eternel qui te guérit. »
Naaman aussi devait apprendre que cette plaie lui était envoyée, non comme un breuvage de colère, mais comme un breuvage de miséricorde. L’Eternel aimait ce guerrier. — Etait-ce parce qu’il l’avait premièrement aimé ? — Oh ! évidemment non. — Mais pour quelle cause ?– Parce qu’en sa personne il voulait glorifier sa grâce. Ce Syrien était un guerrier puissant, couronné de triomphes. Mais Dieu ne prend point plaisir à la force du cheval ni aux jambières de l’homme. Toutes ses autres qualités, quelqu’aimables et brillantes qu’elles pussent être, n’avaient de prix ni de récompense à attendre qu’auprès des hommes. Aimait-il Jéhovah ? — Comment l’aurait-il pu ? — Vivait-il pour sa gloire ? — Non, mais pour la sienne propre. — Faisait-il la volonté de Dieu ?– Non, mais celle de la chair. C’était un homme du monde, livré sans doute à toute la folie du péché. Et cependant Dieu fait de lui l’objet de sa faveur. Cela vous scandalise-t-il ? Pour nous, nous ne nous scandalisons point ; nous nous réjouissons de voir qu’il n’a point d’égard à l’apparence des personnes, mais qu’il choisit comme il lui plaît les objets de ses compassions.
Mais comment parviendra-t-il à cette brebis perdue ? Comment atteindre le cœur de cet homme qui n’a pas la plus légère notion du Dieu vivant ? — Soyez sans crainte. Dieu saura bien atteindre son élu. Dieu ne connaît point de barrière. La lèpre dont il l’a frappé, voilà, qui l’aurait cru ? le premier anneau de la chaîne des opérations divines qui doivent accomplir sa conversion. Le second anneau est une circonstance dont on aurait encore moins cru qu’elle pût conduire à ce résultat. Voici à quoi nous faisons allusion. Quelques mois auparavant peut-être, lorsque les Syriens étaient encore en guerre avec Israël, une troupe ennemie pénètre pendant la nuit dans un village israélite, y porte la désolation et le pillage, et entr’autres prisonniers elle emmène une jeune fille qu’elle arrache à ses parents éplorés et qu’elle entraîne sur la terre étrangère pour l’y vendre comme esclave. Ces procédés barbares nous révoltent. Nous nous étonnons même, à ce sujet, des dispensations de la Providence. Quoi, disons-nous peut-être en branlant la tête, Dieu n’empêche donc point de telles horreurs ? Le gardien d’Israël a donc cessé de veiller ? Que sont devenues ses promesses ? — De telles pensées nous sont, hélas ! naturelles. Mais ici, encore, nous allons voir de la façon la plus éclatante combien nos pensées s’égarent lorsque nous nous avisons de juger Dieu sans attendre la fin de ses voies. Car ici même où notre courte vue n’aperçoit plus aucune trace de sagesse ni de miséricorde, Dieu va dérouler un plan qui, lorsqu’il sera accompli, nous contraindra par sa sagesse à la plus vive admiration. Encore un peu de patience, et combien ces dispensations étonnantes vont se débrouiller merveilleusement devant vous ! Contentons-nous de savoir aujourd’hui que ces soldats ont capturé un rossignol mélodieux qui doit faire entendre dans la triste Syrie les doux cantiques de Sion ; une étoile qui va briller dans le ciel tout noir de leur patrie ; le flambeau même que l’Eternel veut lancer au cœur de leur pays ; une fleur des jardins d’Israël dont le parfum embaumé ne procurera pas à Naaman lui seul une guérison éternelle ! — Oui, tout doit se débrouiller de telle sorte que la prisonnière sur laquelle vous vous apitoyez remerciera Dieu avec transports de ne l’avoir point exaucée au moment de sa détresse ; de telle sorte, que notre malade confessera hautement que Dieu lui envoya, dans cette esclave, un ange de salut, et que la ville païenne tout entière, en apprenant ces choses, devra proclamer que l’Eternel seul est Dieu ! de telle sorte enfin que nous-mêmes, pleins d’une foi nouvelle, nous nous écrierons qu’il n’y a qu’à laisser faire le Seigneur ; que ses voies sont mystérieuses et étranges, mais que l’issue en est toujours admirable.
Heureux celui qui se laisse conduire à la lisière par le Seigneur, satisfait de croire que le fil de sa vie est roulé sur le métier de ce parfait tisserand ! Il peut compter avec assurance qu’aux endroits mêmes où le fil paraît s’embrouiller et se croiser au hasard, il lui sera donné plus tard de reconnaître les marques les plus positives de cette direction merveilleuse. Marchez donc sans crainte, conduits par la foi, au travers des contradictions apparentes et de la plus étrange confusion. Le temps viendra où les enveloppes s’ouvriront, et où l’épanouissement de l’œuvre de Dieu vous ravira d’allégresse. L’Eternel est bon et droit, c’est pourquoi il enseignera aux pécheurs le chemin qu’ils doivent tenir. Il fera marcher dans la justice les débonnaires et il enseignera sa voie aux humbles. Tous les sentiers de l’Eternel ne sont que gratuité et vérité à ceux qui gardent son alliance et ses témoignages. Amen !