Il naquit trois êtres de cette union, suivant les valentiniens : l’un de la passion et tout à fait matériel, l’autre de la conversion et tout à fait animal, le troisième tout spirituel ; elle songea ensuite à leur donner une forme. Le spirituel n’en put recevoir aucune, parce qu’il était de la même essence que sa mère ; elle s’appliqua donc de nouveau à donner une forme à celui qui était né animal, au jour de sa conversion : alors furent révélées les doctrines du Sauveur.
En premier lieu, on vit naître de la substance animale le créateur et le souverain de tout ce qui existe ; tout ce qui pouvait lui être consubstantiel, tant les êtres animés appelés par les valentiniens êtres premiers, que ceux qui sont les produits de la passion et de la matière, c’est-à-dire les êtres secondaires. Ce fut à l’impulsion de sa mère, et dans le secret de son être, qu’il donna naissance à toutes ces nouvelles créations ; aussi prend-il les différents noms de Metropator, d’Apator, de Demiurgos ; de Père des êtres premiers doués de la vie, de Créateur des substances matérielles et de Souverain universel de toutes ces œuvres. L’Enthymèse n’avait d’autre but, dans toutes ces créations, que celui de glorifier les Æons ; elle en produisit les ressemblances, et surtout celle du Sauveur, qui la confondit tellement dans l’image du Père invisible, qu’elle resta ignorée de Demiurgos. Celui-ci ressemblait à l’Unigenitus, et ses productions, auxquelles il donna sa ressemblance, furent les anges, les Æons et les archanges. Les valentiniens le font créateur et Dieu de tous les êtres qui sont en dehors du Plerum, tant animés qu’inanimés ; par lui deux essences, jusque-là confondues, se trouvent divisées, et de la métamorphose d’immatérielles qu’elles étaient en matérielles, dérivèrent les existences célestes et terrestres, des hyliques et des psychiques, des primaires et des secondaires, légères ou pesantes, gravitant en haut ou en bas ; sept cieux naissent de ses mains, et au-dessus d’eux il établit sa demeure, ce qui lui fait donner le nom d’Hebdomade ; comme Achamoth, sa mère, reçoit celui d’Ogdoade parce qu’elle complette la première ogdoade des éléments et des principes qui constituent le Plerum. Les sept cieux sont les demeures des esprits angéliques et de Demiurgos, qui est un ange semblable à Dieu ; ils y placent aussi le paradis, qui domine le troisième ciel, et qui se trouve être l’empire du quatrième ange ; ils disent qu’Adam a pris quelque chose de la nature de cet ange, en conversant avec lui.
Mais, disent les valentiniens, Demiurgos se croit le producteur de toutes ces existences ; seulement il ne nie pas qu’il les a faites par la puissance d’Achamoth : ainsi, il crée le ciel et ignore sa création ; il fait l’homme, et il ignore l’homme ; la terre se révèle par lui, et il n’a pas conscience de l’existence de la terre : ainsi toutes choses naissent de sa main, création, forme, sa mère même, et cependant il ignore tout, il se croit seul. La cause de cette création lui vient de sa mère, ajoutent les valentiniens ; elle a voulu qu’il se manifestât par elle, qu’il fût l’âme, le principe d’existence, le souverain, l’arbitre de toutes choses ; aussi est-elle honorée des noms divers d’Ogdoade, de Sophia, de Terre, de Jérusalem, d’Esprit saint, et du nom masculin de Seigneur : son habitation est dans la sphère moyenne, au-dessus de Demiurgos, mais au-dessous et hors du Plerum, jusqu’à la fin des temps.
Comme toute substance matérielle provient de ces trois sentiments, la crainte, le chagrin, l’anxiété, nos hérésiarques veulent, par induction, faire naître les êtres animés d’une union entre la crainte et la conversion. Demiurgos prend naissance dans cette même conversion : dans la crainte, toute substance animale, l’âme des bêtes et des hommes, prend existence à son tour ; aussi Demiurgos, incapable de s’élever à la connaissance des êtres spirituels, a-t-il dit, par les prophètes, que seul il était Dieu : Seul, moi, je suis Dieu ; hors de moi, il n’en est pas. Les crimes qui se commettent par la pensée émanent de la tristesse ; il en est de même du diable, appelé autrement Cosmocrator ou souverain du monde ; il en est de même des démons, des anges, enfin de toute substance spirituelle, méchante. Comme Demiurgos est le fils d’Achamoth, de même Cosmocrator est l’œuvre de Demiurgos. Cosmocrator a la connaissance des mondes qui lui sont supérieurs, parce qu’il est l’esprit du mal ; Demiurgos, au contraire les ignore, parce qu’il est assujetti à une vie animale ; Achamoth réside, comme nous l’avons dit, dans la région moyenne, au-dessus du ciel ; Demiurgos fait sa demeure au-dessous du ciel, dans l’Hebdomade ; et le Cosmocrator habite notre monde. Enfin, la stupeur et l’anxiété étant des causes ignobles, produisirent, comme nous l’avons dit, les substances matérielles et élémentaires du monde physique. À certain état de stupeur correspond l’existence de la terre ; l’eau correspond à l’agitation produite par la crainte, et l’air au resserrement que produit le chagrin ; le feu, élément mortel, élément terrible, se cache dans chacune de ces diverses productions, comme l’ignorance s’est cachée dans les trois états dont nous venons de parler.
À la création du monde matériel succéda bientôt l’homme, être vivant, non point l’homme fait de terre aride, mais un autre homme qu’une substance invisible, fusible, fluide et matérielle servit à animer. La vie lui fut donnée par un souffle, et il fut créé à l’image et ressemblance de son auteur ; il a des rapports avec Dieu par la ressemblance intellectuelle, mais son essence n’est point la même ; il lui devient semblable par sa vie animée, par le souffle qu’il a reçu, par son essence, par l’esprit enfin qui le caractérise. Revêtu plus tard, entouré de ses chairs comme d’un vêtement, il traîna sur la terre un corps visible.
Demiurgos ignora le second enfantement de sa mère Achamoth, produit par la contemplation des anges qui entouraient le Sauveur ; il l’ignora, parce que le produit fut de même essence que sa mère, c’est-à-dire spirituelle : celle-ci profita de son ignorance, le déposa dans son sein sans qu’il s’en doutât, afin qu’un jour, après l’avoir nourri comme la mère nourrit l’enfant qu’elle porte dans son sein, il pût lui donner une forme parfaite et ranimer par l’usage de la parole. Demiurgos ne se douta donc pas, en soufflant l’âme dans sa créature, que, par une ineffable vertu, Sophia avait aussi contribué à la création de l’homme ; il avait ignoré sa mère, il ignora ses enfants. Cette alliance de l’esprit et de la matière est le symbole, suivant les valentiniens, de l’Église supérieure, et l’homme, tel qu’ils veulent le figurer, a reçu son âme de Demiurgos, son corps de la terre, emprunté ses chairs à la matière, et le souffle humain à Achamoth.