Que Jonathan Edwards puisse avoir cru et écrit qu’il est question de l’Amérique dans la prophétie d’Ésaïe 60.9 sur les îles qui s’attendent au Seigneur, paraîtra peut-être assez farfelu et partial à nos mentalités modernes (c’est sans doute une raison pour laquelle les experts facebook du génial théologien trop cool ne mentionnent pas ce détail). Cependant, un siècle plus tard, d’autres penseurs américains renommés n’hésitaient pas à lui donner raison. C’est ainsi que Lyman Beecherc, écrit ceci dans A plea for the West (1835) :
« C’était l’opinion d’Edwards que le Millénium commencerait en Amérique. La première fois que j’ai entendu cette idée, j’ai pensé qu’elle était chimérique. Cependant, tous les développements providentiels subséquents, toutes les manifestations des signes des temps conduisent à la confirmation de cette idée. »
c – Le père d’Hariett Beecher Stowe.
Bien qu’elle soit géographiquement un continent, géopolitiquement, il n’est pas inexact de comparer l’Amérique à une île. Cet isolement du reste du monde, cet auto-suffisance, qui avait frappé Edwards, est d’ailleurs ce qui lui assure aujourd’hui une relative invulnérabilité militaire et sa domination économique. D’autre part, pourquoi serait-il si loufoque d’imaginer que l’Amérique a une place dans la Bible ?
On se rappelle la vision du roi Nébucadnestar, interprétée par le prophète Daniel, cette colossale statue composée de quatre métaux différents qui symbolise la succession des empires mondiaux. Daniel ne nomme pas explicitement celui représenté par les jambes de fer, mais tous les exégètes évangéliques s’accordent à y voir l’empire romain. Suivent les pieds et leurs dix doigts, composés d’un alliage incongru de fer et d’argile. Jusque vers la fin du vingtième siècle, les dispensationalistes préconisaient une résurrection de l’empire romain sous la forme d’une alliance de dix nations européennes, avec à sa tête l’Antéchrist. De l’Amérique il n’était pas question : de par son éloignement on ne savait guère où la mettre dans le récit biblique qui semble ne s’intéresser aux régions de la terre que dans la mesure de leur relation avec Israël, il était plus sage de dire que la Bible n’en parle pas.
A compter de la fin de la seconde guerre mondiale, la décadence des mœurs américaines, les menées criminelles du complexe militaro-industriel pour fomenter des guerres à travers la planète, les associations obscures et semi-occultes de grands financiers, finirent par créer dans le monde évangélique une vision négative de la destinée eschatologique de l’Amérique. Au lieu d’un berceau futur du Millénium, certains n’hésitaient plus à y reconnaître la grande Babylone commerciale, la grande ville assise sur les eaux, dont le chapitre 18 de l’Apocalypse annonce la destruction, et le choc émotif déclenché par les attentats du 9/11 au début du xxi siècle sembla confirmer fortement cette vision pessimiste.
Cependant les optimistes n’étaient pas morts. L’Amérique d’Edwards, l’Amérique de Finney, l’Amérique de Moody, n’avait-elle pas connu par le passé d’extraordinaires réveils religieux ; ne devrions nous pas prier pour en réclamer un dernier, avant le retour de Christ ?
Deux siècles et demi après la mort de Jonathan Edwards l’Amérique religieuse se retrouve donc divisée entre deux visions opposées de son futur. D’un côté, celle qui croit à la possibilité d’une repentance, d’un grand réveil, d’une instauration nationale du règne de Dieu, celle d’Edwards lui-même ; vision de gloire, qui paradoxalement se retrouve aujourd’hui plutôt dans les milieux charismatiques. De l’autre côté, vision de malheur, qui s’attend à la réjection totale des États-Unis de la faveur divine, suivie par leur anéantissement économique, voire nucléaire.
La Bible contient-elle des indices qui peuvent nous aider à départager ces deux directions ? Probablement non, il semble que Dieu n’a pas voulu nous dévoiler à l’avance le chemin par lequel chaque nation particulière allait passer pour arriver au point final, qui lui, reste parfaitement connu : Car la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l’Éternel, comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent. (Habakuk 2.14)
Cependant, s’il n’est plus permis à l’Amérique de trouver dans les navires de Tarsis des photographies de sa propre aventure, comme le faisait Edwards en son siècle, elle peut toujours puiser dans les Écritures des principes intangibles, qui l’encourageront et la guideront. L’étude de la statue décrite par Daniel, par exemple, ne nous donnera pas le nom des dix nations qui la terminent (qui peut-être ne sont pas dix numériquement, mais une multiplicité non définie), mais elle nous apprendra que Dieu ne se désintéresse pas de l’histoire économique ou militaire du monde ; il sait au contraire évaluer exactement la nature et les actes de chaque nation, et il les jugera selon sa justice.
Quant à l’Amérique en particulier, dont l’histoire a depuis toujours évoqué certaines analogies avec l’ancien Israël, elle possède dans l’Apocalypse une mine de sérieuses réflexions sur le rôle qu’elle pourrait être amenée à jouer à la fin des temps, en fonction sa conduite. Son nom n’y est pas écrit, certes, mais celui d’Israël s’y lit en lettres de feu.
La tendance récente néo-réformée n’aime pas qu’on lui rappelle que bien avant 1948 plusieurs commentateurs évangéliques éminents avaient affirmé que l’étude des prophéties de l’Ancien et du Nouveau Testament les conduisaient à croire en une restauration nationale d’Israël qui se produirait avant la parousie de Jésus-Christ. Le fait leur a donné raison. De même qu’en science la valeur d’une théorie se mesure aux phénomènes qu’elle a prédit, une lecture théologique de la Bible qui n’annonce rien de précis, qui lit les prophètes et l’Apocalypse comme des visions se rapportant exclusivement au passé, qui reste statique par peur de commettre des erreurs, un tel système se condamne lui-même à l’obsolescence. Nos prétéristesd font penser à des gens à qui on expliquerait pourquoi une horloge arrêtée marque l’heure exacte deux fois par jour, et qui enthousiasmés d’avoir enfin compris, courent en acheter douze, pour placer leurs aiguilles sur douze chiffres différents, et avoir ainsi en tout le temps la bonne heure. C’est ainsi qu’il lisent chaque chapitre de l’Apocalypse, comme une horloge arrêtée ; l’intelligence ne leur est point nécessaire pour calculer le nombre de la bête : ils savent déjà que c’est celui de Néron.
d – On appelle ainsi ceux qui croient que la majorité des prophéties bibliques, et en particulier celles de l’Apocalypse se sont toutes déjà accomplies.
Corruptio optimi pessima : la corruption du meilleur devient le pire. C’est à l’aide de cette maxime latine que, presqu’un siècle avant la création de l’État d’Israël, l’exégète Frédéric Godet voulait illustrer le rôle tant négatif que positif qu’allait jouer, selon lui, l’Israël de la fin des temps dans le drame apocalyptique. Négatif d’abord, puisqu’il serait lui-même la huitième tête, un royaume de Salomon ressuscité, conduit par un faux messie ; positif ensuite, après l’épuisement de tous les fléaux prédits, par sa conversion nationale à Jésus-Christ et son engagement missionnaire durant le Millénium.
D’aucune autre nation que les États-Unis d’Amérique on ne saurait dire avec autant de pertinence que pour Israël : la corruption du meilleur devient le pire. Fondée sur des valeurs bibliques, sur l’amour de la liberté, sur l’esprit d’entreprise, l’Amérique a fait rêver le monde, elle l’a inondé de ses merveilles technologiques, de ses productions holywoodiennes, et ne l’oublions pas, de ses missionnaires et de ses livres chrétiens. En parallèle, l’Amérique court à présent le danger d’être haïe de tous, à cause des crimes de ses élites, à cause de la corruption de ses gouvernements. Chacun sent à l’heure actuelle qu’elle a atteint un point de bifurcation irréversible : soit elle bascule vers le pire, jusqu’au retour de Christ, soit elle revient à son identité initiale. Dieu qui le sait, n’a pas écrit ce que sera son parcours, comme il l’a fait pour Israël.
Pour nous les hommes, ne pas savoir le futur s’inscrit dans les conditions de la liberté. L’optimisme nous reste encore permis : s’unir dans la prière et s’attendre au meilleur de la part du Seigneur, voilà la belle et courageuse leçon que nous laisse Jonathan Edwards.
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