L’histoire de la Bible

L’IMPORTANCE DE CHAQUE LETTRE

8. DE LA BIBLE SYRIAQUE À L’ANCIEN TESTAMENT DES MASSORÈTES

« Il ne disparaîtra pas… un seul iota ou un seul trait de lettre… » 1

1 Matthieu 5.18.

Après ce bref survol des siècles jusqu’au Moyen Age, il est temps de revenir aux événements du début de l’ère chrétienne. En fait, notre enquête au sujet de la transmission du texte sacré nous ramène au Moyen-Orient.

L’Eglise d’Antioche fut la base missionnaire du christianisme primitif. L’apôtre Paul partit de là pour ses trois premiers voyages, qui le conduisirent en Asie-Mineure et en Grèce. En même temps, d’autres messagers de Dieu, remplis d’amour et de zèle, se dirigèrent vers l’Orient. L’Eglise d’Edesse, dans la région de la moderne Ourfa (haut bassin de l’Euphrate, Turquie méridionale) fut l’un des fruits de ce témoignage. Le Nouveau Testament n’en parle pas, mais l’histoire a gardé les traces de ces porteurs de la bonne nouvelle qui pénétrèrent en Syrie, en Mésopotamie, en Arabie, en Perse et jusqu’aux rives du Malabar, au sud de l’Inde. Certaines Eglises subsistant aujourd’hui dans ces régions se réclament encore de Barthélemy ou de Matthieu qui, selon leurs traditions, se seraient rendus jusqu’en ces contrées lointaines pour y prêcher Christ et y fonder des communautés chrétiennes.

Sans que l’on ait beaucoup de précisions à ce sujet, il est évident que, durant ces temps héroïques de l’Eglise primitive, la Bible fut traduite en diverses langues : d’une part en copte et en éthiopien, ce qui assura la survie du christianisme dans le bassin du Nil : d’autre part en syriaque, cette langue proche de l’araméen biblique, abondamment répandue sur les rives du Tigre et de l’Euphrate.



Antioche : l’Eglise chrétienne y devint missionnaire.

La Bible syriaque marqua profondément les peuples d’Orient. A son arrivée à Edesse, Ephrem, un évangéliste du 4e siècle, fut aussitôt surpris de constater à quel point la population était imprégnée de la connaissance des Ecritures. Entre 411 et 435, l’évêque Rabbula procéda à une révision de la Bible syriaque, ce qui la rendit encore plus accessible. Son utilisation se généralisa, engendrant partout des communautés florissantes. Du 6e au 11e siècle, les Eglises nestoriennes 2 furent animées d’un tel zèle missionnaire qu’elles prêchèrent Christ jusqu’au cœur de l’Asie. On a décelé les traces de ces témoins au Turkestan, en Afghanistan, en Tartarie et même jusqu’en Chine.

2 Communautés fondées par Nestorius, patriarche de Constantinople, au 5e siècle.

Aujourd’hui, la Bible syriaque, connue sous le nom de Peschitta, demeure encore la version officielle de la chrétienté d’Orient ; elle fournit également aux exégètes de précieuses indications sur la signification des expressions araméennes si fréquentes dans le Nouveau Testament.



Césarée : forteresse romaine. L’apôtre Paul y fut emprisonné pendant deux ans.

Cependant, les origines de la Bible syriaque demeurent quelque peu obscures. Les uns supposent que cette traduction s’effectua à Césarée, à partir du texte connu sous le nom d’Hexaples ; il s’agit là de l’œuvre gigantesque d’Origène (185-254), un précurseur des érudits bibliques, qui avait pris la peine de transcrire six textes hébreux et grecs de l’Ancien Testament en colonnes parallèles :

D’autres estiment que les auteurs de la Peschitta se sont inspirés directement de l’original hébreu, sans passer par la Version des Septante, ce qui conférerait à cette traduction un intérêt considérable : elle remplirait alors la fonction d’important chaînon dans la transmission de l’Ecriture Sainte, en une période où les Juifs dispersés n’étaient pas en mesure de veiller à la transcription des oracles divins. La Bible syriaque aurait alors conservé le texte sacré dans son expression la plus fidèle, jusqu’au moment où des ressortissants du peuple élu, réveillés à leurs responsabilités spirituelles, se sont voués avec un nouvel élan aux documents hérités de leurs pères.

Nouvelle étape importante de l’histoire de la Bible : au 5e siècle, des érudits israélites commencèrent à se regrouper pour l’étude systématique des Ecritures en hébreu. Durant six siècles, des générations de savants se penchèrent sur l’Ancien Testament. Les annales les ont enregistrés sous le nom de Massorètes, terme dérivant de massorah (tradition des renseignements au sujet du texte sacré).

Ces hommes s’attachèrent d’abord à éliminer progressivement toutes les erreurs de copistes qui s’étaient glissées dans les manuscrits hébraïques au cours des siècles. Ils s’aperçurent par exemple que la liste des villes vaincues énoncée en Josué 12 ne correspondait pas au nombre qui en était donné ; ils rectifièrent donc, après avoir soigneusement examiné les documents les plus anciens. Ils corrigèrent ainsi bien des passages inexacts, révisant tout l’Ancien Testament avec une minutie jamais égalée dans l’histoire. Plusieurs générations de Massorètes s’adonnèrent à la tâche de dépouiller les Ecritures des déformations ou adjonctions opérées dans le passé par des copistes moins consciencieux. Tant et si bien que les traducteurs de l’Ancien Testament en diverses langues ne tardèrent pas à consulter les documents massorétiques pour éliminer à leur tour erreurs ou méprises qui, par le truchement de la Version des Septante, avaient été reproduites par d’autres copistes. De nos jours, les exégètes reviennent encore volontiers au texte massorétique, dont ils apprécient la teneur, la logique et la précision.



Rabbin étudiant les Ecritures.

Les Massorètes s’étaient approchés de l’Ecriture sainte avec un respect extraordinaire. Ils ne se permettaient pas de copier un seul mot de mémoire. Avant d’écrire, ils prononçaient distinctement toutes les syllabes. Arrivés au nom de Dieu, ils se recueillaient solennellement et nettoyaient leur plume. Et lorsque apparaissait dans le texte le nom sacré de Yahvé — ce nom qu’aucun Israélite pieux n’ose articuler et qui se trouve 6499 fois dans l’Ancien Testament — ils prenaient la peine de se laver entièrement avant de le transcrire.

Avec une encre faite de suie, de charbon et de miel, ils écrivaient sur des parchemins assemblés ensuite par des cordons provenant de tendons d’animaux purs. Trois erreurs décelées dans un seul manuscrit suffisaient à le rendre inutilisable, et tout était à recommencer !



Ancien texte biblique en hébreu.

Mais ce n’était pas encore suffisant. Les Massorètes annotèrent le texte, non pas de commentaires doctrinaux, mais de signes conventionnels et de statistiques alphabétiques, susceptibles de faciliter le contrôle des copies. Ainsi, ils additionnèrent le nombre de lettres semblables à travers l’Ancien Testament : la lettre hébraïque « aleph » s’y trouve 42 377 fois, « beth » 38 218 fois, etc ; au total, il y a 815 280 lettres dans l’Ancien Testament hébreu.

Toujours dans le but de repérer la moindre omission dans le manuscrit, ils recherchèrent également le mot et la lettre du milieu de chaque livre ou collection de livres. Nous savons donc que le mot central du Pentateuque est « chercha » de Lévitique 10.16, tandis que la lettre centrale se trouve dans le mot « ventre » de Lévitique 11.42 ! Les Massorètes prirent la peine d’indiquer à la fin de chaque livre * le nombre de mots et de lettres, le verset, le mot et la lettre se trouvant au milieu du livre. Ils furent aussi les premiers à adopter un système de références : ils insérèrent dans leurs copies des annotations de ce genre : « se trouve trois fois dans l’Ancien Testament » ou simplement « pas d’autre », lorsqu’il s’agissait d’une mention unique. Ils recherchèrent même les phrases présentant quelque analogie, réunissant par exemple deux passages entièrement différents, mais où les con- jonctions se trouvent à la même place dans la construction grammaticale. Ainsi, ils établirent une relation entre Nombres 31.22 et Josué 11.3, où le texte original s’exprime respectivement ainsi :

« Le Héthien et l’Amoréen, le Cananéen, le Phérézien, le Hévien et le Jébusien… »
« L’or et l’argent, l’airain, le fer, l’étain et le plomb… »

Dans ces deux versets, la conjonction « et » relie le premier et le deuxième mot et se retrouve entre le cinquième et le sixième. En le soulignant, les Massorètes espéraient attirer l’attention des futurs copistes sur un détail susceptible de leur échapper, assurant ainsi la sauvegarde de la pensée originelle.

Ajoutons encore que ces scribes du Moyen Age primitif ont inventé le système des « points-voyelles » pour faciliter la prononciation des textes hébraïques, écartant ainsi une nouvelle possibilité d’altération de l’Ecriture. Jusqu’alors, l’absence de voyelles dans l’hébreu rendait l’enseignement des rabbins indispensable ; eux seuls étaient capables de prononcer correctement les oracles divins. Depuis lors, le texte comporte des indications d’intonation, garantie supplémentaire de sa préservation.



Texte biblique en hébreu moderne.

Le plus ancien des textes massorétiques à peu près complet est le Codex Babylonicus, datant de l’an 916.

Pour la conservation de Sa Parole, le Seigneur utilisa à diverses reprises le zèle de scribes fidèles aux traditions de leur religion. Les Massorètes n’ont probablement pas découvert la pleine lumière de Christ qui, pourtant, émane de l’Ecriture Sainte à laquelle ils avaient voué leur vie et leurs talents. Néanmoins, leur conscience professionnelle et leur minutie ont contribué à préserver l’Ancien Testament hébreu au travers du Moyen Age.

L’apôtre Paul nous rappelle que les oracles de Dieu ont été confiés à Israël 3. Les Juifs ont été conscients de cette mission, même au cours de leur disgrâce pendant les siècles de la dispersion ; archéologues et historiens nous en fournissent des exemples probants : le Pentateuque Samaritain, les manuscrits de la mer Morte, les documents massorétiques, les écrits sacrés gardés dans les synagogues. Or, s’il en fut ainsi dans le passé, ne sera-ce pas d’autant plus le cas à l’avenir lorsque, sous la pression des circonstances, le peuple du Livre redécouvrira l’Ecriture et y reconnaîtra Jésus-Christ, son Messie ?

3 Romains 3.2.

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