Le juste vivra par la foi.
Les paroles que nous avons lues, et qui ouvrent un si vaste champ à nos réflexions, sont susceptibles de deux sens. On peut appeler le premier un sens moral et le second un sens théologique. Le premier est relatif aux circonstances où se trouvait le peuple juif, lorsqu’Habacuc prononça cet oracle. L’autre regarde le grand objet sur lequel les fidèles ont fixé les yeux dans tous les siècles de l’Église.
Habacuc (car j’entre d’abord en matière, et je ménage précieusement les moments de cet exercice) commença à prophétiser avant que Jérusalem fût détruite par les armées de Nébucadnetsar, et il fut suscité pour annoncer les progrès de ce fléau, ou, comme s’exprime un prophète, ce marteau Jérémie 50.23 de toute la terre. Habacuc est étonné et en quelque sorte scandalisé lui-même de ses propres prédictions : il puise dans les attributs de Dieu de quoi se munir contre ce genre de tentation : il dit dans les paroles que nous vous avons expliquées il y a quelque temps : N’es-tu pas de toute éternité, ô Dieu, ô Éternel, mon Dieu, mon Saint ? Nous ne mourrons point, ô Éternel, tu l’as mis pour exercer tes jugements, et c’est toi-même, mon rocher, qui l’as établi pour punir : tu as les yeux trop purs pour voir le mal Habakuk 1.12-13.
Le prophète fait plus encore : non content d’avoir des idées vagues sur un sujet si intéressant, il demande à Dieu de lui faire connaître par quelque révélation particulière quelle serait la destination d’un tyran qui mettait sa gloire à braver la Divinité, à faire saccager son temple, à mener son peuple en captivité. Je me tenais en sentinelle, dit-il, j’étais debout dans la forteresse, et je faisais le guet pour ce que Dieu répondrait à mes plaintes Habakuk 2.1. Les rabbins ont eu une pensée bien singulière sur ces premières paroles, Je me tenais en sentinelle : ils les ont traduites, Je me tenais dans un rond. Ils ont dit que le prophète traça un cercle, et qu’il fit vœu de n’en point sortir jusqu’à ce que Dieu lui eût développé des énigmes dont l’obscurité serait si injurieuse à ses perfections. A peu près comme ce fameux consul, envoyé par le sénat romain à Antiochus, fit un cercle autour de ce prince, et lui dit : Ou je vous déclare la guerre de la part du sénat, ou vous accepterez avant de sortir de cet espace que je vous trace, les conditions sous lesquelles je vous porte la paixa. Dieu déféra aux désirs de son serviteur, il lui prédit les funestes vicissitudes qu’éprouverait Nébucadnetsar, et le retour des Juifs dans leur patrie Habakuk 2.3 mais : il l’avertit en même temps que ces événements étaient encore éloignés ; qu’il n’y aurait que ceux qui sauraient les démêler dans l’enfoncement de l’avenir qui pussent en faire la matière de leur joie, et y trouver de quoi se soutenir au milieu de ce déluge de maux qui devaient fondre sur l’Église avant qu’ils fussent accomplis. Sa vision est encore différée jusqu’à un certain temps. Cependant l’Éternel ne mentira point ; s’il tarde, attends-le ; c’est-à-dire, s’il paraît, aux yeux de la chair, différer trop longtemps l’effet de ses promesses, attends-le avec la déférence que des esprits bornés doivent à cette suprême intelligence qui tient le gouvernail du monde, et tu trouveras qu’il ne tarde point. L’âme qui s’élève, c’est-à-dire celui qui veut prescrire à Dieu le temps précis dans lequel il devrait écraser les tyrans, s’égare dans ses propres spéculations ; Mais le juste vivra de sa foi.
a – M. Popilius Læna à Antiochus Epiphanes, dans Velleius Paterculus, Hist. Rom, L. I.
C’est là ce que j’ai appelé le sens moral des paroles de mon texte : sens, comme j’ai dit, relatif aux circonstances où se trouvait le peuple juif dans le temps de notre prophète ; et c’est dans ce sens que saint Paul applique mon texte aux circonstances des Hébreux appelés à des combats qui ne devaient être couronnés qu’après cette vie. Vous avez besoin de patience, leur dit-il, afin qu’après avoir fait la volonté de Dieu, vous remportiez l’effet de sa promesse ; car, encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et il ne tardera point : le juste vivra par la foi Hébreux 10.36-38.
Mais ces paroles ont aussi un sens théologique, qui regarde les grands objets sur lesquels les fidèles ont fixé les yeux dans tous les siècles de l’Église. C’est le sens que saint Paul leur donne dans Romains 1.17 : La justice de Dieu se révèle pleinement en Jésus-Christ de foi en foi, dit cet apôtre, selon ce qui est écrit : le juste vivra par la foi. Dans ce sens, il dit encore dans Galates 3.11 : Or, que par la loi personne ne soit justifié devant Dieu, cela paraît en ce que le juste vivra par la foi. Et c’est à la discussion de ce second sens que je destine tout le temps que vous daignerez m’accorder encore.
Pour le développer, je ferai trois choses : 1° J’éclaircirai les termes de cette proposition : le juste vivra par la foi ; 2° j’en prouverai la vérité ; et 3° enfin je répondrai aux difficultés qu’elle fait naître dans quelques esprits.
Eclaircissons les termes de cette proposition : Le juste vivra par sa foi. Pour cela, il faut expliquer quel est ce juste, quelle est cette vie, quelle est cette foi, dont parle Habacuc, ou plutôt saint Paul après ce prophète. Quel est ce juste ? Pour le comprendre, il faut distinguer avec saint Paul deux sortes de justice : une justice qui est selon la, loi, et une justice qui est selon la foi. Par la justice qui est selon la loi, j’entends celle que l’homme voudrait tirer de son propre fonds. Par la justice selon la foi, j’entends celle que l’homme tire d’un principe qui lui est étranger. Un homme qui est juste, ou pour parler plus exactement un homme qui prétend être juste de cette première justice, consent d’être examiné et jugé à toute rigueur. Il défie la justice divine de découvrir en lui quelque chose digne de ses coups, et il a l’audace de la sommer de cette parole, qu’elle a prononcée dans sa loi : Fais ces choses, et tu vivras Lévitique 18.5. Un homme, au contraire, qui est juste de la justice selon la foi, se reconnaît coupable des plus grands crimes, et digne des châtiments les plus rigoureux : il ne se livre pourtant pas au désespoir dans lequel l’idée de ses crimes devrait naturellement le jeter ; il ne craint point ces châtiments dont il s’avoue digne ; il espère la vie, parce qu’il attend que la Divinité le traitera, non selon ce qu’il est en lui-même, mais selon l’union qu’il a avec Jésus-Christ.
Que ce soient là les idées qu’il faut attacher au terme de juste, c’est ce qui paraît par ces paroles de saint Paul : Je regarde comme une perte toutes les autres choses en comparaison de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ, pour lequel je me suis privé de toutes ces choses, et je les estime comme du fumier, pourvu que je gagne Christ, et que je sois trouvé en lui (remarquez ces mots) ayant non pas la justice qui me venait de la loi, mais celle qui vient de la foi en Christ : savoir, la justice qui vient de Dieu par la foi Philippiens 3.8-9. Ce passage suffit pour éclaircir ce qu’on doit entendre ici par le juste ; et ce terme n’a pas besoin d’un plus grand éclaircissement.
Le second s’explique aussi de lui-même. Le juste vivra, c’est-à-dire que, quoique la justice divine l’eût condamné à l’enfer, il en sera affranchi, et que, quoiqu’il se fût rendu indigne des félicités éternelles, il en jouira. Cela est sensible. Nous n’avons dessein d’insister que sur ce qui a quelque obscurité : c’est ce qui demande que nous donnions un peu plus d’attention au troisième terme de notre texte. C’est celui de foi : Le juste vivra par la foi.
Avoir la foi, ou croire, est une expression si équivoque en elle-même, et qui reçoit tant de sens différents dans l’Écriture, qu’on ne saurait prendre trop de soin pour en démêler l’ambiguïté. La foi est quelquefois une disposition commune aux bons et aux méchants ; quelquefois c’est le caractère distinctif du chrétien et du christianisme ; quelquefois c’est la vertu d’Abraham, qui fut appelé le Père des croyants Romains 4.11 par excellence : quelquefois c’est la croyance des démons, et la cause des terreurs qui les agitent dans les enfers.
La variété de cette signification vient de ce que la foi est une disposition d’esprit qui change de nature selon la diversité des objets qui lui sont offerts. Si l’objet présenté à la foi est un objet particulier, la foi sera une disposition particulière ; si c’est un objet général, la foi sera une vertu générale. Si nous croyons un fait passé, cela s’appelle avoir la foi ; car, par la foi, nous entendons que le monde a été fait Hébreux 11.3. Si nous croyons un événement à venir, cela s’appelle avoir la foi ; car la foi est une vive représentation des choses qu’on espère et une démonstration de celles qu’on ne voit point Hébreux 5.1. Si la Cananéenne croit que Jésus-Christ se rendra à ses instances, cela s’appelle avoir la foi. O femme, ta foi est grande, je n’ai pas trouvé une si grande foi en Israël Matthieu 15.28 ; 8.10. Si les disciples croient que par la vertu du nom de Jésus-Christ ils opéreront des prodiges, cela s’appelle avoir la foi. Car si vous aviez de la foi gros comme un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d’ici là, et elle vous obéirait incontinent Matthieu 17.20. En un mot, tout acte de notre esprit, acquiesçant à une vérité révélée, se nomme foi dans le style de l’Écriture.
Mais, parmi ces notions différentes, il y en a une particulière ; il y a une foi dont il est parlé avec des éloges extraordinaires. La foi qui sauve, la foi que Jésus-Christ exige de tous les chrétiens, et dont il est dit que nous sommes sauvés par la foi Éphésiens 2.8, et ailleurs que ceux qui croiront auront la vie éternelle Jean 3.16 ; c’est celle dont nous cherchons la nature. Et, pour la comprendre, il faut ramener la question à son principe, et examiner quel est l’objet de cette foi.
Le grand et le principal objet qui est présenté à la foi qui justifie, on n’en saurait douter, c’est Jésus-Christ comme mort et comme offert pour nous à la justice de son père. De là vient que saint Paul disait qu’il ne s’était rien proposé de savoir au milieu des Corinthiens, que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié 1 Corinthiens 2.2. La foi déploie ces actes à l’égard de cet objet ; elle persuade le chrétien qu’il n’y a point d’autre voie pour parvenir au salut, ou, pour parler avec l’Écriture, qu’il n’y a point d’autre nom sous le ciel pour être sauvé que celui de Jésus Actes 4.12. Elle lui inspire un désir sincère de se loger à l’ombre de sa croix, ou, pour parler sans figure, et pour nous exprimer encore avec l’Écriture, d’être trouvé en Jésus-Christ ayant, non notre propre justice, mais celle de la foi Philippiens 3.9. Voilà la nature de la foi considérée dans une idée vague.
Mais, par cela même que cette idée est vague, elle a tous les inconvénients des notions vagues : elle est équivoque et sujette à l’illusion. Pour vouloir être sauvé, on n’est pas sauvé pourtant : pour vouloir être justifié, on n’est pas justifié pourtant.
Il faut donc distinguer deux sortes de désirs d’avoir part aux fruits de la mort de Christ. Un désir indépendant de toutes les conditions qu’il plaira à Dieu de nous imposer. Ce n’est pas là le désir dont nous parlons. Il y a un autre désir d’avoir part aux fruits de la mort de Christ, un désir qui nous inspire le dessein de participer à cet avantage, à quelque prix que Dieu l’ait mis, et quoi qu’il en coûte pour le posséder. C’est ce désir selon nous qui constitue l’essence de la loi.
Le fidèle recherche avec exactitude quelles conditions lui sont imposées : il en trouve trois principales ; il trouve que Jésus-Christ est offert, s’il m’est permis d’ainsi dire, à son esprit, à son cœur, à sa conduite. La foi reçoit Jésus-Christ à tous ces égards : à l’égard de l’esprit pour régler ses idées sur les décisions de Jésus-Christ seul ; à l’égard du cœur, pour ne chercher de félicité que celle que Jésus-Christ propose à ses espérances ; à l’égard de la conduite, pour faire des lois de Jésus-Christ la règle de ses actions. La foi est donc cette disposition de notre âme qui nous fait soumettre à Jésus-Christ tout entiers, soit qu’il enseigne, soit qu’il promette, soit qu’il commande. La foi nous fera recevoir les vérités les plus incompréhensibles, les dogmes les plus abstrus, les mystères les plus profonds, pourvu que ce soit Jésus-Christ qui nous les révèle. La foi nous fera souhaiter la félicité la plus opposée au goût de la chair et du sang, pourvu que ce soit Jésus-Christ qui nous la promette. La foi nous inspirera le dessein de rompre les liens les plus tendres, de mortifier les plus chers désirs, pourvu que ce soit Jésus-Christ qui nous le commande. Voilà, selon nous, l’idée, la seule idée véritable de la foi.
Les termes de la proposition de mon texte ainsi expliqués, il ne reste plus que d’en expliquer la proposition entière : le juste vivra de sa foi. Tout dépend de cette distinction, que vous devez bien retenir. Il y a deux sortes de causes de la justification. La première est la cause fondamentale, la seconde est la cause conditionnelle. Nous appelons la cause fondamentale de notre justification, celle qui acquiert, qui mérite, qui fonde le salut et la justification. Nous appelons la cause conditionnelle, la condition qu’il a plû à Dieu de nous prescrire pour nous faire avoir part à ce salut déjà acquis, et sans laquelle Christ nous devient inutile Galates 5.4, ce sont les expressions de l’Écriture. La cause fondamentale de notre justification, c’est Jésus-Christ, et Jésus-Christ uniquement. C’est Jésus-Christ, indépendamment de notre foi, de notre charité. Si Jésus-Christ n’était point mort, en vain aurions-nous cru, en vain aurions-nous gémi de nos péchés, et en vain aurions-nous fait nos efforts pour rentrer dans l’ordre. Nul ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé 1 Corinthiens 3.11. Il n’y a point d’autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes pour être sauvés Actes 4.12. Oui ! si quelque chose pouvait concilier Dieu avec les hommes, souffrances douloureuses de mon Sauveur, satisfaction parfaite, mort sanglante, sacrifice proposé à l’homme dès le moment de sa chute, vous seuls, vous seuls, pouvez produire un si grand effet. Anathème, anathème, à qui vous proposera un autre Évangile. A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est en la croix de mon Sauveur, par laquelle le monde est crucifié à mon égard et je suis crucifié au monde Galates 6.14.
Mais, quand nous demandons par quel moyen nous sommes justifiés, nous ne demandons pas quel est le moyen qui nous mérite le salut ; nous supposons le salut déjà mérité : mais nous demandons quelle est la condition pour nous y faire avoir part ? A cela nous répondons que c’est la foi, la foi seule ; mais la foi telle que nous l’avons dépeinte, la foi vive, la foi qui est le principe de la régénération, la foi qui nous fait croire ce que Jésus-Christ décide, embrasser les promesses qu’il ’annonce, nous dévouer aux préceptes qu’il impose. Voilà en quel sens nous prenons la proposition de notre texte : Le juste vivra de sa foi. Mais ce n’est pas assez de l’avoir expliquée, il faut la justifier, 1° contre les théologiens erronés, 2° contre les casuistes relâchés. C’est notre seconde partie.
Nous opposons notre système à la théologie erronée. Nous avons ici une dispute, non seulement avec ces ennemis de nos mystères, qui ne regardent Jésus-Christ que comme un simple législateur, distingué seulement des autres parce qu’il a mis quelques vérités dans un plus grand jour, et qu’il a prêché quelques motifs avec plus de force. Mais nous avons sur cet article une fameuse dispute avec ceux de l’Église romaine, et nous attaquons cette partie de leur doctrine que nous appelons le mérite des œuvres.
Mais, pour entendre cette controverse, il faut distinguer deux sentiments qui partagent ceux de l’Église romaine sur cet article : le premier est celui de quelques docteurs qui, sans adoucissement et sans restriction, ont avancé cette thèse insoutenable, que les bonnes œuvres méritent le ciel comme les mauvaises méritent l’enfer. Le second sentiment est de ceux qui disent que les bonnes œuvres méritent véritablement, mais à cause de la miséricorde de Dieu et de la nouvelle alliance qu’il a traitée avec les hommes.
Il faut reconnaître que quand nous parlons contre ceux de l’Église romaine, nous ne distinguons pas assez ces deux sentiments. Nous parlons comme si l’Église romaine en corps soutenait la thèse que les bonnes œuvres méritent le ciel, comme les mauvaises l’enfer ; au lieu que cette opinion est particulière à quelques uns d’eux, et qu’elle a été condamnée même par une bulle de Pie V et de Grégoire XIII, comme l’a démontré ce célèbre de nos théologiens, qui, pour avoir peut-être outré la matière, dans le pieux dessein qu’il avait de concilier nos controverses, ne saurait pourtant être contesté sur ce fait qu’il appuie sur des témoignages incontestablesb. Mais, pour la seconde opinion, c’est celle de toute l’Église. Du moins c’est la décision du concile de Trente. Voici son canon : La vie éternelle, dit ce concile, doit être proposée aux enfants de Dieu comme une grâce qui leur est miséricordieusement offerte par le moyen de notre Seigneur Jésus-Christ, et comme une récompense qui est fidèlement rendue à leurs bonnes œuvres et à leur mérite en vertu de cette promesse.
b – Louis Le Blanc. Thèses.
Nous opposons notre système à l’un et à l’autre de ces sentiments. Dire avec les premiers de ces docteurs que les bonnes œuvres méritent le ciel comme les mauvaises l’enfer, c’est soutenir une proposition que Rome même désavoue. Quoi ! des œuvres qui n’ont aucune proportion avec le but où tendent nos espérances ; quelques méditations, quelques prières, quelques aumônes ! Quoi ! le sacrifice entier de nous-mêmes mériterait-il ce poids de gloire qui doit être révélé en nous ? Quoi ! des œuvres qui ne viennent pas de notre propre fonds, des œuvres qui viennent de la grâce, des œuvres à l’égard desquelles Dieu est l’auteur du dessein et de l’exécution, du vouloir et du faire Philippiens 2.13, comme parle saint Paul, atteindraient-elles ce but ? Tout ce que mous avons ne vient-il pas de Dieu ? Si nous comprenons nos mystères, n’est-ce pas lui qui éclaire les yeux de notre esprit Éphésiens 1.17-18 ? Si nous ajoutons foi à ses décisions, n’est-ce pas lui qui nous donne de croire ? Si nous souffrons pour son Évangile, n’est-ce pas lui qui nous donne de souffrir ? Quoi ! des œuvres qui sont dans la sphère de nos devoirs, des engagements indispensables, des dettes, et des dettes, hélas ! que nous payons si mal, mériteraient-elles une récompense ?
Arrière de nous une telle pensée. Aussi le cardinal Bellarmin, après avoir fait tant d’efforts pour relever le mérite des œuvres, efface d’un seul trait de plume tout ce qu’il avait dit sur cette matière ; et assure qu’à cause de l’incertitude de notre propre justice, et du danger de la vaine gloire, le plus sûr est d’avoir recours à la miséricorde de Dieu, et de nous confier à sa bonté toute seulec.
c – Cardin, Bellarm. Controversiar. T. 4. de Justific. L. 1.
Mais nous prétendons combattre aussi le second sentiment que nous avons rapporté ; car, quoiqu’il me semble être purgé du venin que nous avons remarqué dans le premier, il est pourtant sujet à deux inconvénients.
1° Il est contradictoire dans les termes. L’on appelle mérite, dit-on, une œuvre qui tire sa valeur, dit-on, de la miséricorde de Dieu. Quelle association de termes ! Mérite, miséricorde ! Si elle vient de la miséricorde, comment est-elle méritoire ? Si elle est méritoire, comment vient-elle de la miséricorde ? Si c’est par la grâce, ce n’est plus par les œuvres, si c’est par les œuvres, ce n’est plus par la grâce Romains 11.6. Vous reconnaissez les expressions de saint Paul.
2° Ce sentiment donne prétexte à l’orgueil de l’homme ; et, si la chose n’est pas assez sensible, qu’on en juge par l’expérience. Ne voit-on pas parmi les peuples des gens qui, n’étant point capables de faire les distinctions théologiques qu’on trouve dans les livres de leurs docteurs, croient par leur bonnes œuvres, et le plus souvent par des superstitions, mériter si parfaitement le ciel, que Dieu ne saurait les en priver, selon eux, sans choquer les règles de la justice ? L’Église romaine n’a-t-elle pas d’autres dogmes qui conduisent à cette erreur ? Témoin celui des œuvres de surérogation, et selon lequel l’homme peut non seulement remplir ses engagements, mais aller même au-delà de ce qui lui est prescrit ? La doctrine qui exclut le mérite n’est-elle pas regardée par plusieurs comme une sorte d’hérésie ? Et, si nous en croyons une anecdote de la vie de Charles Vd, n’est-ce pas principalement pour avoir écrit sur les murs de sa retraite diverses sentences de l’Écriture excluant le mérite des œuvres, qu’il fut soupçonné d’avoir adhéré à nos dogmes et qu’on délibéra dans l’inquisition de le punir après sa mort comme tel ? ce qui eût été exécuté si on n’avait fait entendre à Philippe II que le fils d’un hérétique était incapable de succéder à la couronne d’Espagne.
d – L’abbé de Saint-Réal, Histoire de don Carlos.
A ce système nous opposons celui que nous avons établi. Nous regardons Jésus-Christ, Jésus-Christ seul, comme la cause méritoire de notre justification. Si la foi nous justifie, c’est comme une condition qui par elle-même ne saurait rien mériter, et qui ne nous conduit à la justification que parce qu’elle nous fait avoir part aux fruits de la mort de Christ ; et c’étaient là les idées de l’ancienne Église. Leurs docteurs ont dit que nous étions justes lorsque nous nous reconnaissions coupables, que nous n’avons rien de nôtre que le péché, que les saints n’attribuent rien à leurs mérites ; et l’on trouve dans un ancien ouvrage attribué à Anselme, archevêque de Cantorbéry, que l’on consolait ainsi les malades : Ne croyez-vous pas être sauvé par le seul mérite de Jésus-Christ ? Le malade répondait : C’est ce que je crois. Alors on lui disait : Louez Dieu en ce qui vous reste de vie ; mettez en lui toute votre confiance, et si le souverain juge du monde veut vous juger, dites-lui : Seigneur, j’interpose entre ton jugement et moi la mort de ton fils, et je ne m’attribue aucune bonne œuvre.
C’est ainsi que nous combattons le mérite des œuvres. Mais il est dangereux à ceux qui vivent parmi des gens qui donnent dans un certain excès de s’exprimer d’une manière qui semble favoriser l’excès contraire ; et, quoique tous nos docteurs unanimement reconnaissent une liaison intime de la foi avec la sainteté, cependant il est à craindre que notre peuple, pour vouloir s’opposer au dogme du mérite, ne sente pas bien cette liaison qui est entre la sainteté et la foi. Un homme, qui a rendu de trop grands services à l’Église pour que nous osions prononcer son nom lorsque nous marquons son erreur, n’a-t-il pas avancé ces propositions, que l’Évangile n’est composé que de promesses, que Jésus-Christ n’a point donné de préceptes, que nous ne sommes obligés d’obéir aux lois de l’Évangile que par un esprit de reconnaissance ; mais qu’il n’y a point de péril pour notre âme à les négliger ?
A ces idées nous opposons encore notre système sur la justification tel que vous venez de l’entendre. Nous soutenons que la foi qui justifie est un principe général de vertu et de sainteté. Nous soutenons que ce recours à la miséricorde de Dieu, tel que de mauvais chrétiens l’ont conçu, ne justifie pas comme fondement de notre salut. Parler de cette manière, c’est soutenir une hérésie. Nous l’avons dit, Jésus-Christ, Jésus-Christ seul, est le fondement de notre salut, et notre désir le plus ardent d’y avoir part est incapable de nous le mériter. Il ne justifie pas comme condition. Dire qu’avoir recours à la grâce de Jésus-Christ est la seule condition que l’Évangile nous impose, c’est tronquer l’Évangile, c’est élargir le chemin du ciel, c’est ouvrir la voie large et spacieuse qui conduit à la perdition.
Que s’il se trouvait quelqu’un dans cette assemblée assez peu versé dans la religion chrétienne, pour s’imaginer qu’il sera justifié devant Dieu par ce désir stérile d’être sauvé, et par ce simple recours à la mort de Christ, qu’il fasse encore les réflexions suivantes.
1re Réflexion. La foi qui donne la vie est une foi vive ; on ne saurait vivre par une foi morte, mais la foi qui est sans les œuvres est morte Jacques 2.26. Par conséquent, la foi qui donne la vie est une foi qui contient, du moins en principe, toutes les vertus.
2e Réflexion. La foi qui justifie doit se rapporter au génie de l’alliance dont elle fait la condition. Si le génie de l’Évangile est tel qu’il n’ait d’autre but que de nous pardonner nos péchés sans nous y faire renoncer, la foi consistera dans cet acte seul de notre âme qui nous fait accepter cette partie de l’Évangile. Mais si le génie de l’alliance est tel qu’elle se propose et de nous pardonner nos péchés et de nous y faire renoncer, il faut que la foi, qui fait la condition de cette alliance, embrasse ces deux choses dans son enceinte. Or, qui est-ce qui oserait soutenir que l’Évangile n’ait l’une et l’autre de ces vues ? Et, par conséquent, qui est-ce qui oserait nier que la foi ne doive consister et dans un recours à la grâce, et dans ce dévouement général qui nous fait recevoir toutes les parties de l’Évangile ?
3e Réflexion. La foi qui justifie doit renfermer toutes les vertus auxquelles l’Écriture attribue la justification et le salut. Or, si vous consultez l’Écriture, vous trouverez qu’elle s’est exprimée sur cet article d’une manière bien différente. Quelquefois elle attribue le salut à la charité. J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger : venez les bénits de mon père Matthieu 25.34-35. Quelquefois à l’espérance : Qui espère en lui ne sera point confus Romains 5.5. Quelquefois à la croyance : Celui qui croit en lui sera sauvé Jean 3.16. Là-dessus je demande : A quelle vertu donc convient proprement le salut ? Est-ce à la charité ? est-ce à l’espérance ? ’est-ce à la croyance ? ou plutôt n’est-il pas clair que quand l’Écriture attribue le salut à quelques unes de ces vertus particulières, elle ne les considère pas comme séparées dans un sujet, elle les regarde comme partant de ce principe général qui nous fait acquiescer à l’Évangile tout entier.
4e Réflexion. La foi qui justifie doit mériter tous les éloges qui lui sont donnés dans l’Écriture. Quels éloges sont donnés à la foi ? Elle nous unit avec Jésus-Christ ; elle fait que nous sommes crucifiés avec lui Galates 2.20, que nous sommes ressuscités avec lui, que nous sommes assis aux lieux célestes avec lui Éphésiens 2.6, en un mot que nous sommes un avec lui, comme lui est un avec son père Jean 17.21. Mais avoir un simple désir d’être sauvé par le sang de Jésus-Christ, lorsque ce désir n’est pas tel que nous l’avons indiqué, est-ce là être crucifié avec Jésus-Christ ? est-ce là être ressuscité avec lui ?
5e Réflexion. La foi qui nous justifie doit entrer dans l’esprit du mystère qui nous acquiert la justification ; je veux dire du mystère de la satisfaction de JésusChrist. Quel est le système de nos églises sur le mystère de la satisfaction ?
Il s’est trouvé quelques docteurs parmi nous qui ont osé soutenir que Dieu était libre de relâcher de la peine méritée par le péché ou de l’exiger ; qu’il n’a demandé une satisfaction que par une plus grande convenance, pour donner à l’univers un spectacle de la haine qu’il porte au crime.
Mais le sentiment généralement reçu, c’est que, quoique Dieu soit parfaitement libre lorsqu’il punit le péché, il y est porté nécessairement par la perfection de sa nature, et que, comme il est impossible qu’il mente et qu’il se renie soi-même, il était impossible aussi qu’il pardonnât aux pécheurs sans que quelque victime substituée en leur place portât la peine du péché.
Il ne s’agit ici ni de comparer ces systèmes, ni d’alléguer les raisons qui nous engagent à nous attacher à l’un préférablement à l’autre. Mais il est sensible que, pour lequel des deux qu’on se détermine, il naît du fond de ce mystère une démonstration en faveur de notre thèse.
Cela suit du premier de ces deux systèmes. Quoi ! vous croyez que Dieu a tant d’amour pour la vertu et tant d’horreur pour le vice que, quoiqu’il ne fût pas porté par la nécessité de sa nature à exiger une satisfaction, il l’a pourtant exigée plutôt que de laisser le crime sans punition ! Vous croyez que Dieu a sacrifié son fils, à cause d’une simple convenance, et pour ôter toute ombre de soupçon que le vice lui est supportable ! Vous croyez cela, et vous croyez qu’un Dieu, à qui le péché est si odieux, se contentera d’une foi qui est compatible avec le péché et qui ne lui donne point le coup de mort !
A l’égard de ceux qui sont dans le système ordinaire de nos églises, la démonstration n’est pas moins sensible. Comment se persuader que l’amour de l’ordre est essentiel à Dieu jusqu’à ce point, qu’il ne peut, sans se renier lui-même, pardonner au pécheur s’il n’a puni le péché ; et se persuader en même temps qu’il ne nous prescrira d’autre condition pour avoir part au pardon, qu’une foi telle que vous la concevez ? Ne sentez-vous pas que, dans ces deux dispositions, on fait un Dieu différent de soi-même et contradictoire ? Dans la première supposition, on conçoit un Dieu à qui le péché est infiniment odieux ; dans la seconde, on conçoit un Dieu à qui le péché est tolérable. Dans la première supposition, on conçoit un Dieu qui, par la nécessité de sa nature, exige une satisfaction ; dans la seconde, on conçoit un Dieu qui, par la facilité de sa nature, aime un pécheur qui ne tire pas de cette satisfaction des motifs pour renoncer au péché. Dans la première supposition, on conçoit un Dieu qui met les plus fortes barrières au crime et qui immole la plus noble victime à l’horreur qu’il a pour le crime ; dans la seconde, on conçoit un Dieu qui ôte toutes les barrières du crime, afin d’y affermir les hommes, rien n’étant plus propre à y affermir les méchants, que cette pensée, qu’à quelque excès de fureur qu’ils soient arrivés, ils sont réconciliés avec Dieu par le sacrifice que Jésus-Christ lui a offert sur la croix, dès qu’ils demanderont d’avoir part aux fruits de ce sacrifice.
A toutes ces considérations, ajoutez-en une sixième qui roule sur le sentiment unanime de tous vos docteurs. En vain prendriez-vous prétexte de quelques combats qui s’excitent dans l’école et des différentes méthodes qu’on y suit pour établir la doctrine de la justification et de la foi. Il est vrai, les expressions qu’on emploie sur sur ce sujet souffrent quelque diversité. Vos docteurs sont des hommes, ils ont l’esprit borné comme le reste des hommes, et ils font paraître dans le plus grand nombre de leurs systèmes des effets des bornes de leur génie. Il arrive nécessairement à des esprits qui ont des limites aussi étroites que les nôtres, d’être frappés d’une vérité plutôt que d’une autre vérité qui n’est ni moins claire, ni moins importante ; on le remarque dans chaque discipline et dans chaque science, mais particulièrement sur la matière que nous traitons. Quelques uns ont été plus frappés de la nécessité de croire les vérités de spéculation que de s’attacher aux devoirs pratiques.
Quelques autres ont été plus frappés de la nécessité des devoirs pratiques que de la nécessité d’adhérer aux vérités de spéculation. Les uns, ayant vécu parmi les gens qui croient le mérite des œuvres, ont tourné le plus grand effort de leur méditation contre le mérite des œuvres, et se sont peut-être exprimés, quoique sans dessein, d’une manière qui semble en énerver la nécessité. Les autres, au contraire, ayant vécu parmi les libertins, qui ne croyaient pas ou qui affectaient de ne pas croire la nécessité des œuvres, ont tourné toute la pointe de leur génie contre une doctrine si pernicieuse, et se sont peut-être exprimés à leur tour, quoique sans dessein, d’une manière qui semblait en supposer le mérite. Rien n’est si rare que ces génies qui embrassent en même temps, par leur étendue, tous les sujets ; et comme dans l’art militaire rien n’est si rare que ces hommes qui savent, s’il faut ainsi dire, le secret d’être partout et de se prêter à chaque lieu du champ de bataille ; aussi, dans les sciences, rien n’est si rare que ces hommes qui, en établissant une thèse ne portent aucune atteinte à une autre thèse qu’ils ont établie ailleurs, sont toujours de concert avec eux-mêmes, et parlent avec une parfaite harmonie. Mais, après tout, il n’y a point de dispute réelle parmi vos docteurs sur cette matière. Quelle que soit leur méthode sur cet article, ils disent tous que, pour être chrétien, il faut recevoir Jésus-Christ comme roi, comme sacrificateur et comme prophète ; que, la foi nous unissant avec Jésus-Christ, il n’est pas possible que les membres d’un chef si pur croupissent dans la corruption. Mais qu’est-ce que tout cela, si ce n’est cela même que nous soutenons, qu’une foi qui ne transforme pas le cœur n’est pas la foi qui produit la vie ? Que pourra-t-on opposer à cette doctrine ? C’est ce qui nous reste à examiner.
Dira-t-on qu’en bannissant les œuvres des conditions qui nous sont prescrites, on veut rendre hommage aux mérites de la mort de Christ ? Mais, ô homme vain Jacques 2.20 ! ne rendons-nous donc pas hommage à la mort de Christ, nous qui la regardons dans notre système comme la seule cause, comme l’unique fondement du salut de l’homme ; et qui en bannissons entièrement les œuvres, quelque saintes qu’elles puissent être ?
Dira-t-on qu’on a dessein d’humilier l’homme ? Mais, ô homme vain ! qu’y a-t-il de plus capable d’humilier l’homme, que notre système, où nous lui faisons voir que ces œuvres ne sont rien, qu’elles viennent du secours céleste, et que, si Dieu daigne les accepter, ce n’est pas pour leur mérite, mais par pure grâce ?
Dira-t-on que notre système est contraire à l’expérience, et nous allèguera-t-on l’exemple de tant de gens qui ont été justifiés sans avoir fait une seule bonne œuvre et par le seul désir d’être sauvés par Jésus-Christ comme fut le bon brigand, et tous ceux qui se convertissent véritablement à l’heure de la mort ? Mais, ô homme vain ! qu’avons-nous donc établi ? Avons-nous dit qu’une foi qui n’avait pas produit de bonnes œuvres n’était pas une foi véritable ? Non : nous avons soutenu seulement que la foi, pour être sincère, devait être en nous un principe de bonnes œuvres. Il se peut qu’un homme qui a ce principe manque d’occasion de le mettre en œuvre ; mais il le porte pourtant dans son cœur. En ce sens, nous admettons la maxime de saint Augustin : et, s’il ne l’a pas entendue dans ce sens, il a dû le faire, que les bonnes œuvres n’accompagnent pas la justification, mais qu’elles la suivent. Le brigand ne fit en un sens, et réellement, aucune bonne œuvre ; mais, dans un autre sens, il fit toutes les bonnes œuvres ; et, comme nous le disons d’Abraham, il le fit du cœur et de la pensée. Abraham, dès le premier moment de sa vocation, était censé avoir déjà abandonné son pays, déjà immolé son fils Isaac, déjà avoir opéré tous ces actes héroïques de foi et de christianisme, qui l’ont fait proposer pour modèle à toute l’Église. Aussi le bon brigand sur sa croix visitait tous les malades, revêtait tous ceux qui étaient nus, nourrissait tous les affamés, consolait tous les affligés, et était censé faire tous ces actes de piété dont la foi était le principe, et qu’il aurait faits infailliblement, si Dieu ne lui en avait ôté l’occasion.
Dira-t-on que notre justification et notre salut viennent d’un décret formé avant la fondation du monde, et non de la manière dont nous avons répondu dans le temps aux conditions évangéliques ? Mais, ô homme vain ! nions-nous donc le décret, quand nous marquons quelle est la voie par laquelle il s’accomplit ? Détruisons-nous la fin, quand nous établissons le moyen ? Et si vous pouvez soutenir, vous, sans porter atteinte aux dogmes des décrets, que l’homme est justifié par un simple désir de l’être, portons-nous atteinte à ce même décret, lorsque nous soutenons que ce désir doit partir du centre du cœur, et inspirer le dessein de plaire à Dieu, lorsqu’il inspire le dessein de se concilier son amour ?
Dira-t-on que, quoique ce système soit fondé, il est toujours dangereux de le publier ; que l’homme a toujours du penchant d’encenser à ses rets, et de sacrifier à ses filets Habakuk 1.16 ; qu’en pressant la nécessité des œuvres, on donne insensiblement occasion au dogme de leur mérite ? Mais n’y a-t-il donc aucun danger dans le système que nous combattons ? Si le nôtre semble favoriser un vice, le système opposé ne favorise-t-il pas tous les vices ? Si le nôtre semble favoriser l’orgueil, le système opposé ne favorise-t-il pas, avec l’orgueil, la vengeance, la calomnie, l’adultère et l’inceste ? Et l’abus d’une saine doctrine, après tout, en interdira-t-il l’usage ? Et où sont parmi nous ces hommes qui croient mériter le ciel par leurs œuvres ? Pour nous, mes frères, nous déclarons que, parmi ce grand nombre de consciences dans lesquelles nous avons fouillé, on en trouve mille et mille qui outraient l’idée de la grâce. Et qu’est-ce qui perd, après tout, ce grand nombre de chrétiens qui vont à grands pas, et sous nos yeux, dans le grand chemin de l’enfer ? Est-ce qu’après avoir été charitables, ils croient mériter par leurs charités ? Est-ce qu’après avoir été humbles, ils croient mériter par leur humilité ? Ah ! mes frères, vous avez la plupart si bien prévenu, par votre nonchalance à la piété, le dogme du mérite des œuvres, qu’il n’est pas à craindre que jamais il s’établisse au milieu de vous. Mais se former des idées relâchées de ses devoirs, restreindre les conditions de l’alliance de grâce, rendre le salut aisé, se flatter qu’après avoir vécu sans charité, sans humilité, sans étude du salut, on parviendra au salut : voilà l’écueil où nous nous brisons presque tous ; voilà le péril d’où nous voudrions vous arracher ; voilà le monstre que nous ne devons point cesser de combattre jusqu’à ce que nous lui ayons donné le coup de mort. J’aurai donc horreur de moi-même, je déplorerai ma faiblesse, je gémirai au souvenir même de mes meilleures œuvres, je me jetterai entre les bras de la miséricorde de Dieu, je reconnaîtrai partout sa grâce : grâce quand il élit, grâce quand il appelle, grâce quand il justifie, grâce quand il sanctifie, grâce quand il accepte une sanctification toujours faible, toujours imparfaite : mais, en même temps, je veillerai sur moi-même, je m’exciterai à mes devoirs, je travaillerai à mon salut avec crainte et tremblement Philippiens 2.12 ; et, dans le temps même que je reconnaîtrai que la grâce fait tout, et que mes œuvres ne méritent rien, j’agirai comme si je pouvais tout attendre de mes efforts et de mes œuvres.
Oui ! chrétiens, ce sont là les deux dispositions que nous voudrions faire naître dans vos esprits et dans vos cœurs. Ce sont les deux conclusions que vous devez tirer de ce discours : conclusion d’humilité, conclusion de vigilance. Conclusion d’humilité ; voyez dans quel abîme le péché vous avait plongés ; voyez quels ressorts il a fallu remuer pour s’en retirer. L’homme avait une âme éclairée ; il connaissait son créateur, et les devoirs qu’il faut lui rendre. Le chemin de la félicité était ouvert devant ses yeux, il en était en possession. Il a péché. Tous ses privilèges s’évanouissent ; ses lumières disparaissent, sa liberté s’asservit. Cet homme, cet homme qui dominait sur la nature, tombe dans un honteux esclavage. Le ciel s’arme de foudres et de carreaux. Tout lui annonce sa ruine. Il a fallu pour l’en tirer, remuer le ciel et la terre Hébreux 12.26 ; il a fallu qu’un Dieu prit la forme de serviteur Philippiens 2.7 ; il a fallu que la mort du plus parfait de tous les êtres l’arrachât à sa misère. Ce n’est pas tout. Depuis même que Jésus-Christ nous a dit : Voilà le chemin de l’enfer, voilà le chemin du paradis ; un charme fatal fascine encore nos yeux, un poids funeste nous emporte. Il faut que cette même grâce qui nous a appris le salut nous dispose à l’accepter, et nous sauve, s’il faut ainsi dire, malgré ce penchant funeste qui nous portait à nous perdre. Après tant de crimes, au milieu de tant d’égarements, et malgré tant de faiblesses, qui est-ce qui osera lever la tête ? Qui est-ce qui présumera de soi-même ? Qui est-ce qui voudra être l’artisan de son salut, et l’attendre de ses mérites ?
Rampe, rampe dans la poussière, misérable homme, frappe ta poitrine, baisse les yeux vers cette poudre de laquelle tu fus tiré. Que la voix de ta pénitence retentisse de ces cris redoublés : Seigneur, si tu prends garde aux iniquités, qui est-ce qui subsistera ? O Dieu ! à toi est la justice, et à nous la honte et la confusion de face. A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est en la croix de mon Sauveure. Porte aux pieds de cette croix tes prétentions, tes vertus, tes mérites. Dépouille-toi de toi-même, et arrache s’il est possible jusqu’à la racine cet orgueil qui fit ta perte et qui s’oppose à ton salut.
e – Psaumes 130.3 ; Daniel 9.7 ; Galates 6.14.
Mais, mes frères, sera-ce là toute votre religion ? Ne reconnaîtrez-vous point d’autre engagement ? Et ce système abrégé épuisera-t-il, selon vous, toute la vocation de votre christianisme ? Mes frères, veillons sur nous-mêmes. Comme il n’y a point de vices plus dangereux que ceux qui se présentent à nous sous l’idée de grandes vertus, qu’une haine colorée de zèle, qu’un orgueil sous l’apparence de sévérité et de ferveur : de même, il n’y a point d’erreurs qui se glissent plus facilement dans nos âmes que celles qui se présentent à nous sous l’ombre des grandes vérités de la religion. Plaider l’innocence de l’homme, s’inscrire en faux contre le dogme de la satisfaction du Sauveur du monde, prétendre que nos vertus ne soient pas mises à un trop haut prix lorsqu’elles ne reçoivent qu’une félicité éternelle pour récompense : ce sont des erreurs si grossières, elles sont opposées à tant de passages formels, à tant de textes décisifs, à tant de déclarations réitérées, qu’un peu d’amour pour la vérité, un peu d’étude de la religion, suffisent pour nous en garantir. Mais, sous prétexte de faire hommage à la croix de Christ à l’abri de certaines descriptions de notre impuissance naturelle, avec le dessein pieux d’humilier l’homme, et sous je ne sais quels voiles de vérité et d’orthodoxie, élargir le chemin du ciel, bercer un peuple chrétien : voilà ces erreurs qui se glissent imperceptiblement et si facilement dans nos âmes, comme, hélas ! si la nature de la chose ne suffit pas pour nous le persuader, l’expérience, l’expérience de plusieurs de vous, est si capable de nous en convaincre.
Mais vous avez entendu la maxime de saint Jacques : la foi sans les œuvres est morte. Cette maxime est la pierre de touche où vous devez vous éprouver.
Vous croyez qu’il y a un Dieu : la foi sans les œuvres est morte. Etes-vous pénétrés de respect pour ses perfections, d’admiration pour ses ouvrages, de déférence pour ses lois, de crainte pour ses jugements, de reconnaissance pour ses bienfaits et de zèle pour la gloire ?
Vous croyez que Jésus-Christ est mort pour les péchés : la foi sans les œuvres est morte. Vous reprochez-vous ce sang que vos crimes ont versé, cette croix qu’ils ont dressée, ces plaies qu’ils ont faites, ce côté qu’ils ont ouvert, ce combat qu’ils ont excité entre lui et la justice divine, et qui lui a fait crier dans l’amertume de ses douleurs : Maintenant mon âme est troublée, mon âme est saisie de tristesse de toutes parts jusqu’à la mort ; Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?f
f – Jean 12.27 ; Matthieu 26.38 ; Matthieu 27.46.
Vous croyez qu’il y a une vie après celle-ci : la foi sans les œuvres est morte. Placez-vous votre cœur là où est votre trésor ? Anticipez -vous, par votre foi et par votre espérance, sur les époques bienheureuses ? Votre désir tend-il à déloger pour être avec Christ Philippiens 1.23 ? Votre âme a-t-elle soif du Dieu vivant ? Et crie-t-elle après lui comme le cerf brame après les eaux courantes Psaumes 42.2-3 ?
Ah ! formidable maxime ! Ah ! funeste pierre de touche ! Nous voudrions que la Divinité, après avoir mis la religion, s’il faut ainsi dire, à portée de nos infirmités et de nos faiblesses, la mît encore au niveau de notre obstination et de nos vices. Nous voudrions que ce sacrifice offert une fois pour nous affranchir des peines de nos crimes, et pour nous en mériter le pardon, fût offert encore une fois pour nous affranchir de la répugnance que nous avons à les corriger, et pour nous mériter le droit de les commettre. Quelle fureur ! Depuis Adam jusqu’à nous, la conscience a été la terreur du genre humain ; et cette terreur, excitée par l’idée de l’avenir, et par l’approche de la mort, a porté tous les hommes à chercher un remède à des malheurs si généraux et si funestes. Philosophes, théologiens, libertins, héros du siècle, tous échouent dans ce dessein. Jésus-Christ seul y réussit. Jésus-Christ seul nous le présente, ce moyen désiré si ardemment et si vainement recherché ; et nous le refusons encore, parce que ces vices, tout funestes qu’ils nous ont été, sont encore les objets les plus tendres de nos désirs.
Mais si nous la sentions bien, cette conscience ; si nous les connaissions bien, cette mort et cet avenir ; si nous entendions bien ce que suppose cette doctrine, cette humiliante doctrine de la justification, que nous venons de vous prêcher ! Savez-vous ce qu’elle suppose ? Elle suppose que nous sommes des criminels. Elle suppose que le courroux du ciel est embrasé contre nous. Elle suppose que ces livres éternels, où nos actions sont enregistrées, vont être ouverts, que notre juge s’arme, que notre procès s’instruit, que notre sentence se dresse, que notre supplice se prépare, qu’il ne nous reste de ressource dans nos malheurs, que ce Jésus, dont le nom est donné aux hommes pour être sauvés. Ayons notre recours à lui, abandonnons-lui notre esprit, notre cœur, notre conduite. Amen ! A Dieu soit honneur et gloire à jamais. Amen.