Ils se hâtèrent d’en profiter. En 351 ils tinrent un concile à Sirmium : une nouvelle formule en sortit, la septième de la série. Elle se composait de la quatrième formule d’Antioche et de vingt-sept anathématismes, dont le premier reproduisait l’addition de Philippopolis. L’esprit en est sensiblement celui de la formule macrostiche, mais elle visait plus spécialement l’erreur de Photin, et s’occupait plus explicitement du Saint-Esprit, dont on prononçait qu’il n’est pas le Dieu inengendré, qu’il se distingue réellement du Fils, qu’il n’est pas une partie (μέρος) du Père ou du Fils (xx-xxii).
Puis les menées contre Athanase recommencèrent. Libère, le nouveau pape (17 mai 352), chercha en vain à le défendre. Trahi par ses légats au concile d’Arles (354), il vit encore, au concile de Milan (355), la violence des ariens triompher de la conscience des évêques. Athanase condamné, traqué dans son église, s’enfuit le 9 février 356, pendant qu’Hilaire, exilé à la suite du synode de Béziers (356), prenait de son côté le chemin de l’Asie et de la Phrygie.
Le parti de l’opposition antinicéenne semblait définitivement vainqueur. Mais les éléments qui le composaient, on l’a déjà remarqué, étaient, au fond, peu homogènes. Unis pour l’attaque, les antinicéens se dissocièrent dans le triomphe, et formèrent trois groupes correspondant aux tendances doctrinales qui les divisaient.
Le premier était celui des ariens purs ou plutôt renforcés, ayant pour chefs Aetius, Eunomius et Eudoxius de Constantinople. Ce dernier était surtout un suffisant et un impudent : les deux autres étaient des logiciens pour qui la théologie se réduisait à une dialectique. Leur système, que nous connaissons assez bien grâce à ce qui reste de leurs écrits et aux réfutations dont ils furent l’objet, revenait à ceci : Dieu est l’être essentiellement simple et un (τὸ ὄν) ; par essence il est inengendré et improduit (ἀγέννητον). Parce qu’il est infiniment simple et peu compréhensif, il est parfaitement intelligible et compréhensible : Je connais Dieu, disait Eunomius, aussi bien qu’il se connaît lui-même. Mais parce qu’il est essentiellement improduit, tout ce qui est engendré ou produit de quelque façon ne saurait être Dieu : cela ne peut être ni ὁμοούσιον, ni ὁμοιούσιον, ni même ὅμοιον à Dieu : cela est nécessairement ἐξ ἑτέρας οὐσίας, ἀνόμοιον.
Le Fils, puisqu’il est engendré — c’est-à-dire, au sens d’Eunomius, créé, — offre donc tout au plus avec le Père une ressemblance morale, mais ne lui est pas semblable dans son être physique : il est ἀνόμοιος. Tout son privilège consiste à être l’œuvre immédiate de Dieu, tandis que les autres créatures, l’Esprit-Saint y compris, sont l’œuvre du Fils. C’est en ce sens qu’il est κτίσμα τοῦ ἀκτίστου, οὐχ ὡς ἕν τῶν κτισμάτων, ποίημα τοῦ ἀποιήτου, οὐχ ὡς ἓν τῶν ποιημάτων.
On donna à ce premier groupe le nom d’aétiens, eunomiens, anoméens, exoucontiens, hétérousiastes.
A l’opposé des anoméens, se forma autour de Basile d’Ancyre (οἱ περὶ Βασίλειον) le groupe des évêques à qui l’on donna, et à qui convient proprement le nom de semi-ariens (ἡμιάρειοι). Le mot qui, pour eux, traduisait le mieux les rapports du Fils et du Père était ὁμοιούσιος, lequel marquait plus nettement qu’ὁμοούσιος, pensaient-ils, la distinction des deux personnes, et laissait du reste aux plus avancés du parti la facilité de sous-entendre la subordination du Fils. Plusieurs des membres de ce groupe — saint Cyrille de Jérusalem lui appartint longtempsa — étaient, au fond, orthodoxes, mais se défiaient d’Athanase et de ses formules. D’autres, un peu plus tard, vers 360, nièrent la divinité du Saint-Esprit. Le nom de semi-ariens désigne, à partir de cette époque, des gens qui pensaient juste, ou peu s’en faut, sur la personne du Fils, mais qui se séparaient, sur la personne du Saint-Esprit, de la doctrine de l’Église.
a – On ne trouve jamais l’ὁμοούσιος dans ses Catéchèses, mais bien ὅμοιος κατὰ πάντα, ἐν πᾶσιν (IV, 7 ; XI, 4). Cf. Socrate, Hist. eccl., V, 8.
Enfin, entre ces deux groupes, se glissa bientôt un tiers-parti ayant à sa tête Acace de Césarée, parti tout politique, qui voulait maintenir la concentration antinicéenne en évitant toute précision dans les formules. Son mot de ralliement était ὅμοιος. Le Fils était ὅμοιος πατρὶ κατὰ γραφάς, expression assez vague, pensait-on, pour ne choquer personne. Aux théologiens de ce parti on donna le nom d’acaciens ou de homéens.
C’est entre ces trois groupes anoméen, semi-arien, homéen, que la question va se débattre jusqu’à la fin du règne de Constance (361).
La division commença par un éclat des anoméens. En 357, Constance étant à Sirmium, quelques évêques s’y rencontrèrent d’une hétérodoxie plus marquée, Ursace et Valens, Potamius de Lisbonne, Germinius de Sirmium. Ils rédigèrent en latin une formule de foi qu’Hilaire appelle du nom qui lui est resté, un blasphème. On y rejetait l’ὁμοούσιος et l’ὁμοιούσιος ; on y déclarait le Fils incontestablement inférieur au Père en honneur, en dignité, en majesté, et soumis à lui. Le Saint-Esprit était dit être par le Fils : Paracletus autem Spiritus per Filium est. C’est la deuxième formule de Sirmium.
Hosius, presque centenaire, fut contraint de la souscrire, et elle fut acceptée dans un synode d’Antioche, en 358, par Eudoxius et Acace. Mais les évêques de Gaule la repoussèrent, et presque immédiatement une énergique protestation s’éleva du côté des semi-ariens réunis à Ancyre peu avant Pâques 358. De cette réunion peu nombreuse sortit un long manifeste doctrinal en deux parties. La première déclarait que l’idée seule de paternité emportait la ressemblance en substance du fils avec le père ; que le Verbe est Fils au sens naturel du mot, et par conséquent n’est pas créé (3) ; que la notion même de Fils se ramène, dans ce qu’elle a de plus essentiel, à la similitude avec le Père (4) ; que le Fils est donc semblable au Père en substance, ὅμοιος κατ᾽ οὐσίαν, κατὰ τὴν ϑεότητα (5, 8, 9). La seconde partie comprenait dix-neuf anathématismes balancés deux à deux de manière à frapper tantôt l’anoméisme, tantôt le sabellianisme. Le dernier condamnait l’ὁμοούσιος : Καὶ εἴ τις ἐξουσίᾳ καὶ οὐσίᾳ λέγων τὸν πατέρα πατέρα τοῦ υἱοῦ, ὁμοούσιον δὲ ἢ ταυτοούσιον λέγοι τὸν υἱὸν τῷ πατρί, ἀνάϑεμα ἔστω. L’opposition de cet anathématisme au précédent, qui condamne Eunomius, et l’identification de ταυτοούσιον et d’ὁμοούσιον montrent assez bien que les rédacteurs du document voyaient dans ce dernier mot une expression sabellienne.
Bien que tout ne soit pas clair dans ce manifeste, et bien qu’il fût loin, notamment, d’affirmer le consubstantiel strict, il marquait cependant une orientation évidente du groupe semi-arien vers l’orthodoxie, et le séparait nettement d’Eudoxius et de ses amis. L’écrit, apporté à Sirmium, retourna Constance déjà gagné aux anoméens. Sur son ordre, un concile — le troisième — se réunit à Sirmium cette année 358, mais il ne rédigea pas de nouveau symbole : il adopta seulement, comme l’expression de sa foi, un groupe de documents : 1° le concile d’Antioche contre Paul de Samosate ; 2° la deuxième formule d’Antioche de 341, dite formule de Lucien ; 3° la première formule de Sirmium, comprenant elle-même la quatrième d’Antioche et les vingt-sept anathématismes contre Photin.
C’est à ce moment que se place ce que l’on a appelé la chute du pape Libère. Depuis 355, il vivait exilé à Bérée, et avait été remplacé à Rome par l’antipape Félix II. Obtenir, même par la violence, son adhésion au parti antinicéen était évidemment une victoire suprême à laquelle Constance ne pouvait que tenir beaucoup, que les semi-ariens, le groupe alors le plus en faveur, ne pouvait qu’ardemment souhaiter. Cette satisfaction leur fut donnée par une ou même deux signatures arrachées au pape, l’une à Bérée en 357, l’autre plus sûrement à Sirmium en 358.
[Les autorités sont Saint Athanase, Historia arianorum ad monachos, 41 ; Apotogia contra arianos, 89 ; Saint Hilaire, Contra Constantium, 11 ; Saint Jérôme, Chronique, 380-385 ; De viris illustribus, 97. Quant aux lettres de Libère citées dans Saint Hilaire, Fragm. VI, 5-11, l’authenticité n’en est pas certaine. Plusieurs auteurs — entre autres Mgr Duchesne (Histoire ancienne de l’Église, II, p. 281 suiv.) — admettent, comme je l’ai insinué, non pas une mais deux signatures, et cette conclusion s’appuie sur les lettres de Libère dont je viens de parler et sur le témoignage de Sozomène, Hist. eccl., IV, 15. — Il est à remarquer d’ailleurs que, dans le milieu romain, la réputation de Libère ne paraît pas avoir souffert de ces incidents. Voir, à ce sujet, la lettre d’Anastase à Venorius de Milan, écrite en 400-401. dont J. van den Ghein a donné une édition critique dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, t. IV (1899), p. 1-12. L’auteur, qui avait dû connaître personnellement Libère, le compare à Eusèbe de Verceil et à Hilaire, et ne suppose pas qu’il ait jamais failli.]
Par cet acte, il abandonnait Athanase, entrait en communion avec les dissidents, et acceptait une ou plusieurs formules de foi assurément non hérétiques, mais dont l’ὁμοούσιος était absent. Les formules signées par lui à Sirmium étaient vraisemblablement celles qu’avait adoptées le concile qui venait de s’y tenir. Sozomène observe cependant que, pour mieux préciser sa pensée sur ce point, et pour répondre aux insinuations de certains évêques anoméens, Libère déclara, dans sa profession de foi, qu’il regardait comme étrangers à l’Église ceux qui affirmaient que le Fils n’est pas semblable au Père en substance et en tout, μὴ κατ᾽ οὐσίαν καὶ κατὰ πάντα ὅμοιον.
La victoire de Basile d’Ancyre semblait complète. Il eut le tort d’abord d’en abuser, en faisant exiler en masse les anoméens et surtout leurs chefs Aetius, Eunomius et Eudoxius, et ensuite de vouloir la faire consacrer par un grand concile. Un retard se produisit dans la fixation du lieu et de la date de cette assemblée : les anoméens, imitant la manœuvre des premiers ariens qui, après le concile de Nicée, s’étaient transformés en eusébiens, se transformèrent en acaciens ou homéens, et prévinrent contre Basile l’esprit de Constance. Celui-ci décida qu’il y aurait deux conciles, l’un à Rimini pour l’Occident, l’autre, pour l’Orient, à Séleucie, et que chacun des conciles lui expédierait dix délégués pour lui apporter ses décisions. En attendant, et avant de quitter Sirmium, les évêques présents s’entendirent sur une formule de foi — la troisième de Sirmium et la onzième de la série — qui devait être une formule de conciliation, et servir de base aux délibérations de deux conciles. On y proclamait le Fils « engendré impassiblement de Dieu avant tous les siècles, et avant tout commencement, et avant tout temps concevable… semblable, suivant les Écritures, au Père qui l’engendre ». On interdisait désormais l’emploi du mot οὐσία à propos de Dieu, comme incompris des peuples et étranger aux Écritures ; mais on ajoutait que le Fils était semblable au Père κατὰ πάντα, comme les saintes Écritures le disent et l’enseignent.
Le 22 mai 359, tous les évêques présents à Sirmium signèrent cette formule ; mais divers incidents, rapportés par saint Epiphane, montrent bien que, au fond, ils n’étaient pas d’accord. Valens tenta, en souscrivant, d’escamoter le κατὰ πάντα. Basile d’Ancyre, au contraire, y insista fortement en expliquant que ce mot signifiait que le Fils est semblable au Père non seulement en volonté, mais en hypostase, en subsistance et en être (κατὰ τὴν ὑπόστασιν, καὶ κατὰ τὴν ὕπαρξιν, καὶ κατὰ τὸ εἶναι), et en déclarant étranger à l’Église catholique quiconque dirait que le Fils est semblable au Père seulement en quelque chose (κατὰ τι).
[C’est à ce moment probablement que Basile d’Ancyre, pour s’expliquer à fond et pour masquer sa d’faite, publia le mémoire que saint Epiphane reproduit à la suite de la déclaration d’Ancyre (Haer. LXXIII, 1-2-22). On lira avec fruit sur ce mémoire aussi bien que sur la déclaration, les articles de M. Rasneur, L’homoiousianisme dans ses rapports avec l’orthodoxie, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, t. IV (1993), surtout p. 200-200.]
La formule ainsi souscrite fut portée à Rimini par Valens. Il trouva les évêques déjà réunis au nombre de plus de quatre cents, dont quatre-vingts environ antinicéens. Restitutus de Carthage présidait. La majorité rejeta la formule présentée par Valens, déclara le symbole de Nicée suffisant et maintint l’usage du mot substance. Mais les dissidents, ne se voyant pas en nombre, avaient tenu conciliabule à part. Leurs dix députés arrivèrent en même temps que ceux du vrai concile auprès de Constance. Constance, prévenu, fit enjoindre aux pères de Rimini de ne se point séparer avant d’avoir reçu sa réponse, contraignit, par la violence et la ruse, leurs députés à signer, à Nice, en Thrace, une formule — la douzième de la série — qui reproduisait en majeure partie la troisième de Sirmium, mais d’où le κατὰ πάντα avait disparu, et où le terme μία ὑπόστασις se trouvait proscrit aussi bien que celui d’οὐσία, et, par la ruse et la violence encore, obtint que cette formule fût signée des évêques présents à Rimini. Vingt d’entre eux cependant résistèrent jusqu’au bout, et ne donnèrent leur signature que moyennant certaines additions qui condamnaient l’arianisme. Mais Valens en glissa une ambiguë, déclarant que « le Fils n’est pas une créature comme les autres créatures ». On ne vit pas le piège, et Valens ayant d’ailleurs solennellement déclaré qu’il n’était pas arien, on se sépara, chaque parti croyant l’avoir emporté, les ariens à cause du symbole, les orthodoxes à cause des additions.
A Séleucie, les choses ne se passèrent pas mieux. Les semi-ariens s’y trouvaient en majorité, et saint Hilaire, qui était présent, n’hésita pas à communiquer avec eux. On repoussa les blasphèmes d’Eudoxius, et l’on refusa d’adopter une profession de foi d’Acace, dans laquelle il rejetait à la fois l’ὁμοούσιος, l’ὁμοιούσιο et l’ἀνόμοιος, et s’en tenait à l’ὅμοιος. On souscrivit seulement à l’une des formules d’Antioche de 341. Sur ce, le concile fut déclaré dissous par le questeur Leonas, et dix députés furent envoyés à Constance.
Mais les acaciens intervinrent encore, et, à la suite de discussions et d’intrigues de tout genre, les députés de Séleucie finirent par signer la formule de Nice, augmentée des additions des vingt évêques de Rimini (359). C’était le triomphe des acaciens. Ils le consacrèrent par un synode tenu à Constantinople en 360, déposèrent les chefs semi-ariens, Basile d’Ancyre, Cyrille de Jérusalem et beaucoup d’autres, intronisèrent Eudoxius à Constantinople et Eunomius à Cyzique, et firent signer de force la formule de Nice dans les provinces. L’univers, suivant l’expression de saint Jérôme, pouvait se croire arien.