Demain…l’au-delà

« Non, père Abraham » 1

1 Luc 16.19-31.

Pourquoi ce non ?

Le riche refuse-t-il l’enseignement donné au sujet de l’argent ?

Nullement ! Ce n’est pas la richesse qui est ici condamnée, mais l’usage qui en a été fait.

Le riche l’a bien compris. Aussi ne plaide-t-il pas à partir de cette pièce du dossier. Du reste, le ferait-il qu’il plaiderait coupable. Il avait choisi la malédiction à cause de la valeur qu’il attribuait à ses biens. L’argent était la mesure de son appréciation de toutes choses, jusqu’à l’empêcher de remarquer son prochain couché à sa propre porte.

Tout juste peut-être eût-il pu tirer argument de ce que la richesse n’est pas, en ce monde, l’unique agent de l’aveuglement des riches. La considération obséquieuse dont les gens fortunés sont entourés contribue à les leurrer sur leur propre compte et concourt à leur banqueroute future.

Non. Sa protestation vient d’ailleurs.

Au vu de la situation, il avait bien des raisons de se faire du mauvais sang pour ses frères. En demandant qu’ils soient avertis, il manifestait une juste charité. Or, à ce légitime souci, il sera répondu sans ambages :

« lls ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ».

En langage d’aujourd’hui : « Ils ont la Bible à disposition, qu’ils la lisent et se donnent la peine de réfléchir à ce qu’elle leur annonce ».

Trois mots clefs

Moïse et les prophètes rapportent des choses essentielles sur des réalités fondamentales désignées dans l’Ecriture par les trois mots : la loi, le péché, la mort. Le dernier de ces trois mots est celui qui nous intéresse d’abord.

La mort

« Jadis, la question de la mort et par conséquent l’espérance d’une vie éternelle et d’un monde de l’Au-delà occupaient dans la théologie et la piété chrétienne une place centrale. Tout ce qu’on croyait et tout ce qu’on pensait tendait en définitive à offrir le réconfort en face de la mort… Aujourd’hui on est obligé de constater sur ce même point beaucoup de déficiences dans la théologie. Si l’on demande, surtout à de jeunes théologiens, quelle place la mort et la vie éternelle occupent dans leur prédication, beaucoup d’entre eux répondent avec embarras ou parfois avec un air de supériorité et un haussement d’épaules… Ils professent à l’égard de la vie éternelle soit un agnosticisme prudent, soit un mépris déclaré. »

Et l’auteur de cette citation d’ajouter 1 :

1 Dieu ne peut pas mourir… p. 270, Zahrnt. Ed. du Cerf.

« Les philosophes athées continuent, eux, à s’interroger sur la mort. Ils nous paraissent plus actuels que ces théologiens athées qui, en laissant de côté la question de la mort, semblent planer au-dessus du temps. Quand on dialogue réellement avec les hommes d’aujourd’hui, la question de la mort n’est nullement réglée pour un grand nombre d’entre eux… »

Sur ce point précis, Moïse et les prophètes apportent des affirmations dont on ne saurait faire l’économie sous peine de dénaturer gravement l’écoute de l’Evangile. Dans l’histoire de la création, en effet, la mort n’est ni une fatalité accidentelle, ni l’expression d’une impitoyable volonté de Dieu.

Selon le récit de la Genèse, la vie de l’homme et celle de la création étaient, à l’origine, l’expression de la bonté du Créateur. Mais, par convoitise, l’homme a cédé à la tentation d’un savoir et d’un pouvoir, d’un être et d’un avoir « contre Dieu ». Il en est résulté « une lutte interminable et sans espoir contre les forces du mal ». L’homme et la création tout entière existent dorénavant sous l’empire de la mort, salaire du péché.

Le péché

L’Eglise a fait un usage abusif de ce mot. Les marxistes en ont forgé un autre qui convient fort bien à la description de l’homme pécheur. Ils disent qu’il est « aliéné », c’est-à-dire qu’il a cessé de s’appartenir et qu’il est devenu l’esclave des choses. Effectivement, l’aliénation est cette dissonance entre ce que l’homme veut et ce qu’il fait, entre les principes qu’il admet et la conduite qu’il adopte, entre ce qu’il dit de lui et ce qu’il est en réalité, entre l’effort investi et le produit réel.

L’erreur des marxistes est d’attribuer ce décalage aux seules conditions extérieures à l’homme (économiques, sociales, politiques et même religieuses), et d’oublier que cette difficile situation est imputable à l’homme même parce qu’il est pécheur. Par ailleurs, les chrétiens dits progressistes n’ont pas tort d’envisager que la révolution au nom de Jésus ait à gagner la communauté humaine jusque dans ses institutions et ses structures. Mais les uns et les autres font la sourde oreille quand on leur objecte, avec Moïse et les prophètes, que cette révolution ne change rien, strictement rien, à l’empire de la mort dans lequel nous demeurons.

En effet, lorsque devenus tous prolétaires, nous serions tous également unis, le pouvoir monstrueux de la mort ne serait pas diminué d’autant. Et il ne suffit pas à la théologie de ce siècle d’avoir collé l’étiquette « chrétienne » à une telle réalisation pour que l’homme en soit réconforté, et encore moins transformé. Que serait une justice répartissant équitablement tous les droits et tous les privilèges si la mort, elle, gardait sur nous son pouvoir aliénant, dès notre berceau et jusqu’à notre tombe ?

Il manque une chose essentielle à l’homme, et Jésus-Christ seul l’accomplit : la capacité de connaitre et d’affronter victorieusement la puissance du mal et de la mort. C’est cela que Jésus ressuscité expliquait aux disciples d’Emmaüs et qu’ils n’entendaient pas encore : et c’est la grave faiblesse d’une certaine théologie de prêcher un universalisme de la justice, de la fraternité et de l’amour, sans rappeler que ce royaume universel s’instaure en ce monde par la grâce de Dieu et non par la somme de nos efforts. Bien plus, si l’homme devient en quelque sorte l’artisan de ce royaume, c’est à la condition de l’avoir d’abord reçu du Seigneur mort et ressuscité. Le premier acte de la révolution chrétienne, c’est la conversion individuelle de l’homme, et non la création globale d’une nouvelle société à coup de slogans, d’une manière contraignante et égalitaire. A ce royaume s’applique la loi du grain de blé qui doit d’abord tomber en terre et mourir s’il veut porter du fruit. C’est cela qu’expliquent, par l’histoire du peuple juif, Moïse et les prophètes. Car dès la chute, la grâce triomphe du jugement.

La loi

« A travers la souffrance et la mort même, l’humanité se perpétue, toujours environnée des salutaires avertissements de Dieu. Fait surprenant : il suffit qu’un seul homme croie, comme Noé, pour que Dieu conclue avec lui et avec sa famille une alliance qui s’étend à tout le genre humain (cf. Genèse 9.8-17), et même à toute la création. De même que, selon le dicton populaire, le centime est le commencement du million, de même à travers un homme croyant, Dieu amorce le retour de l’humanité tout entière à lui.

» Cela apparaît plus clairement encore dans le récit d’Abraham (à partir de Genèse 12). Celui-ci est appelé par Dieu à être le père d’un nouveau peuple, mais d’un peuple qui marche dans l’obéissance et dans l’amour, d’une nation-lumière au milieu des nations-ténèbres, d’une race qui soit en bénédiction au milieu des races maudites. Voilà l’origine et la mission divines du peuple juif.

» Dieu n’épargne rien pour rappeler au peuple élu sa mission. Il ne cesse de lui redire ses promesses les plus claires. Il lui accorde sa Loi pour le garder dans le droit chemin. Il suscite toujours à nouveau les « hommes de Dieu » : rois fidèles, prêtres consacrés, prophètes inflexibles : par eux, il parle à la conscience de tout le peuple. Il multiplie les délivrances sur son passage. A travers les détails du culte et des autres observances, c’est encore Dieu qui manifeste sa présence, son amour prêt à pardonner. Jusque dans les corrections les plus sévères, c’est encore la sollicitude de Dieu envers les siens qui opère. Et tout cela, non pas pour perfectionner spirituellement et moralement un peuple qu’il arracherait seul à la perdition générale, mais pour en faire son instrument de salut pour les autres.

» Mais ce que nous voyons aussi, page après page, c’est que le peuple hébreu, dans sa grande majorité, renie sa mission divine, court après les idoles de néant, convoite les richesses terrestres, se gonfle d’orgueil nationaliste, choit dans toutes les débauches païennes. Ou bien, il rejette ouvertement son Dieu, ou bien, et c’est pire, il déguise sa révolte, il « cloche des deux pieds », il pratique le hideux mélange du vrai et du faux, il adore ensemble le Dieu vivant et les dieux morts. Ou bien, il retombe dans l’inconduite ambiante et s’assimile complètement aux nations païennes, ou bien, et cela ne vaut pas mieux, il se confine dans une piété rigoriste, dans un moralisme hautain, et devient sectaire, formaliste. légaliste. C’est encore le triomphe de l’égoïsme individuel ou collectif. Le peuple juif devait être le reflet de Dieu au milieu des hommes coupables. Par sa désobéissance patente ou camouflée, il devient de plus en plus le miroir de l’humanité rebelle. Nous ne saurions lire l’Ancien Testament sans nous sentir tous démasqués, « radiographiés » en quelque sorte. Est-ce la raison profonde pour laquelle tant de gens protestent contre ce livre ?

» Mais c’est le soleil de Dieu qui éclaire l’infidélité d’Israël. Dieu use visiblement d’une patience inouïe. Même lorsqu’il livre son peuple dévoyé à la déportation, à l’amertume de l’exil, c’est pour que les cœurs orgueilleux se brisent et s’ouvrent à la foi. N’est-ce pas là que nous trouvons la raison de toutes les tribulations humaines ?

» Celui qui lit attentivement l’Ancien Testament le verra dominé par l’attente du Messie. C’est comme le fil d’Ariane tendu à travers le labyrinthe. Visiblement, le peuple juif n’arrive pas à se ressaisir. C’est pourquoi Dieu lui promet un Libérateur. Toujours plus clairement, les prophètes parlent du « Fils de David », du « Serviteur de l’Eternel », du « Fils de l’homme », du « germe » qui viendra sauver Israël et qui sera en même temps le Sauveur des nations. »

Jésus lui-même s’est référé de manière indiscutable au témoignage de la Loi et des prophètes 2 : « Vous sondez les Ecritures… ce sont elles qui rendent témoignage de moi. »

2 Cf. Ch. Brutsch : La foi réformée, pp. 40, 41 et 42. Ed Delachaux & Niestlé.

C’est pourquoi, devant la mort et le péché, la loi est révélatrice. Le décalogue et le commentaire détaillé qu’en donne l’Ancien Testament indiquent clairement ce qu’il y a lieu de faire. Et on s’accorde volontiers à dire que la loi est bonne. Mais où est l’homme qui la met en pratique ?

Winkelried ?

Si l’Evangile est l’Evangile, c’est-à-dire la bonne nouvelle d’un salut offert à l’humanité, si Paul n’a voulu savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié et ressuscité, c’est en référence à Moïse et aux prophètes et jamais sans eux.

Ce serait falsifier l’œuvre de la croix que de la ramener à un sacrifice généreux et désintéressé. Si pour cette raison, la mort du Christ était salutaire, alors il y aurait eu avant Golgotha bien d’autres sauveurs, et il y en aurait eu beaucoup d’autres après. De plus, on ne voit pas en quoi le sacrifice de Jésus aurait une autre portée que celui d’un Winkelried ou d’un Jan Palach.

Quand Paul dit qu’il est scandaleux pour des Juifs de reconnaitre leur Messie dans le Crucifié, et quand il ajoute que c’est pour nous une folie, ce scandale et cette folie ne s’éclairent et ne deviennent acceptables qu’à la lumière de Moïse et des prophètes. En effet, ils nous rappellent sans cesse que Dieu ne tient pas le coupable pour innocent et que devant Sa loi sainte, il n’y a pas de justification possible sans effusion de sang.

Il n’y a pas de milieu

Ou bien

Israël est un peuple insensé qui tout au long de son histoire s’est complu dans une liturgie cultuelle effarante puisque le sang d’animaux y avait une place et un rôle prépondérants ; en ce cas, Jésus, faisant cause commune avec ce culte et s’intégrant à ce schéma sanglant, aurait sacrifié sa vie par illuminisme pathétique et lamentable. Mais alors Il n’est pas plus le chemin, la vérité et la vie que Bouddha, Mahomet ou Confucius ou le dernier en date des gourous. Il n’est pas non plus le Sauveur. Mais il faut avoir le courage d’aller au bout de ces déductions et affirmer que Jésus a partagé les illusions religieuses du peuple d’Israël. Et du même coup donner raison aux novateurs (?) de ce siècle : abolir la loi, déclarer périmés les commandements divins et les exigences qu’ils comportent : la repentance, la foi, la conversion, la sainteté. Il faut aussi supprimer le baptême, la Sainte Cène, les ministères de l’Eglise qui, sous leur forme habituelle, ne sont que des survivances d’une superstition dépassée.

Dès lors, nous pouvons à notre convenance nier ou croire qu’il y ait une survie ; si elle existe, tous les chemins y mènent d’une manière ou d’une autre, et pour tous les hommes.

Ou bien

Jésus est véritablement le Fils de Dieu venu dans notre chair accomplir Moïse et les prophètes. Il est réellement celui dont Dieu annonçait à Eve et Adam le ministère libérateur. Il est celui qu’Abraham et Moïse et David et tous les prophètes ont espéré et attendu. Il est aussi celui qu’à certains égards juges, prêtres., rois, prophètes de l’ancienne alliance ont préfiguré. Il est celui dont le message et la vie ont donné un sens aux ordres et aux promesses de l’Ancien Testament. Il est celui dont la mort expiatoire a mis fin à tous les sacrifices parce que, par sa vie et par sa mort, il s’est rendu solidaire de tous les hommes. De la crèche à la croix, il a connu toute notre condition sans jamais céder au mal sur aucun plan. Mais ne considérant pas comme suffisant d’avoir pleinement satisfait aux exigences de la loi, il a encore voulu ôter notre péché en l’expiant, il a dépouillé Satan de sa puissance et de son hégémonie, il a enlevé à la mort son aiguillon.

Non, l’Evangile n’est pas une spiritualité de type sémite et aryenne convenant à la seule mentalité occidentale. Il n’y a véritablement de salut en aucun autre qu’en Jésus-Christ. En dehors de lui, il n’y a pas d’espérance pour les habitants du monde entier.

Et n’en déplaise à ceux qui voudraient ne conserver du message biblique que l’Evangile et même seulement l’Evangile de Pâques, leur entreprise est assimilable à l’émission de fausse monnaie. Les nouvelles coupures ainsi émises, tout comme les billets de banques, ne gardent en général qu’un seul visage : non pas, cela va de soi, celui d’un général Dufour ou d’un Victor Hugo, mais celui de Jésus. Bien sûr, ce portrait n’est pas un faux : mais ainsi découpé du tout de la révélation, ou même recollé sur tel papier différemment coloré selon l’idéologie à la mode, ce billet est dévalué. Sa validité est limitée au seul bénéfice de Jésus effectivement ressuscité. Mais les effets de cette résurrection pour nous, monnayables tous les jours et à l’échéance de notre propre mort, que sont-ils devenus ? Preuve en soit toute une part de la chrétienté contemporaine. Abusés par l’inconsciente escroquerie dont ils sont l’objet et prenant pour bon argent leur foi amputée, les « croyants sur le papier » se tournent vers Dieu dont ils ne savent plus qu’une chose : son amour et sa grâce, mais dans la méconnaissance quasi totale de sa volonté. Ils lui demandent d’être délivrés du malheur. A l’extrême, ils diront : « Sauve-nous de la mort ».

Dieu nous garde d’intervenir dans sa souveraine liberté et de décider de la réponse qu’il donne à de telles prières.

Par contre, il nous appartient de dire que cette chrétienté, dans son ultime préoccupation, passe à côté de la vraie question. En effet, Dieu se préoccupe moins de nous arracher au malheur que de nous libérer du mal qui y conduit : de nous sauver de la mort que nous séparer du péché dont elle est le salaire.

Et ce ne sont pas là visions personnelles d’auteurs. Jésus en personne, selon l’Ecriture, atteste la gravité de cette fraude :

« Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur… Alors je leur dirai ouvertement : Je ne vous ai pas connu, retirez-vous de moi, vous commettez l’iniquité. » 3

3 Matthieu 7.22-23.

Et saint Paul, dans sa première épitre aux Corinthiens, au moment d’aborder le chapitre capital sur la résurrection rappelle l’importance d’une foi complète :

« Mes frères, laissez-moi vous rappeler la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée, que vous avez acceptée et à laquelle vous demeurez fidèlement attachés. C’est sur elle que votre foi repose, Elle sera aussi l’instrument de votre salut si vous retenez intégralement le message tel que je vous l’ai annoncé, autrement vous auriez cru en vain. » 4

4 1 Corinthiens 15.1-2.

Dans la mesure où c’est le péché qui est dénoncé comme notre plus redoutable adversaire, la mort n’est plus que le dernier ennemi. Il n’est pas indifférent à Dieu que nous mourions. Une vie en moins sur la terre n’est pas sans importance à ses yeux. Mais dans la vision biblique, la longévité et les circonstances d’un décès sont des facteurs d’importance secondaire. Abel, Abraham, Moïse, Jonathan. Daniel, Etienne, les apôtres et tous les martyrs sont morts, quelques-uns en pleine jeunesse, d’autres en pleine force de l’âge. Qu’importe ! Ils étaient pardonnés, sauvés, libérés du mal, animés d’une vie nouvelle et éternelle, par le ministère sauveur du Christ, mort lui-même supplicié à 33 ans. Car ce qui importe à Dieu, c’est qu’à notre décès nous soyons comptés parmi les hommes affranchis du péché, par conséquent de la mort. De cela, nous recevons révélation à la colline de Golgotha où Moïse et les prophètes (« afin que l’Ecriture soit accomplie ») sont aussi présents que sur la montagne de la transfiguration. Dans le Christ crucifié, Dieu nous donne l’assurance que nous sommes aimés aussi véritablement que nous étions condamnés, pardonnés aussi véritablement que nous étions jugés, rendus à la vie et à la liberté aussi véritablement que nous étions morts.

« L’événement de Pâques, loin de nous amener à donner moins d’importance à la croix, nous conduit au contraire à en pénétrer tout le sens, tout le sens d’horreur, mais aussi le sens de grâces. En effet, en Christ, c’est Dieu en personne qui réconciliait le monde avec lui-même, ne demandant plus compte aux hommes de leurs péchés. C’est quand nous reconnaissons Dieu en Christ, et alors seulement, que nous connaissons notre offense mortelle et notre mortel jugement, et aussi notre miraculeuse réconciliation. » 5

5 Ch. Wesphal, Foi et Vie N° 2/1938.

C’est pourquoi aussi, la vraie prédication de l’Eglise, aujourd’hui comme aux premiers jours, c’est Jésus-Christ crucifié, selon les Ecritures, dont toute la supplication aux hommes n’est pas tant « sauvez-vous de la mort », que le « soyez réconciliés avec Dieu ».

« L’homme pécheur ne peut s’empêcher de tout faire pour contourner la croix, suprême obstacle à sa foi, et pour trouver une autre porte. Or, il n’y a pas d’autre porte ici que l’obstacle lui-même, la croix étant forcé- ment l’objet de scandale qui confirme son doute, ou bien l’objet d’une foi qui l’en délivre à jamais… Personne ne peut croire sans mourir. L’homme que la croix repousse et scandalise, c’est le pécheur qui doit mourir, non pas en partie, mais entièrement ; c’est l’esclave du malin, l’incrédule, l’homme dont tous les rapports avec Dieu sont corrompus. Il faut que cet homme meure, sinon, il meurt de ne pas mourir… » 6

6 R. de Pury : Qu’est-ce que le protestantisme, p.75. Ed. Les Bergers et les Mages.

Le salut vient des Juifs

Notre insistance à situer l’Evangile de Jésus-Christ dans son rapport existentiel avec Moïse et les prophètes n’ôte rien à l’œuvre médiatrice de notre Sauveur, Bien plus, elle nous évite de succomber à une vision mesquine de notre salut.

Elle démasque ce que notre foi, consciemment ou inconsciemment, pourrait comporter d’égoïste : « Moi je suis sauvé, alléluia » ou d’intéressé : « Béni soit Dieu, mon avenir est assuré ».

Combien sont-ils à s’imaginer que, de leur chère petite vie personnelle, ils basculent dans une grande vie éternelle où leur petite, mais importante personne, occupera le centre de cette grande aventure !

Grande aventure il y a, dépassant, et de combien ! ce que nous sommes capables d’en imaginer. Et si nous n’en sommes pas le centre, c’est que Dieu, lui, en a conçu à sa mesure et à la mesure de son amour, les dimensions cosmiques et éternelles, y réservant pour, tant la place individuelle de tous ses enfants.

Dans cette perspective, grâces soient rendues à Dieu, le salut vient des Juifs. Jésus, en effet, refuse de se désolidariser du peuple juif et de tout ce que son histoire rapportée par Moïse et les prophètes doit apprendre au monde. Et en ce XXe siècle plus que jamais.

Oui, le salut vient des Juifs, d’Abel, de Noé, d’Abraham, de Moïse, de David, de Marie, de Pierre, de Paul, de Jean, de Jacques et de Jude. Tous Juifs !

Il en est que cela gêne, ô combien ! Ils préféreraient un salut du monde qui ne tiendrait qu’a Jésus seul. Et encore ! Son nom étant inséparable de sa personne et de son histoire, ils souhaiteraient un salut qui ne tiendrait plus à lui personnellement, mais uniquement à ce qu’il a dit. Une personne, c’est encombrant. Une parole, on peut la reprendre à son propre compte. Et comme nul n’a jamais vu Dieu, c’est assez facile de récupérer, et le dessein de Dieu, et les paroles de Jésus, bien sûr séparées de Moïse et des prophètes, puis séparées de Dieu, et finalement séparées de Jésus.

La prophétie relative à Jésus le désigne comme étant le rameau surgi du tronc d’Isaï, Nous refusons les tentations d’arboriculture moderne qui voudraient couper ce rejet de sa souche ancestrale et en faire un « implant » dans le terreau d’idéologies interchangeables : bonheur, justice, paix, liberté, fraternité, amour…

Nous croyons par contre que la terre sainte où est enraciné le tronc d’Isaï comporte non seulement le territoire d’Israël et sa capitale davidique : Jérusalem, mais une géographie et une histoire saintes.

En réponse à ceux qui voient la justice à Moscou, à Pékin ou à Washington, la spiritualité à Katmandou, l’amour à Copenhague ou à Amsterdam, la liberté à Paris, la vérité à Rome, l’unité à Genève, et la sagesse aux Indes, nous avons à rappeler que la capitale du salut, de par la volonté même du Crucifié 7 est Jérusalem. Car à la fin de ce siècle mauvais, Jérusalem et la terre entière verront l’avènement du Seigneur. Israël et l’Eglise acclameront Jésus. Avec lui apparaîtra une innombrable multitude, elle aussi ressuscitée d’entre les morts. Seront présents à cet universel rendez-vous tous les rachetés. Surgis de leur tombe à la suite d’Abel le premier enseveli, seront présents pour l’éternité, délivrés du mal à jamais, tous ceux qui, de leur vivant, ont retrouvé une communion personnelle avec Dieu, aimé sa volonté, reçu de lui leur pain quotidien, pardonné aux hommes leurs offenses, glorifié le Seigneur, voulu que son règne vienne.

7 Luc 13.33-35.

LEURS DERNIÈRES PAROLES…

COLT, 1862, inventeur du pistolet
Maintenant, tout est fini.

RABELAIS, 1553, écrivain
Tirez le rideau, la farce est jouée.

BEETHOVEN, 1827, compositeur
Je vais bientôt faire le saut. Applaudissez, amis, la comédie est finie. Trop tard.

GASSENDI, 1655, philosophe
Je suis né sans savoir pourquoi, j’ai vécu sans savoir comment et je meurs sans savoir ni pourquoi ni comment.

MOUNET-SULLY, 1916, tragédien
Mourir, c’est difficile quand il n’y a pas de public.

BRANLY, 1940, physicien
Puisque je sens que je ne pourrai plus travailler, autant mourir.

JARRY, 1907, écrivain
Je cherche, je cherche, je cherche.

MUSSET, 1857, poète
Dormir, je vais enfin dormir.

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