Cette seconde édition put se réjouir, encore d’un grand succès ; de 1535 à 1538 il ne parut pas moins de treize éditions, et de 1535 à 1541 neuf traductions allemandes. Et cependant cette deuxième édition était un tout autre livre. Il y eut, sans doute, de grandes récriminations contre Mélanchthon. Conrad Cordatus, J. Schenk, Amsdorf et de plus J. Agricola et Andreas Osiander élevèrent tour à tour leur voix pour protester les uns, contre le fameux conditio sine qua non, les autres contre sa doctrine sur la sainte Cène ; mais ces accusations produisirent sur Mélanchthon un effet tout contraire à celui qu’en attendaient sans doute ses adversaires. En sommant Mélanchthon de s’expliquer plus clairement, ils lui fournirent l’occasion de mieux approfondir et, sous ce rapport, ils n’ont fait que lui rendre un très grand service. Luther même avait conçu quelques soupçons à l’égard de Mélanchthon : il le croyait disposé à rentrer dans le giron de l’Église catholique. Camerarius aussi ne savait trop à quoi s’en tenir au sujet de son ami. Tout semblait se tourner contre lui : il était seul, abandonné pour ainsi dire. Ces luttes, sans doute, n’ont pas peu contribué à le fortifier dans sa manière de voir au sujet de la liberté humaine. Toutes ces angoisses, tous ces tourments ont dû, au contraire, lui prouver mieux encore qu’elle existe et qu’elle existe réellement. La sophistique de ses adversaires catholiques exigeait également qu’il s’exprimât d’une manière claire et précise ; les colloques de Worms (1540) et Ratisbonne (1541), où il se trouvait en lutte avec Eck, Gropper, Cochlæus le ramenèrent à ses études bibliques et lui firent juger nécessaire la publication d’une troisième éditionl.
l – Voir Acta Colloquii Altenburg., d’après C. R. p. 561.
Les éditions se suivirent rapidement jusqu’en 1559, mais sans grande différence. L’édition de 1548 seule subit encore quelque modification ; nous trouvons là déjà, et après dans toutes les éditions, cette opinion sur le libre arbitre, qui donna lieu à la querelle connue sous le nom de synergisme. Avant de passer à cette dernière question, exposons rapidement la doctrine de Mélanchthon telle qu’elle se trouve formulée dans sa toute dernière forme.
Il n’y a pas de différence notable entre la deuxième et la troisième édition : les idées sont les mêmes ; ici elles se trouvent mieux accentuées, voilà tout. Mélanchthon reconnaît toujours que, par la chute, l’homme a perdu la justice originelle, et que tous les descendants d’Adam naissent coupables, fils de la colère, c’est-à-dire damnés par Dieu (Romains 5.12 ; 3.12 ; 8.7 ; 7.23 ; Éphésiens 2.3 ; Jean 3.5 ; Psaumes 50.7 ; 24.7 ; 115.2 ; Jérémie 17.9).
Quelle est la cause de cette chute ? Le diable, répond Mélanchthon, c’est-à-dire la volonté d’Adam et, d’Èvem ; il se sont détournés volontairement de Dieu : ils ont perdu ainsi ce qui aurait dû être le trait caractéristique de l’homme, c’est-à-dire l’accord et l’harmonie de la volonté humaine avec la loi de Dieu. Tels ont été les premiers hommes, et tels ont dû être leurs descendants. Nous naissons corrompus : nous ne pouvons plus satisfaire à la loi ; l’obéissance parfaite nous est impossible. L’homme peut néanmoins faire quelques œuvres extérieures et par ses propres forces ; mais cette justice de la chair est loin de suffire. Qu’on étudie ces grands hommes doués d’excellentes vertus ; que de vices, que de dépravations ne trouvera-t-on pas dans Hercule, Thémistocle, Pausanias etc. ! Ils ne connaissaient pas Christ, et voilà pourquoi il leur était impossible de changer leur nature corrompue. Il nous faut absolument le secours du Saint-Esprit ; mais c’est à nous à le demander. S’il y a des passages dans la Bible qui semblent tout rapporter à Dieu et supprimer ainsi cette liberté de l’homme, c’est que, dans ces passages, il n’est question que de l’Église et des bonnes actions que Dieu y suscite et dirige. La volonté des individus ne saurait être oisive ; s’il en était ainsi, pourquoi prierions-nous ? Non, nous agissons, nous consentons, ne fut-ce que languide. Nous ne sommes pas des statues, ni des troncs d’arbres. Pharaon, Saül ont résisté à Dieu, non parce qu’ils y étaient forcés, mais parce qu’ils ont voulu et librement voulun. David ne s’est pas pas converti comme l’on changerait une pierre en une figueo ; le libre arbitre a joué son rôle : c’est librement et de plein gré que David avoue ses péchés. Lorsque Joseph résista aux séductions de la femme de Putiphar, sa volonté était bien loin d’être oisive ; non, Joseph a lutté, il a travaillé des pieds et des mains pour éviter de tomber dans ce piège. Du reste, si, au dire des Enthousiastes et des Manichéens, nous devions attendre les bras croisés (sine ulla actione) cette infusion des qualités (infusio qualitatum, aurait-on besoin du ministère de la Parole ? Y aurait-il des luttes dans notre cœur ? Pourquoi Dieu a-t-il institué le ministère ? Pour que la Parole soit prêchée, pour que nous saisissions et retenions les promesses de l’Évangile, pour qu’il nous montre que si nous voulons lutter contre l’incrédulité, le Saint-Esprit sera efficace en nousp. Du reste, la grâce est universelle, et cependant tous les hommes ne sont pas sauvés ; y aurait-il en Dieu des volontés contradictoires ? Non, la cause de cette différence est en nous ; si Saül est rejeté, si David est reçu en grâce, c’est que le premier a repoussé ce que le second a accepté. Demandons donc, et ne cessons jamais d’avoir confiance en Dieu ; avec le secours du Saint-Esprit, la volonté agira avec plus de fermeté et de persévérance. Les deux agents doivent s’unir : la grâce précède, la volonté accompagne ; il y action et réaction. Cette grâce est promise à tous ; elle est universelle. Jean 3.16 : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Matthieu 11.28 : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. Romains 3.22 : La justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ s’étend à tous et sur tous ceux qui croient. Romains 10.12 : Il n’y a point de différence du Juif et du Grec, car il y a un même Seigneur de tous, qui est riche envers tous ceux qui l’invoquent. Romains 11.32 : Car Dieu les a tous renfermés sous la rébellion, afin de faire miséricorde à tous. Actes 10.43 : Tous les prophètes lui rendent témoignage, que quiconque croira en lui recevra la rémission de ses péchés par son nom. Actes 13.39 : Quiconque croit est justifié par lui. 1 Timothée 2.4 : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité. Pas de prédestination particulière : tous nous sommes prédestinés, et si tous nous ne sommes pas élus, c’est que la faute se trouve en l’homme. Trois agents sont actifs dans l’œuvre de notre conversion : la Parole de Dieu, le Saint-Esprit et la volonté humaine. Dieu nous donne les deux premiers ; à nous à vouloir les accepter, à nous à entendre et à recevoir les promesses de son Évangileq. En un mot, ceux-là seuls sont élus qui saisissent la grâce offerte par Christ, ceux qui professent sa parole. Dieu nous appelle ; mais il n’élit que ceux qui répondent à cet appelr.
m – « Diabolus et voluntas Adæ et Evæ assentiens diabolo ac avertens se sua libertate de mandate Dei. » P. 673, C. R.
n – P. 659, C. R.
o – « Nec fit conversio in Davide, ut si lapis in ficum verteretur ; sed agit aliquid liberum arbitrum in Davide… »
p – P. 659 C. R.
q – P. 915, C. R.
r – P. 916 à 919, C. R.
Luc 11.10 : Quiconque demande reçoit, quiconque cherche trouve, il sera ouvert à celui qui heurte. Matthieu 25.29 : A chacun qui a, il sera donné et il en aura encore plus ; mais à celui qui n’a rien, cela même qu’il a, lui sera ôté. Jean 16.24 : Demandez et vous recevrez.