Commençons donc à prouver que la naissance de Jésus-Christ fut annoncée par les prophètes. Isaïe parle ainsi : « Ecoutez, maison de David ; n’est-ce donc pas assez pour vous de lasser la patience des hommes ? Faut-il que vous lassiez encore la patience de Dieu ? C’est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même ce signe : Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, ce qui signifie : Dieu avec nous. Il se nourrira de lait et de miel. – Car, avant que l’enfant puisse nommer son père et sa mère, il détruira la puissance de Damas, et il enlèvera les dépouilles de Samarie devant le roi d’Assur. »
— En bien ! disent ici les Juifs, nous en appelons à la prophétie d’Isaïe, et nous demandons si ce nom que le prophète lui donne et tous les caractères qu’il lui attribue conviennent véritablement au Christ qui est déjà venu. Isaïe annonce qu’il « se nommera Emmanuel, qu’il détruira la puissance de Damas, et qu’il enlèvera les dépouilles de Samarie en présence du roi d’Assur. » Or, ajoutent-ils, celui qui est venu n’est pas connu sous ce nom, et n’a jamais fait la guerre.
Nous, au contraire, nous croyons devoir les avertir de relire tout ce qui se rattache à ce chapitre. En effet, au mot Emmanuel, est jointe sa signification « Dieu avec nous, » afin que l’on examine moins l’expression que son sens. « Emmanuel, » mot hébreu : Emmanuel, particulier à sa nation ; « Dieu avec nous, » signification commune à tous. Or, je le demande, cette appellation, » Dieu avec nous, » représentation exacte du mot Emmanuel, ne se vérifie-t-elle point dans le Christ, depuis que ce soleil de justice a brillé sur le monde ? Tu ne pourrais le nier, je l’imagine. Car ceux qui ont abandonné le judaïsme pour croire à Jésus-Christ, depuis qu’ils croient en lui, répètent : « Dieu est avec nous, » quand ils prononcent le mot Emmanuel. Il est donc attesté que l’Emmanuel des oracles est déjà descendu, puisque Emmanuel, c’est-à-dire, « Dieu avec nous, » est venu.
Les Juifs se laissent encore abuser par les mots, lorsque dans « cette puissance de Damas que Jésus-Christ doit détruire, dans ces dépouilles de Samarie qu’il emporte en face du roi d’Assur, » ils s’opiniâtrent à voir les présages d’un Christ conquérant, sans taire attention aux déclarations qui précèdent. « Avant que l’enfant sache nommer son père et sa mère, il détruira la puissance de Damas et il emportera les dépouilles de Samarie en face du roi d’Assur. » Il est bon d’examiner auparavant l’énonciation de l’âge de cet enfant, pour voir si sa faiblesse, qui ne comporte pas encore un rôle d’homme, ne répugne pas davantage à un rôle de général. En vérité, c’est par le vagissement de son berceau que le nouveau-né appellera ses peuples aux armes ; c’est avec la trompette et non avec le hochet qu’il donnera le signal du combat. Que lui parlez-vous d’armes, de cheval, ou de rempart pour découvrir l’ennemi ? C’est du sein de l’esclave qui le porte, c’est des bras ou des épaules de sa nourrice qu’il l’observe, et au lieu de mamelles, c’est Damas et Samarie qu’il va subjuguer. Que les nouveau-nés s’élancent parmi vous au combat, séchant d’abord au soleil leurs membres frottés d’huile, puis armés de langes et recevant du beurre pour solde, je n’ai plus rien à dire : ils savent lancer le javelot avant de tourmenter le sein qui les allaite ! Parlons sérieusement : si, d’après les lois de la nature, l’apprentissage de la vie précède partout celui de la milice, s’il est indispensable de connaître le nom de son père et de sa mère avant d’abattre l’orgueil de Damas, il faudra conclure de ces expressions qu’elles sont figurées.
— Mais l’enfantement d’une Vierge ne contredit pas moins la nature, ajoutent-ils, et cependant il faut croire le prophète.
— Oui, et avec justice. Il a préparé ma foi à une chose incroyable, en me disant qu’elle me servirait de signe : « C’est pourquoi le Seigneur vous le donnera comme un signe. Voilà qu’une vierge concevra et enfantera un fils. » Si ce n’eût pas été quelque nouveauté prodigieuse, le signe eût semblé peu digne de Dieu. En effet, vous avez beau alléguer, pour renverser la foi de quelques-uns à ce divin oracle, ou attirer à vous quelques âmes simples et crédules, que les livres saints n’ont point voulu parler ici d’une vierge, mais d’une jeune fille, mensonge absurde, qui se réfute par lui-même, nous écrierons-nous ! Un événement aussi commun que la conception et la maternité chez une jeune fille pouvait-il être signalé comme un prodige ? Mais une vierge mère ! voilà un signe auquel j’ai raison de croire. Il n’en va pas de même d’un conquérant nouveau-né : j’y chercherais vainement la raison du signe.
Après cette naissance à laquelle est attache un signe, arrive un ordre de circonstances moins élevées. « L’enfant mangera le miel et le beurre. » Là point de signe ; car ceci appartient à l’enfance ; mais « la puissance de Damas qu’il doit renverser, et les dépouilles de Samarie qu’il emportera en face du roi d’Assur, » renferment encore un signe mystérieux. Ne perdez pas de vue l’âge de l’enfant ; cherchez le sens de la prophétie ; faites mieux ! restituez à la vérité ce que vous ne voulez pas croire. Alors s’évanouissent les obscurités de la prédiction aussi bien que l’incertitude de son accomplissement. En effet, laissez-nous ces Mages de l’Orient, déposant aux pieds de l’enfant-Dieu l’hommage de l’or et de l’encens ; et le Christ à son berceau, sans armes, sans combats, aura enlevé les dépouilles de Samarie ! Outre que la richesse principale de l’Orient réside dans son or et ses parfums, comme personne ne l’ignore, il est certain que l’or constitue aussi la force des autres nations. Témoin ce passage de Zacharie : « Juda s’unira à Jérusalem pour les vaincre, et il amassera les richesses des nations, l’or, l’argent et les étoffes précieuses en grand nombre. » David entrevoyait déjà l’honneur rendu à son Dieu, quand il disait : « L’or de l’Arabie lui sera donné ; » et ailleurs : « Les rois d’Arabie et de Saba mettront à ses pieds leurs offrandes. » L’Orient, en effet, fut presque toujours gouverné par des Mages, et Damas était autrefois comptée comme une dépendance de la Syrie, avant que la distinction des deux Syries l’incorporât à la Syrophénicie. Le Christ, en recevant l’hommage de son or et de ses parfums, conquit donc spirituellement sa puissance.
Quant aux dépouilles de Samarie, il faut entendre par là les Mages eux-mêmes, qui, après avoir connu le Christ, après être venus le chercher sur la foi de son étoile, leur témoin et leur guide ; après l’avoir adoré humblement comme leur monarque et leur Dieu, représentaient par leur foi nouvelle dans le Christ les dépouilles enlevées à Samarie, c’est-à-dire à l’idolâtrie vaincue. En effet, au lieu de l’idolâtrie, le prophète a nommé allégoriquement Samarie, diffamée par ses superstitions et sa révolte contre Dieu, sous le roi Jéroboam. Est-ce la première fois que les Ecritures emploient une transposition de termes pour désigner des crimes semblables ? Salomon appelle vos chefs des magistrats de Sodome ; il nomme votre peuple, peuple de Gomorrhe, quoiqu’il y eût déjà longtemps que ces villes étaient détruites. Ailleurs le Seigneur dit à Israël par son prophète : « Votre père était Amorrhéen et votre mère Céthéenne ; » non pas qu’ils fussent sortis du même sang, mais parce qu’ils avaient imité les prévarications de ces peuples. Et à qui adresse-t-il ces reproches ? A ces mêmes enfants qu’il « avait autrefois engendrés et nourris, » disait-il. Ainsi encore l’Égypte signifie souvent, dans son langage, la flétrissure attachée au monde de l’idolâtrie et de la malédiction. Ainsi encore Babylone, sous la plume de notre Evangéliste, représente la grande cité romaine, immense, orgueilleuse de sa domination, et se baignant dans le sang des martyrs. Tel est aussi le sens du nom de Samaritains donné aux Mages : ils sont dépouillés, disent nos livres saints, parce qu’ils avaient participé aux superstitions idolâtriques de Samarie.
Quant à ces paroles : « En présence du roi d’Assur, » elles figurent le démon qui croit affermir son royaume, quand il détourne les saints de la religion de Dieu.
Cette explication est confirmée par plusieurs autres textes sacrés, où Jésus-Christ est représenté par quelques armes symboliques et des expressions figurées, sous la forme d’un conquérant. Je ne veux que la confrontation avec ces passages, pour convaincre les Juifs. « Ceignez votre glaive, ô le plus puissant des rois, » s’écrie David. Il est vrai ; mais que lisons-nous précédemment sur le Christ ? « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes. La grâce est répandue sur ses lèvres. » En vérité, je ris d’entendre le prophète complimenter sur l’éclat de sa beauté et la grâce de ses lèvres un conquérant qu’il ceignait tout à l’heure de son glaive pour les combats, « Grandis, prospère, triomphe, ajoute-t-il. Triomphe pour la vérité, la douceur, la justice. » Je le demande, sont-ce là les œuvres du glaive ? ou plutôt, ne produit-il pas les œuvres les plus opposées à la douceur et à la justice, la ruse, la cruauté, la barbarie, fruits inévitables des combats ?
Examinons donc si ce glaive, dont les opérations sont si différentes, ne serait pas différent, c’est-à-dire, s’il ne serait pas la parole divine, glaive à deux tranchants, aiguisé par les deux Testaments, celui de la loi ancienne et de la loi nouvelle, aiguisé par son équité autant que par sa sagesse, et rendant à chacun selon ses œuvres. Le Christ de Dieu dont le prophète exaltait tout à l’heure la grâce et la beauté, a donc pu s’armer mystiquement, loin du tumulte des camps et des combats, du glaive de la parole divine. Voilà l’épée dont David ceignait sa cuisse, lorsqu’il annonçait qu’il viendrait sur la terre accomplir les ordres de son père. « Ta droite se signalera par d’éclatantes merveilles, » ajoute-t-il. Oui, par la vertu de la grâce spirituelle, d’où émane la connaissance du Christ : « Tes flèches sont brûlantes. » Allusion à ses commandements qui volent d’un bout du monde à l’autre, menaces, châtiments, contritions du cœur qui percent et pénètrent la conscience de chacun. « Les peuples tomberont à tes pieds, » pour l’adorer humblement. Voilà les combats et les guerres du Christ ; voilà comment il a emporté sur ses épaules les dépouilles non-seulement de Samarie, mais de toutes les nations. Reconnais donc aussi des dépouilles allégoriques dans des mains qui portent des armes allégoriques ! Ainsi le Christ descendu parmi nous sera d’autant moins belliqueux, qu’Isaïe ne l’annonçait pas comme un conquérant de la terre.
— Mais, disent les Juifs, si le Christ qui doit venir n’est pas appelé Jésus, pourquoi celui qui est venu porte-t-il le nom de Jésus-Christ ?
— Eh bien ! reconnais la nature de ton erreur. Quand il s’agit de donner pour successeur à Moïse le fils de Navé, quel nom fut substitué à Osée, son premier nom ? Ne commença-t-il point à s’appeler Josué ou Jésus ? – Assurément, réponds-tu. – Eh bien ! sous ce symbole se cachait l’avenir. Comme Jésus-Christ devait introduire dans la terre promise, où coulent des ruisseaux de lait et de miel, disons mieux, comme il devait introduire dans les royaumes de la vie éternelle et ses incomparables béatitudes, le second peuple, qui n’est autre que nous-mêmes, qui nous égarions dans les déserts du siècle ; comme ce n’était point à Moïse par l’ancienne loi, mais à Jésus-Christ par la grâce de la loi nouvelle, qu’il était donné d’accomplir cette heureuse révolution, et de nous circoncire avec la pierre mystérieuse, c’est-à-dire avec les préceptes de Jésus-Christ, car il est souvent représenté sous ce symbole, le chef du peuple hébreu fut destiné à figurer d’avance cette merveille, et consacré sous le nom de Jésus. Car celui qui s’entretenait avec Moïse était le Fils de Dieu en personne qui se laissait toujours voir, puisque « personne n’a jamais vu Dieu le Père sans mourir. » Il est donc certain que c’est le Fils de Dieu lui-même qui parlait alors à Moïse, et qui dit au peuple : « Voilà que j’envoie mon ange devant vous, afin qu’il vous précède, vous garde en votre voie, et vous introduise au lieu que je vous ai préparé. Respectez-le, écoutez ses ordres, et ne le méprisez point ; car il ne vous pardonnera point quand vous aurez péché, parce que mon nom est en lui. » En effet, c’était Josué ou Jésus, et non Moïse, qui devait introduire le peuple dans la terre promise. Mais pourquoi l’appela-t-il son ange ? A cause des merveilles qu’il devait opérer (vous lisez de vos propres yeux les merveilles opérées par Jésus, fils de Navé), et à cause de son ministère prophétique, en vertu duquel il promulguait les volontés divines. C’est ainsi que l’Esprit saint, parlant au nom du Père, par la bouche du prophète, appelle du nom d’ange le céleste précurseur de Jésus-Christ : « Voilà que j’envoie devant ta face, » c’est-à-dire devant la face de Jésus-Christ, « mon ange, afin qu’il te prépare la voie. »
Ce n’est pas la première fois que l’Esprit saint donne le nom d’anges à ceux que Dieu a établis les ministres de sa puissance. Le même Jean-Baptiste est appelé non-seulement l’ange de Jésus-Christ, mais le flambeau qui brille devant ses pas. « J’ai allumé le flambeau de mon Christ, » dit le roi Psalmiste. Voilà pourquoi le Christ, qui venait accomplir les prophètes, dit aux Juifs : « Il était une lampe ardente et brillante, » non-seulement parce qu’il « lui préparait les voies dans le désert, » mais encore parce qu’en « montrant l’Agneau de Dieu, il éclairait les esprits des hommes » par sa prédication, afin qu’ils reconnussent l’Agneau dans la personne de celui dont Moïse annonçait la passion. Ainsi Josué s’appelle Jésus, à cause du mystère futur de son nom. Car le Christ confirma lui-même le nom qu’il lui avait donné en voulant qu’il ne s’appelât ni Ange ni Osée, mais Jésus. Tu le vois ; les deux noms conviennent également au Christ de Dieu.
Mais comme la Vierge dont il fallait que le Christ naquît, ainsi que nous l’avons dit plus haut, devait sortir de la race de David, le prophète s’exprime sans figure dans ce qui suit : « Un rejeton naîtra de la tige de Jessé, » c’est-à-dire de Marie, « et une fleur s’élèvera de ses racines. L’esprit du Seigneur reposera sur lui, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, esprit de la crainte du Seigneur. » Je le demande, à qui d’entre les hommes convenait l’universalité des dons spirituels, si ce n’est à Jésus-Christ seul, que le prophète compare à une fleur, à cause de sa grâce, et qu’il rattache à la tige de Jessé, parce qu’il devait en sortir par Marie, sa mère ? Jésus-Christ, en effet, naquit à Bethléem ; il appartenait à la famille de David, ainsi que Marie, de qui est né le Christ, est inscrite dans le recensement des Romains. Puisque les prophètes annonçaient d’avance qu’il sortirait de la tige de Jessé, et qu’il donnerait au monde l’exemple de l’humilité, de la patience, de la résignation, examinons si quelqu’un est venu avec ce caractère. L’homme dans lequel nous reconnaîtrons chacun de ces traits sera le Christ en personne. J’entends le prophète qui me dit : « C’est un homme de douleurs, familiarisé avec la misère. Il a été conduit à la mort comme une brebis ; il n’a pas plus ouvert la bouche que l’agneau muet sous la main qui le tond. – Il ne dispute point ; il ne crie point ; sa voix n’éclate point au dehors ; il ne foule pas aux pieds le roseau brisé, » c’est-à-dire la foi chancelante d’Israël, « il n’éteint pas le lin qui fume encore, » c’est-à-dire les lueurs passagères des nations ; loin de là, il les ravive aux rayons de sa lumière. Il ne peut différer du Christ des prophéties. Il faut que chacun des actes du Christ qui est venu, se reconnaisse d’après la règle des Ecritures qui l’ont annoncé.
Nous lisons qu’il se distingue, si je ne me trompe, à un double caractère, la prophétie et le miracle. Nous parcourrons chacun de ces caractères. Nous aurons achevé la discussion actuelle, si nous montrons que le Christ nous avait été annoncé comme prédicateur. Témoin ces paroles d’Isaïe : « Crie avec force ; ne te lasse point ; fais retentir la voix comme les éclats de la trompette ; annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses prévarications. Chaque jour ils m’interrogent, ils veulent savoir mes voies. Comme un peuple ami de l’innocence et qui n’aurait point violé ma loi, etc…. » Qu’il dût opérer des miracles par la vertu de son Père, Isaïe le déclare encore : « Voilà que notre Dieu amènera la vengeance due à sa gloire. Il vient lui-même en personne ; c’est lui qui nous sauvera. Alors les malades seront guéris, les yeux de l’aveugle verront, et l’oreille des sourds entendra. Le boiteux bondira comme le cerf ; la langue du muet sera prompte et rapide, » et enfin toutes les autres merveilles qu’opéra le Christ, et que vous ne niez pas vous-mêmes, puisque vous avez dit : « Nous te lapidons, non pour les œuvres que tu fais, mais parce que tu les fais le jour du sabbat. »