Dans la vaste chambre aux tapisseries fanées que le soleil du matin égaie et rajeunit, Jean-Paul goûte la douceur d’un lit moelleux. Les volets sont entr’ouverts et la lumière entre à flots dans la pièce — cette belle lumière qu’il a failli ne plus revoir. Qu’il est beau le ciel bleu ! Belle aussi la voix jamais lassée du rossignol ! La chambre est pleine des parfums de la montagne. Aussi Jean-Paul est-il heureux ; sa poitrine se dilate : Qu’il fait bon vivre sur la terre ! Il ne peut s’empêcher de penser au joli poème appris en classe, il y a quelques mois. Il le récite à voix basse :
O lumineux matin, jeunesse des journées !
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Instant salubre et clair, ô fraiche renaissance,
Gai divertissement des guêpes sur le thym,
Tu écartes la mort, les ombres, le silence,
L’orage, la fatigue et la peur, cher matin… (1)
(1) Anna de Noailles.
Maintenant Jean-Paul songe avec émotion à son aventure de la veille, à son angoisse, aux heures terribles vécues dans les ténèbres de la grotte ; il revit chaque instant, les moments d’espoir, de lassitude et de détresse, la longue attente dans le silence, la venue de Fallot…
— Mais au fait, Fallot est-il revenu ?
D’un bond, le garçon s’est assis sur son lit. Il pense à Fallot, instrument de son salut qu’il n’a pas revu hier, dans la nuit.
— Bien sûr qu’il est sorti ! Un chien ne se perd pas dans une grotte ; mieux que personne, il retrouve son chemin. Il a dû s’attarder dans quelque galerie pour admirer plus à l’aise les merveilles souterraines. Il n’y a rien à craindre pour lui.
Popol est rassuré.
— Tout de même, continue-t-il, il me tarde de le revoir ce brave chien ! Sans lui, nous serions encore dans les profondeurs de la terre. C’est pourquoi je veux lui dire ma gratitude et le récompenser par des caresses qu’il n’oubliera pas.
Sur les conseils de sa maman, Jean-Paul fait la grasse matinée. Il n’en a pas l’habitude mais il obéit de bon cœur pour ne pas lui faire de peine. Tout à l’heure, on lui a monté un plateau chargé de tartines beurrées. Il se rend compte qu’on s’empresse autour de lui, qu’on est à ses petits soins. Il le sent et en éprouve une certaine satisfaction.
— Volontiers, je retournerais voir les trésors de la grotte se dit l’enfant, Il y a de telles merveilles qu’il serait intéressant de poursuivre les recherches, en s’équipant comme il se doit naturellement. Cette fois, j’emporterais trois où quatre piles de rechange.
Il ne sait pas le cher Jean-Paul que maman disait justement hier soir : « J’espère que la leçon aura servi à notre bout d’homme et que cette équipée lui enlèvera le goût de recommencer ».
Il n’en est rien, au contraire : on aime ce qui coûte cher. Les choses périlleuses ont de l’attrait. Les risques, les dangers attirent irrésistiblement ! C’est même cela qui donne du sel à une telle entreprise. Ah ! comme maman se fait illusion ! Jean-Paul est prêt à repartir, demain s’il le faut.
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Maman, papa, grand-père et Francine viennent d’entrer dans la chambre.
— Alors le garçon, ça va ce matin ! dit le vieillard.
Popol répond par un sourire. Chacun prend une chaise aux quatre coins de la pièce et vient s’asseoir au chevet du petit.
— Raconte-nous ton histoire, demande papa.
Jean-Paul fait la moue, car il n’y tient guère. Il redoute pour finir les réprimandes et les exhortations à la sagesse. En vérité, ses parents sont plus curieux que décidés à sermonner.
— Allons, raconte-nous, insiste maman.
Popol doit s’exécuter. Il ne cache rien et parle en détail de sa rencontre avec Etienne, de leurs projets, de leurs préparatifs. Il narre l’aventure, les premiers pas dans la grotte, le mur à escalader, le gouffre, les innombrables beautés qu’il contient Son vocabulaire est insuffisant pour donner une idée de tout ce qu’il a vu, là-bas sous terre. Les quatre auditeurs ne perdent pas une parole, tant ils sont passionnés par le récit. Leur intérêt encourage Jean-Paul à poursuivre sa narration. C’est la longue attente dans la nuit, l’angoisse, la venue de Fallot qui fait renaître leur espérance. Il n’oublie pas de rappeler la curieuse prière d’Etienne, ce qui a pour effet d’amuser follement ses parents. Ni grand-père, ni Francine ne rient : ils demeurent impassibles et paraissent même touchés.
La journée s’écoule dans la quiétude d’une magnifique journée d’août. Jean-Paul s’est levé pour le repas et, l’après-midi, il reste allongé sous les grands tilleuls comme maman l’a ordonné. Il suit les allées-et-venues de Francine qui est toujours affairée ; elle ne s’arrête pas un seul instant. Chaque fois qu’elle passe, elle regarde le jeune Parisien avec un bon sourire qui signifie : Patiente encore un peu !
Au loin on entend la hache du bûcheron et les heures que le clocher égrène lentement.
— C’est curieux, pense Jean-Paul un peu troublé, papa et maman n’ont pas l’air de prendre au sérieux la prière d’Etienne. Pourtant !
Vers six heures, alors que le soleil descend vers l’horizon, Jean-Paul a vu apparaître son cher ami Etienne, accompagné de Fallot dont il n’avait pas de nouvelles ; il marche allègrement. Les deux enfants ont beaucoup de joie à se revoir. Ils s’embrassent, puis s’entretiennent longuement de leur aventure, tandis que la main de Jean-Paul passe et repasse sur l’échine du chien qui, couché en rond, savoure ces caresses.