Propos sur le temps

LE TEMPS ENCOMBRÉ (suite)

A chaque jour suffit sa peine.

Matthieu 6.34

C’était à Guebwiller, lors d’une convention de la Ligue pour la lecture de la Bible. Parmi les orateurs se trouvait un Africain originaire de l’Ouganda, homme rempli de l’Esprit et bouillant pour son Seigneur. « Notre service, disait-il, ne doit pas occuper la première place dans notre vie, sinon il est malédiction et perte de temps. Il fut une époque où j’étais écrasé en pensant aux multitudes qui périssent loin de Dieu. Le diable alors me disait : « Regarde ces foules en route pour l’enfer. Tu n’y peux rien. » Il cherchait à me détourner du Christ. Alors, angoissé, je portais chaque jour le lourd fardeau de ces âmes. Très tôt le matin, je priais pour leur salut, et sans doute avais-je raison, car il faut intercéder sans relâche pour les perdus, mais – et c’était là mon erreur – je pensais que mon succès d’évangéliste, ainsi que le salut des pécheurs, dépendaient de l’intensité de mes supplications. Je pleurais beaucoup. Souvent le soir j’étais épuisé après une journée de lutte harassante. Résultat : le lendemain je me levais plus tard. Au lieu d’être debout à 5 heures du matin, comme à l’ordinaire, c’était 6 heures à peine… Déçu de moi, je me répétais alors : « C’est raté ! Toute la journée ça ira mal. » Tendu et malheureux, j’ouvrais ma Bible, espérant rattraper le temps perdu. En vain. Mon cœur était agité et la paix n’y était plus. Par malheur, ma femme m’appelait juste à ce moment-là pour l’aider à la cuisine. Je me fâchais contre elle. Les enfants criaient. Tout allait de travers. Décidément, le diable ne me laissait aucun répit ; il me susurrait sans arrêt : « C’est raté ! C’est raté... ! »

Certes, la prière est une chose excellente, et nous aurions tort de la négliger, mais elle n’était pas à la bonne place dans ma vie. Je croyais en mes prières – donc en moi et en mes œuvres – et non en Dieu qui répond à la prière. Mes ardentes supplications prenaient la place de Jésus. Depuis lors, je prie toujours avec ferveur ; je sais cependant que les pécheurs ne seront pas sauvés à cause de mon intercession, mais à cause du Sauveur qui aime les pécheurs et se plaît à exaucer ses enfants. Je prie parce que j’aime Jésus. »

Ce serviteur avait raison. Illusoires sont nos actes de piété si nous nous admirons en eux, en leur attribuant une valeur méritoire. Laissons le soin au Saint-Esprit de les juger et nous gagnerons du temps. La piété est utile (1 Timothée 4.8), mais la vraie piété seulement. Il en est une vaine qui irrite le Seigneur (Esaïe 1.12-13).

Cinquième motif : LA TÂCHE EST IMMENSE (les quatre premiers motifs ont été mentionnés dans le chapitre précédent). Des hommes actifs et de bonne volonté se laissent entraîner avec bonne conscience dans un activisme stérile pour un motif apparemment valable : « La tâche est immense et le travail commande », disent-ils pour se justifier. Est-ce vrai ? Un paysan qui donnerait du poids à cet argument ne se coucherait jamais s’il voulait achever tout ce qui est à faire à la ferme et dans les champs. A chaque jour suffit sa peine (ou : sa dose de labeur), déclare Jésus (Matthieu 6.34). N’est-ce pas à nous de « commander le travail » en fixant des limites à notre activité quotidienne ? Wesley avait raison de dire : « Je n’entreprends jamais plus d’ouvrage que je ne puis en faire, afin de conserver mon être intérieur en bonne santé. »

Trop souvent nous ressemblons à ces pêcheurs de Galilée qui, las et découragés, avouaient avec tristesse qu’ils avaient travaillé toute la nuit sans résultat (Luc 5.5). Nous pouvons perdre un temps précieux en nous attelant à n’importe quelle tâche, en chargeant indûment notre programme, sous prétexte que l’heure est avancée, donc qu’il faut entreprendre tout ce qui paraît bon, voire urgent, sans se soucier de discerner les priorités et les œuvres qui glorifient le Seigneur.

Les membres d’un comité « cogitaient » avec l’intention d’élargir le champ d’action d’une œuvre chrétienne déjà en expansion et dont les agents se plaignaient de vivre trop souvent sur « les chapeaux de roues ». Alors qu’on passait en revue quelques nouvelles réalisations possibles, l’un des frères suggéra – bien naïvement sans doute – que l’on consacrât d’abord un peu de temps à rechercher les activités qui pouvaient être supprimées sans dommage, ou du moins reléguées au second plan. Cette suggestion fit sourire ses collègues ; ils poursuivirent leur réflexion sans tenir compte de ce conseil. Ne devait-on pas se donner à fond dans de nouvelles tâches pour en sauver le plus grand nombre ? Certainement, mais en imitant l’apôtre qui déclarait : Moi donc, je cours, mais non pas à l’aventure ; je donne des coups de poing, mais non pour battre l’air (1 Corinthiens 9.26).

Ce serait en effet une erreur de croire que nous devons nous consumer et ne jamais souffler avec bonne conscience sous prétexte que le champ est immense et qu’il y a autour de nous des multitudes à évangéliser et des foules à sauver. Dieu ne me charge pas d’accomplir la tâche des autres, toutes les tâches, mais de prier avec instance le Maître pour qu’il envoie « des ouvriers dans sa moisson » (à condition que j’aie déjà pris ma place parmi les moissonneurs – Matthieu 9.37-38). En définitive, l’important n’est pas ce que je fais, mais bien ce que je suis (1). L’ouvrier est infiniment plus que son œuvre. Jamais Dieu n’a demandé à la minorité que nous sommes d’extirper le mal de la planète, de rétablir la justice parmi les hommes et de porter secours à toutes les détresses. Si l’œuvre était primordiale, pourquoi. Jésus serait-il resté dans l’anonymat durant trente années, ne consacrant qu’une partie minime de sa vie à proclamer la Bonne Nouvelle ? Pourquoi se serait-il laissé retrancher de la terre à un âge où il était le plus apte à accomplir son œuvre ? Pourquoi Étienne, cet homme « puissant en actes », aurait-il été enlevé si tôt alors que la conquête commençait à peine ? Pourquoi, au travers des siècles, tant d’excellents ouvriers ont-ils été fauchés si prématurément ? Oui, pourquoi ?

(1) Les lignes qui suivent m’ont été inspirées par un message délivré à la convention de Keswick il y a quelque trente ans.

Dieu n’a pas de comptes à nous rendre mais, par ces interrogations, il tient à nous rappeler que l’ouvrier est infiniment plus que l’œuvre, que le caractère a plus de valeur que l’acte lui-même, que le chrétien agissant est plus précieux que la chose réalisée. « Le temps vécu ici-bas, a dit quelqu’un, est davantage un temps de discipline et de formation qu’un temps accordé pour accomplir de grandes choses. » Il faut admettre, en effet, que les chrétiens réputés les plus efficaces et les plus féconds ont fait bien peu de choses pour démanteler les forteresses de Satan et faire avancer le règne de Dieu. Ne nous leurrons pas. Le seul ouvrier… c’est Dieu. Le champ est à lui et les résultats lui appartiennent. Ne l’en dépossédons pas en nous les attribuant ; nous serons ainsi gardés du découragement ou de toute fébrilité. Est-ce à dire que le disciple du Maître doit se croiser les bras ou se montrer nonchalant ? C’est impensable pour qui est animé de l’amour du Christ. Si le Seigneur daigne m’appeler « ouvrier », c’est qu’il tient à m’associer à son action. Aussi, est-ce avec ardeur que je travaillerai dans sa « vigne » sans être pour autant survolté… pourvu que je vive dans le repos de Dieu. Je me confierai en lui pour être qualifié et rendu capable de le servir. Précisons ici que « repos » n’est pas synonyme de passivité. Preuve en est la remarque de ce chrétien du siècle dernier qui affirmait : « Depuis que je suis entré dans le repos de Dieu, je n’ai jamais autant travaillé de ma.vie. »

QUESTIONS

  1. Êtes-vous d’accord avec ce qui précède ? Qu’en est-il de votre activité ? De votre service pour Dieu ? Acceptez-vous que le Saint-Esprit le juge ?
  2. Voulez-vous demander à Dieu qu’il envoie des ouvriers dans sa moisson ? Êtes-vous déjà un ouvrier dans cette moisson ?
  3. Bénissez le Seigneur qui consent à vous employer dans ce vaste champ qu’est le monde.

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