Mais Satan, ne pouvant supporter la détermination d’Antoine et craignant de plus qu’il ne propageât en peu de temps dans le désert la vie monastique, vint une nuit avec une troupe de démons et l’accabla de tant de coups que, succombant aux souffrances, le solitaire resta sans voix, étendu par terre. Il assurait qu’il avait souffert des douleurs telles que les coups donnés par les hommes ne peuvent occasionner de si grands supplices. Mais, par la Providence de Dieu (car Dieu n’abandonne jamais ceux qui espèrent en lui), son ami vint le lendemain lui apporter du pain. Ayant ouvert la porte, il vit Antoine étendu par terre et comme mort ; il le prend sur ses épaules, le porte à l’église du village et le dépose sur le sol. Un grand nombre de ses parents et les gens du village vinrent s’asseoir autour d’Antoine ; mais, vers le milieu de la nuit, il revint à lui et se réveilla ; voyant que tous ceux qui étaient là dormaient et que son ami seul veillait, il lui fit signe d’approcher et le pria de le charger de nouveau sur ses épaules et de le reporter au tombeau. Cet homme donc, sans réveiller personne, l’y reporta, ferma la porte comme à l’ordinaire, et Antoine se trouva seul de nouveau dans le monument ; il n’avait pas la force de se tenir debout à cause des coups qu’il avait reçus, mais, tout en demeurant couché, il priait. Quand sa prière fut achevée, il s’écria : « Voici Antoine en ce lieu, je ne fuis pas vos coups, et lors même que vous m’en donneriez davantage, rien ne me séparera de l’amour du Christ. » Puis il se mit à chanter ces paroles du psalmiste : « Quand même une armée serait rangée en bataille contre moi, mon cœur ne serait point effrayé. (Ps. XXXI, 3.) » Telles étaient les pensées et les paroles de cet athlète courageux ; mais l’ennemi de la vertu, surpris de le voir à sa rencontre après tous les coups dont il l’avait accablé, convoqua les démons et leur dit, plein de rage : « Vous voyez qu’il n’a cédé ni à nos séductions, ni à nos coups, mais qu’il nous défie avec audace ; attaquons-le d’une autre manière. » Il est facile, en effet, aux démons de prendre toutes sortes de formes pour commettre le mal. Ils font donc pendant la nuit un tel vacarme que toute la contrée paraît en être ébranlée. Il semble que ces démons renversent les quatre murs du tombeau, passent au travers sous la figure d’animaux sauvages et d’affreux reptiles. Tout ce lieu paraît rempli de lions, d’ours, de léopards, de taureaux, de serpents, d’aspics, de loups et de scorpions ; chacune de ces bêtes s’agite d’après la forme qu’elle a prise : le lion rugit en voulant s’élancer, le taureau menace de ses cornes, le serpent s’avance en rampant, mais n’arrive pas jusqu’au solitaire ; le loup se précipite, mais est retenu par une force invisible ; tous ces fantômes, en un mot, faisaient un bruit épouvantable et montraient une colère effrayante.