La salle de réunion, quoique modeste, est coquette, bien éclairée par deux larges fenêtres qui donnent sur une cour intérieure. On y accède par un couloir un peu sombre, encombré de caisses et de bicyclettes et dont l’entrée se trouve en plein boulevard. Un trentaine d’enfants de tous âges, bruyants et surexcités au possible, s’agitent sur leur chaise de bois verni. Si bras et jambes sont en perpétuel mouvement, les oreilles cependant sont tendues vers tante Emma qui narre avec de grands gestes brusques l’histoire, oh! combien palpitante, de David affrontant le géant Goliath. L’exposé est si vivant, si prenant que les jeunes énergumènes sont tenus en haleine durant vingt cinq minutes au moins. Un vrai tour de force quand on sait qu’il s’agit là de gosses habitués à vivre sans contrôle le long des avenues.
L’histoire achevée, on entonne dans une atmosphère de bataille : « David n’avait rien que sa fronde ». Par moment, il faut bien le dire, ce cantique touche au vacarme, mais peu importe ! On a du plaisir à voir toutes ces bouches s’ouvrir énergiquement pour scander les exploits du jeune berger de Bethléhem.
Sitôt après, Tante Emma regarde fixement sa petite troupe, le doigt sur la bouche, l’air mystérieux. Intrigués, les gosses se taisent.
— Avant de partir, mes chers petits, je veux vous poser une question TRÈS importante.
Cette dernière expression est ponctuée lentement. Tous les yeux convergent vers la monitrice qui continue :
— Qui d’entre vous connaît un petit garçon qui s’appelle Pierre et qui habite dans le quartier de la caserne Ferraton.
— Moi ! Moi ! hurlent des voix assurées. Moi j’en connais un…
Sur leur chaise, les gamins manifestent avec force gestes, levant bien haut la main, comme à l’école. Le vacarme s’amplifie au désespoir de la chère Tante.
— Moi, Mademoiselle… Moi ! Moi !…
Débordée, Tante Emma doit attendre, immobile, que ces bruyants personnages veuillent bien se taire.
— Mais attention ! reprend-elle. C’est un petit Pierre qui n’a ni frère ni sœur.
— J’en connais. J’en connais. braille une dizaine de bouches.
— Il a des cheveux châtains.
— C’est lui. C’est lui.
— Et il habite au rez-de-chaussée. Il a environ dix ans.
— C’est bien ça… Je sais qui c’est. C’est Pierre Martin… Pierre Guibal… répondent les enfants déchaînés.
— Ecoutez-moi bien, poursuit-elle après de nouveaux efforts pour obtenir le silence. Il s’agit de me l’amener ici, demain à la même heure. Et Tante raconte en quelques mots l’histoire, un peu romancée, de la valise qu’il faut retrouver. Les enfants sont gagnés :
— On la trouvera…
— On s’en charge…
— Ça ira vite…
Le zèle est grand cet après-midi. En général, les gosses ne sont pas décidés ; en été la chaleur les paralyse, ils sont indolents et paresseux. Mais pour une fois !
— Alors c’est entendu ! Demain on m’amène Pierrot, dit Tante avec un bon sourire.
Un doigt vient de se lever. Un gros gamin, engoncé dans une veste trop petite, questionne :
— Mademoiselle, quel est son autre nom ?
— Hélas, je ne le sais pas du tout. C’est ce qui complique mais rend les recherches plus palpitantes. Il faut trouver sans en savoir davantage. Donc à demain.
— A demain ! hurlent trente jeunes bien décidés.
— Au revoir ! Au revoir !
La réunion se termine dans un vacarme indescriptible. Les gosses se ruent vers la sortie, en criant comme en plein champ. La monitrice ferme les yeux pour ne pas voir cette scène affolante. Maryse, qui est restée tranquille dans son coin, observe avec quelque crainte ces galopins si mal élevés. Jamais elle n’oserait hurler comme eux. Pourtant, elle leur voue déjà une certaine reconnaissance car elle pense bien recouvrer par leur moyen sa chère valise qui lui fait tellement défaut.
Le lendemain, à l’heure dite, la salle est pleine à craquer d’une bande plus bruyante que jamais, Tante Emma aura beaucoup à faire pour dominer ce bataillon en délire.
Tous les participants de la veille sont là, doublés de quelque Pierrot de leur quartier. Comme il fallait s’y attendre, ils ne répondent pas tous au signalement donné la veille. Il y a des blonds, des tout jeunes qui, un peu dépaysés, se demandent avec anxiété ce qui va leur arriver. De son côté, la monitrice multiplie ses gestes pour apaiser ce petit monde qui braille sans mesure. Pourra-t-elle placer un mot cet après-midi ?
Comme elle n’y parvient pas, elle installe Maryse sur la chaise devant eux : la salle est brusquement plongée dans le silence.
— Maryse va bien vous regarder les uns après les autres, pour voir si elle reconnaît Pierrot, dit Tante.
Maryse, avec un grand sérieux, les lèvres serrées, dévisage l’assistance qui la regarde. Elle promène ses regards de gauche à droite et de droite à gauche, l’air de plus en plus soucieux. Elle ne voit pas son Pierrot… D’ailleurs, elle le savait bien car elle avait observé l’entrée des gosses, tout à l’heure.
— Non, il n’y est pas, dit-elle avec une moue attristée à la fin de cette inspection.
— Tu es bien sûre !
— Oh ! oui !
— Qui connaît Maryse ? questionne la monitrice.
Toutes les mains se lèvent.
— C’est bien !
Tante Emma ne va pas renvoyer tout ce petit monde comme ça ; ce n’est pas tous les jours qu’elle a autant d’enfants dont la plupart sont là pour la première fois. Aussi après un petit chœur, chanté avec entrain, qui conquiert les nouveaux venus, Tante Emma, avec son talent coutumier, raconte l’histoire de Joseph devant un auditoire suspendu à ses lèvres.
Ce jour-là, malgré l’absence du Pierrot de Maryse, Tante eut une magnifique réunion, la plus belle de l’année.