La première conclusion concernant la vraie méthode scientifique que nous ayons à déduire de la critique précédente des méthodes monistiques, c’est que toute science doit procéder de l’investigation patiente des faits ressortissants à son domaine. C’est le principe que Bacon a remis en honneur au XVIe siècle, en l’opposant à l’apriorisme en faveur dans les âges antérieurs, et qui a renouvelé la science moderne.
Nous avons déjà mis hors de cause les mathématiques, qui sont, selon nous, avec la logique, les seules sciences absolument exactes et exemptes de toute chance d’erreur, mais qui sont les seules aussi dont l’objet, étant l’abstraction pure, n’existe pas dans la réalité.
La donnée première de toute science concrète, disons-nous, ne peut être que le fait, tel qu’il se livre à une observation complète et impartiale ; et cette première opération étant terminée, le fait étant reconnu et constaté, la science acceptera cette donnée avec soumission et bonne foi, c’est-à-dire sans en rien retrancher ni y rien ajouter de ce qui pourrait modifier le résultat cherché ; elle tiendra pour sacré ce dépôt qu’elle ne pourrait altérer ou détourner de sa destination normale sans mentir à la vérité et à elle-même. C’est ce que signifie d’ailleurs le mot observer, si nous en consultons l’étymologie : servare, conserver. C’est le procédé conservateur, descriptif ou empirique de la science.
Une fois les faits et tous les faits nécessaires acquis à la science, commence la seconde opération, celle du classement de ces faits, qui seront rapportés les uns aux autres comme causes à effets, et subordonnés comme causes et effets à des lois. C’est ici que commence le procédé synthétique, après, dis-je, et non avant l’observation des faits. Il faut connaître d’abord, comprendre ensuite ; d’abord la connaissance et la constatation des faits, ensuite l’intelligence des rapports qui les unissent ; d’abord la recherche du Quoi ; ensuite, celle du Comment et celle du Pourquoi.
On pourra nous contester le droit de rattacher comme nous venons de le faire les causes efficientes, soit la catégorie étiologique, à l’ordre idéel, tout en classant dans l’ordre nouménal la catégorie téléologique. L’on nous objectera que la succession, même constante, de deux faits, n’oblige pas plus la raison à rapporter l’antécédent au conséquent comme cause à effet, qu’à introduire une finalité entre deux faits appareillés. Sans nous mettre en grands frais d’argumentation, il nous suffira de constater qu’à moins d’être docteur en philosophie, quiconque s’aviserait de nier que deux faits constamment successifs l’un à l’autre, soient cause et effet, passerait certainement pour fou dans la société de ses semblables, tandis que la question des causes finales est restée jusqu’ici ouverte, non pas entre croyants, mais entre savants, et même entre gens intelligents.
Toute méthode vraiment scientifique peut donc être qualifiée empirique-synthétique : empirique, en tant que fondée sur l’observation des faits ; synthétique, en tant qu’aspirant à la compréhension de ces faits par la conception de la loi qui les domine.
Mais ces deux opérations essentielles supposent, avons-nous dit d’avance, comme d’ailleurs l’acquisition de toute connaissance utile, le concours de deux au moins de nos facultés primordiales, et souvent de toutes les trois. C’est ce qu’il nous sera facile de démontrer en appliquant nos principes à chacun des degrés principaux de la hiérarchie de savoir.
Nous classons provisoirement les sciences dans deux grandes familles : celles qui ont pour objet les êtres et les faits qui constituent la nature sensible, et nous les réunissons sous le titre de : Sciences physiques. Et nous leur opposons ici les Sciences philosophiques et à leur sommet la Métaphysique, qui ont pour objet tous les êtres et les faits de l’ordre supersensible dans le domaine de la première création. Les principaux objets des sciences philosophiques sont l’humanité considérée comme une collectivité d’individus pensants et voulants, l’ordre moral, et Dieu, la Cause suprême.