1 Mes frères, que la foi en notre Seigneur de gloire Jésus-Christ ne soit pas mêlée à des acceptions de personnes ! 2 Car s’il entre dans votre assemblée un homme avec des bagues d’or, en habits magnifiques, et qu’il entre aussi un pauvre, en méchants habits, 3 et que, levant le yeux vers celui qui porte les magnifiques habits, vous lui disiez : « toi, assieds toi ici honorablement ! » Puis que vous disiez au pauvre : « toi, tiens-toi là, ou assieds-toi ici, au-dessous de mon marchepied ! » — 4 n’êtes vous pas alors divisés au dedans de vous-mêmes et n’êtes-vous pas des juges à pensées iniques ? 5 Ecoutez, mes frères bien-aimés : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres du monde, qui sont riches en foi et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ? 6 Mais vous, vous avez méprisé le pauvre. Ne sont-ce pas les riches qui vous oppriment, eux qui vous traînent devant les tribunaux ? 7 Ne sont-ce pas eux qui blasphèment le beau nom dont vous avez été appelés ?
Il a déjà été question de la disproportion qui existait dans ces communautés chrétiennes entre le grand nombre de pauvres et le petit nombre de riches. Les diversités et inégalités naturelles soit de fortune, soit de condition, ne devaient pas, il est vrai, disparaître entièrement sous l’économie de l’Evangile, mais elles devaient devenir moins sensibles, être en partie nivelées par l’amour qui rapproche tous les hommes, et même devenir pour beaucoup une occasion heureuse d’exercer cet amour. Si la première effusion de l’esprit chrétien fit naître, pour un moment, une communauté de biens proprement dite, ce qu’il est difficile de déterminer, toujours est-il que cette organisation ne pouvait être que momentanée ; elle répondait à la première explosion de ce sentiment d’amour réciproque qui, fondé sur une communauté de foi, d’espérance et de vie, absorba d’abord toutes les diversités secondaires. Mais un tel état de choses ne pouvait être durable. Après cette période d’enthousiasme et d’entraînement général, causés par ce sentiment si nouveau et si puissant de la fraternité chrétienne, l’inégalité qui est dans la nature même des choses, ne tarda pas à reparaître et l’instinct de la propriété reprit ses droits. Mais ce qui ne devait point passer, c’est l’amour chrétien qui, réunissant tous les frères en un seul corps, les habituait à n’être qu’un cœur et qu’une âme, et qui attentif à tous les besoins, faisait en quelque sorte du bien de chacun le patrimoine de tous. Or, cet amour faisait défaut parmi les chrétiens auxquels s’adresse Jacques. Le sentiment de l’égale et sublime dignité dont sont revêtus indistinctement tous les chrétiens, bien loin de faire disparaître les inégalités de position et de fortune, disparaissait souvent lui-même devant elles. Jacques s’élève contre cette aristocratie anti-chrétienne : Mes bien-aimés frères, que la foi en notre Seigneur de gloire Jésus-Christ ne soit pas mêlée à des acceptions de personnes. Il montre ici combien, en estimant les chrétiens d’après leurs avantages terrestres, on s’éloigne de l’esprit de l’Evangile et de la foi en Jésus-Christ, le Seigneur de gloire. En effet, quiconque reconnaît Jésus-Christ comme tel, doit considérer comme un si grand honneur de lui appartenir, qu’auprès de cette gloire-là tous les avantages extérieurs, quels qu’ils soient ; s’effacent et s’anéantissent. Telle est la gloire qui est en Jésus-Christ, et qu’il offre à tous ses disciples, qu’elle éclipse à elle seule tout éclat terrestre.
Jacques entre alors dans les détails du reproche général qu’il vient de leur adresser : Car s’il entre dans votre assemblée un homme avec des bagues d’or, des habits magnifiques, et qu’il entre aussi un pauvre en méchant habit, et que levant les yeux vers celui qui porte les magnifiques habits vous lui disiez ! Toi assieds-toi ici honorablement ; puis que, vous disiez au pauvre : Toi, tiens-toi là, ou assieds-toi ici, au dessous de mon marchepied, n’êtes-vous pas alors divisés au dedans de vous-mêmes, et n’êtes-vous pas des juges à pensées iniques ? Le terme original que nous avons traduit par « être divisé en soi-même » indique l’état d’une partie tourmentée par des hésitations, des incertitudes, des pensées qui se combattent entre elles ; comme il arrive lorsque la simplicité de la foi est troublée et que des considérations qui lui sont étrangères, des préoccupations mondaines viennent étouffer l’intérêt suprême qui devrait seul fixer les regards du chrétien. Dans le cas actuel, par exemple il s’agit de ce point de vue mondain d’après lequel on accorde à l’un une préférence non motivée tandis que l’on retire à l’autre l’estime à laquelle il a droit, comme membre de l’Eglise chrétienne. Rien de plus opposé à l’esprit évangélique qui doit faire considérer tous ceux qui appartiennent à l’Eglise comme dignes d’un égal honneur. Ce sont là les « pensées iniques » dont parle Jacques au verset quatrième lorsqu’il dit : « Vous êtes des juges à pensées iniques. »
Avant d’abandonner ce sujet, il jette un coup d’œil sur la propagation du christianisme à cette époque, et prouve à ses lecteurs, par des exemples vivants, que leur manière de juger est, de tous points opposée à l’esprit chrétien. A qui est échue principalement la gloire immense de la vocation chrétienne ? A qui les insondables trésors de la foi ont-ils été d’abord ouverts ? A qui l’héritage du royaume des cieux a-t-il été accordé ? Précisément aux pauvres de ce monde. Et ces pauvres que Dieu a souverainement élevés, en les appelant à la connaissance de l’Evangile, les riches osent les mépriser ! Ecoutez, mes frères bien-aimés : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres du monde qui sont riches en foi et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ? Mais vous, vous avez méprisé le pauvre. Lorsque Jacques déclare que le royaume de Dieu est promis à ceux qui l’aiment, il est évident qu’il ne parle pas d’un amour de Dieu indépendant de la foi chrétienne ; il ne peut vouloir parler que de l’amour chrétien ; or celui-ci a pour condition nécessaire la connaissance des miséricordes divines qui ont été révélées en Christ notre Rédempteur et dont nous avons fait nous-mêmes, par le Saint-Esprit, l’expérience intérieure.
En face de ces pauvres parmi lesquels l’Evangile a surtout trouvé accès, Jacques place les riches, leurs oppresseurs, qui les traînent devant les tribunaux, sinon pour motif de foi, du moins afin d’exercer contre eux leurs exactions, et qui outragent le nom sacré de Chrétiens qu’ils se glorifient de porter : Ne sont-ce pas eux qui blasphèment le beau nom dont vous avez été appelés ? Nous pensons que les riches dont il est question ici, étaient des ennemis déclarés du christianisme. Jacques profite, pour appuyer ses exhortations, de ce fait qu’enseignait l’expérience de tous les jours, savoir, que les riches persécutaient ouvertement les chrétiens et le christianisme, tandis que les pauvres étaient ouverts à son influence. Il ne serait cependant pas impossible qu’il s’agisse ici de riches qui, tout en portant le nom de chrétiens, outragent le nom de Christ par leur conduite. Mais la première interprétation convient mieux au contexte, en ce que l’opposition établie entre les deux classes que Jacques met en présence est plus tranchée.