Bien qu'il ait consacré aux non chrétiens la plus grande partie de sa vie, Sundar Singh n'a pas négligé les chrétiens, et il accomplit en ce moment [1], parmi les peuplades christianisées de l'Inde, une œuvre unique. C'est l'Inde méridionale qui lui fournit à cet effet un immense champ de travail, les auditeurs affluant à ses réunions par milliers, sans distinction de sectes ou de credos.
Son travail est aussi varié qu'intense. Souvent, au cours de ces derniers mois, il se mettait à l'œuvre dès l'aube jusque tard dans la soirée, ayant à peine le temps de prendre ses repas, et même d'étudier son Nouveau Testament. Là où il avait passé plusieurs jours, ses auditeurs se reposaient après son départ comme après un repas copieux ; mais nulle part on ne semblait se douter que le sâdhou lui-même eût besoin de repos.
A de longues journées fort remplies succédaient de fatigants trajets nocturnes par bateau, par vagon à bœufs ou par chemin de fer. A peine arrivé, le travail recommençait de bon matin, consistant non seulement dans des réunions publiques (matin et soir d'habitude), mais aussi dans des réceptions journalières. Durant des heures, des interviews étaient accordés à quiconque se présentait : conseils requis, problèmes religieux à résoudre, discussions et requêtes de la part des païens, tantôt isolés, tantôt en groupes nombreux, tout cela se présentait tour à tour.
Ce qui montre l'importance et la valeur de ces rencontres particulières, c'est le nombre croissant de ceux qui les recherchent, à mesure que se prolonge le séjour du sâdhou dans une localité, et c'est aussi le témoignage de ceux qui en bénéficient.
Dans un endroit où les gens venaient en foule réclamer les conseils du sâdhou, un étudiant logé dans le même hôtel que lui se fit un plaisir de lui servir pour ainsi dire de concierge. Il prit la clef de la porte de Sundar Singh, de façon à lui garantir un peu de répit et de liberté, au moins pour ses repas et son culte personnel. Aussi notre sâdhou regardat-il ce temps comme particulièrement reposant. Là où il y a un collège ou une école supérieure, il s'y rend entre les réunions du matin et du soir pour parler aux étudiants.
Les invitations destinées à lui faire rencontrer de nombreux chrétiens à table ne laissent pas que d'ajouter encore à sa fatigue. C'est que dans le sud qu'il a de plus à se débattre avec la difficulté de la langue. Là où l'anglais est suffisamment connu, cela va bien, mais il est nombre de cas où il faut un interprète, et il en est de plus ou moins capables. Pour un tempérament aussi ardent, pour un homme si plein de son message et si passionné dans son amour pour les âmes, l'obstacle provenant de la diversité des langues doit être des plus pénible, mais il n'y paraît guère, et ses auditeurs n'en sont pas moins heureux et reconnaissants d'obtenir quelque bénédiction, même au moyen d'un interprète.
Il ne cherche point à se créer des imitateurs serviles. Il maintient, non sans raison, que nul ne doit s'embarquer dans une vie de sâdhou sans y être clairement appelé par Dieu. Les conseils qu'il donne sont toujours pleins de sagesse, de pondération et de bon sens, toujours appropriés aux besoins. L'exemple de sa pieuse mère et de l'éducation qu'elle lui a donnée lui est d'un secours constant dans ses entretiens avec les femmes. « Si une mère païenne a pu en faire autant pour son fils, aime-t-il à dire, combien plus vous, mères chrétiennes. »
Attaché comme il l'est au Nouveau Testament, il parle de ceux qui l'aiment mieux que lui, puisqu'ils ne l'ont pas comme lui déchiré et jeté au feu, mais ont appris à l'aimer et à le révérer. Qui sait combien de consciences ont été réveillées par des remarques de ce genre ?...
Bien souvent, au cours de ce séjour au sud, des Hindous sont venus le voir pendant les heures silencieuses de la nuit, et c'est « très volontiers » qu'il « dépense et se dépense » pour les âmes pendant que d'autres dorment. Il a aussi à faire face à une vaste correspondance, et le nombre de ceux qui réclament ses prières est légion. Aussi a-t-il visiblement maigri pendant cette tournée au sud, et il paraît souvent à bout de forces, quoiqu'il se dise bien portant et seulement fatigué par son grand travail.
Les milliers de chrétiens qui l'ont vu se rendent compte de ce que Dieu peut faire d'un homme qui s'abandonne corps et âme à son Sauveur, et ils ne se rassasient pas de le voir. Partout où il a passé, on l'a accueilli avec allégresse, lui et son message, regrettant seulement qu'il ne pût pas rester pour consolider son œuvre. Dieu seul sait quelle en est la profondeur et l'étendue, mais tous sont d'accord pour reconnaître qu'il est venu au bon moment, et que c'est Dieu qui l'a envoyé mettre sous les yeux des hommes l'idéal vécu d'une vie d'entier abandon à Christ et de renoncement complet à soi pour son service.
Les six semaines passées par Sundar Singh à Ceylan ont été si remplies et ont eu un tel succès, au meilleur sens du mot, qu'il faudrait bien des pages pour en rendre compte. Des extraits de lettres donneront quelque idée de ce qu'il a pu faire et de l'impression qu'il a laissée.
Ce qui ne contribua pas peu à ce succès, c'est le fait que sa visite avait été préparée par un comité d'organisation formé de missionnaires, de ministres et de laïques représentant toutes les dénominations protestantes de Colombo.
M. R. Wilson, la cheville ouvrière de ce comité, nous écrit :
« Les réunions ont attiré des auditoires immenses. Elles étaient annoncées pour six heures, mais on arrivait déjà à trois heures. Catholiques et païens venaient en foule ; jamais assemblées politiques n'avaient attiré de semblables multitudes. On venait de plus de soixante kilomètres de distance pour l'entendre, et il a laissé une impression profonde. »
Voici ce qu'en dit un autre ami :
« La « mission » du sâdhou a attiré des foules énormes, formées de mahométans, d'Hindous, de boudhistes, de catholiques et de protestants de toutes dénominations. L'impression produite par sa personnalité et par son message sur ceux qui l'ont vu et entendu est profonde.
Le Rev. G. G. Brown, de la mission américaine de Jaffna, essaye de préciser les raisons diverses de ce succès sans précédent :
« Depuis bien des mois, dit-il, la population de Jaffna, et spécialement la communauté chrétienne, attendaient la visite du sâdhou Sundar Singh. Il vient d'arriver et les foules affluent à ses réunions. On peut déjà se faire quelque idée de l'homme et de son message. Voici quelques-uns des points qui m'ont frappé :
En l'entendant parler de la prière, un Hindou cultivé dit : « C'est vraiment un guru (maître) spirituel, j'espère qu'il me donnera quelque lumière. »
Il tenait souvent trois réunions d'un jour, sans parler des interviews, et cependant il souffrait tellement de la chaleur qu'en écrivant à un ami du nord, il se comparait à un morceau de sel en train de fondre, ajoutant qu'il s'y résignait de bon cœur, si seulement le sud en était salé.
A Colombo, ce fut par centaines que des gens ne purent même pas arriver jusqu'aux portes du local et que dès l'aube jusque tard dans la nuit ils vinrent lui demander aide et conseil. Les journaux étaient remplis de comptes-rendus de ses réunions, et son nom était sur toutes les lèvres. Il n'y voyait, quant à lui, qu'une occasion magnifique de prêcher Christ.
Au prix de quelles fatigues ? Il est seul à le savoir. Son calme au milieu de ces multitudes qui envahissaient jusqu'à ses heures de repos ne laissait jamais percer la souffrance que lui infligeait pareille publicité.
Dans les vastes solitudes des Himalayas neigeux, Sundar Singh a passé des mois dans le tête-à-tête avec Dieu. Même ces plateaux inhospitaliers du Thibet, balayés par les vents, et dont les rares habitants repoussent son message et le chassent affamé dans le désert, lui fournissent l'occasion de jouir de ces expériences sublimes dont il ne parle guère, mais qui scellent sa vocation divine et lui manifestent la sollicitude de Dieu quand les hommes l'abandonnent.
Il a pendant des mois parcouru solitairement des régions rarement foulées par un pied humain ; il a appris à aimer ces pics sourcilleux où il contemple les œuvres puissantes de Dieu et où il entend fréquemment le murmure doux et léger. Il n'y a pas seulement contemplé des visions, il y a aussi recueilli de la puissance en vue de son grand ministère au milieu des foules. Et tandis que son âme sensible tourne ses désirs vers ces solitudes bénies, il passe indemne au travers d'innombrables tentations, et au sein même de l'adulation des hommes, il garde intactes sa douceur et la simplicité de sa vie de renoncement.
Dans son langage imagé, il comparait l'Inde à un géant dont l'Himalaya figurait la tête et l'Inde méridionale les pieds. Mettant le doigt sur le point faible du christianisme méridional, il disait : « C'est avec les pieds des chrétiens du sud que le christianisme devrait marcher et progresser ; mais, hélas ! si les pieds sont bien là, forts et en apparence bien conformés, ils ne sont pas capables de marcher, Qu'est-ce qui S'y oppose ? C'est comme pour un homme que j'ai vu un jour en Cochinchine, il y a la lèpre à ces pieds, et cette lèpre c'est l'esprit de caste. »
Qui peut en parler plus sciemment que lui ? Comme Paul, qui se disait Hébreu né d'Hébreux, le sâdhou peut se dire Sikh né de Sikhs ; mais, par toute sa manière de vivre, il proclame aussi : « Loin de moi la pensée de me glorifier d'autre chose que de la croix de Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde ! »
Dans sa tournée à Ceylan et dans le sud de l'Inde, le sâdhou a fait retentir son appel, si puissamment étayé de son exemple. « Soyez mes imitateurs », au moins sur ce point spécial, a-t-il le droit de dire. Oh ! quand l'Église hindoue le comprendra-t-elle et se débarrassera-t-elle de ses chaînes séculaires pour jouir enfin de cette plénitude de vie dont parle constamment Sundar Singh et qui est sa vie ? Alors seulement il lui sera possible d'accomplir sa tâche glorieuse, de gagner l'Inde à son Seigneur.
La visite du sâdhou aux Églises du sud est chose faite. Il est allé en voir d'autres. Des milliers ont eu le cœur touché et profondément remué par son message et par sa personnalité. Jamais encore sans doute aucun homme n'avait pareillement attiré l'attention et la sympathie des Églises de l'Inde.
Que de gens l'ont supplié de prier pour eux, de visiter leurs malades, de bénir leurs enfants ! Combien ont trouvé quelque soulagement en touchant simplement son vêtement ! A mesure qu'il s'avançait dans sa tournée, pareilles requêtes allaient se multipliant, et le bruit des guérisons opérées par son attouchement ou par ses prières prit une telle consistance qu'il se vit obligé de refuser d'aller faire des visites à domicile, de peur de favoriser la croyance superstitieuse en son pouvoir miraculeux. A ceux qui imploraient sa bénédiction, il répondait invariablement : « Comment ces mains pourraient-elles bénir, ces mains qui ont déchiré et brûlé la Parole de Dieu ? »
Les armes du sâdhou ne sont point charnelles. C'est par son message et par son vivant exemple qu'il s'efforce d'amener les autres à suivre ses traces ; c'est à force de tendre amour qu'il tâche de les persuader d'aller à leur Sauveur.
Plus puissant que la bénédiction de ses mains et que le charme de sa personnalité est le désir intense de son cœur d'amener les chrétiens de l'Inde et de Ceylan à devenir enfin d'authentiques disciples de Jésus-Christ.
Levons-nous, et « par Sa grâce » soyons les imitateurs de Sundar Singh comme il l'est lui-même de Christ...
A propos de cette tournée à Ceylan, M. K. R. Wilson écrit :
« C'est le 29 mai 1918 que le sâdhou Sundar Singh est arrivé à Ceylan, et il en est reparti pour l'Inde le 11 juillet après une tournée d'environ six semaines, qui lui permit de visiter Jaffna, Colombo, Kandy et sept autres localités, puis de repasser par Colombo en repartant pour la péninsule.
Il est probable que jamais les temps modernes n'ont vu les populations secouées dans leur torpeur par une œuvre d'évangélisation comme elles l'ont été par cet Hindou chrétien vêtu en sanyasi et prêchant le simple message de Christ ressuscité. Chrétiens ou non, les auditeurs accouraient en foule telle que partout les salles étaient trop petites.
Il prêchait en ourdou, et on traduisait en anglais et en tamil. Personne ne pouvant traduire directement en cingalais, on fit un essai malheureux de traduction de l'ourdou en anglais et de l'anglais en cingalais, et l'on comprit qu'il fallait renoncer aux réunions de Cingalais ne comprenant que leur langue.
Outre les réunions publiques, il y eut un peu partout bon nombre de réunions de salons, ce qui permit à bien des gens de l'entendre qui ne l'auraient pu sans cela.
La remarquable personnalité du sâdhou éveillait partout un intérêt extraordinaire et donnait une grande puissance à ce qu'il disait. De sa personne dégageait comme une émanation d'énergie spirituelle qui le faisait aussitôt reconnaître pour un envoyé de Christ chargé d'un message spécial. Il a provoqué, tant parmi les chrétiens que dans le reste de la population, un réveil dont il est impossible d'évaluer l'importance. Il n'y a pas de doute que l'impression profonde produite par la prédication du sâdhou portera du fruit en abondance, et déjà l'on en peut recueillir les prémices dans un sentiment plus juste et plus profond de ce que doit être la piété. »
Parmi d'autres lettres et témoignages de reconnaissance, citons encore ces lignes datées de Colombo, le 22 juin 1918 :
« On dirait vraiment le portrait d'un apôtre ; il nous semble que c'est un second Jean-Baptiste, chargé par Dieu de proclamer son message de salut pour l'Orient avant le retour du Seigneur. Si possible, tâchez de lui faire prolonger quelque peu son séjour dans notre île, avec la permission de Dieu, pour que beaucoup puissent encore entendre cet homme de Dieu. Ce qu'il y a de beau chez lui, c'est qu'il est si humble, sans aucune prétention, et parfaitement oriental et naturel. On prie beaucoup pour lui, pour qu'il soit gardé dans le creux de Sa main. »
En juillet 1918, le sâdhou rentra aux Indes, où il fut pris par la grippe. « Dieu, dit-il, m'a donné pendant la maladie le repos et le temps nécessaires pour la prière, ce que je ne pouvais pas avoir dans le Sud. »
Appelé à passer en Birmanie et aux Straits Settlements, il entreprit de délivrer son message en anglais, et étudia cette langue pour éviter les inconvénients des traductions. A Rangoon, on se préoccupa de le faire aller en Chine et au Japon. Il accepta ce projet, mais avec la résolution de rester fidèle à la foi de sa jeunesse dans la parole de Jésus : « Ne soyez pas en souci pour votre vie de ce que vous mangerez et de quoi vous serez vêtus. » Il ne prit pas d'argent, et on vit des trains s'arrêter à des stations intermédiaires, et des bateaux retarder leur départ pour pouvoir le prendre. Ses discours ont été traduits parfois par deux ou trois interprètes successifs en tamil, malais et chinois. « Il nous a appris à prier, écrit un auditeur, et nos prières sont complètement différentes maintenant. » Un journal écrit au même moment : « Son apologie passionnée de la foi chrétienne gagne les cœurs de ses nombreux auditeurs. »
C'est le 2 janvier 1919 que, pour la première fois, se trouvant à Singapoore devant un auditoire où personne ne pouvait le traduire de l'hindoustani, il se hasarda à parler en anglais, ce qui lui a permis, par la suite, d'exercer son action en tant de lieux.
Au japon, il fut péniblement impressionné par le matérialisme et par l'indifférence générale à l'égard de la religion. Le pasteur japonais Takaharu Takamatsu, d'Okasaki, écrit : « Il a communiqué un esprit nouveau à beaucoup de missionnaires américains, à Kioto, mais les pasteurs indigènes ont été je crois, encore plus impressionnés. »
En Chine, le sâdhou constata que le peuple était encore attaché à ses anciennes croyances, et capable d'un plus grand développement spirituel. Il fut frappé de voir à quel point, dans ces deux pays, l'absence de la caste facilite la conversion, socialement parlant.
Comme l'été avançait, le sâdhou rentra à Simla, et de là à Sabathou pour reprendre sa campagne annuelle d'évangélisation dans son pays d'élection, le Thibet, et pour se retrouver en présence de Dieu dans les régions neigeuses de l'Himalaya. Il était en compagnie d'un Thibétain chrétien du nom de Thaniyat.
Voici quelques lignes d'un rapport du sâdhou sur ce voyage : « Le 15 juillet 1919, nous sommes arrivés au col de Hangpula, qui a près de 6000 m. (19 000 pieds). A cause de l'altitude, nous pouvions à peine respirer, la tête et les poumons nous faisaient mal et les battements de nos veines résonnaient à nos oreilles. Il y a là un grand glacier où beaucoup de voyageurs ont déjà perdu la vie. » Les périls n'ont pas été moindres pour la traversée des rivières, ou de la part des voleurs.
Les ermites du Thibet mènent la vie la plus extraordinaire qui se puisse imaginer ; le sâdhou a pu leur laisser quelques feuillets de l'Évangile. Il espère faire d'un jeune homme de ce pays un évangéliste pour son peuple [2].
A son retour du Thibet, le sâdhou arriva le 10 octobre 1919 à Ludhiana, après avoir traversé le Pendjab ; il se rendit dans son village natal de Rampur. Il y avait quatorze ans qu'il n'avait pas revu son père ! Ce dernier avait fait plus d'une tentative pour ramener son fils à la foi de ses ancêtres. « Je n'ai pas besoin, lui écrivait-il un jour, de te demander ce que tu penses, mais je te donne l'ordre de te marier tout de suite. Ne peux-tu pas servir ton gourou (maître), le Christ, en étant marié ? La religion chrétienne enseigne-t-elle la désobéissance aux parents ? » Le père de Sundar lui avait offert une forte somme d'argent, si seulement il voulait maintenir le nom de la famille et abandonner son accoutrement de mendiant. Aussi la reconnaissance et l'émotion du sâdhou furent-elles profondes quand il apprit, à son arrivée à Rampur, que ses prières étaient exaucées. Son père, blanchi par l'âge, le reçut avec joie et lui exprima le désir d'être baptisé par lui. Le sâdhou, qui avait refusé de le faire pour des milliers de personnes à travers l'Inde, ne crut pas pouvoir céder à cette émouvante requête.
A la fin de 1919, quelques amis du sâdhou apprirent qu'il projetait un voyage en Angleterre. Son père, en signe de joyeuse réconciliation, en paya les frais. Le sâdhou n'a pas manqué d'entendre les objections de ceux qui ont demandé pourquoi il se détournait des Indes pour l'Europe. Il répond :
« Une nuit, pendant que j'étais en prière, j'ai entendu un appel à aller prêcher en Angleterre. » Une seconde raison semble avoir été le désir de se rendre compte par lui-même si, comme on le lui disait aux Indes, le christianisme a vraiment perdu son empire en Europe.
Il quitta Bombay le 16 janvier 1920. Le séjour du sâdhou dans les divers milieux qui l'appelèrent en Angleterre produisit partout la même impression, que ce fût chez les Quakers, dans leur collège missionnaire de Selly Oak, près Birmingham, chez l'archevêque de Cantorbéry, ou devant sept cents pasteurs de l'Église anglicane à Londres. M. Hoyland, directeur du collège missionnaire de Selly Oak écrit : « Il n'est pas seulement au-dessus des nationalités, mais aussi au-dessus des églises. Il ne trouve aucun intérêt dans tous nos ismes. » Le Christ et la croix passent avant tout.
A la fin de mars, le sâdhou se rendit à Paris et prit la parole dans deux réunions de la Mission de Paris. Il passa en Irlande et en Écosse et revint en mai à Londres pour les grandes assemblées religieuses annuelles. L'assemblée de la Mission de l'Église anglicane groupa à Albert Hall 10 000 personnes et beaucoup durent rester dehors. Un enfant, qui avait entendu le sâdhou, disait : « Il parle en paraboles, comme Jésus », et le Dr Garvie l'a caractérisé par ces mots appliqués autrefois à Jésus « Il ne leur parlait pas sans paraboles. »
M. Jean Fleury, missionnaire à Sumaddi, dans les Mahrattes du Sud, aux Indes, ayant eu l'occasion de rencontrer le sâdhou à Londres, au printemps 1920, et de s'entretenir avec lui, écrivit les lignes suivantes :
« Cet homme est une prédication vivante. Je n'ai jamais rencontré personne qui autant que lui fasse voir Jésus.
Sa vie intérieure se traduit sur son visage qui, en toute circonstance, est d'un rayonnement qu'on peut qualifier vraiment de céleste. Chaque fois que je l'ai entendu parler en public, chaque fois aussi sont revenus sur ses lèvres les mots de « paix et de joie inexprimables » pour décrire les beautés d'une vie complètement en communion avec Dieu, dévouée absolument à son service. La lumière intérieure jaillit de lui sans effort, parce qu'il n'a aucune autre préoccupation que Dieu et sa volonté.
C'est un saint. Mais cette affirmation l'attristerait, car à lui s'applique entièrement le « Il faut qu'Il croisse et que je diminue. »
La première chose qui m'ait frappé en effet chez Sundar Singh, avant même qu'il ouvrît la bouche pour parler en public, c'est précisément son humilité. Elle se marquait déjà dans la façon dont il s'avançait sur l'estrade ou montait en chaire. Puis, sous l'avalanche d'éloges que les divers présidents de séances lui décernaient immanquablement, on pouvait le voir, la tête entre les deux mains, priant Dieu, sans doute, d'être gardé humble. Il s'efface, afin que ses auditeurs ne voient plus que Jésus seul.
Ce qui frappe ensuite, c'est la joie absolument inouïe qu'on peut lire sur son visage. Aucune photographie ne dira la beauté de son sourire, ce merveilleux sourire dont le souvenir me poursuit.
S'il fait voir Jésus par une vive transparence de consécration absolue, il le rappelle aussi par certains traits extérieurs :
Je mentionnerai d'abord le même genre de vie. Sundar Singh va au jour le jour, par la foi. Il ne sait pas s'il aura un gîte le lendemain, ou de quoi manger. Peu importe, il sait que son Père céleste y pourvoira, du moment qu'il s'est confié à Lui entièrement. On m'a dit qu'il avait eu faim quelquefois à Londres (je ne sais trop ce qu'il y a de vrai là, mais c'est possible), car il ne demande pas de nourriture. Si personne ne pense à l'inviter, il jeûnera et voilà tout ; il sera content d'être par là plus près de son Maître qui, lui aussi, eut faim. Si par contre on lui offre un repas, il l'acceptera avec reconnaissance et bon appétit. Il ne permet pas aux soucis pour le lendemain de troubler la sérénité de son âme.
Sundar Singh est un ascète, sans doute, mais j'ai été frappé de la simplicité de cœur avec laquelle il reçoit toute chose comme de la main de son Dieu. Ce n'est pas un ascète farouche qui s'en tiendrait strictement à une austère ligne de conduite tracée. Non, un trait frappant chez le sâdhou, c'est précisément son naturel extrême.
Je le revois à table à l'Indian Student's Hostel, jouissant de la compagnie de ses compatriotes ; il n'avait rien de gêné sur son visage... Et je repense alors à Jésus mangeant et buvant avec ses disciples et si simplement heureux au milieu d'eux qu'il compare cette tablée à une noce où il aurait été l'Époux (Marc 9.14 et 15). Eh bien, le sâdhou est un peu comme celui qui se faisait traiter par les pharisiens d'alors, de « mangeur et buveur ».
Je le revois aussi, assis dans un fauteuil au coin du feu, devant la grande cheminée de l'Hostel et causant si naturellement avec tous ceux qui désiraient lui parler, car Sundar Singh est un ascète gentleman, d'une vraie distinction naturelle, d'une exquise politesse... Loin de sentir mon admiration pour lui s'amoindrir de ce fait-là, je me suis senti encore plus attiré par lui. Ce saint devenait tout d'un coup si humain, si près des autres hommes, sans rien perdre pour cela de sa hauteur spirituelle. On sent que tout ce qu'il fait, il le fait à la gloire de Dieu, comme une action de grâces. Qu'il se recueille devant Dieu ou qu'il prenne un repas, c'est le même naturel ; il fait tout avec joie et simplicité de cœur.
Lui, si humble, il parle avec autorité quand il s'agit de délivrer son message. Je ne puis parler de la prédication du sâdhou, car il déclare lui-même d'emblée : « Je ne prêche pas, je ne fais que rendre témoignage à mon Maître. » Il ne veut pas d'autre titre que celui de témoin de Jésus-Christ. Il parle avec une grande simplicité. Je ne l'ai pas entendu donner de l'Évangile une interprétation inédite. Ce qu'il apporte, c'est ce vieux message que nous connaissons depuis notre enfance, dans nos pays christianisés, mais qui est toujours neuf pour les âmes assoiffées. Et puis, ce vieux message acquiert une force singulière et toute nouvelle dans la bouche de cet Oriental qui a lu le Nouveau Testament comme un livre inexploré à l'âge où l'on est déjà capable de réfléchir et qui nous le rapporte présenté avec une compréhension étonnante.
Sundar Singh a un christianisme nettement expérimental. « Je proclame que l'Évangile de Jésus-Christ est la Vérité, dit-il, non pas parce que cela est écrit, mais parce que j'ai fait l'expérience que C'est bien la Vérité. » Il déclare que voilà la meilleure position, la position vraiment forte, inébranlable.
Ah ! son Christ, il ne faut pas que rien puisse le voiler aux yeux de ceux qui ne le possèdent pas encore ! C'est pourquoi, répète-t-il sans cesse, nos vies doivent manifester que Christ est vivant, que Christ est une réalité présente, susceptible d'être vécue. Comment voulez-vous que votre prochain regarde à Christ et se donne à lui si votre vie ne le fait pas voir ? dira-t-il franchement à ses auditeurs.
Sur ce sujet de la vie de Christ en nous, Sundar Singh ne craint pas de revenir dans chacune de ses allocutions, sous des formes, avec des comparaisons différentes. Il emploiera, par exemple, l'image du fer rougi au feu (le feu reste dans le fer dans la mesure où ce fer reste dans le feu), illustrant de cette façon la loi spirituelle du « Demeurez en moi et moi je demeurerai en vous. »
... Mais le secret de l'attraction de Sundar Singh sur les foules ne réside pas dans son éloquence quelque réelle qu'elle soit. Son secret, c'est simplement la lumière intense qui jaillit de sa personnalité et qui n'est autre que la lumière de Jésus.
Sundar Singh n'est pas d'une mission ou d'une église, il est de Christ et voilà tout !
[1] En 1918.
[2] Ce jeune homme est en effet à l'œuvre aujourd'hui.