La Nature exerce un grand attrait sur le Sadhou. Mais il ne l’aime pas à la manière de saint François qui prêchait aux hirondelles et composait son cantique à « notre frère le soleil ». Sundar ne possède pas davantage ce sentiment de la divinité immanente qui caractérise le mysticisme d’un Wordsworth. Le point de vue du Sadhou se rapproche beaucoup de celui des Hébreux. Le docteur Sanday explique le sentiment des Hébreux dans ces quelques lignes inédites qu’il écrivait juste avant sa mort : « Les Grecs étudiaient la nature ; ils l’observaient et l’analysaient pour elle-même. Disciples des Grecs, nous faisons de même. Mais les prophètes hébreux faisaient peu de cas de ces préoccupations. Ils aimaient la nature et en ont laissé de magnifiques descriptions : pourtant, la contemplation sereine de la nature pour elle-même n’était pas leur but. Ils allaient plus loin, ils voyaient en elle la création et l’expression de Dieu. En réalité, les prophètes hébreux étaient avant tout préoccupés, comme je l’ai déjà dit, des choses de l’esprit. Comme on peut tirer de la nature de nombreuses comparaisons entre la matière et l’esprit, ils en profitèrent pour expliquer à leurs auditeurs les vérités spirituelles. En un mot, ils se servirent de la nature comme symbole. »
« Les cieux racontent la gloire de Dieu et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains. » (Ps. XIX, 2.) Le Sadhou aime la nature, non seulement parce qu’il y sent la présence de Dieu, mais parce que Dieu la créa. La nature est pour le Sadhou un livre ouvert qui lui parle en paraboles des œuvres de Dieu. Il en aime la beauté, en particulier celle des glaciers étincelants de l’Himalaya. Mais c’est moins par amour de la beauté pure que par amour de ces solitudes éternelles, où il est plus facile de rester en communion avec Dieu. C’est là qu’il peut lire aisément les grandes vérités inscrites en lettres majuscules (selon son expression) dans toutes les œuvres de Dieu. Les beaux spectacles ne sont pas seuls à l’attirer. Les paysages dénudés, les étendues arides, les éléments de décomposition sont pour lui autant de paraboles divines. D’où ce terme qu’il emploie souvent : « Le livre de la Nature. »
Les génies et les saints ont peine à comprendre que les autres hommes ne voient pas ce qui leur paraît évident. Le Sadhou s’étonne que si peu de gens puissent lire dans ce livre, et trouver ainsi le réconfort et l’inspiration qu’il y puise lui-même. Les paraboles et les exemples qui illustrent son enseignement sont le fruit de cette lecture.
« Pour lire un livre, il faut apprendre péniblement la langue dans laquelle il est écrit, mais cela n’est pas nécessaire pour le livre de la création. Il est écrit dans un langage simple, accessible a tous. Vivez en Christ, et le livre de la Nature s’éclairera pour vous. »
Pour le Sadhou, c’est le délassement aussi bien que l’illumination. Quand on lui demanda ce qui le reposait de sa vie si fatigante, il répondit :
– La lecture des pages du livre de la Nature.
À l’idée de traverser la Manche pour aller à Paris, et d’avoir ainsi une nouvelle occasion d’étudier la nature, il fut rempli de joie. Il resta sur le pont, pour contempler les profondeurs bleues de la mer, et sa figure était illuminée de bonheur.
Il fait des comparaisons entre la Bible et l’univers, et cherche des contrastes :
« La Bible et le Livre de la Nature sont écrits tous deux en langage spirituel, par le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit étant l’auteur de la vie, toute la création frémissante de vie est son ouvrage, et cet ouvrage est écrit en langage spirituel. Ceux qui sont nés de nouveau ont le Saint-Esprit pour mère. Pour eux, le langage de la Bible et celui de la nature constituent la langue maternelle, langue qu’ils comprennent facilement et naturellement. »
Il est cependant une différence entre la Bible et l’univers : « Le message de la Bible est simple, direct, sans détour ; mais celui de la nature doit être épelé soigneusement, lettre par lettre. »
Dans la Bible, le Sadhou relève de nombreuses images de la nature, comme il en emploie lui-même : « Lave-moi et je serai plus blanc que la neige. » (Ps. LI, 9.)
Ou bien encore : « Il est comme un arbre planté auprès d’un courant d’eau, et qui donne son fruit en sa saison. » (Ps. 1, 3.)
Il est curieux qu’à cette occasion le Sadhou n’ait pas mentionné les paraboles de Notre-Seigneur.
On lui demanda :
– Votre étude du livre de la nature diffère-t-elle de celle des Hindous ? Les voyants hindous, les poètes des Védas n’ont-ils pas lu également les pages de ce livre ?
– Cela est exact. Mais, considérant la nature, ils ont perdu Dieu. Le mystique chrétien L’y trouve au contraire. Le mystique hindou pense que Dieu et la nature ne font qu’un. Le mystique chrétien distingue le créateur, de la nature qui est sa création.
Le Sadhou fit remarquer que pour lui le livre de la Nature comprend également l’homme. Les exemples dont il se sert sont tirés non seulement des arbres, des plantes, des animaux, des rivières et des montagnes, mais aussi des scènes variées de la vie humaine. Quoique les mobiles et les difficultés des humains fournissent d’abondants sujets d’étude à un observateur attentif et pénétrant, le Sadhou ne les considère pas avec l’œil d’un Dickens se délectant au spectacle de leur tempérament particulier, ou d’un Meredith examinant au microscope leurs plus subtiles complications. Il les regarde avec l’âme d’un prédicateur qui est aussi un artiste ; il trouve partout des sujets pour ses paraboles. Malgré l’intérêt qu’il porte aux hommes et à leurs tendances, il n’a rien d’un curieux. Il était à Oxford au moment des régates ; il fut invité à y assister, mais refusa.
Les beaux monuments et les curiosités de la ville ne l’intéressèrent pas davantage. Il prend un réel plaisir à visiter des sites nouveaux, mais avec le désir, croyons-nous, d’avoir une impression générale de l’œuvre de Dieu, et non par ce goût de l’exploration qui anime le voyageur ordinaire. Il ne craint pas de voir les villes célèbres : « Mais, disait-il une fois, je n’aime pas les villes, ce sont les pages sombres du livre de la nature. »
Interrogé sur les livres de la Bible qu’il préférait, le Sadhou répondit :
– Pour moi, la Bible est comme un morceau de sucre ; à quelque endroit que je la goûte, je la trouve également douce.
Mais, pratiquement, il fait des distinctions, Le Nouveau Testament constitue principalement sa nourriture spirituelle. Le petit format du volume lui permet de l’emporter partout. Le Sadhou a une version hindoue, et ce petit livre constitue, avec sa robe et sa couverture, son unique bien terrestre. Dans ses discours, il cite bien souvent des passages du Nouveau Testament, mais il fait rarement allusion à l’Ancien ; et, dans ce cas, il cite les Psaumes. Parlant des visions d’Ezéchiel, il dit une fois :
– Ce sont des énigmes. Par moments on entrevoit leur sens, d’autres fois, il vous échappe.
On lui demanda s’il était particulièrement attiré par l’Apocalypse, mais il répondit :
– Non, pas beaucoup.
L’Évangile selon saint Jean est le livre qu’il préfère et celui qu’il cite le plus fréquemment.
On lui demanda pourquoi l’Évangile de saint Jean l’attirait si fort, il répondit :
– Parce qu’il est simple et cependant si profond. Il est écrit par le disciple que jésus aimait et, de ce fait, il donne de nouveaux et merveilleux aperçus du caractère de Jésus ; c’est ainsi que cet Évangile possède un charme tout particulier. Saint Jean reposait sur le sein du Christ ; il avait un cœur tendre ; il ne s’entretenait pas seulement des lèvres avec Jésus, mais cœur à cœur. C’est pourquoi il le comprit mieux que les autres.
Et ailleurs encore :
– Saint Jean rendit témoignage à Celui qu’il avait connu. Il ne dit pas : « Celui dont j’ai lu l’histoire, Celui qu’on dit être : le Sauveur du monde », mais : « Celui que mes yeux ont vu. » Saint Jean vécut auprès de Jésus trois ans, nuit et jour. Il aima notre Sauveur plus que les autres ne l’aimaient. Il pouvait comprendre son amour et lui rendre témoignage. Lequel de nous pourrait en dire autant et proclamer que nous avons vu et entendu le Christ, que nos mains l’ont touché, et que nous pouvons en rendre témoignage ?
Le Sadhou a le désir de commenter un jour l’Évangile de saint Jean, en l’illustrant selon sa méthode personnelle, caractéristique. Il est à souhaiter qu’il puisse réaliser ce projet.
« Lors d’un voyage dans les provinces centrales, je parlais à quelques auditeurs de notre Sauveur toujours vivant. Ces personnes n’étaient pas chrétiennes. En terminant, je demandai si quelqu’un désirait lire la Bible pour en savoir davantage sur Jésus-Christ. Il y avait là un homme qui était hostile au christianisme. Il prit un exemplaire de l’Évangile de saint Jean, en lut deux ou trois phrases, et brusquement il le déchira, et en jeta les débris par la fenêtre. Ceci se passait dans un compartiment de chemin de fer. Deux ans après, on me raconta une histoire extraordinaire. Le jour même où cet homme avait déchiré l’Évangile de saint Jean et jeté les fragments par la fenêtre, un homme marchait le long de la voie ferrée : c’était un chercheur sincère, altéré de vérité. Depuis six ou sept ans, il faisait de grands efforts pour y parvenir, mais en vain.
Tout en méditant, il marchait le long de la voie et trouva les morceaux déchirés de l’Évangile. Il les ramassa et se mit à lire. Les mots « vie éternelle » attirèrent son attention. L’hindouisme enseigne bien que nous ne mourrons pas, et que par les vies successives de la transmigration, nous reviendrons sur cette terre. Mais que penser de la « vie éternelle » ? Sur un autre fragment, il lut ces paroles : « … le pain de vie ». Il était bien désireux d’en savoir plus long à ce sujet. Qu’était-ce que ce pain de vie ? Il montra ces fragments de l’Évangile à quelqu’un et lui demanda :
« – Peux-tu me dire quel est ce livre ? Je regrette bien qu’on l’ait déchiré !
« L’interlocuteur lui répondit :
« – C’est un livre chrétien, tu ne dois pas le lire. Tu vas être souillé. Il ne faut pas lire ces livres-là,
« Mais l’homme pensa : » il faut que je me renseigne ; il ne peut y avoir de danger à connaître ce genre de choses. Il alla s’acheter un Nouveau Testament, le lut et trouva Notre-Seigneur. Actuellement, cet homme prêche l’Évangile dans les provinces du centre. En vérité, les morceaux déchirés de l’Évangile de saint Jean prouvèrent qu’ils étaient un morceau du Pain vivant, du Pain de Vie. »
Le Sadhou raconte d’autres histoires, des cas analogues. On voit le Nouveau Testament produire des conversions dans des milieux où les missionnaires ne peuvent pénétrer. Il est assez naturel que des hommes ainsi convertis au christianisme mêlent à leur foi des éléments étrangers, souvent bizarres.
« Je visitai un temple bouddhiste du Tibet occidental ; j’entrai dans la bibliothèque du lama (le prêtre bouddhiste), et je fus très étonné d’y voir un Nouveau Testament. Je demandai :
« – Comment vous êtes-vous procuré ce livre ?
« Le lama me répondit :
« – C’est un livre merveilleux qui contient des choses admirables. Savez-vous qui est ce Jésus-Christ de la Bible ? Ce doit être une réincarnation du Bouddha.
« Je répondis : je crois en Lui. Il est mon Sauveur et Il est le Sauveur du monde.
« Le prêtre continua :
« – Je ne sais pas s’Il est le Sauveur du monde, mais je sais qu’il est une réincarnation de Bouddha. Le Tibet est le toit du monde ; Jésus-Christ reviendra, son trône sera au Tibet, et de là, Il règnera sur le monde entier. Nous l’attendons. Il reviendra et Il règnera sur le monde, Lui, Jésus-Christ, réincarnation de Bouddha. »
Quant au but réel et à la signification de l’exégèse moderne, le Sadhou les connaît sans doute fort peu, et seulement par ouï-dire. Mais ce qu’il en sait lui est nettement antipathique. Il est très préoccupé de « cette influenza spirituelle », comme il l’appelle, qui tend à faire de Notre-Seigneur, uniquement, un grand instructeur de morale.
Venant d’une si grande personnalité, ce jugement doit être pris en considération. Il y a des auteurs qui ont besoin qu’on leur rappelle que les prophètes, les psalmistes et les apôtres étaient, comme le Sadhou, des hommes qui vivaient en Dieu, avec Dieu, pour Dieu. Parmi ces hommes, il y en eut de plus ou moins éclairés, mais tous étaient des mystiques du seul type véritable, c’est-à-dire des hommes qui connaissent Dieu pour l’avoir aimé, et qui ont lutté pour faire Sa volonté.
Amans ab amante accenditur, dit saint Augustin, « l’amour s’enflamme au contact de l’amour ». Celui qui lit les écrits des mystiques dans l’esprit avec lequel il s’approcherait de la Sainte Cène, celui-là s’enflammera spontanément du même amour. Lui aussi peut trouver Dieu. Il le trouvera encore mieux s’il connait suffisamment la vie de ces auteurs, leur mentalité et leur milieu, ce qui lui permettra de faire sa lecture avec cette vision intérieure, cette imagination nécessaire à la compréhension de toute grande œuvre littéraire.
L’exégèse biblique est bien la branche la plus importante de l’archéologie sacrée et de l’histoire de l’Église, mais elle reste de l’archéologie, rien de plus. Si l’étude minutieuse des documents et des dates devient une obsession, au point d’obscurcir les points essentiels de la Loi, il en résulte vraiment une « influenza spirituelle ». « C’est là ce qu’il fallait pratiquer sans négliger les autres choses. » (Saint Matthieu XXII, 23.)
Pour juger les critiques, le Sadhou se place au point de vue de l’inspiration, telle qu’il la comprend ; mais cette conception diffère en tous points de la théorie rigide et mécanique de certains théologiens occidentaux de la vieille école. Elle n’impose pas le dogme de l’infaillibilité littérale.
– Pendant un séjour que je fis dans le nord de l’Inde, chez un ami, je lisais un livre religieux dans lequel il y avait des choses que je ne comprenais pas. Mon hôte, qui était docteur en théologie et en philosophie, me les expliqua, et son interprétation me sembla tout à fait satisfaisante. Plus tard, cependant, je rencontrai l’auteur ; il m’exposa sa pensée qui était toute différente. C’est ainsi que les érudits interprètent souvent les Écritures de travers. Si nous voulons en connaître le sens vrai, il faut remonter jusqu’à l’Auteur, c’est-à-dire qu’il faut vivre avec le Saint-Esprit.
« Le Saint-Esprit est le véritable auteur des Écritures, et je ne veux pas dire par là que chaque mot hébreu ou grec de la Bible soit inspiré. Mes vêtements ne sont pas moi-même, et les mots ne sont qu’un langage humain. Ce ne sont pas les mots qui sont inspirés, mais le sens intérieur. Le langage employé par les auteurs de la Bible était celui de la vie courante, et c’est pourquoi il n’était pas approprié aux questions spirituelles. C’est pourquoi il est difficile de remonter des mots au sens véritable. Mais pour ceux qui restent en contact avec l’Auteur, c’est-à-dire avec le Saint-Esprit, tout s’éclaire. « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » (Saint Jean VI, 63.) Cela signifiait l’esprit, non les mots des paroles prononcées. Lorsque le Saint-Esprit s’adresse aux hommes, il n’emploie pas un langage ordinaire, mais le langage du cœur, ce discours sans parole du monde spirituel, que j’entends en extase.
« Lorsque je converse en extase avec les saints et les anges, ce n’est pas dans le langage de ce monde, mais dans une langue spirituelle, sans parole, qui semble venir tout naturellement. Avant d’avoir prononcé un mot, ou d’avoir remué les lèvres, la pensée est exprimée ; tel est le langage par lequel la Vérité fut communiquée aux auteurs des Saintes Écritures. Ensuite, ils cherchèrent des mots pour exprimer ce qui leur avait été révélé. Peut-être n’ont-ils pas toujours réussi à trouver le mot juste, mais la pensée qu’ils ont tenté d’exprimer était inspirée. Ils ont dû ressentir douloureusement la difficulté qu’il y avait à rendre intégralement ce qui bien souvent ne peut se traduire au moyen de mots. Après avoir rédigé de leur mieux ce qui leur avait été révélé ils ont dû se dire : : « Après tout, il vaut mieux cela que rien, et il faut que nous transmettions notre message. »
Parlant de la Bible, le Sadhou dit en une autre occasion :
– Nous prenons de la nourriture et nous en assimilons les parties essentielles ; ce qui est inutile est rejeté. L’âme assimilera les éléments qui lui sont profitables. Le reste s’éliminera de soi-même.
Le Sadhou nous parla du rôle que la Bible avait joué dans sa propre conversion [1] :
– J’avais coutume de lire la Bible et je sentais la puissance de la Parole de Dieu. Bien entendu, cela me déplaisait parfois. Je critiquais la Bible, et il m’arrivait de la déchirer et de la jeter au feu. Mais je dois reconnaître que j’avais déjà le sentiment de son mystérieux pouvoir et de sa force d’attraction. C’était comme un souffle d’air vif et frais. Peut-être cette comparaison ne vous dit-elle rien ; vous auriez préféré entendre parler de feu et non de froid ; mais, pour les habitants des pays chauds, une brise fraîche, c’est le souffle de la vie. Assoiffé de vérité, j’essayai de trouver l’équilibre, la paix et la joie dans l’hindouisme, ou ailleurs ; mais les livres sacrés de l’hindouisme et les enseignements puisés à d’autres religions ne purent me désaltérer. Lorsque je lisais la Parole de Dieu, je croyais sentir une brise fraîche et fortifiante, comme le souffle de la vie. Je lacérais ces pages, mais j’en éprouvais la puissance. D’autres que moi sentaient la force de la Parole de Dieu. On me disait souvent :
« – Tu ne dois pas lire la Bible.
« – Pourquoi ? demandais-je ?
« – A cause de son pouvoir magique, tu deviendras chrétien. Beaucoup de ceux qui ont commencé à lire la Bible se sont faits chrétiens. Tu ne dois pas la lire.
« Parmi ceux qui étaient hostiles au christianisme, il y en avait qui réalisaient la puissance des Écritures. A cette époque, je sentais bien cette force merveilleuse et l’attirance de la Parole de Dieu. J’en vins à connaître mon Sauveur. Par la Parole de Dieu, je fus attiré à Lui. Je connus Jésus-Christ à travers la Bible. Quand Il se révéla à moi dans une vision, je me convertis et je fus au ciel sur la terre. »
Ces trois dernières phrases résument tout le Sadhou. Qu’il s’agisse de la Bible ou de toute autre chose, il est le mystique dont le mysticisme est centré en Christ. Ou, comme il le dit lui-même : « Les Évangiles ont uniquement pour but de nous faire connaître le Christ. »
Le Sadhou croit aux miracles, et ne fait pas de réserve.
– L’époque des miracles n’est pas terminée, c’est la foi aux miracles qui s’est perdue.
Il estime, en effet, à tort ou à raison, nous n’avons pas à l’examiner ici, que lorsqu’on hésite à accepter les miracles de la Bible, on a de la puissance de Dieu une conception diminuée.
– Jadis, la Bible était un volume de grande dimension. Maintenant on l’édite de façon à pouvoir la porter dans sa poche. De même, on se faisait de Dieu, jadis, une idée grandiose ; maintenant, on s’efforce de le rapetisser…
« Le miracle de la nouvelle naissance est le plus grand de tous les miracles. Celui qui croit en ce miracle croit à tous les autres.
« Les saints du paradis aident spirituellement les hommes sur la terre ; mais ils n’ont pas la permission de descendre pour les aider directement ; ils doivent agir indirectement par l’intermédiaire d’autres hommes. Les anges pourraient aisément convertir le monde entier en dix minutes. Certains d’entre eux ont demandé comme un privilège qu’il leur fût permis de venir souffrir en ce monde ; mais Dieu le leur refusa, car il ne veut pas attenter à la liberté humaine, par une puissance miraculeuse. Il fut accordé aux apôtres de faire des miracles, afin de prouver que leurs paroles, comme celles du Christ, avaient autorité ; les miracles sont encore permis quelquefois, mais rarement [2].
« À Londres ou à New-York, tout ce qui frappe les yeux parle d’organisation, d’inventions de la science qui a rendu toutes ces choses possibles. La nature semble avoir été presque entièrement asservie par l’homme ; et la conception du Règne de la logique s’impose à l’imagination comme à la raison. Il est difficile dans ces conditions de croire aux miracles.
« Sur les sommets de l’Himalaya, le long des fleuves comme le Gange, où les luxuriantes forêts des tropiques alternent avec d’immenses plaines cultivées ou de vastes déserts, brûlé le jour par un soleil ardent, obsédé la nuit par les murmures incessants de la jungle, l’homme, écrasé et sans défense, perçoit l’Unique dont le courant mystérieux palpite avec une puissance infinie à travers toutes ces manifestations de la vie. Ajoutez à cela une culture très ancienne, riche de légendes merveilleuses, totalement dépourvue d’esprit scientifique, et vous comprendrez qu’il est difficile de ne pas croire aux miracles. »
Nous n’avons pas à prendre parti dans ce débat, ou même à démontrer que cette question est de peu d’importance pour l’homme religieux. Notre but est de peindre le Sadhou tel qu’il est. Mais pour que notre portrait soit exact ; il faut que le fond sur lequel il se détache reproduise le milieu du Sadhou et non le nôtre.
Le Sadhou croit aux miracles, non seulement parce qu’il a lu la Bible, et le livre de la nature, comme peut le lire tout cultivateur hindou, mais parce que des miracles se sont produits ou semblent s’être produits en sa faveur.
Le récit que vous allez lire est emprunté au rapport sténographié d’une allocution du Sadhou, allocution prononcée au meeting que présidait l’évêque de Londres et cité plus haut (p. 39). Il s’agit d’une expérience personnelle, et Sundar l’a souvent présentée comme telle aux Indes. Mais en Angleterre, il savait qu’il attirerait l’attention sur lui-même, au détriment de l’enseignement qu’il voulait présenter ; c’est pourquoi il fit son récit d’une manière impersonnelle, comme s’il se fût agi d’un tiers.
« Il y avait un homme que Dieu avait appelé et conduit dans la montagne. Tout d’abord les habitants ne voulurent pas le recevoir, et les premiers jours furent difficiles. Il était fatigué, il avait faim et soif. Il se retira dans une grotte pour prier et là il fut induit en tentation :
« – Tu es venu pour parler de Jésus-Christ à ces gens-là, lui dit le Tentateur, mais où est le Christ maintenant ? Tu as faim, tu as soif et ton Sauveur ne vient pas à ton aide.
« Mais il se mit à prier et ressentit une Paix merveilleuse et il put dire :
« – Mon Sauveur m’a entendu.
« Il n’avait rien à manger, mais il cueillit quelques feuilles et il lui sembla n’avoir jamais goûté une nourriture plus succulente. La Présence du Sauveur les avait transformées.
« Peu après, une troupe de gens armés de bâtons et de pierres vint pour l’attaquer. Il ferma les yeux et dit :
« – Que ta volonté soit faite, je remets mon esprit entre tes mains.
« Mais lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit que les gens étaient partis. Il passa toute la nuit en prière et, au matin, une foule de près de cent personnes vint le voir, et ces gens n’avaient ni bâtons, ni pierres dans les mains.
« – Si vous voulez me tuer, me voici, leur dit-il.
« – La nuit dernière, nous sommes venus pour te lapider, mais aujourd’hui nous venons pour te poser une question. Nous avons vu des hommes de bien des pays et nous les reconnaissons tous ; mais, la nuit dernière, nous avons vu des gens extraordinaires : de quel pays sont-ils ? Tu n’étais pas seul, cette nuit ; une multitude était autour de toi, et tous ces hommes étaient vêtus de robes étincelantes. Qui sont-ils ?
« Toute la foule avait eu cette vision. Ces hommes aux robes de lumière venaient du ciel. Ils sont envoyés au secours de ceux qui rendent témoignage au Christ et qui Lui obéissent. Ceux qui mènent une vie de prière verront des choses bien plus merveilleuses encore. Ils connaîtront cette paix qu’on ne trouve nulle part ailleurs. »
Les discours en tamil contiennent le récit suivant :
« Au Tibet, il y avait un homme qui cherchait Dieu ; mais comme il ne le trouvait pas, il était inquiet et misérable. Son découragement était tel, qu’il résolut de se tuer. C’est alors qu’un étranger vint le trouver et lui dit :
« – A cent milles d’ici, hors des frontières de ce royaume, je connais un homme qui peut te venir en aide.
« L’homme accepta volontiers d’y aller. Après plusieurs jours de route, les deux voyageurs arrivèrent au bord d’une rivière.
« – Reste ici, dit l’étranger. À sept milles d’ici se trouve le village de l’homme dont je t’ai parlé. Je vais y aller et le ramènerai.
« L’étranger traversa la rivière, s’en alla au village et ramena avec lui un chrétien. Ce chrétien et le voyageur s’entretinrent longtemps, et ce dernier crut au Christ et fut prêt à recevoir le baptême. Il chercha l’étranger qui l’avait guidé, mais nulle part il ne put le trouver. Il pensait que cet étranger était l’ami du chrétien, et le chrétien croyait qu’il était l’ami de l’homme venu du Tibet. À la fin, ils comprirent que c’était un ange. L’homme reçut le baptême. L’ange était resté plusieurs jours auprès de lui, mais il n’avait pas essayé de le convertir. C’était la volonté de Dieu que cette tâche fût accomplie par un homme, par ce chrétien qui habitait à cent milles de là. »
Le récit suivant est tiré d’une lettre adressée au Nur Afshan [3] ; ce récit, qui peint le genre de vie du Sadhou et l’atmosphère dans laquelle il se meut, terminera bien ce chapitre :
« Il y a quelques semaines, un Sadhou chrétien, appelé Sundar Singh, vint prêcher l’Évangile dans les villages à l’entour de Narkanda. Il fut en butte à toutes sortes de persécutions. Nous étions assis, et nous causions, lorsqu’un fermier, nommé Nandi, vint nous trouver. Il fit le récit que voici : « Il est arrivé quelque chose de bien étrange, dans notre village. Un jour que nous étions occupés à moissonner, un Sadhou s’approcha de nous et se mit à prêcher. Nous étions tous très contrariés de voir notre travail interrompu et nous couvrîmes l’homme d’injures. Mais, sans prendre garde à nos jurons et à nos menaces, il continua son discours. Alors mon frère lui lança une pierre et le blessa au front. Mais cet homme de bien, insensible à l’insulte, ferma les yeux et dit :
« – Ô Dieu ! pardonne-leur.
« Un moment après, mon frère, celui qui avait jeté la pierre, fut pris soudain d’un violent mal de tête ; il dut interrompre son travail. Voyant cela, le Sadhou ramassa la faux de mon frère et se mit à travailler. Nous fûmes tous dans l’admiration et nous disions :
« – Quel est cet homme qui, au lieu de nous maudire et de nous insulter à son tour, prie pour nous ?
« Nous le conduisîmes à la maison où il nous raconta beaucoup de belles choses.
« Plus tard, nous découvrîmes une chose extraordinaire. Le champ où cet homme de bien avait moissonné, rapporta plus de blé qu’en aucune autre année. Nous récoltâmes deux mesures de plus qu’en temps ordinaire…
« Il y a quelques jours, j’ai rencontré une dame européenne qui allait à Simla. Je lui racontai ce qui était arrivé et elle m’engagea à envoyer un récit de cette merveilleuse aventure au Nur Afshan.
« C’est pourquoi, suivant son conseil, j’envoie ce rapport à la rédaction… et je demande au Sadhouji de bien vouloir revenir à notre village, afin que nous puissions profiter de ses saints discours…
« Signé : JIYA RA »
[1] Ce récit et ceux qui sont relatés pp. 258-259 font partie d’une allocution prononcée à l’Assemblée générale de la Société Biblique de Londres (Cf. The Bible in the world, juin 1920).
[2] D’après le Sadhou, ceci lui fut révélé en extase. P. 152.)
[3] Cité par A. Zahir, A lover of the Cross, p. 11.