Il est vrai, Dieu possède des pouvoirs que l’on est bien forcé d’admettre lorsqu’on constate la réalité de leurs effets, mais que notre intelligence ne saurait comprendre. Et nous percevons ces effets non seulement dans le monde spirituel, mais jusque dans l’univers matériel ; nous avons alors sous les yeux non pas un modèle de la nativité du Verbe, mais un fait mis à la portée de notre intelligence, qui suscite notre admiration.
Le jour des noces, en Galilée, l’eau est changée en vin. Notre langage ou nos sens peuvent-ils rendre compte de la manière dont s’opéra ce changement de nature ? Comment la non-saveur de l’eau disparut-elle pour faire place au bouquet agréable du vin ? Il n’y eut point mélange, mais création : cette création ne fut pas un commencement, mais se fit dans un corps à partir d’une autre substance. Elle ne s’opéra point par transfert d’un élément plus puissant dans un élément de moindre consistance ; non, voilà que disparaît ce qui était, et ce qui n’était pas commence d’être ! L’époux est dans la peine, la famille est gênée, la joyeuse ambiance du festin des noces est compromise. On adresse une prière à Jésus : il ne bouge ni ne s’agite, mais il opère le miracle comme en se reposant. On verse de l’eau dans les urnes, et c’est du vin que l’on y puise pour en remplir les coupes. Ce que sait celui qui puise le vin n’est pas ce que sait celui qui a versé l’eau. Celui-ci s’imagine que l’on va y puiser de l’eau ; celui-là suppose que c’est du vin que l’on y a versé. L’intervalle de temps qui s’écoule entre ces deux gestes n’a rien à voir avec le fait que la nature d’un liquide disparaît et qu’un autre naît. Le mode de l’action divine trompe la vue et l’intelligence ; cependant, en toute cette affaire, on perçoit la puissance de Dieu.
Le miracle des cinq pains n’excite pas moins notre admiration ! Voici rassasiés par la multiplication de ces pains, cinq mille hommes et une multitude de femmes et d’enfants : et ceci échappe à nos yeux comme à notre intelligence. On offre cinq pains, on les rompt, et soudain se glissent entre les mains qui les brisent, des morceaux de pain que l’on dirait créés en un instant ! Le pain rompu ne diminue pas, et cependant, des morceaux remplissent sans cesse les mains qui s’appliquent à rompre ce pain. La rapidité du miracle échappe à la vue : tu suis de l’œil une main remplie de morceaux, et tu constates en même temps que le contenu de l’autre n’a pas diminué[2]. Et pendant ce temps, le nombre des pains brisés augmente. Ceux qui rompent le pain n’arrêtent pas de travailler, la foule mange, les affamés sont rassasiés et les restes emplissent douze corbeilles. Ni l’intelligence ni la vue ne réussissent à suivre le processus d’une action aussi étonnante. Voici présent ce qui n’existait pas, on assiste à un spectacle que l’on ne comprend pas : il ne nous reste qu’à croire : Dieu peut tout !
[2] Voir Commentaire sur Matthieu 14.12. SC. 258, p. 25-27.
Cette conduite de Dieu n’est pas flagornerie, ni faux-semblant pour nous séduire ou nous tromper. Non, le Fils de Dieu n’a pas fait ces miracles pour se faire valoir : celui que servent des myriades innombrables d’anges n’a que faire de courtiser l’homme ! Manquait-il donc de nos biens, Lui par qui existe tout ce qui nous appartient ? Attendait-il quelque gloire de nous qui sommes ici-bas, tantôt hébétés par le sommeil, tantôt abrutis par des réjouissances nocturnes, tantôt tristement témoins des rixes et des meurtres qui remplissent les journées, tantôt ivres d’avoir fait la fête ? Alors que Lui, dans le ciel, Il se voit acclamé par les Archanges, les Dominations, les Principautés, les Puissances ! Toujours en éveil, sans autre occupation, purs de toute faute, tous ces êtres le louent par des chants sans fin, d’une voix infatigable. Ils le louent parce que, « Image du Dieu invisible » (Colossiens 1.15), Il les a tous créés en lui, Il a établi les siècles, affermi le ciel, ordonné les étoiles, jeté les fondements de la terre, creusé les abîmes. Et n’est-ce pas encore lui qui, né comme homme, a vaincu la mort, brisé les portes de l’enfer, s’est acquis un peuple pour être cohéritier avec lui, faisant ainsi passer à la gloire de l’éternité une chair soumise à la corruption.
Non, Il n’avait rien à attendre de nous ; même si ces œuvres merveilleuses et incompréhensibles devaient l’orner de nos louanges, Il n’en avait que faire ! Mais, prévoyant jusqu’où s’égarerait la malice et la folie humaines et sachant que l’infidélité en viendrait jusqu’à projeter son propre jugement sur les réalités divines, le Seigneur a vaincu notre audace en nous donnant des exemples pour éclairer ce qui nous pose question.
Car on en voit, prudents selon le siècle, mais d’une prudence qui est folie devant Dieu, qui nous contredisent lorsqu’ils nous entendent dire : Dieu est né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, Parfait né du Parfait, Dieu Unique né du Dieu Unique. Nous avançons là des idées impossibles, car elles vont à l’encontre de certaines formules dont ils font collection, lorsqu’ils affirment : « Rien ne peut naître d’un seul être, car toute naissance suppose deux parents[3]. Si le Fils est né d’un seul, il n’a donc reçu qu’une partie de Celui qui l’a engendré. Et s’il n’est que partie du Père, aucun des deux n’est parfait : il manque quelque chose à celui dont le Fils est issu ; la plénitude de la divinité n’est pas non plus en celui dont l’existence vient d’une partie d’un autre. Ni l’un ni l’autre ne sont donc parfaits, puisque celui qui a engendré a perdu sa plénitude, alors que celui qui est né ne l’a point reçue ».
[3] Un des arguments des anoméens dont Hilaire ne put prendre connaissance qu’en Orient.
Mais Dieu prévoyait de longue date cette sagesse du monde ; son prophète l’avait condamnée par ces mots : « Je détruirai la sagesse des sages, et je confondrai l’intelligence des prudents » (Ésaïe 29.14). Et l’Apôtre ajoute : « Où est le sage, où est le docteur, où est le disputeur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde ? Car le monde, avec sa sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la Sagesse de Dieu ; aussi a-t-il plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de son message. Les Juifs exigent des miracles et les Grecs sont en quête de sagesse ; nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils. Mais pour tous ceux qui sont appelés, Juifs ou Grecs, c’est le Christ, Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes ; et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que la force des hommes » (1 Corinthiens 1.20-25).