Considérations sur l’œuvre du Christ. – La joie qui en découle pour l’âme. – Conclusion.
Je vis ensuite dans mon songe qu’ils continuaient leur chemin, et Grand-Cœur allait toujours devant eux. Ils arrivèrent enfin à l’endroit où Chrétien laissa tomber dans un sépulcre le fardeau qu’il portait sur ses épaules. Ils firent donc ici une halte, et bénirent Dieu.
— Maintenant, dit Christiana, je retrouve le souvenir de ce que l’on nous disait à la Porte-Étroite, savoir, que nous aurions le pardon par la parole, c’est-à-dire par la promesse ; et par le fait, c’est-à-dire par l’acte au moyen duquel il est obtenu. Pour ce qui a rapport à la promesse, je crois en savoir quelque chose ; mais quant au moyen qui nous assure le pardon, c’est à vous, monsieur Grand-Cœur, qui êtes parfaitement instruit là-dessus, à nous en entretenir, s’il vous plaît.
Grand-Cœur : – Le pardon qui s’obtient par le fait, est un pardon acquis par quelqu’un à la place d’un autre qui en a besoin. Celui qui procure le pardon, n’est pas la personne pardonnée, remarquez-le bien, mais il nous l’assure par un moyen efficace. Donc, pour rendre la question plus générale, le pardon que vous et Miséricorde, de même que les enfants, avez reçu d’un autre, est le résultat de l’œuvre accomplie par celui qui vous a laissés entrer par la porte, et cela de deux manières. Il a satisfait à la justice pour vous protéger, et il a versé son sang pour vous laver de vos péchés.
Christiana : – Mais si nous sommes revêtus de sa justice, de quoi sera-t-il revêtu lui-même ?
Grand-Cœur : – Sa justice surpasse tout ce que l’on peut concevoir, et fait plus que de combler la mesure nécessaire pour vous et pour lui-même.
Christiana : – Expliquez-nous cela, je vous prie.
Grand-Cœur : – De tout mon cœur ; mais je dois vous dire d’entrée que celui dont nous parlons n’a pas son pareil. Il a deux natures dans une même personne, natures que l’on peut facilement distinguer, mais qu’il est impossible de séparer. Chacune d’elles a une justice qui lui est propre, et chaque justice est essentielle à sa nature ; de sorte que l’on ne peut pas plus séparer la justice de chacune de ces natures qu’on ne peut anéantir la nature elle-même. Mais cette justice qui est inhérente aux deux natures, c’est-à-dire, à sa divinité et à son humanité, n’est pas précisément ce dont nous sommes rendus participants, ni ce en vertu de quoi nous possédons la vie et devenons justes. Il a donc une autre justice qui se rattache à l’obéissance ou à l’accomplissement de la volonté révélée de Dieu ; et c’est celle-ci que le pécheur reçoit par imputation, et en vertu de laquelle ses péchés sont couverts. C’est pour cela qu’il est dit : « Car, comme par la désobéissance d’un seul homme plusieurs ont été rendus pécheurs, ainsi par l’obéissance d’un seul plusieurs seront rendus justes. » (Rom. 5.19 : Car comme, par la désobéissance d’un seul homme, tous les autres ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l’obéissance d’un seul, tous les autres seront constitués justes.)
Christiana : – Mais est-ce que les autres justices ne sont d’aucune utilité pour nous ?
Grand-Cœur : – Oui, car bien qu’elles soient deux attributs essentiels de l’Homme-Dieu, nécessaires à son œuvre, et incommunicables, cependant c’est en vertu de celles-là que la justice justifiante remplit efficacement son but. La justice de sa divinité rend son obéissance effective ; la justice de son humanité donne vertu à son obéissance pour justifier.
Ainsi donc, il y a une justice dont Christ, l’Homme-Dieu, n’a nullement besoin en ce qui le concerne personnellement, et dont il peut, par conséquent, disposer en faveur de ceux qui ont besoin d’être justifiés. C’est pourquoi elle est appelée « le don de la justice, » et aussi « une justice justifiante. » (Rom. 5.17-18 : Car si, par la faute d’un seul, la mort a régné par ce seul, à bien plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice régneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ.) Puisque le Seigneur Jésus-Christ s’est soumis à la loi, il faut qu’aux termes mêmes de cette loi, celui qui a deux habits en donne un à celui qui n’en a pas ; car la loi ne l’oblige pas seulement à « accomplir toute justice, » mais aussi à exercer la charité. Or, le Seigneur a véritablement deux habits : un pour lui-même, un dont il peut se passer et qu’il donne à ceux qui en manquent. Voilà comment le pardon vous est accordé, à vous, Christiana, Miséricorde, et à tous ceux qui sont ici, étant le fait d’une œuvre accomplie par un autre. Le Christ, votre Seigneur, est celui qui a fait et accompli ce que maintenant il donne au premier venu qui implore sa grâce.
Mais je puis encore vous dire que pour nous procurer ce pardon, il a fallu qu’il offrît à Dieu un sacrifice coûteux pour payer la rançon, de même qu’il a fourni un manteau de justice pour nous en couvrir. Le péché nous avait placés sous les coups inexorables d’une juste loi ; de sorte qu’il était nécessaire que quelque chose de grand prix fût présenté à Dieu et accepté par lui, pour les fautes que nous avions commises, afin que nous fussions par là délivrés de la malédiction prononcée par la loi. Or, cette chose de grand prix, c’est le sang de votre Seigneur qui vint pour être votre substitut et votre garant, et qui souffrit la mort à votre place, à cause de vos transgressions. Ainsi, il vous a rachetés de vos péchés par son sang, et vous a revêtus de sa sainte justice. (Rom. 8.34 : Qui condamnera ? Jésus-Christ est celui qui est mort, bien plus, qui est ressuscité, qui aussi est à la droite de Dieu, qui aussi intercède pour nous !) ; (Galat. 3.13 : Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous (car il est écrit : Maudit est quiconque est pendu au bois !),) Il s’ensuit que Dieu vous tient quittes, et qu’il ne vous infligera aucune peine quand il viendra pour juger le monde.
Christiana : – Excellent ! Je vois maintenant qu’il importe beaucoup de comprendre comment on est pardonné par la parole et par le fait. Bonne Miséricorde, tâchons de nous rappeler cela. Et vous, mes enfants, gardez-le aussi dans votre souvenir. – Mais, Monsieur, n’est-ce pas cette vérité même qui débarrassa mon brave Chrétien de son pesant fardeau, et qui le fit tressaillir de joie ?
Grand-Cœur : – Oui, c’est en croyant à de telles vérités qu’il parvint à délier ses cordes, chose qu’il n’aurait jamais pu faire autrement. De même, s’il fut obligé de porter son fardeau jusqu’à la croix, c’était afin qu’il pût connaître par expérience la force de ces vérités.
Christiana : – C’est bien ce que je pensais ; cependant, si tout à l’heure je sentais déjà mon cœur à l’aise et dans la joie, maintenant je me trouve dix fois plus heureuse ; et je suis persuadée, d’après ce que j’éprouve (quoique je sois encore bien peu avancée dans cette expérience), qu’un homme qui gémirait au milieu de ce monde, sous le poids le plus accablant, trouverait ici un véritable soulagement, et que s’il pouvait voir et croire, seulement au même degré, ce que je vois et crois en ce moment, sa joie irait peut-être jusqu’au transport.
Grand-Cœur : – La vue et la considération de ce que Jésus a fait, ne nous procurent pas seulement une consolation en nous délivrant de cet état d’angoisse, mais elles engendrent en nous une nouvelle affection ; car, qui ne se sentirait pas pénétré d’amour en voyant de quelle manière et par quels moyens Jésus a opéré notre rédemption ?
Christiana : – Oui, vraiment ; il me semble que mon cœur se fond au dedans de moi en pensant qu’il a dû verser son sang pour moi. Oh ! Quel tendre ami ! Oh ! Que je te bénisse, toi qui es si digne de me posséder ; car tu m’as rachetée. Tu t’es acquis tous les droits sur mon cœur, puisque, pour m’avoir, tu as donné plus de dix mille fois ce que je vaux. Ce n’est pas étonnant que les yeux de mon mari se soient mouillés de larmes, et que ses pieds aient été rendus si agiles à la course par la vue de tant d’amour. Je suis toute ravie par la pensée que je serai un jour avec lui. Mais que j’étais donc vile et coupable de le laisser partir seul ! O Miséricorde, plût à Dieu que ton père et ta mère fussent ici, ainsi que madame Timide ! Tiens, je souhaiterais de tout mon cœur que madame la Volupté elle-même fût ici. Elles trouveraient toutes de quoi faire battre leur cœur, et il est certain que la lâcheté de l’une, ni l’abominable convoitise de l’autre, ne seraient capables de leur faire abandonner le chemin du vrai bonheur pour s’en retourner chez elles.
Grand-Cœur : – Vous parlez à cette heure, avec une ardente affection. Pensez-vous qu’il en sera toujours ainsi de votre ferveur ? D’ailleurs, ce n’est pas une chose qui se communique à tout le monde. Même, parmi ceux qui ont vu mourir Jésus, il y en avait qui se tenaient près de la croix, qui voyaient le sang jaillir de son côté percé, et qui cependant étaient bien loin d’une telle expérience ; car, au lieu de se lamenter, ils se moquaient de lui, et au lieu de devenir par la suite ses disciples, ils ne firent qu’endurcir davantage leur cœur contre lui. D’où je conclus, mes bonnes amies, que ce que vous éprouvez, est l’effet d’une impression particulière produite par la vue de ce dont je viens de vous parler. Souvenez-vous de ce qui a été dit au sujet de la poule, savoir : que par son appel ordinaire, elle ne donne aucune nourriture à ses poussins. Ce que vous avez reçu est donc une grâce spéciale.