Il est montré en premier lieu en cette histoire, quelle est la condition des fidèles en ce monde ; à savoir qu’ils sont comme brebis destinées à la boucherie, comme il est dit Psaumes 44.22, et principalement quand Dieu lâche la bride aux ennemis, en sorte qu’ils puissent exécuter la cruauté laquelle ils ont conçue en leur cœur. Puis après est montré quelle est l’issue des persécutions ; à savoir, que tant s’en faut qu’elles rompent le cours de l’Evangile, que plutôt par un conseil admirable de Dieu elles sont faites aides pour l’avancer. Comme c’a été un miracle évident, que la dispersion (de laquelle S. Luc fait mention) a recueilli en unité de la foi plusieurs qui étaient auparavant étrangers à Dieu. Maintenant considérons chacun point par ordre.
Or Saul approuvait son meurtre. Or il y eut ce jour-là une grande persécution contre l’Eglise de Jérusalem ; et tous, sauf les apôtres, furent dispersés dans les contrées de la Judée et de la Samarie.
La persécution a commencé par S. Etienne ; de là la rage s’est embrasée indifféremment sur tous. Car quand les infidèles ont une fois goûté du sang, ni plus ni moins que bêtes sauvages ils en désirent ensuite avec grande avidité ; et les tueries et meurtres les rendent plus cruels et farouches. Car Satan le père de toute cruauté les abreuvant du sang innocent, les dépouille premièrement de tout sentiment d’humanité ; puis après allume en eux une soif qui ne peut être assouvie. De là viennent ces impétuosités violentes pour mettre tout à mort ; en sorte qu’ayant une fois commencé, jamais ils ne cessent que par contrainte. Joint que quand ils ont le moyen de nuire sans rien craindre, par la bonne issue qu’ils ont, l’audace leur croît ; en sorte qu’ils se ruent de plus grande impétuosité à mal faire. Ce que S. Luc aussi a bien noté, quand il dit qu’il y eut grande persécution. Il est bien vrai que l’Eglise auparavant n’était pas du tout en repos, ni exempte des tourments des méchants ; mais le Seigneur épargnait ses fidèles pour quelque temps, afin qu’ils eussent quelque relâche ; mais maintenant ils commencent à être plus rudement tourmentés. Or nous devons aussi accommoder ces choses à notre temps. Si quelque fois il advient qu’il semble que la fureur de nos ennemis soit assoupie, en sorte qu’elle ne jette point loin ses flammes, sachons que le Seigneur fait cela pour supporter notre faiblesse. Mais cependant n’espérons point des trêves perpétuelles, mais soyons prêts à soutenir de plus grands assauts, toutes les fois qu’ils surviendront soudainement. Souvenons-nous aussi que si quelque fois la constance et magnanimité d’un homme aiguise la cruauté des méchants, ce sera à grand tort si on lui impute qu’il est coupable de ce mal. Car S. Luc n’attribue point à ignominie à S. Etienne, quand il explique qu’à son occasion l’Eglise a été troublée et tourmentée plus gravement que de coutume. Mais plutôt il met ceci entre ses louanges, que comme porte-enseigne il a encouragé les autres par son exemple à batailler vaillamment.
Quand il nomme l’Eglise de Jérusalem, il n’entend pas qu’il y eût d’autres Eglises ailleurs ; mais il se fait ouverture à traiter des choses qui sont ensuivies de cela. Car comme ainsi soit qu’il n’y eût que ce corps de fidèles au monde, il a été déchiré par la suite ; mais de membres mutilés et dispersés ça et là, ont été tout soudain engendrées plusieurs Eglises ; et par cette façon le corps de Jésus-Christ s’est étendu au long et au large, au lieu qu’auparavant il était enclos dedans les murailles de Jérusalem.
Et furent tous dispersés. Il est certain que tous ne furent pas dispersés ; mais l’Écriture use du mot de généralité, Tous, pour ce que nous disons, Communément. Il veut dire en somme, qu’il n’y eût point peu de gens mis en danger, d’autant que la cruauté des ennemis fut répandue sur toute l’Eglise. Il s’en trouve souvent qui étant mols et de petit cœur se mettent en fuite au moindre bruit qui survient ; mais c’est bien autre chose de ceux-ci. Car ils ne s’enfuient point étant ébranlés sans cause ; mais d’autant qu’ils voyaient que la rage des méchants ne pouvait être autrement apaisée. Or il dit qu’ils ont non seulement été dissipés par divers lieux de Judée, mais aussi qu’ils sont venus jusques en Samarie. Ainsi la paroi qui divisait les Gentils des Juifs, commença à se rompre, Ephésiens 2.14. Car la conversion de Samarie a été comme les prémices de la vocation des Gentils. Car combien que les Samaritains eussent la Circoncision aussi bien que les Juifs ; toutefois nous savons qu’il y avait grand désaccord entre eux. Et non sans cause, vu que Christ prononce que ce n’était qu’un service contrefait en Samarie (Jean 4.22) puisque tant seulement il n’y avait qu’une sotte imitation. Dieu donc ouvrit pour lors la porte à l’Evangile, afin que le sceptre de Jésus-Christ sortant hors de Jérusalem, parvint jusques aux Gentils. Il excepte les apôtres de ce nombre ; non pas qu’ils fussent hors du danger commun ; mais pour ce que l’office d’un bon Pasteur est, de se mettre au-devant des courses des loups pour sauver son troupeau.
Toutefois on peut faire ici une question, vu qu’ils ont eu mandement de semer l’Evangile par tout le monde (Marc 16.15), pourquoi ils se sont arrêtés en Jérusalem, lors même qu’ils en étaient chassés par force et violence ? Je réponds d’autant que Jésus-Christ leur avait commandé de commencer en Jérusalem (Luc 24.47), ils se sont là aussi employés, jusques à ce qu’étant conduits ailleurs par sa main, ils fussent certains qu’ils l’avaient pour guide et conducteur. Et nous voyons en quelle crainte ils se sont avancés à publier l’Evangile ; non pas qu’ils refusassent la charge qui leur était enjointe, mais pour ce qu’ils étaient tout étonnés de voir une chose si nouvelle et non accoutumée. Voyant donc que l’Evangile était si puissamment assailli en Jérusalem, ils n’osent aller ailleurs, jusques à ce qu’ils aient là soutenu et rompu les premières difficultés. Il est certain qu’en s’arrêtant là, ils ne regardent point à leur aise, ni à leur sûreté, ni à leurs commodités particulières ; car ils soutenaient une charge bien pesante et laborieuse ; ils étaient assiduellement au milieu de beaucoup de dangers, ils bataillaient contre de grandes fâcheries. Et pourtant il ne faut point douter qu’ils n’eussent en délibération d’exécuter leur charge et office. Et principalement ce qu’ils demeurent cependant que tous les autres fuient, cela est une épreuve évidente que leur constance n’est point ébranlée.
Si quelqu’un objecte qu’ils pouvaient distribuer entre eux les charges, afin que tous ne fussent pas occupés en un même lieu ; je réponds que la seule ville de Jérusalem donnait assez d’affaire à tous. En somme, S. Luc raconte ceci comme une chose digne de louange, qu’ils n’ont point suivi les autres en ce bannissement volontaire pour éviter la persécution. Toutefois il ne reproche point la fuite de ceux-ci, la condition desquels était plus libre. Car les apôtres considéraient ce que leur vocation avait de particulier ; à savoir que voyant les loups entrer furieusement en la bergerie, ils gardassent leur parc, et fissent bon guet. Tertullien et ses semblables ont été trop rigoureux, qui niaient indifféremment qu’il fut licite de fuir pour crainte de persécution. S. Augustin a eu meilleure opinion, lequel permet la fuite à condition que les Pasteurs n’abandonnent point leurs Eglises, en sorte qu’elles soient en proie aux ennemis. Et c’est certes une fort bonne modération, laquelle d’un côté ne lâche point trop la bride à la timidité de la chair, et d’autre part ne jette point follement à la mort ceux auxquels il est loisible de sauver leur vie. Qui en voudra voir d’avantage, qu’il lise l’épître 180 de S. Augustin à Honorat. Mais retournons aux Apôtres. Si en ces premiers commencements ils eussent été dispersés par crainte de la persécution, qui est-ce qui ne les eût appelés a bon droit mercenaires ? Combien cela eût-il été déshonnête et dangereux, de quitter la place pour ce temps-là ? Combien cela eût-il rompu les courages à tous ? Quel mauvais exemple eût-il donné à ceux qui sont venus après ? Il adviendra bien quelque fois qu’il sera licite à un Pasteur de s’enfuir ; c’est à savoir, quand lui seul sera assailli, et si on ne craint point que l’Eglise soit dissipée par son absence. Que si le combat lui est commun avec son troupeau, s’il n’endure jusques à l’extrémité, il est déloyal et traître à son office. Les personnes privées ont plus grande liberté.
Toutefois des hommes pieux ensevelirent Etienne et firent de grandes lamentations sur lui.
S. Luc montre que combien que les persécutions fussent fort allumées, toutefois les fidèles ne perdirent point tellement courage, qu’ils ne brûlassent de zèle, et exerçassent tous devoirs de vraie religion. La sépulture semble être une chose de petite conséquence. Plutôt que de n’en tenir compte, ils se mettent en grand danger de leur vie. Or tout ainsi que la circonstance du temps rend témoignage qu’ils ont hardiment méprisé la mort, aussi pouvons-nous de celle-ci même recueillir, que ça n’a point été sans grande cause et nécessaire, qu’ils ont été si soigneux en cette affaire. Car ceci servait grandement à exercer leur foi, que le corps de ce S. Martyr ne fut point là laissé pour être jeté et exposé aux bêtes ; auquel Christ avait magnifiquement triomphé pour la gloire de son Evangile. Et certes ils ne pouvaient pas vivre pour Christ, s’ils n’eussent été prêts de s’adjoindre avec S. Etienne pour mourir. Ce soin donc d’ensevelir ce S. Martyr leur a servi de méditation à avoir une constance invincible de faire profession de leur foi. Par quoi ils n’étaient point soigneux en une chose superflue, pour irriter leurs adversaires par un zèle inconsidéré. Combien qu’aussi la raison générale, laquelle doit toujours et partout avoir lieu envers les fidèles, sans doute a eu poids envers eux. Car la cérémonie et façon d’ensevelir regarde à l’espérance de la résurrection ; comme elle a été ordonnée à cette fin par inspiration de Dieu dès le commencement du monde. Et pourtant on a toujours réputé pour une barbarie plus qu’inhumaine, de laisser de propos délibéré les corps sans les ensevelir. Or les hommes profanes ne savaient à quel propos ils tenaient tant au droit de sépulture sacré. Mais quant à nous, la fin ne nous est pas inconnue ; à savoir afin que ceux qui survivent, connaissent que les corps sont mis en terre comme en garde, jusques à ce qu’ils soient ressuscités. Dont il apparaît que ce devoir est profitable plutôt aux vivants qu’aux morts. Combien que nous sommes aussi obligés par le devoir d’humanité, de rendre honneur convenable aux corps morts, auxquels nous savons l’immortalité bienheureuse être promise.
Firent grand pleur. S. Luc montre aussi qu’en la lamentation ils font profession de leur foi et de la crainte de Dieu qu’ils avaient. Car un triste et piteux événement fait bien souvent délaisser les causes qui semblaient être bonnes auparavant. Ceux-ci au contraire déclarent par leur deuil et lamentation qu’ils ne sont nullement accablés de la mort de S. Etienne, et qu’elle ne les empêche point de persévérer hardiment à approuver la cause de celui-ci ; ils considèrent en même temps quelle perte a été pour l’Eglise la perte d’un homme. Au reste, il faut rejeter cette philosophie enragée, laquelle veut que les hommes soient complètement stupides, pour être sages. Il faut bien que tels Stoïques aient été jadis dépourvus de sens commun, qui repoussaient toutes affections de l’homme. Il y a encore aujourd’hui un tas de fantastiques, qui voudraient volontiers introduire ces mêmes rêveries en l’Eglise. Et combien qu’ils requièrent un cœur de fer aux autres, néanmoins il n’y a rien plus mol ne plus efféminé qu’ils sont. Ils ne peuvent supporter une bien petite larme chez les autres ; et si quelque chose leur est advenue contre leur gré, ils ne peuvent faire fin de se lamenter. Ainsi Dieu a accoutumé de punir leur arrogance en se jouant, par manière de dire, quand il rend un tel orgueil ridicule même aux petits enfants. Mais quant à nous, sachons que les affections que Dieu a mises en la nature humaine, ne sont non plus vicieuses d’elles-mêmes, que l’auteur qui les a données. Mais en premier lieu il les faut estimer par la cause ; puis après, s’il y a mesure et modération gardée. Il est bien certain que celui qui nie qu’il se faille réjouir des dons et grâces de Dieu, est plus semblable à un tronc ou à une pierre, qu’à un homme. Par quoi quand ces dons sont ôtés, il ne sera point moins licite d’avoir douleur. Et pour ne point sortir hors du propos, saint Paul ne défend point entièrement la lamentation aux fidèles, quand quelqu’un de leurs parents ou amis familiers leur est ôté par mort ; mais il veut qu’il y ait différence entre eux et les infidèles ; d’autant que l’espérance leur doit être un soulagement et remède contre l’impatience. Car l’origine de la mort en soi nous cause à bon droit deuil et tristesse ; mais pour ce que nous savons que la vie nous est restituée en Christ, nous avons assez de quoi pour apaiser notre douleur. Semblablement quand nous sommes attristés que l’Eglise est privée de personnages excellents et doués de grandes grâces, notre douleur a cause légitime. Seulement il nous faut chercher la consolation, qui soit pour corriger l’excès.
Mais Saul ravageait l’Eglise, entrant dans les maisons, et traînant hommes et femmes, il les livrait pour être mis en prison.
Il y a ici deux choses à noter ; premièrement quelle a été la cruauté des ennemis ; et combien la bonté de Dieu a été admirable, lequel d’un loup si cruel, à savoir Paul, a voulu faire un Pasteur. Car ce désir de gâter, duquel il brûlait, semblait ôter toute espérance. Par quoi sa conversion en a été d’autant plus excellente. Et il ne faut pas douter que cette peine ne lui ait été envoyée de Dieu, dès lors qu’il conspira et consentit à la mort de saint Etienne avec les autres méchants ; à savoir qu’il fut le porte enseigne de cruauté. Car souvent Dieu châtie les péchés en ses élus plus gravement que dans les réprouvés.
Ceux donc qui avaient été dispersés allèrent de lieu en lieu, annonçant la bonne nouvelle de la Parole.
Saint Luc explique encore ici, qu’il est advenu par une providence incroyable de Dieu, que la dissipation des fidèles amena plusieurs à l’unité de la foi. Ainsi a accoutumé notre Dieu de tirer la lumière des ténèbres, et la vie de la mort. Car la voix de l’Evangile qui était seulement entendue en un lieu, retentit maintenant partout. Cependant nous sommes exhortés par cet exemple, que nous ne devons pas nous désister à cause des persécutions, mais plutôt reprendre courage pour constamment résister. Car quand les fidèles s’enfuient de Jérusalem, ni le bannissement ni les misères présentes, ni aucune crainte ne leur fait dorénavant perdre courage, en sorte qu’ils s’abâtardissent en oisiveté et nonchalance ; mais au milieu de leur calamité ils sont aussi prompts à annoncer Jésus-Christ, que s’ils n’eussent jamais enduré fâcherie. Qui plus est, il semble que saint Luc note ici qu’en changeant souvent de logis ils ont mené une vie comme des vagabonds. Par quoi, si nous voulons être réputés frères de ceux-ci, sollicitons-nous nous-mêmes diligemment, afin que nous ne défaillions pas, ni pour aucune amertume de la croix, ni pour aucune crainte, et que rien de tout cela ne nous empêche point de persévérer à faire confession de notre foi, et ne nous lassons jamais d’avancer la doctrine et la gloire de Jésus-Christ. Car c’est une chose mal convenable, que les bannissements et les fuites, qui sont apprentissage de martyre, nous rendent muets, et comme demi-morts.
Or Philippe étant descendu dans la ville de Samarie, leur prêchait le Christ.
Saint Luc explique que tous annonçaient partout la parole de Dieu. Maintenant il fait particulière mention de Philippe ; tant pour ce que sa prédication a apporté fruit et efficace plus que des autres, que d’autant que de celle-ci sont ensuivies des histoires notables, lesquelles il ajoutera ci-après. Quand il dit, une ville de Samarie, c’est la ville de Samarie même, laquelle Hircanus fit détruire, et a été puis après réédifiée par Hérode, et appelée Sébaste. On pourra voir sur ceci Josèphe au Livre XIII et XV, des Antiquités. Quant à ce qu’il dit que Jésus-Christ fut prêché par Philippe, il signifie que toute la somme de l’Evangile est comprise en Jésus-Christ. L’autre façon de parler qu’il ajoutera un peu après, est bien plus pleine et entière ; nonobstant elle signifie une même chose. Là il conjoint le Royaume de Dieu avec le nom de Jésus-Christ ; mais pour ce que nous obtenons ce bien par Jésus-Christ, que Dieu règne en nous, et qu’étant renouvelés en justice spirituelle, et morts au monde, nous vivons une vie céleste ; à cette cause la prédication faite de Jésus-Christ comprend aussi cette partie en soi. Or la somme revient là, que le Fils de Dieu restaure par sa grâce le monde qui était perdu. Cela se fait quand il nous réconcilie au Père ; puis après quand il nous régénère par son Esprit ; afin que Satan étant chassé, le Royaume de Dieu soit dressé en nous. Au reste, vu qu’il a dit auparavant que les apôtres n’ont pas bougés de Jérusalem, il est vraisemblable que ce Philippe duquel il est ici parlé, était l’un des sept Diacres, duquel aussi les filles prophétisaient.
Et les foules d’un commun accord étaient attentives à ce que Philippe disait, en apprenant et en voyant les miracles qu’il faisait.
S. Luc nous explique ici comment les Samaritains ont reçu la doctrine de Philippe. Car il dit qu’ils ont entendu, et ils y ont pris quelque goût. Ils ont eu aussi un autre aiguillon, à savoir des miracles. Finalement il est advenu qu’ils se sont rendus attentifs. Voilà la voie et droite procédure pour venir à la foi. Car ceux qui rejettent la doctrine avant que l’avoir entendue, comment serait-il possible qu’ils parvinssent jamais à la foi laquelle naît de ce que l’on entend (Romains 10.17) ? par quoi le fait qu’ils se sont montrés dociles à écouter a été le premier degré à avoir la Parole en révérence, et s’y rendre attentifs. Et pourtant il ne se faut point étonner si les hommes aujourd’hui ont si peu de foi, ou presque rien du tout. Combien y en a-il qui daignent prêter l’oreille à Dieu quand il parle ? Bien peu à la vérité. Ainsi advient-il que la plus grande partie des hommes rejette la vérité avant que l’avoir connue ni goûtée seulement tant peu que ce soit. Au reste, tout ainsi que la foi a son commencement par l’ouïe, aussi nous faut-il noter que l’ouïe de soi ne suffirait point, si en même temps la majesté de la doctrine n’émouvait les cœurs. Et de fait, quiconque considère qu’il a affaire avec Dieu, il ne se peut faire que quand Dieu parle, il l’entende comme par mépris et dédain. Et la doctrine même qui est contenue en sa Parole, s’acquerra autorité. Ainsi il adviendra qu’après avoir entendu, on se rendra de bon gré attentif. Quant aux miracles, nous savons qu’ils ont double usage. Premièrement, qu’ils nous préparent à entendre l’Evangile ; puis après, qu’ils nous confirment de lui ajouter foi.
Ce mot, d’un accord, se peut conjoindre tant avec ce qu’ils entendaient, qu’avec ce qu’ils se rendaient attentifs. Le dernier est plus recevable, selon mon avis, à savoir, qu’ils étaient attentifs tous d’un accord. Or S. Luc montre l’efficace et force de la prédication, en ce qu’un grand nombre de gens tant hommes que femmes ont été disposés en si peu de temps à se rendre à bon escient attentifs, et à donner bonne audience tous d’un accord.
Car des esprits impurs sortaient de plusieurs qui en étaient possédés, en jetant de grands cris ; et beaucoup de paralytiques et de boiteux furent guéris.
Il touche en bref certains détails, afin que nous entendions par quelles sortes de miracles les Samaritains ont été amenés à donner autorité à Philippe. Le cri que les malins esprits faisaient, était un signe de résistance. Par quoi ceci servait grandement pour donner à connaître la vertu du Seigneur Jésus, quand on voyait que par sa puissance il réprimait et tenait en serre les diables, quoi qu’ils résistassent obstinément. La joie, de laquelle il fait mention, est un fruit de la foi. Car quand nous sentons que Dieu nous est propice, il ne se peut faire que nos cœurs ne sautent d’une joie merveilleuse, et laquelle surmonte tout entendement.
Et il y eut une grande joie dans cette ville-là.
Or il y avait auparavant dans la ville un homme nommé Simon, qui exerçait la magie et remplissait d’étonnement le peuple de la Samarie, se disant être un grand personnage.
C’était bien ici un tel empêchement, qu’il pouvait sembler que la porte était fermée entièrement à l’Evangile à l’endroit des Samaritains. Car Simon avait ensorcelé les esprits de tous par ses charmes. Et cette stupidité avait déjà pris possession depuis longtemps. Or on connaît assez par expérience combien il est difficile d’arracher une erreur des cœurs des hommes, après qu’elle a une fois pris longue racine par la longueur du temps ; aussi combien grande difficulté il y a de réduire à quelque bon sens ceux qui sont déjà endurcis. La superstition les rendait plus obstinés en leur erreur, d’autant que non seulement ils estimaient Simon comme un Prophète de Dieu, mais presque comme l’Esprit de Dieu. Car ce mot, de la grande vertu, tendait à cela, que tout ce qui autrement était Divin, étant obscurci par cette grandeur, ne fut rien estimé en comparaison. Par cela donc est plus clairement montrée la puissance de Jésus-Christ, que quelques empêchements que Philippe ait ici trouvés, il n’a laissé toutefois de surmonter.
Or S. Luc amplifie ceci, quand il dit qu’ils étaient ensorcelés d’entendement, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Car vu qu’il n’y avait état qui ne fut abusé, quelle ouverture pouvait avoir l’Evangile ? et principalement vu que ce n’était point un petit abus ; car tous leurs sens étaient éblouis. Or outre ce que nous voyons par ceci combien la vérité est de grande puissance, nous avons avec ce un exemple de constance, proposé en Philippe, lequel combien qu’il n’aperçoive point de chemin ouvert, nonobstant s’emploie d’un cœur magnanime et constant à la besogne du Seigneur, attendant quelle issue il lui semblera bon de donner. Et voilà comment il faut que nous fassions ; que de grand courage nous entreprenions tout ce que Dieu commande et ordonne, même quand il nous semblera que tous nos efforts doivent être inutiles.
Au demeurant, quant à ce qui est advenu aux Samaritains, que Satan les a ainsi ensorcelés, sachons que l’infidélité est ainsi ordinairement punie. Il est vrai que tous ne sont pas ensorcelés des enchantements des magiciens ; et il n’y a pas des Simons par tout, qui déçoivent par tels charmes. Mais j’entends que ce n’est point de merveilles, ni une chose nouvelle, si Satan abuse en ténèbres le monde par diverses illusions. Car tous ceux qui ne sont gouvernés par la lumière de Dieu, sont exposés à toutes surprises et filets d’erreurs. De plus, quand S. Luc explique que tous indifféremment étaient déçus, cela nous exhorte que quelque chose qu’il y ait en nous, soit vivacité d’esprit, soit tout ce que nous avons de raison et prudence, il n’y a rien de tout cela qui soit suffisant pour nous garantir des astuces de Satan. Et de fait, nous voyons que ceux qui ont été réputés au monde plus subtils et ingénieux que tous les autres, ont été enveloppés de merveilleuses erreurs, et plus que sottes rêveries.
Celui-ci est la vertu de Dieu grande. Ainsi donc Satan avait abusé du nom de Dieu pour décevoir ; qui est une façon de tromper la plus dangereuse de toutes les autres, tant s’en faut que cela serve d’excuse. Il a été dit ci-dessus, que Simon s’était attribué le nom de la grande et principale vertu de Dieu ; afin d’obscurcir et supprimer tout ce qui pouvait être de Divin ailleurs ; tout ainsi que le soleil obscurcit les étoiles par sa grande clarté. Ç’a été une horrible et méchante profanation du nom de Dieu. Mais il n’y a rien ici qu’encore nous ne voyons faire tous les jours. Car il n’y a rien à quoi les hommes soient plus enclins, qu’à transférer à Satan ce qui est propre a Dieu. Il est vrai qu’on se couvre de la religion ; mais de quoi a servi cette couverture aux Samaritains ? Bien donc nous prend de ce que Dieu nous manifeste sa vertu en son Fils notre Seigneur Jésus ; et nous montre qu’il ne nous la faut point chercher ailleurs ; et pour nous arrêter en soi-même, nous découvre les ruses et finesses de Satan que nous avons à éviter.
Tous, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, s’attachaient à lui, disant : Celui-ci est la puissance de Dieu, celle qui est appelée la grande.
Or ils s’attachaient à lui, parce que depuis assez longtemps il les avait étonnés par ses actes de magie.
Mais quand ils eurent cru Philippe qui leur annonçait la bonne nouvelle concernant le royaume de Dieu et le nom de Jésus-Christ, hommes et femmes se faisaient baptiser.
C’est ce miracle que j’ai dit, que ceux qui étaient complètement éblouis des illusions de Simon, ont entendu Philippe ; que ceux qui étaient complètement stupides et hébétés, ont été faits participants de la doctrine céleste. Ils ont été en cette sorte, par manière de dire, tirés des enfers pour être élevés au ciel. Quant à ce que le Baptême a suivi la foi, cela s’accorde avec l’institution de Jésus-Christ, en tant qu’elle concerne les étrangers, Marc 16.16. Car il fallait qu’ils fussent insérés par foi au corps de l’Eglise, avant que de prendre le signe. Mais les Anabaptistes se montrent en cet endroit plus que ridicules, quand de tels passages ils s’efforcent de prouver que le baptême ne doit être donné aux petits enfant. Les hommes et les femmes ne pouvaient être baptisés, qu’ils ne fissent confession de leur foi ; mais ils ont été reçus au baptême à cette condition, que leurs familles aussi fussent consacrées à Dieu. Car l’alliance le porte ainsi : Je serai ton Dieu, et le Dieu de ta semence, Genèse 17.7.
Or Simon lui-même crut aussi, et après avoir été baptisé, il ne quittait plus Philippe ; et voyant les signes et les grands miracles qui se faisaient, il était dans l’étonnement.
Celui qui avait enchanté toute la ville de ses faussetés, reçoit la vérité de Dieu ensemble avec les autres. Celui qui s’était vanté être la grande vertu de Dieu, se soumet à Christ. Toutefois ce qu’il a été illuminé en la connaissance de la vérité, n’a point été tant pour sa personne seulement, que pour tout le peuple ; afin que le scandale qui pouvait retarder les ignorants, fut ôté. Et à cela se rapporte ce que S. Luc dit puis après, qu’il s’est ébahi des signes. Car Dieu a voulu mener celui-ci en triomphe, lequel les Samaritains estimaient comme un demi-Dieu. Ce qui se fait, quand lui ayant ôté sa vaine vanterie, il le contraint de donner gloire aux vrais miracles. Car il ne s’adonne pas à Jésus-Christ d’une pure affection de cœur. Autrement il n’eut pas sitôt après montré une ambition perverse, ni une telle profane et malheureuse estimation des dons du Saint Esprit, comme il a fait. Toutefois je ne m’accorde pas avec plusieurs, qui pensent qu’il ait seulement fait semblant d’avoir la foi, cependant ne croyant nullement. S. Luc assure ouvertement qu’il crut ; et la raison est ajoutée, à savoir pour ce qu’il était étonné. Comment donc montre-il bientôt après qu’il est hypocrite ? Je réponds qu’il existe une position moyenne entre la foi et une pure dissimulation. Les Epicuriens et disciples de Lucian confessent qu’ils croient ; combien qu’ils se moquent au dedans, que l’espérance de la vie éternelle leur soit comme une fable, et finalement qu’ils n’aient non plus de religion et crainte de Dieu, que chiens et pourceaux. Mais il y en a plusieurs, lesquels combien qu’ils ne soient nullement régénérés par l’Esprit d’adoption, et ne s’adonnent à Dieu d’un vrai zèle et pureté de cœur ; néanmoins se sentant vaincus par la force et puissance de la Parole, non seulement reconnaissent être vrai ce qu’on leur enseigne, mais aussi sont touchés de la crainte de Dieu, à recevoir la doctrine. Car ils conçoivent que Dieu doit être entendu ; que celui d’un côté est auteur de salut, et d’autre côté juge rigoureux du monde. Ainsi, ils ne font point semblant devant les hommes d’avoir la foi, qui ne soit rien ; mais ils pensent bien croire. Et c’est la foi temporelle, de laquelle Christ fait mention en Marc 4.17 ; à savoir quand la semence de la Parole étant conçue dedans les cœurs, toutefois est étouffée bientôt après par les vaines sollicitudes de ce monde, ou bien par les affections perverses ; en sorte qu’elle ne vient jamais jusques à maturité ; mais plutôt elle se convertit en herbe bâtarde et inutile, Luc 8.3.
Ainsi donc telle était la foi de Simon. Il sent bien que la doctrine de l’Evangile est vraie, et est contraint par le sentiment de sa conscience de la recevoir ; mais cependant le fondement lui manque, à savoir le renoncement de soi-même. Dont on peut conclure que son cœur a été enveloppé de dissimulation, laquelle il montre puis après. Mais sachons que son hypocrisie était telle, qu’il s’est déçu soi-même en celle-ci, et non point une telle lourde hypocrisie que les Epicuriens ont, et leurs semblables ; pour ce qu’ils n’osent confesser franchement et ouvertement qu’ils sont contempteurs de Dieu.
Lequel après avoir été baptisé. Il apparaît clairement par cet exemple de Simon, que la grâce qui est figurée au baptême, n’est pas indifféremment conférée à tous ceux qui sont baptisés. La doctrine des Papistes est, que si quelqu’un se met au-devant un empêchement de péché mortel, tous reçoivent la vérité avec les signes. Par ainsi ils attribuent une vertu magique aux Sacrements, comme s’ils pouvaient profiter sans foi. Mais quant à nous, sachons que notre Seigneur nous offre par les Sacrements tout ce que signifient les promesses annexées, et que ces choses ne nous sont point offertes en vain ni inutilement ; moyennant toutefois que nous adressant à Jésus-Christ par foi, nous prenions en lui tout ce que les Sacrements promettent. Or combien que la réception du baptême n’ait rien profité pour lors à Simon ; toutefois si la conversion s’en est ensuivie puis après (comme aucuns pensent) l’utilité n’en a point été éteinte ni abolie. Car il advient souvent que l’Esprit du Seigneur travaille finalement après quelque longtemps, à ce que les Sacrements commencent à produire leur efficace.
Ne bougeait d’auprès de Philippe. En ce que Philippe a reçu avec soi Simon, nous voyons ouvertement combien il est difficile de discerner les hypocrites. Et ceci est une épreuve de notre patience. Ainsi Demas compagnon de S. Paul pour un temps, se révolta a la fin vilainement et déloyalement. Bref, nous ne pouvons éviter ce mal, que des méchants et gens cauteleux ne s’adjoignent quelque fois avec nous. Et puis s’il advient que des malins s’associent avec ruse à nous, il y aura de ces glorieux contradicteurs qui nous chargeront à tort, comme s’il nous fallait répondre des méchants tours des autres ; combien que c’est notre devoir de nous garder soigneusement de trop grande facilité, laquelle souvent est cause de faire blâmer l’Evangile. Et tant plus nous faut-il être prudents et avisés à ne recevoir pas en conversation familière toutes personnes indifféremment, quand nous voyons que de grands personnages y ont été trompés. Il dit qu’il s’étonnait des grands signes qu’il voyait faire par Philippe, afin que nous entendions que la grande vertu, de laquelle il se vantait, n’était rien qu’enchantement et abus. Car S. Luc ne dénote point un simple ébahissement, mais un ébranlement, lequel ravit l’homme hors de soi.
Cependant les apôtres, qui étaient à Jérusalem, ayant appris que la Samarie avait reçu la Parole de Dieu, leur envoyèrent Pierre et Jean ;
Saint Luc décrit ici les avancements de la grâce de Dieu chez les habitants de Samarie ; comme le saint Esprit a accoutumé d’enrichir les fidèles de ses dons, les augmentant de plus en plus. Car il ne faut pas penser que les apôtres aient pris ce conseil, duquel S. Luc fait ici mention, autrement que par l’inspiration de Dieu, qui avait déjà commencé son œuvre en Samarie par la main de Philippe. Or il use en diverses sortes de ses organes ainsi qu’il lui semble bon, selon qu’il y a beaucoup de parties en son œuvre. Il les avait réduits à la foi par le moyen de Philippe ; maintenant il ordonne Pierre et Jean ministres pour conférer le saint Esprit. C’est ainsi d’une bonne manière qu’il entretient l’unité de son Eglise, quand les uns tendent la main aux autres ; et non seulement assemble les hommes en amitié mutuelle, mais aussi des Eglises entières. Il est bien vrai qu’il pouvait parfaire par Philippe ce qu’il avait bien commencé ; mais afin que les Samaritains apprissent mieux à s’entretenir en sainte amitié et conjonction fraternelle avec la première Eglise, il les a voulu, par manière de dire, lier de ce lien. De plus, il a voulu autoriser de cet avantage les apôtres, auxquels il avait donné charge de publier l’Evangile par tout le monde, afin que tous fussent mieux unis en une même foi de l’Evangile. Et nous savons que sans cela il y eût eu danger, vu que les Juifs et les Samaritains étaient grandement différents de passions et de mœurs, qu’étant ainsi divisés ils n’eussent aussi divisé Jésus-Christ ; ou pour le moins qu’ils ne se fussent forgé chacun à part une Eglise de quelque nouvelle façon.
Cependant nous voyons combien les apôtres ont été diligemment attentifs à porter secours aux frères. Car ils n’attendent point qu’on les prie, mais d’eux-mêmes prennent ce soin. Or les apôtres ne font point ceci par défiance, comme s’ils eussent eu soupçon que Philippe ne fît pas bien son office en cet endroit ; mais ils lui offrent leur aide en l’œuvre où il travaillait ; et Pierre et Jean viennent non seulement pour être compagnons de la peine, mais aussi pour approuver ce que Philippe aurait fait. D’autre part, Philippe ne se plaint point qu’on lui fasse tort, de ce que les autres parachèvent l’édifice qu’il avait commencé à bâtir ; mais ils rapportent ensemble aimablement et en bonne simplicité tout ce qu’ils peuvent faire pour l’Eglise. Et de fait, il n’y a autre chose que l’ambition qui ferme la porte à toutes saintes communications. Quant à ce que explique ici S. Luc, que Pierre a été envoyé des autres ; on peut recueillir de là, qu’il n’a point exercé domination sur ses compagnons ; mais qu’il a tellement été excellent par-dessus les autres, que toutefois il était sujet à tout le corps, et lui obéissait.
Qui étaient en Jérusalem. Ceci peut être entendu en deux sortes ; ou que les apôtres étaient tous pour lors en Jérusalem ; ou qu’il y en avait là certains de reste, cependant que les autres étaient allés çà et là. Et je m’arrête plus volontiers au dernier. Car il est probable qu’ils ont tellement réparti le travail entre eux, qu’il y en avait toujours aucuns qui avaient diverses commissions, selon que l’occasion s’adonnait ; et quelque partie demeurait en Jérusalem, comme en la principale garnison. Il se peut faire aussi qu’après qu’un chacun avait demeuré quelque temps en sa commission, ils avaient de coutume de s’assembler là. Il est bien certain que le temps durant lequel ils étaient en Jérusalem, n’a point été consumé en oisiveté ; d’avantage, qu’ils n’ont point là été attachés comme sur leur nid ; vu que le Seigneur Jésus leur avait ordonné d’aller par tout le monde.
qui étant arrivés prièrent pour eux, afin qu’ils reçussent l’Esprit saint ;
Il ne faut nullement douter que premièrement ils n’aient pris la charge d’enseigner. Car nous savons que les apôtres n’étaient point des masques muets. Mais S. Luc laissant là ce qu’ils avaient de commun avec Philippe, explique seulement ce que leur venue apporte de nouveau aux Samaritains ; à savoir que lors premièrement ils reçurent le Saint Esprit. Mais ici se présente une question. Car il dit qu’ils étaient seulement baptisés au nom de Jésus-Christ, et que pour cette cause ils n’avaient point encore reçu le saint Esprit. Or il faut ou que le baptême soit inutile, et sans grâce et vertu quelconque ; ou bien qu’il ait du saint Esprit toute son efficace. Au baptême nous sommes lavez de nos péchés ; mais S. Paul enseigne que notre purification est une œuvre du saint Esprit, Tite 3.5. L’eau du baptême est le signe du sang de Jésus-Christ ; mais saint Pierre dit que c’est le saint Esprit qui nous arrose du sang de Jésus-Christ, 1 Pierre 1.2. Au baptême notre vieil homme est crucifié, afin que nous ressuscitions en nouveauté de vie, Romains 6.4. Mais d’où vient tout cela, sinon de la sanctification du Saint Esprit ? bref, ce ne sera plus rien du baptême, s’il est séparé du Saint Esprit. Et pourtant il ne faut point nier que les Samaritains qui avaient vraiment vêtu Jésus-Christ au baptême, n’aient été aussi revêtus du Saint Esprit, Galates 3.27. Et de fait, S. Luc ne parle pas ici de la grâce commune du Saint Esprit, par laquelle Dieu nous régénère pour être ses enfants ; mais de ces dons particuliers, lesquels le Seigneur a voulu donner à certains au commencement de l’Evangile, pour orner le Royaume de son Fils Jésus-Christ. Ainsi doivent être entendues les paroles de S. Jean, que l’Esprit n’avait point encore été donné aux disciples, quand Jésus-Christ était au monde, Jean 7.39. Non pas qu’ils fussent du tout vides du Saint Esprit, duquel ils avaient reçu et la foi, et une affection sainte de suivre Christ ; mais pour ce qu’ils n’avaient pas encore les dons excellents, dans lesquels depuis la gloire du Royaume du Seigneur Jésus a reluit plus amplement. En somme, comme ainsi soit que les Samaritains eussent déjà reçu l’Esprit d’adoption, voici encore d’autres grâces plus excellentes du Saint Esprit qui leur sont données par-dessus ; lesquelles Dieu a pour un temps (par manière de dire) montré la présence visible de son Esprit à son Eglise, afin d’établir et confirmer à perpétuité l’autorité de son Evangile, et en même temps donner à connaître que son Esprit serait toujours conducteur et gouverneur des fidèles.
car il n’était encore descendu sur aucun d’eux ; mais ils avaient été seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus.
Ceci ne doit être entendu, comme s’il était dit par mépris du baptême. Mais saint Luc veut dire qu’ils n’avaient lors reçu que la grâce commune d’adoption et régénération, laquelle est offerte au baptême à tous fidèles. Or c’était une chose extraordinaire, que certains reçussent des dons du Saint Esprit, par lesquels le Royaume du Seigneur Jésus fut plus anobli, et la gloire de son Evangile mieux connue. Car voilà comment on devait user de ses grâces et dons, à savoir qu’un chacun profitât à l’Eglise selon sa faculté et puissance. Ceci est bien digne d’être noté, d’autant que les Papistes voulant magnifier leur confirmation controuvée, ne font nulle difficulté de dégorger ce sacrilège et ce blasphème horrible, que ceux sur lesquels les mains n’auront été imposées, ne sont encore que demi-Chrétiens. Déjà ceci n’est nullement tolérable, qu’en lieu que c’était un signe temporel, ils en ont fait une Loi perpétuelle en l’Eglise ; comme s’ils avaient le saint Esprit en leurs manches. Mous voyons et savons bien que c’est une moquerie trop vilaine, quand le témoignage et le gage de la grâce de Dieu est proposé en vain et sans la vérité. Or ils sont contraints eux-mêmes de confesser que ces grâces et dons n’ont été conférés à l’Eglise que pour un temps. Dont s’ensuit que l’imposition des mains, de laquelle les apôtres ont usé, a cessé quant l’effet aussi a cessé. Je laisse là qu’ils ont ajouté de l’huile avec l’imposition des mains. Mais c’a été une trop grande audace, comme j’ai déjà dit, d’imposer une Loi perpétuelle à l’Eglise, pour faire un Sacrement général de ce dont les apôtres ont usé particulièrement ; et que le signe durât perpétuellement après que la vérité aurait pris fin.
Mais voici le pis, qu’avec cela ils ont ajouté un blasphème exécrable, que seulement par le baptême les péchés sont pardonnés, et que par leurs puantes huiles l’Esprit de régénération est conféré, lesquelles ils ont bien osé introduire sans aucune parole de Dieu. L’Écriture rend témoignage ouvertement, que nous revêtons Jésus-Christ au baptême, et que nous sommes insérés en son corps, afin que notre vieil homme soit crucifié et renouvelé en justice. Ces sacrilèges ravisseurs ont transféré les dépouilles qu’ils ont ôtées au baptême, à la fausse masque de leur sacrement controuvé et forgé sans raison quelconque. Et ce n’a point été seulement un homme qui ait controuvé ceci, mais c’a été un décret et ordonnance générale de tout un Concile, duquel ils gazouillent tous les jours à haute voix en leurs écoles Sataniques.
Alors ils leur imposaient les mains, et ils recevaient l’Esprit saint.
Après les oraisons et prières suit l’imposition des mains. Par cela ils rendent témoignage que la grâce du Saint Esprit n’est nullement enclose en la cérémonie externe, vu qu’ils font prières à Dieu pour obtenir cette grâce. Et toutefois ils ne méprisent point la cérémonie, qui leur avait été ordonnée de Dieu à cet usage. Et pour ce qu’ils n’en usent point témérairement et sans raison, l’effet est en même temps conjoint. C’est-ci l’utilité et efficace des signes, que Dieu travaille en ceux-ci, et toutefois il demeure seul auteur de la grâce. Mais souvenons-nous que l’imposition des mains a été un organe de Dieu, pour le temps qu’il a donné à ses fidèles des grâces visibles de son saint Esprit. Mais depuis que l’Eglise a été privée de telles richesses, ce n’est plus qu’un vain spectacle et inutile.
Or Simon, voyant que l’Esprit était donné par l’imposition des mains des apôtres, leur offrit de l’argent, disant :
Simon découvre son hypocrisie maintenant. Non point qu’il eût auparavant fait semblant de croire ; car se sentant convaincu, il avait à bon escient consenti à la doctrine de Jésus-Christ. Comme de fait il y en a plusieurs qui s’accordent à l’Evangile, afin qu’ils ne fassent guerre à Dieu ; cependant toutefois ils demeurent tels qu’ils étaient, en lieu que la vraie foi ne peut être en nous, que le renoncement de nous-mêmes ne s’en ensuive. Or cela qu’est-ce autre chose sinon mêler Jésus-Christ avec Satan, quand la doctrine ne pénètre point jusques aux affections intérieures du cœur, mais les ordures intérieures demeurent dedans comme ensevelies ? Maintenant donc Dieu efface ce fard en Simon, afin qu’en faisant profession de Jésus-Christ, il ne déçoive ni soi-même ni les autres. Car l’ambition qui était occulte se montre maintenant, quand il se veut faire égal aux apôtres. voilà déjà un vice en Simon. Puis après il y a ceci, que pensant que la grâce de Dieu se peut vendre, il la veut prostituer pour en faire gain et profit. Dont il apparaît que c était un homme profane, qui n’avait encore goûté les rudiments de vraie religion. Car il n’était touché d’aucune affection de la gloire de Dieu. Et qui plus est, il ne pense point ce que c’est d’être ministre de Dieu. Comme jusques alors il avait fait de grands gains et profits de son art magique, aussi pensait-il qu’il pourrait faire grand profit, s’il pouvait acquérir ce don de conférer les grâces du Saint Esprit. Et ne faut point douter que son but n’ait été de pourchasser devant le monde des richesses et gloire. En même temps il fait grand tort à Dieu, de penser qu’il n’y a nulle différence entre cette vertu céleste et ses enchantements ou sorcelleries magiques. Nous entendons maintenant en bref quel a été le péché de Simon, et en combien de sortes il a offensé. Quant aux dons du Saint Esprit il n’adore et ne reconnaît point la puissance de Jésus-Christ, il ne reconnaît point que les apôtres étaient garnis d’une vertu céleste pour éclaircir la gloire de Jésus-Christ par leur ministère. Son ambition le pousse et transporte tellement, que délaissant Dieu en arrière, il veut être éminent, et assujettir le monde à soi. Il veut marchander le Saint Esprit, comme s’il était sujet a quelque prix.
Donnez-moi aussi ce pouvoir, afin que celui à qui j’imposerai les mains reçoive l’Esprit saint.
Mais Pierre lui dit : Que ton argent périsse avec toi, puisque tu as cru que le don de Dieu s’acquérait avec de l’argent !
Saint Pierre le repousse bien lourdement, et ne se contentant point de lui faire une répréhension âpre, il ajoute une imprécation ou malédiction terrible ; à savoir que Simon aille en perdition avec son argent. Toutefois il ne fait pas tant imprécation pour qu’il périsse, quand il lui annonce la vengeance de Dieu, mais afin qu’il en soit ébranlé. En somme, saint Pierre montre ce qu’il a bien mérité, quand il a assujetti le Saint Esprit à être une vilaine marchandise. Comme s’il eût dit : Tu es digne de périr avec ton argent, vu que tu fais un tel outrage a l’Esprit de Dieu. Car on peut facilement recueillir de ce qui est dit ci-après, que saint Pierre désirait plutôt le salut de Simon que sa perdition et ruine. Mais comme représentant la personne d’un juge, il prononce quelle peine méritait l’impiété de Simon. Et il fallait que sa condamnation lui fut montrée d’une telle véhémence, afin qu’il sentît à bon escient combien son péché était énorme et horrible. A cela appartient aussi ce que saint Pierre envoie l’argent en perdition. Car il signifie qu’il était comme infect et pollué de la contagion de ce forfait, d’autant qu’il avait été offert à un usage si méchant. Et de fait, nous devons plutôt souhaiter que tout le monde périsse, que de dire que l’honneur et la gloire de Dieu soit obscurcie par des choses qui ne sont rien en comparaison. Au reste, quand il fait une telle imprécation à ce sacrilège, il ne regarde pas tant la personne, que le fait. Car nous nous devons tellement courroucer, voire aigrir contre les péchés des hommes, que cependant aussi nous devons avoir pitié des personnes. Telles sont les sentences de Dieu, lesquelles destinent les ivrognes, les larrons, les adultères et malfaisants à perdition et ruine, 1 Corinthiens 6.10, et Ephésiens 5.5. Car elles ne leur ôtent point l’espoir de salut entant qu’ils sont hommes, mais seulement se rapportent à leur état présent.
Tu n’as ni part ni lot en cette affaire ; car ton cœur n’est pas droit devant Dieu.
Certains lient autrement ce propos, à savoir que Simon n’est point participant de la grâce, d’autant qu’il estime qu’elle puisse être acquise et obtenue par argent. Mais l’autre lecture que nous avons suivie, est plus reçue, à savoir que cette raison soit conjointe avec le membre précédent. Et de fait, il vaut mieux conjoindre ceci en cette sorte: Ton argent périsse avec toi, vu que tu penses que par celui-ci le don inestimable du saint Esprit puisse être récompensé. Au lieu que le traducteur ancien avait mis : En la parole ; Erasme a mieux traduit : En cette affaire. Car saint Pierre signifie qu’en toute cette administration il n’y a rien qui soit commun à un homme sacrilège, lequel la profane par son impiété. Au reste, quant à la Simonie, et les anciens Théologiens, et les Papistes en ont grandement débattu. Mais ce que les Papistes appellent Simonie, ne convient nullement avec le fait de Simon. Simon a voulu donner de l’argent pour acheter la grâce du saint Esprit ; les Papistes veulent tirer le crime de Simonie à leurs revenus et prébendes. Et toutefois je ne dis point ceci pour amoindrir les méchancetés qui courent aujourd’hui en la Papauté, touchant la vente des bénéfices. C’est déjà un crime assez méchant de soi, qu’ils exercent telles marchandises et foires en l’Eglise de Dieu. Cependant toutefois si faut-il que nous sachions que c’est proprement de Simonie, à savoir que c’est une marchandise profane des dons du saint Esprit, quand quelqu’un abuse de ces dons pour servir à son ambition, ou à d’autres corruptions. Je confesse toutefois que tous ceux qui aspirent au gouvernement de l’Eglise par méchants moyens, sont imitateurs de Simon. Ce que nous voyons aujourd’hui être fait par tout sans honte quelconque, comme si c’était une chose licite. Et selon cette raison à grand-peine trouvera-on un seul prêtre en toute la Papauté, qui ne soit ouvertement Simoniaque, vu que nul ne peut venir à avoir quelque lieu en cet ordre, qu’il ne s’y fourre par voies obliques. Combien qu’il nous faut bien confesser ce que les petits enfants mêmes voient à notre grande honte, que ce désordre a la vogue aussi publiquement et communément en certains lieux où on se vante à pleine bouche de la réformation de l’Evangile. Mais quant à nous, afin que soyons nets de cette contagion de Simon, souvenons-nous premièrement que les grâces et dons du saint Esprit ne s’acquièrent point par argent, mais sont conférés par la pure bonté de Dieu, et ce pour l’édification de l’Eglise, à savoir afin qu’un chacun s’étudie à aider à ses frères selon sa puissance ; qu’un chacun rapporte au bien commun de l’Eglise ce qu’il a reçu ; et qu’il n’y ait excellence si grande d’homme quel qu’il soit, qui empêche que Jésus-Christ ne soit seul éminent par-dessus tous.
Néanmoins on se pourrait bien étonner, de ce que saint Pierre exclut Simon de la participation du saint Esprit quant aux dons particuliers de celui-ci, d’autant qu’il n’avait point le cœur droit devant Dieu. Car la perversité de Judas n’a pas fait qu’il ne fut garni des dons du saint Esprit. Et les dons du saint Esprit n’eussent point été ainsi corrompus entre les Corinthiens, s’ils eussent eu le cœur droit devant Dieu. La raison donc que saint Pierre assigne, ne semble point suffisante. Car il y en aura beaucoup qui n’auront point le cœur pur, et toutefois seront bien souvent excellents dans les dons du saint Esprit. Mais en premier lieu, il n’y a nul inconvénient, si Dieu confère telles grâces à ceux qui en sont indignes. D’avantage, saint Pierre ne baille point ici une règle générale, mais pour ce que la communication des dons du saint Esprit appartient spécialement à l’Eglise, il prononce que Simon qui est étranger à Jésus-Christ, est indigne de participer des mêmes grâces avec les fidèles comme l’un des domestiques de Dieu.
Repens-toi donc de ta méchanceté, et prie le Seigneur, afin que, s’il est possible, la pensée de ton cœur te soit pardonnée.
Vu qu’il l’exhorte à repentance et à prier Dieu, il lui laisse encore quelque espoir de pardon de reste. Car nul ne sera jamais touché d’aucune affection de se repentir, qu’il n’ait confiance que Dieu lui sera propice. Au contraire, le désespoir tire violemment les hommes à audace. De plus, l’Écriture nous enseigne que Dieu n’est point droitement invoqué, sinon par foi. Nous voyons donc comment saint Pierre redresse maintenant Simon par la confiance de salut, lequel il avait auparavant abattu par paroles foudroyantes. Et toutefois le péché de Simon n’était pas une petite offense. Mais si possible est, il nous faut retirer les hommes du profond même des enfers. Par quoi, jusques à ce que les hommes montrent par signes manifestes qu’ils sont réprouvés, on n’en doit traiter pas un seul si rigoureusement, que cependant on ne lui propose en même temps la rémission des péchés devant les yeux. Mais qui plus est, ceux qui auront besoin d’une plus aigre répréhension à cause de leur obstination et endurcissement, nonobstant si faut-il que nous les abattions tellement d’une main, que nous les relevions de l’autre. Car l’Esprit de Dieu ne permet point que nous foudroyons par exécrations et malédictions irrévocables.
Mais il semble bien avis que saint Pierre veut ici mettre Simon en crainte et en doute, quand il dit, Si possible. Et les Papistes s’efforcent de prouver par ce passage et autres semblables, qu’il nous faut être en suspens et en doute quand nous prions ; pour ce que c’est une folle présomption aux hommes de se promettre certainement bonne issue. Mais la solution est facile. Car le mot Grec mis ici par S. Luc, vaut autant comme si on disait : Si en quelque sorte Dieu te pardonne. Or S. Pierre use de ce mot, non pas pour laisser l’Esprit de Simon en perplexité ; mais pour l’inciter et pousser davantage à prier Dieu d’une plus grande véhémence. Car la difficulté est propre et sert grandement à nous réveiller. Car quand il nous semble que la chose est entre nos mains, nous sommes trop lâches et paresseux. Par ainsi donc saint Pierre n’étonne point tellement Simon, qu’il renverse par cela en son cœur l’assurance d’obtenir pardon, ou bien qu’il lui apporte quelque trouble ; mais lui laissant une espérance certaine, s’il prie de bon cœur, et en vérité et humilité, seulement pour l’inciter à prier de plus grande ardeur, il dit que selon l’énormité du péché le pardon est difficile à avoir. Car il faut nécessairement que pour venir à Dieu la foi aille devant nous ; et pour mieux dire, qu’elle soit la mère de notre oraison.
Car je vois que tu es dans un fiel amer et dans des liens d’iniquité.
Saint Pierre derechef manie rudement Simon, et l’étonne, proposant devant ses yeux le jugement de Dieu. Car s’il n’eut été contraint de descendre en soi-même, il ne se fût jamais converti à Dieu à bon escient. Car il n’y a rien plus pernicieux à gens stupides et hébétés, que quand nous les flattons, ou quand nous les grattons seulement pardessus ; au lieu que plutôt il les faut percer tout outre. Par quoi, jusques à ce que le pécheur ait conçu une vraie tristesse et douleur du sentiment de son péché, il faut user d’une telle sévérité qu’elle lui navre le cœur. Autrement, il s’engendrera une tumeur pourrie, et se nourrira au dedans, laquelle consumera l’homme petit a petit. Toutefois il faut garder toujours cette mesure, que nous procurions le salut des hommes autant que nous pourrons. Au surplus, il y a deux belles similitudes dans les paroles de saint Pierre. L’une d’elles semble être prise de Moïse, où il nous défend qu’il n’y ait aucune racine en nous germant le fiel et l’absinthe, Deutéronome 29.18. Or par telle façon de parler est dénotée la malice intérieure du cœur, quand il a tellement conçu le venin d’impiété, qu’étant abreuvé de celui-ci, il ne peut produire qu’amertume.
A ce même but tendent ces mots, Lien d’iniquité, à savoir quand Satan tient tout le cœur lié et serré. Car il adviendra souvent, que ceux qui au demeurant seront gens de bien, et auront la crainte de Dieu, viendront à commettre actes mauvais, et toutefois ils n’auront point le profond du cœur gâté ni corrompu de venin. Nous savons que les hommes sont hypocrites de nature ; mais quand l’Esprit de Dieu reluit et éclaire, nous ne sommes point tellement aveugles en nos ordures et péchés, que nous en couvions au dedans comme un faisceau caché. Saint Pierre donc signifie que Simon n’a point offensé seulement en quelque point, mais que la racine même de son cœur est corrompue et envenimée ; qu’il n’est point tombé dans les filets de Satan seulement par une espèce de péché, mais que tous ses sens sont tenus entortillés, en sorte qu’il est totalement adonné à Satan, et est comme esclave d’iniquité. Cependant par ceci nous sommes exhortés que l’énormité des péchés ne doit pas être estimée tant par le mal qui apparaît, que par l’affection du cœur.
Alors Simon répondant dit : Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi, afin qu’il ne m’arrive rien de ce que vous avez dit.
Nous pouvons recueillir de ceci, qu’il n’a pas tellement reçu les menaces que S. Pierre lui avait faites, qu’il ne pensât bien qu’on cherchait son salut. Or combien qu’il n’y eût que saint Pierre qui lui ait parlé, toutefois il attribue cette parole indifféremment à tous pour l’accord qui était entre eux. Maintenant on pourrait demander ce que que l’on doit penser de Simon. L’Ecriture ne nous mène pas plus loin qu’à une simple conjecture. Quand il ne réplique point à cette répréhension qui lui est faite, et étant touché du sentiment de son offense, il craint le jugement de Dieu ; d’avantage il se retire à la grâce et miséricorde de Dieu, et se recommande aux prières et oraisons de l’Eglise ; certes ce ne sont pas petits signes de repentance. Nous pouvons donc prendre conjecture, qu’il s’est repenti. Et toutefois tous les anciens écrivent qu’il a été grand ennemi de saint Pierre après cela, et qu’il disputa contre lui à Rome par l’espace de trois jours. Car on trouve par écrit une dispute sous le nom de Clément ; mais qui contient des rêveries si sottes, que c’est merveilles que des Chrétiens aient pu prêter l’oreille à choses si indignes de Chrétiens. D’avantage, saint Augustin, écrivant à Januarius, montre que de son temps on faisait des contes de cela à Rome, divers et incertains. Par quoi il n’y a rien plus sûr, que de rejeter toutes opinions incertaines, et recevoir simplement ce que nous en trouvons dans les saintes Écritures. Ce que nous lisons ailleurs de Simon, à bon droit nous peut être suspect pour plusieurs causes.
Eux donc, après avoir ainsi rendu témoignage et annoncé la Parole du Seigneur, retournaient à Jérusalem et évangélisaient beaucoup de villages des Samaritains.
Saint Luc montre par ces paroles, que Pierre et Jean n’étaient point seulement venus pour conférer des dons du saint Esprit aux Samaritains ; mais aussi afin qu’en approuvant la doctrine de Philippe, ils les confirmassent en la foi qu’ils avaient déjà reçue. Car c’est ce que signifie ce mot, attesté (rendu témoignage). Comme s’il disait que le témoignage que Pierre et Jean avaient rendu, fît que la parole de Dieu eut pleine et ferme autorité, et que la vérité a été rendue authentique, comme pleinement attestée. Cependant toutefois saint Luc remontre qu’ils ont été témoins fidèles de Dieu, quand il ajoute qu’ils annoncèrent la Parole par les bourgades de Samarie. La somme donc de la doctrine des apôtres a été, qu’ils ont fidèlement annoncé ce que le Seigneur leur avait appris, et non point leurs inventions, ni rien qui fut controuvé par les hommes, il dit qu’ils n’ont point fait cela seulement en une ville ou en un lieu, mais aussi en plusieurs villages. Nous voyons donc qu’ils ont été embrasés d’un tel zèle et affection pour avancer la gloire de Jésus-Christ, qu’en quelque part qu’ils arrivassent, ils l’avaient toujours en la bouche. Ainsi la semence de vie commença à être répandue d’une ville par tout le pays.
Or un ange du Seigneur parla à Philippe en disant : Lève-toi, et va, vers midi, sur le chemin qui descend de Jérusalem à Gaza ; il est désert.
S. Luc rapporte une histoire nouvelle, par laquelle il montre comment l’Evangile est parvenu jusques aux Ethiopiens. Car combien qu’il ne raconte que d’un homme seul qui ait été converti à la foi de notre Seigneur Jésus, nonobstant pour ce qu’il avait grande autorité et puissance en tout le royaume, sa foi a pu répandre son odeur bien loin. Car nous savons bien que l’Evangile a pris son accroissement de commencements petits et faibles ; et la vertu du Saint Esprit s’est plus clairement et ouvertement montrée en cela qu’un seul grain de semence a rempli en un bref espace de temps une région bien ample. En premier lieu, il est commandé à Philippe par l’Ange d’aller vers le Midi. Cependant l’Ange ne lui déclare point quel profit il peut faire, ou à quelle fin il y doit aller. Voilà comment le Seigneur travaille bien souvent avec les siens, pour éprouver par ce moyen leur obéissance. Il leur déclare bien ce qu’il veut qu’ils fassent ; il leur ordonne et commande bien ceci ou cela ; mais quant à l’issue il la tient cachée par devers soi. Contentons-nous donc de la simple ordonnance et commandement de Dieu ; combien que la cause et raison de ce qu’il nous commande, ou le fruit et utilité de notre obéissance ne nous apparussent pas du premier coup. Car combien que ceci ne soit pas ouvertement déclaré, néanmoins tous les commandements de Dieu contiennent une promesse tacite, à savoir que toutes les fois que nous lui rendons obéissance, tout ce que nous entreprenons ne peut tomber qu’à bonne fin. Joint qu’il nous doit suffire que ce que nous faisons est approuvé de Dieu, quand nous n’entreprenons rien follement et sans son commandement. Si quelqu’un objecte, que les Anges ne descendent pas tous les jours du ciel, pour nous manifester ce que nous devons faire ; il est bien facile de répondre à cela ; que la parole de notre Seigneur nous enseigne et remontre assez ce que nous devons faire ; et que ceux qui interrogent la bouche du Seigneur, et se soumettent à la conduite du Saint Esprit, ne sont point dépourvus de conseil. Par quoi il n’y a rien qui nous empêche ou retarde de suivre Dieu promptement et d’un bon cœur et joyeux, que notre paresse et nonchalance de prier.
Au chemin qui descend de Jérusalem à Gaza. Tous gens doctes et savants s’accordent bien en ceci, que ce que les Hébreux appellent Haza, est ici appelé Gaza. Et pourtant Pomponius Mela s’abuse, disant que ce nom a été imposé à Gaza par Cambyses roi de Perse ; d’autant que faisant la guerre aux Egyptiens, il avait laissé là ses richesses et trésors en garde. Il est vrai que les Perses appellent un trésor ou richesses, Gaza ; et S. Luc prend bientôt après ce mot en ce sens, quand il dit que cet Eunuque était commis sur la gaze, c’est-à-dire sur les richesse et trésors de la reine Candace. Mais pour ce que ce mot hébreu était en usage avant que Cambyses fut né, je ne doute point qu’il n’ait, été depuis corrompu, et que la lettre Heth, n’ait été changée en G ; ce que nous voyons avoir été fait presque en tous autres noms. Il l’appelle expressément, la déserte, pour ce qu’Alexandre le grand avait détruit l’ancienne Gaza. Ceux qui disent que la seconde Gaza a été bâtie par Constantin, sont ici réfutés par S. Luc, qui affirme qu’elle était édifiée 150 ans avant Constantin. Nonobstant il se peut bien faire qu’il ait enrichi et agrandi cette Gaza étant déjà bâtie. Au reste, tous sont de cette opinion, que cette nouvelle Gaza était située sur la mer, distante de l’autre Gaza ancienne de vingt stades, c’est-à-dire, une grande lieue.
Et s’étant levé, il s’en alla. Et voici un Ethiopien, eunuque, ministre de Candace reine d’Ethiopie, surintendant de tous ses trésors, qui était venu à Jérusalem pour adorer,
Saint Luc appelle homme, celui lequel il dit ensuite avoir été Eunuque. Mais pour ce qu’en Orient les Rois et Reines avaient accoutumé de commettre les Eunuques sur quelques grandes affaires, de là est advenu que tous grands seigneurs étaient indifféremment appelés Eunuques, combien qu’ils ne fussent pas châtrés. Au reste, Philippe expérimente maintenant qu’il n’a point été en vain obéissant à Dieu. Ainsi, quiconque remettant l’issue au Seigneur, ira où celui-ci commande, expérimentera à la fin que tout ce qu’on entreprend sous la conduite et commandement de celui-ci, a une bonne et heureuse issue. Quant à ce nom de Candace, ce n’a point été le nom propre d’une seule Reine ; mais tout ainsi que ce nom de César a été commun à tous les Empereurs Romains, aussi selon le témoignage de Pline, les Ethiopiens appelaient leurs Reines, Candaces. A ce propos sert aussi ce que les Historiens disent que ce royaume a été grand et opulent ; d’autant qu’on peut mieux recueillir de la grandeur et puissance, en quelle grande dignité était constitué cet Eunuque. La ville capitale de ce royaume était Méroé. Les auteurs profanes s’accordent avec S. Luc, lesquels disent que les femmes régnaient là coutumièrement.
Et était venu pour adorer en Jérusalem. Nous recueillons de ceci, que la renommée du vrai Dieu était répandue bien loin, en sorte que déjà en quelques lointaines régions il y en avait qui adoraient son saint Nom. Il est certain qu’il fallait que cet homme-ci montrât publiquement qu’il adorait un autre Dieu que les gens de son pays, et qu’il fît profession d’un autre service de Dieu. Car il n’a pu venir en cachette au pays de Judée, et un si grand personnage ne pouvait dissimuler sa parole ; et il ne nous faut point douter qu’il n’ait eu grande compagnie avec soi. Et ce n’est point de merveilles s’il y en a eu aucuns par-ci par-là en tout Orient, qui adoraient le vrai Dieu. Car depuis que le peuple fut espars çà et là, en même temps aussi avait été répandue quelque odeur de la pure connaissance de Dieu parmi les nations barbares et étrangères. Et même la captivité du peuple avait été comme un peuplement de la vraie religion. Qui plus est, nous voyons que combien que les Romains eussent fait des édits cruels pour condamner la religion Judaïque, toutefois à grand-peine ont-ils pu faire que plusieurs ne vinssent par bandes et troupes s’y ranger. C’étaient des préparatifs de la vocation des Gentils, jusques à ce que Jésus-Christ chassant les ombres de la Loi par la splendeur de son avènement, ôte la différence qui était auparavant entre les Juifs et les Gentils, et qu’ayant rompu la paroi il recueillît des enfants de Dieu de tous côtés, Ephésiens 2.14.
Quant à ce que cet Eunuque est venu en Jérusalem pour adorer, il ne faut point imputer cela à superstition. Il pouvait bien prier Dieu en son pays ; mais ce bon personnage n’a voulu omettre les exercices ordonnés à ceux qui voulaient servir Dieu. Et même il avait ceci proposé en soi-même, que non seulement il voulait secrètement et particulièrement nourrir la foi en son cœur, mais aussi en faire profession devant les hommes. Et toutefois il ne s’est pu séparer en cette sorte de sa nation, qu’il ne sût bien que par ce moyen il se rendait odieux à plusieurs. Mais il a plus estimé la profession externe de religion, qu’il savait bien que Dieu requérait de lui, que toute la grâce et faveur des hommes. Que si une petite étincelle de la connaissance de la Loi a été si vigoureuse en cet Eunuque, homme étranger, quelle honte sera-ce à nous d’éteindre une si pleine lumière de l’Evangile par notre dissimulation perpétuelle, et silence déloyal ? Si on objecte que les sacrifices étaient déjà lors abolis, et que le temps était déjà venu, auquel Dieu voulait être invoqué par tout sans aucune différence de lieux ; la réponse est facile, que ceux auxquels la vérité de l’Evangile n’était encore manifestée, ne pouvaient être à bon droit repris de superstition, de ce qu’ils étaient encore retenus dans les ombres de la Loi. Car quant à ce qui est dit, que la Loi a été abolie par Jésus-Christ touchant les cérémonies, on le doit ainsi entendre, que quand Jésus-Christ se manifeste ouvertement, ces cérémonies anciennes qui le figuraient, s’évanouissent.
Touchant ce que Dieu a permis que cet Eunuque soit venu en Jérusalem, avant que de lui envoyer quelqu’un pour l’enseigner, il est croyable que cela a été fait, pour ce qu’il lui était utile d’être encore façonné par les rudiments de la Loi, afin que puis après il fut plus propre et idoine pour recevoir la doctrine de l’Evangile. Et quant à ce que Dieu ne lui offrit aucun des apôtres en Jérusalem, la cause est cachée en son conseil étroit. Si ce n’est par aventure afin qu’il eût en plus grand estime ce qu’il rencontra depuis comme un trésor trouvé soudainement et contre tout espoir ; ou bien pour ce qu’il valait mieux que Jésus-Christ lui fut proposé, après qu’étant détourné de la vue des pompes des cérémonies et du regard du temple, il cherchait la voie de salut en plus grande liberté, et mieux à son aise.
s’en retournait, assis sur son char, et lisait le prophète Esaïe.
La lecture d’Esaïe montre bien que cet Eunuque n’a point adoré Dieu selon sa propre fantaisie, ni qu’il ait forgé un Dieu à sa poste, mais qu’il l’a adoré tel qu’il l’avait connu par la doctrine de la Loi. Et de fait, voici le vrai et légitime moyen d’adorer Dieu, de ne pas s’attacher aux cérémonies nues et sans la substance, mais y ajouter la parole ; autrement rien ne se fera qu’à l’aventure ou confusément. Et de fait, la forme d’adorer ordonnée en la Loi ne diffère en rien des inventions des hommes, sinon que là Dieu fait luire la lumière de sa parole. Il n’y a donc que les disciples de Dieu, c’est-à-dire ceux qui sont enseignés en son école, qui l’adorent purement et comme il appartient. Mais il semble qu’il perd sa peine en lisant Esaïe, vu qu’il n’y entend rien. Car il confesse qu’il ne peut entendre le sens du Prophète, sinon qu’il soit instruit par un autre. Je réponds à cela, que tout ainsi qu’il lisait Esaïe ayant désir d’apprendre ; aussi en a-t-il espéré quelque fruit, et que même il l’a senti de fait. Pourquoi donc dit-il qu’il ne peut entendre le passage qu’il a entre mains ? C’est qu’il reconnaît modestement son ignorance dans ces passages difficiles. Il y a plusieurs choses en Esaïe, qui n’ont pas besoin de longue exposition ; comme quand il parle de la bonté et puissance de Dieu, en partie afin de convier les hommes à la foi, en partie aussi afin de les exhorter à vivre saintement. Il n’y a donc homme tant idiot et rude soit-il, qui en lisant ce livre-là, ne fasse quelque profit, et toutefois à grand-peine entendra-il du tout de dix versets l’un. Telle était la lecture de l’Eunuque. Car puis qu’il recueillait selon sa capacité les choses qui lui servaient à édification, son étude aussi lui apportait certaine utilité. Cependant si beaucoup de choses lui étaient cachées, il ne s’en fâchait point, en sorte qu’il jetât là le livre. Voilà aussi à la vérité comment il faut que nous lisions la sainte Écriture. Il nous faut recevoir d’un grand courage et promptitude les choses qui nous sont claires et ouvertes, et dans lesquelles Dieu nous découvre sa volonté. Ce qui nous est encore obscur, il le faut passer jusques à ce que plus grande lumière nous éclaire. Que si nous ne nous lassons et fâchons de lire, il adviendra finalement que l’Écriture nous sera rendue familière par continuel usage.
Et l’Esprit dit à Philippe : Approche-toi, et joins ce char.
Philippe étant accouru, l’entendit qui lisait le prophète Esaïe, et dit : Comprends-tu bien ce que tu lis ?
Mais il répondit : Comment le pourrais-je., si quelqu’un ne me guide ? Et il pria Philippe de monter et de s’asseoir auprès de lui.
Cet Eunuque montre une modestie singulière, en ce que non seulement il souffre paisiblement que Philippe, qui était un homme de basse condition, l’interroge, mais aussi confesse franchement et de son bon gré son ignorance. Et certes il ne faut point espérer que celui qui est enflé de la confiance de son propre entendement, se rende jamais docile. De cela aussi advient, que si petit nombre de gens font leur profit aujourd’hui de la lecture des saintes Écritures. Car à grand-peine en trouvera-t-on de cent l’un, qui se soumette volontiers et de bon gré pour apprendre. Car comme ainsi soit que presque tous ont honte de ne savoir point ce qu’ils ne savent point ; un chacun aime beaucoup mieux couvrir orgueilleusement son ignorance, que d’être réputé disciple des autres. Et qui plus est, la plus grande partie des hommes s’usurpe arrogamment la maîtrise sur les autres. Ce nonobstant souvenons-nous que l’Eunuque a tellement connu son ignorance, que cependant en lisant l’Écriture il était un des disciples de Dieu. Or ceci est la vraie révérence qu’on doit porter à l’Écriture, quand nous reconnaissons qu’en celle-ci il y a une sagesse cachée, laquelle surmonte du tout tous nos sens, et est bien éloignée de nos entendements, et que toutefois pour cela nous ne nous rendons point difficiles et dédaigneux ; mais la lisant avec diligence grande, nous dépendons de la révélation du saint Esprit, et désirons que quelque expositeur nous en soit donné.
Et pria Philippe de monter, etc. Voici un autre témoignage de son humilité et modestie, qu’il cherche un maître pour lui exposer ce qu’il n’entend pas. Il pouvait rejeter Philippe, selon que les riches sont orgueilleux. Car Philippe lui reprochait tacitement son ignorance, quand il lui demandait, Entends-tu ce que tu lis ? Or les riches pensent qu’on leur fait grand tort, quand quelqu’un parte librement à eux. Incontinent ils jettent ces gros mots hors de leur bouche. Qu’en as-tu affaire ? T’appartient-il de parler ainsi à moi ? Oses-tu bien rapprocher de moi ? Mais l’Eunuque se présente humblement à Philippe pour être enseigné. Voilà comment il faut que nos cœurs soient disposés, si nous voulons avoir Dieu pour docteur, l’Esprit duquel ne repose sinon sur ceux qui sont débonnaires et humbles, Esaïe 66.2. Que si quelqu’un se défiant de soi-même se rend docile, plutôt les Anges descendront du ciel pour nous enseigner, que Dieu permette que nous travaillions en vain. Toutefois à l’exemple de cet Eunuque nous devons user de toutes aides que Dieu nous propose pour entendre l’Écriture. Les esprits fantastiques (mystiques) attendent des révélations du ciel, et cependant méprisent les Ministres de Dieu, par les mains desquels ils devaient être guidés. Il y en a d’autres, qui s’appuyant sur la vivacité de leur Esprit, ne daignent ouïr personne, ne lire aucuns commentaires d’autrui. Mais tant y a que Dieu ne veut pas que nous méprisions les aides qu’il nous offre et destine, et ne laissera point impuni le mépris de ceux-ci. Or il nous faut ici rappeler que non seulement l’Écriture nous est donnée, mais aussi que les prédicateurs et docteurs y sont ajoutés pour nous aider. Pour cette raison le Seigneur a plutôt destiné Philippe à cet Eunuque que l’Ange. Car à quoi tendait ce circuit, que Dieu appelle Philippe par la voix de l’Ange, et qu’il n’envoie point l’Ange droit à l’Eunuque, sinon qu’il nous a voulu accoutumer et conduire à prêter l’oreille aux hommes ? Certainement ce n’est pas une petite louange de la prédication externe, que les Anges se taisent, et la voix de Dieu retentit en la bouche des hommes pour notre salut. Mais nous parlerons de ceci plus amplement aux chapitres 9 et 10.
Or le passage de l’Ecriture qu’il lisait était celui-ci : Comme une brebis, il a été mené à la tuerie, et comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n’ouvre pas la bouche.
Sachons que ce n’a été par cas fortuit, que l’Eunuque est tombé sur ce passage ; mais que cela a été fait par une providence admirable de Dieu, à ce que Philippe eût argument ou matière dont il peut déduire proprement toute la somme de la religion chrétienne. En premier lieu donc lui est donnée en main matière de pleine instruction par une adresse secrète du Saint Esprit ; puis après la forme est appropriée par le ministère d’un homme. Or ceci est une claire Prophétie de Jésus-Christ, et mémorable par-dessus les autres. Car Esaïe prononce là ouvertement et sans aucune obscurité, que le moyen de racheter l’Eglise sera tel, que le Fils de Dieu acquerra aux hommes la vie éternelle par sa mort, qu’il se constituera pour être offert en sacrifice pour effacer les péchés des hommes, qu’il sera brisé de la main de Dieu, et même descendra jusqu’aux enfers, afin que nous retirant du profond de la mort, il nous élève jusqu’au plus haut des cieux. En somme, ce passage traite clairement, comment les hommes sont réconciliés avec Dieu, comment ils acquièrent et obtiennent justice, comment étant délivrés de la tyrannie de Satan, et déliés du joug de péché, ils parviennent au Royaume de Dieu ; bref, d’où il faut attendre toutes les parties de notre salut. Toutefois j’exposerai seulement ce que saint Luc allègue ici.
Or il y a ici deux membres. Au premier, il montre qu’avant que Jésus-Christ rachète l’Eglise, et la remette en vie, il faut qu’il soit tellement brisé, qu’il apparaisse semblable à un homme perdu et désespéré. Puis après il prononce que sa mort sera vivifiante, et que d’un extrême désespoir il en sortira un triomphe magnifique. Quant à ce qu’il compare Jésus-Christ à une brebis qu’on mène à la tuerie, et ne dit mot, et à un agneau qui s’abaisse, n’ouvrant point la bouche devant celui qui le tond, il montre ouvertement que le sacrifice de Jésus-Christ devait être volontaire. Or à la vérité ceci a été le moyen d’apaiser Dieu que Christ s’est rendu obéissant. Il est vrai qu’il a parlé devant Pilate (Jean 18.34, 36) non point pour racheter sa vie, mais plutôt pour s’offrir volontairement pour sacrifice, ainsi qu’il avait été ordonné du Père, et même pour souffrir lui-même la peine que nous avions méritée. Le Prophète donc enseigne l’un et l’autre, à savoir qu’il a fallu que Christ ait souffert la mort, afin qu’il nous acquît la vie, et qu’il fallait qu’il endurât mort et passion de son bon gré, afin que par son obéissance il effaçât la rébellion des hommes. Au reste, il nous faut recueillir de ceci une exhortation à patience ; comme fait saint Pierre. Mais cette doctrine de la foi, laquelle j’ai touchée, va la première en ordre.
Dans l’humiliation, son jugement a été levé. Qui racontera sa génération ? Car sa vie est ôtée de la terre.
Ou l’Eunuque avait pour lors un livre Grec entre ses mains, ou bien saint Luc selon sa coutume a donné la lecture pour lors reçue en usage. Le Prophète dit, que Christ est élevé de détresse et condamnation. Par lesquelles paroles il magnifie cette grande et admirable victoire, qui tôt après a suivi son abjection et humiliation. Car que pouvait-on espérer de lui, s’il eût été du tout opprimé par mort ? Afin donc que le Prophète confirme notre confiance en Christ, après avoir décrit que celui-ci a été frappé de la main de Dieu, et a été exposé à la mort, il le revêt maintenant d’un titre nouveau, disant qu’il sort glorieux et victorieux des abîmes de mort ; et même sortant hors des enfers, il se montre auteur de la vie éternelle et bienheureuse. Je sais bien qu’on expose ce passage en diverses sortes. Il y en a d’aucuns qui entendent, que de la prison il a été traîné au gibet de la croix. Les autres interprètent ainsi : Il a été ôté, c’est-à-dire, réduit à néant. Et de fait la signification du mot hébreu Iachan, est ambiguë ; comme semblablement la signification du mot Grec. Néanmoins quand on regardera de bien près la déduction du texte, on s’accordera avec moi en ce que j’ai dit, à savoir, que de ce spectacle triste et hideux qu’il avait proposé, il passe maintenant à une nouvelle démonstration d’une gloire nullement espérée. Et pourtant en la somme du fait, l’interprétation grecque n’est pas grandement différente des paroles du Prophète. Car le jugement de Jésus-Christ a été haussé en abjection et humilité, d’autant que lors qu’on pensait qu’il fut du tout abattu et opprimé, son Père a maintenu sa cause. En cette sorte le mot de Jugement est pris pour le droit et la cause, comme aussi en beaucoup d’autres passages. Mais au texte hébreu, on trouvera qu’il signifie Condamnation. Car le Prophète dit qu’après que Jésus-christ aura été accablé d’angoisses ou détresses jusques à l’extrémité, étant fait semblable à un homme damné et perdu entièrement, il sera redressé et haussé par la main du Père. Le sens donc est tel, qu’il a fallu que Jésus-Christ ait été destiné à la mort avant que son Père l’exaltât en la gloire de son Royaume. Laquelle doctrine doit être transférée à tout le corps de l’Eglise. Car il faut que tous fidèles soient miraculeusement redressés par la main de Dieu, afin qu’ils ne soient engloutis par la mort. Or quand notre bon Dieu se montre protecteur des siens, non seulement il les remet en vie, mais aussi il les fait magnifiquement triompher sur tous genres de mort ; comme Jésus-Christ a dressé en la croix un mémorial triomphant de sa victoire, duquel saint Paul fait mention au chapitre 2 des Colossiens.
Mais qui racontera sa durée ? Après que le Prophète a célébré la mort victorieuse de Christ, il ajoute maintenant que cette victoire ne sera pas pour durer quelque peu de temps, mais aura son étendue au-delà de tout nombre d’années. Car cette exclamation du Prophète vaut autant comme s’il disait, que la perpétuité du Royaume de Christ ne peut être exprimée par langue humaine. Au reste, ce passage a été fort mal exposé. Et quant à ce que les anciens docteurs se sont efforcés de prouver par ceci la génération éternelle du Fils de Dieu, qui est la Parole éternelle, et ce pour réfuter Arrius et les siens, cela est trop éloigné de l’intention du Prophète. L’exposition de Chrysostome n’approche non plus de la vérité, lequel rapporte ceci à la génération humaine de Christ. De plus, ceux qui pensent que le Prophète se courrouce contre les hommes de ce temps-là, n’entendent pas ce qu’il veut dire. L’opinion est meilleure de ceux qui entendent ceci être dit de l’Eglise ; sinon qu’eux aussi s’abusent grandement en ce mot de Génération, pensant qu’il signifie postérité ou lignée. Car le mot hébreu Dor, duquel use le Prophète, signifie siècle, ou le temps que la vie humaine peut durer. Voici donc quel est le vrai sens du Prophète, que la vie de Jésus-Christ sera perpétuelle, quand par la grâce du Père il aura été une fois délivré de mort. Combien que cette vie qui est sans fin, s’étend à tout le corps de l’Eglise ; car Christ est ressuscité, non point afin qu’il vive pour soi, mais pour ses fidèles. Maintenant donc il célèbre en tous les membres l’effet et le fruit de cette victoire qu’il avait attribuée au chef. Par quoi tous fidèles peuvent concevoir de ce passage assurance de la vie bienheureuse. D’avantage, la perpétuité de toute l’Eglise est ici affirmée en la personne de Jésus-Christ.
Car sa vie est enlevée de la terre. Cette raison semble être absurde de première apparence, que Jésus-Christ règne magnifiquement au ciel et en la terre, pour ce qu’il a été retranché. Car qui pourra croire que la mort soit cause de vie ? Mais ceci a été fait par un conseil admirable de Dieu, que les enfers fussent comme degrés, par lesquels Jésus-Christ montât dans les cieux, que l’ignominie lui fut un passage pour entrer en la vie, que de l’horreur de la croix et des ténèbres sortît une lumière de salut plaisante et gracieuse, que de l’abîme de mort jaillît l’immortalité bienheureuse. Pour ce qu’il s’est anéanti soi-même, le Père l’a exalté en gloire, afin que tout genou se plie devant lui, Philipiens 2.7. Maintenant il nous faut penser quelle conjonction nous avons avec Christ, afin que nul ne se fâche de passer par un même chemin.
Et l’eunuque prenant la parole dit à Philippe : Je te prie, de qui le prophète dit-il cela ? de lui-même ou de quelque autre ?
On voit bien par ceci quelle véhémente affection l’Eunuque avait d’apprendre. Il lit et relit plusieurs prophéties d’Esaïe, et passe par-dessus, comme rencontrant des obscurités douteuses ; et toutefois il ne se fâche point de lire. Or comme ainsi soit qu’il ne s’attribuât rien, voici il obtient plus tout soudainement et contre toute espérance, qu’il n’eût fait en toute sa vie en travaillant beaucoup, s’il eût voulu faire valoir la vivacité de son Esprit. Ainsi, si connaissant notre rudesse, nous ne nous fâchons point de nous humilier et soumettre pour apprendre, le Seigneur viendra au-devant pour nous enseigner, comme de fait il est précepteur des petits et humbles. Et tout ainsi que la semence couverte et sur laquelle la herse aura passé, est cachée pour quelque temps, aussi le Seigneur éclairant par son Saint Esprit, fera que la lecture laquelle étant stérile et sans fruit, ne peut apporter qu’ennui, aura une claire lumière d’intelligence. Il est vrai que le Seigneur ne tient jamais les yeux de ses fidèles tellement fermés, que la voie de salut ne leur soit ouverte en l’Écriture dès la première entrée, et qu’ils ne profitent toujours en lisant. Mais il permet souvent qu’ils trouvent quelque doute, et sont contraints de s’arrêter en lisant, rencontrant quelque difficulté ; ce qu’il fait, en partie pour éprouver en eux la patience de la foi ; en partie aussi pour les avertir de leur ignorance, et les instruire à humilité par ce moyen ; en partie pour chasser toute nonchalance, et les rendre plus attentifs ; en partie aussi pour embraser en eux le zèle de prier ; en partie afin que le désir les incite d’avantage à aimer la vérité ; en partie aussi pour leur faire avoir en plus grande estime sa sagesse céleste, de laquelle autrement on ne tient point tel compte qu’on devrait. Toutefois combien que les fidèles ne parviennent pas du premier coup jusques au but d’une parfaite connaissance, si est-ce qu’ils sentiront toujours que leur labeur n’est pas vain, moyennant qu’eux-mêmes ne se ferment le chemin par un orgueil dédaigneux. En attendant que le temps de la pleine révélation viendra, contentons-nous de ce profit, que quelque petit goût de connaissance que nous puissions avoir, il fait découler en nous la crainte de Dieu et la foi.
Et Philippe ouvrant la bouche, et commençant par ce passage de l’Ecriture, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus.
Ouvrir la bouche en l’Écriture, c’est commencer un long propos de quelque chose grave et d’importance. Saint Luc donc signifie que Philippe commença à pleine bouche à parler de Jésus-Christ. Il dit qu’il commença par cette Prophétie, pour ce qu’il n’y en a pas une qui parle de Christ plus ouvertement, ni qui le dépeigne plus naïvement, et elle lui était venue en main bien à propos. Après donc que Philippe a montré par les paroles du Prophète quel serait l’avènement du Fils de Dieu, et ce qu’on devait attendre de lui, il a conféré le fait puis après, afin que l’Eunuque entendît que le Messie ou Christ qui avait été promis, était venu, et connut la grande vertu de celui-ci. Au lieu que nous avons tourné Annonça Christ, il y a en saint Luc, Évangélisa. Le sens est tel, que quand on connaît Christ, on a toute la somme de l’Evangile.
Et comme ils allaient par le chemin, ils arrivèrent à une eau. Et l’eunuque dit : Voici de l’eau ; qu’est-ce qui empêche que je ne sois baptisé ?
S’ensuit maintenant le baptême de l’Eunuque. Dont nous recueillons combien il a grandement profité en peu de temps, vu qu’il se présente de si bon gré à recevoir Jésus-Christ, et à faire profession d’être des siens. Car il fallait nécessairement que, par manière de dire, il y eût déjà une foi mûre en son cœur, puisqu’il vient d’une si bonne et prompte affection à faire profession externe. Je ne puis recevoir ce que Chrysostome note sur ceci, qu’il a été retenu par modestie de demander ouvertement le baptême. Car cette interrogation a plus de véhémence, que s’il eût simplement dit à Philippe, Je veux que tu me baptises. Au reste, nous voyons que Jésus-Christ lui a été tellement annoncé, qu’il a bien su que le baptême était un signe de renouvellement de vie en celui-ci, et que pourtant il ne le méprisait point, pour ce que c’était un accessoire à la Parole, voire même inséparable. Tout ainsi donc qu’il a volontiers entendu et reçu ce qui lui avait été annoncé de Christ, aussi vient-il maintenant à faire confession externe de sa foi, étant ému d’un zèle saint. Et il ne lui suffit pas de croire au dedans devant Dieu, mais avec cela il rend témoignage devant les hommes qu’il est Chrétien. Beaucoup de choses lui pouvaient venir en l’entendement, qui le pouvaient détourner de recevoir le baptême ; afin qu’il ne s’exposât point à la malveillance et haine de la Reine, ni aux opprobres de toute sa nation. Mais il montre bien que rien de tout cela ne le peut empêcher qu’il ne se fasse enrôler entre les disciples de Christ. S’il a bien profité dans les commencements qu’on lui a donnés en si peu d’heure, qu’il soit venu si avant, quelle honte est-ce de la paresse de ceux, lesquels ayant conçu la foi par la doctrine de cinq, ou de dix, ou de vingt ans, la tiennent néanmoins encore cachée en eux-mêmes, voire même l’étouffent ?
[Or, Philippe dit : Si tu crois de tout ton cœur, cela est permis. Et répondant, il dit : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu.]
Quant à ce que cet homme Eunuque n’est point reçu au baptême sinon après avoir fait confession de sa foi, il nous faut prendre de cela une règle générale, Qu’il ne faut recevoir en l’Eglise ceux qui auparavant en avaient été étrangers, sinon après qu’ils auront montré et rendu ouvertement témoignage, qu’ils croient en Jésus-Christ. Car le baptême est comme une dépendance de la foi, et pourtant il est le dernier en ordre. D’avantage, si le baptême, qui est le sceau de la foi, est donné sans cette, c’est une profanation trop vilaine et horrible. Mais il y a des fantastiques qui montrent bien ici leur ignorance et bêtise, quand ils rejettent ainsi le baptême des petits enfants sous couleur de ce passage. Pourquoi est-ce que la foi devait précéder le baptême en cet Eunuque ? C’est à savoir, pour ce que Jésus-Christ donne cette marque seulement aux domestiques de l’Eglise ; et pourtant il faut que ceux qui doivent être baptisés, soient entés au corps de l’Eglise. Or tout ainsi qu’il est certain que ceux qui sont déjà grands y sont greffés par foi ; aussi dis-je que les enfants des fidèles naissent enfants de l’Eglise, et que dès le ventre ils sont réputés entre les membres de Jésus-christ. Pour ce que Dieu nous reçoit et adopte pour siens sous cette condition, qu’il est aussi Père de notre semence. Combien donc que la foi soit requise en ceux qui sont déjà grands, toutefois ceci est faussement transféré aux enfants ; pour ce qu’il y a grande différence. Au surplus, aucuns grands personnages ont abusé de ce témoignage, quand ils voulaient prouver que la foi ne tire aucune confirmation du baptême. Car voici comment ils fondaient leur argument ; il est commandé à l’Eunuque d’apporter une foi parfaite avant que recevoir le baptême ; et pourtant le baptême n’y a rien ajouté. Mais l’Écriture sainte use souvent de ce mot, De tout ton cœur, pour un cœur pur et rond, et non fardé, auquel est opposé le cœur double. Ainsi ne faut-il pas que nous imaginions que ceux qui croient de tout leur cœur, croient pourtant en perfection ; vu qu’il se pourra faire que celui aura un cœur rond et pur, et dépouillé de toute dissimulation, qui toutefois aura une foi bien petite. Voilà comment nous devons entendre ce que David se glorifie d’aimer Dieu de tout son cœur. Il est certain que Philippe avait baptisé auparavant les Samaritains ; et toutefois il savait bien qu’ils étaient encore fort loin du but. Et pourtant avoir foi de tout son cœur, c’est avoir une foi qui ait des vives et profondes racines au cœur, et laquelle toutefois aspire à profiter de jour en jour.
Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Tout ainsi que le baptême est fondé en Jésus-Christ, et que sa vertu et force est contenue en celui-ci, aussi l’Eunuque ne propose rien devant ses yeux que Jésus-Christ. L’Eunuque savait bien auparavant qu’il y avait un seul Dieu, qui avait fait alliance avec Abraham, qui avait donné la Loi par la main de Moïse, qui avait séparé un peuple de toutes autres nations, qui avait promis le Messie, par lequel il devait être propice au monde. Maintenant il confesse que Jésus est ce Rédempteur du monde, et Fils de Dieu, sous lequel titre il comprend en bref tout ce que l’Ecriture attribue au Messie. Voici cette foi parfaite, de laquelle Philippe a naguère fait mention, laquelle reçoit Jésus-christ tel qu’il a été anciennement promis, et tel qu’il a été finalement manifesté, voire avec une vraie affection de cœur telle que saint Paul la requiert, à savoir non feinte. Quiconque étant déjà grand n’a cette foi, que lui profite-il de mettre en avant et de se glorifier du baptême de son enfance ? Rien à la vérité. Car christ reçoit à soi les enfants par le baptême à cette fin, qu’aussitôt que la capacité de leur âge le pourra porter, ils s’adonnent à être ses disciples obéissants, et qu’étant baptisés par son Esprit, ils entendent par l’intelligence de la foi la vertu de celui-ci, laquelle est figurée et représentée par le baptême.
Et il donna l’ordre que le char s’arrêtât ; et ils descendirent tous deux dans l’eau, Philippe et l’eunuque, et Philippe le baptisa.
Nous voyons ici quelle façon les anciens avaient d’administrer le baptême. Car ils plongeaient tout le corps dedans l’eau. L’usage est maintenant, que le ministre jette quelques gouttes d’eau seulement sur le corps ou sur la tête. Au reste, on ne doit pas tant estimer une si petite différence de cérémonie, que pour cela nous divisions l’Eglise, ou que nous la troublions par luttes et noises. Il est vrai que nous devons plutôt cent fois combattre, voire jusques à la mort, pour la cérémonie du baptême, selon qu’elle nous a été donnée par Christ, que de souffrir qu’elle nous soit ôtée. Mais vu que nous avons témoignage au signe de l’eau tant de notre purification que du renouvellement de vie, comme ainsi soit que Christ nous représente son sang en l’eau, comme en un miroir, afin que nous allions chercher en celui-ci notre netteté ; comme ainsi soit aussi qu’il nous remontre que nous sommes réformés par son Esprit, afin qu’étant morts à péché, nous vivions à justice, il est bien certain que rien ne nous défaut de ce qui nous sert à la substance du baptême. Par quoi dès le commencement même l’Eglise s’est bien donné cette permission, d’avoir des cérémonies un peu différentes, hors de cette substance. Car les uns plongeaient seulement une fois, les autres trois fois. Par quoi il ne faut point que nous soyons trop rigoureux dans ces choses qui ne sont point grandement nécessaires, moyennant que nous n’allions point chercher de fanfares étrangères, lesquelles corrompent l’institution simple de Christ.
Et quand ils furent remontés hors de l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l’eunuque ne le vit plus ; car il continuait son chemin plein de joie.
Saint Luc voulant maintenant conclure le propos touchant l’Eunuque, dit que Philippe a été ôté de devant sa vue. Et ceci lui a grandement servi pour sa confirmation, voyant que cet homme lui avait été divinement envoyé comme un Ange, et qu’il s’était évanoui soudainement avant que de lui avoir offert quelque récompense de son labeur dont il lui était aisé de juger qu’il ne s’était point insinué à côté de lui sous espérance de gain, puis que n’étant pour cela devenu plus riche d’une maille, il avait disparu de devant lui. Quant à ce que Philippe n’a reçu aucune récompense de l’Eunuque, que les serviteurs de Christ apprennent par ceci de s’employer gratuitement pour lui, ou plutôt qu’ils s’emploient tellement au service des hommes sans aucune rétribution, que cependant ils attendent leur loyer ou salaire du ciel. Il est vrai que le Seigneur permet que les ministres de l’Evangile reçoivent salaire de ceux qu’ils enseignent, 1 Corinthiens 9.9 ; mais aussi il leur défend d’être mercenaires, et de travailler pour le gain et profit, Jean 10.12-13. Car voici quel but ils se doivent proposer, de gagner les hommes mêmes à Dieu.
Et s’en alla joyeux par son chemin. La connaissance de Dieu et la foi produit toujours ce fruit. Car pourrait-on imaginer une plus vraie matière de joie, que quand nous voyons notre bon Dieu non seulement nous ouvrir les trésors de sa bonté et grande miséricorde, mais aussi déployer son cœur, et se donner tant bénignement à nous en son Fils, afin que rien ne nous défaille de tout ce qui appartient à la vraie et ferme félicité ? Lors le ciel commence à être serein, et la terre paisible ; lors la conscience délivrée d’un sentiment horrible et épouvantable de l’ire de Dieu, déliée de la tyrannie de Satan, et sortie des ténèbres de la mort, voit la lumière de la vie. Pour cette cause, toutes les fois que les Prophètes veulent parler du Royaume de Jésus-Christ, ils ont accoutumé de nous exhorter à réjouissance et liesse, à chansons et hymnes de triomphe. Mais pour ce que ceux qui sont saisis des vaines réjouissances de ce monde, ne se peuvent élever à cette joie spirituelle, apprenons à mépriser le monde et tous ses alléchements, afin que Jésus-Christ nous réjouisse vraiment.
Mais Philippe se trouva dans Azot ; et allant de lieu en lieu, il annonçait la bonne nouvelle dans toutes les villes, jusqu’à ce qu’il arrivât à Césarée.
On peut voir Josué 11.22, qu’Azot a été une des villes, desquelles les Enacims ne purent être expulsés. Elle est éloignée d’Ascalon environ de deux cens stades, c’est-à-dire douze lieues et demie. Les Hébreux l’appellent Asdos. Philippe donc fut là transporté, et de là s’en alla de son pied à la façon commune des hommes, semant la semence de l’Evangile par tout où il passait. Voici certes un miroir d’une diligence admirable et bien peu en usage, de ce qu’il sème par le chemin le nom de la religion. Touchant ce que saint Luc dit nommément qu’il prêcha en une chacune ville jusques à ce qu’il arriva à Césarée, et ne retourna point en Samarie, nous pouvons recueillir une conjecture probable, qu’il s’est arrêté pour quelque temps à Césarée ; ce que toutefois je remets à l’opinion d’un chacun.