(1844)
Réflexions pieuses au commencement de l’année. — La santé de Hunt : résolutions qu’il prend à cet égard. — Ses pressentiments et ses craintes. — Causes qui les expliquent. — Les nécessités de l’œuvre fidjienne. — La guerre et son influence sur l’œuvre d’évangélisation. — Comment les Fidjiens se cherchent des alliés. — Un exploit fidjien. — Meurtre d’un jeune homme. — Progrès de l’œuvre. — La prédication de Hunt. — La police de la chapelle. — Le chant. — Le Te Deum fidjien. — Le dimanche à Viwa. — Les cultes de semaine. — Les écoles. — Vatéa. — Son mariage avec Namosimaloua. — Les dieux de Fidji lui semblent impuissants. — Conversion extérieure de son mari. — Travail intérieur chez elle. — Sa conversion. — Son caractère. — Ses premières épreuves. — Son mari en fait son unique femme. — Elle exhorte Thakombau à la conversion. — Sa conduite dans cette circonstance est censurée par ses anciennes amies. — Ses progrès. — Ses paroles dans une agape. — Elle succombe à la tentation. — Son relèvement. — Sa mort.
Voici par quelles réflexions John Hunt ouvrait, dans son journal, l’année 1844 :
« Nous venons de terminer un an de grâce. Il l’a été à tous les égards, bien que nos succès n’aient pas toujours répondu à notre attente. Seigneur, aie pitié de nous et continue à nous bénir pour l’amour de Jésus.
Mon œuvre avance, quoique lentement. J’ai plus d’ouvrage que je n’en puis faire ; il me faudrait plus de temps que je n’en ai, tant pour mes devoirs publics que pour mes devoirs privés, et spécialement pour mon œuvre pastorale. Nous pourrions sans difficulté nous tuer à la peine en ne faisant que le travail absolument indispensable. Je suis donc forcé de faire un choix, et parmi beaucoup de choses essentielles, de choisir la plus essentielle. Il m’est difficile, je le sens, d’abandonner mon cœur à Dieu, au point de ne plus être inquiet, et je vois pourtant toujours mieux qu’aimer Dieu de tout mon cœur est l’antidote souverain de l’anxiété et des soucis. L’inquiétude que je puis ressentir par rapport à une personne ou à une chose est la preuve que j’ai pour cette personne ou pour cette chose un attachement excessif. J’ai besoin d’aimer Dieu à tel point que tout autre amour soit subordonné à celui-là, et que toutes mes préoccupations s’y rapportent. Je me sens parfois l’esprit tout encombré par la multiplicité des soins et des devoirs qui pèsent sur moi. Cela me montre la faiblesse de ma foi, et me porte à demander à Dieu qu’il l’augmente. J’éprouve aussi quelque embarras dans certaines circonstances à discerner la voie du devoir. »
La santé de John Hunt n’avait jamais été robuste ; depuis quelque temps, elle était ébranlée par suite des travaux de toute nature qui remplissaient la vie du missionnaire. En faisant au commencement de l’année la revue de ses pensées et de ses perspectives, il lui était impossible de laisser dans l’ombre cet affaiblissement organique qui semblait devoir compromettre son utilité future. Les remarques qu’il enregistre à ce sujet dans son journal sont particulièrement sérieuses et tout à fait significatives :
« Je me suis demandé dernièrement jusqu’à quelle limite un chrétien est appelé à travailler pour le bien de ses semblables. Je crois fermement que cette limite est dépassée lorsque, pour l’amour d’eux, nous négligeons notre propre âme ou compromettons notre santé. Notre Seigneur, dans ses jours les plus occupés, trouva sûrement du temps pour la prière secrète, et même nous le voyons prêt à quitter et la multitude et ses disciples pour vaquer à ce devoir. Il ne me semble pas non plus que l’on puisse indiquer, soit dans la vie de Jésus, soit dans celle de ses apôtres, aucun de ces excès de travail auxquels le corps humain ne saurait résister. La même remarque peut s’appliquer au renoncement à soi-même. Le travail et le renoncement sont, dans de certaines limites, nécessaires à la santé du corps et à celle de l’âme ; on peut dire que ce sont là les garanties essentielles de la vigueur et de l’énergie de l’un et de l’autre. Et toutefois leur excès serait certainement pernicieux. Saint Paul recommandait à son disciple Timothée le soin de sa santé. Voici, en conséquence, la règle que je veux suivre, jusqu’à ce que l’Écriture ou la logique m’en indiquent une préférable : Travailler et renoncer à moi-même autant que possible, mais dans les limites que m’imposera ma santé. D’autre part, je crois qu’il est des cas où un homme peut être appelé à faire le sacrifice de sa santé et même de sa vie pour l’amour de Dieu et pour le salut de ses semblables, et je pense qu’une claire indication doit accompagner cet appel. John Smitha fut l’un de ces hommes qui semblent avoir reçu une telle vocation, mais je ne crois pas qu’il fût sage de suivre son exemple sans des raisons bien sérieuses, sans se sentir appelé à se détruire soi-même pour le bien des autres. John Smith a pu se tromper, mais il a vécu dans la conviction que Dieu l’appelait à un tel sacrifice. »
a – Pasteur méthodiste anglais d’un grand dévouement, qui avait été le moyen de la conversion de John Hunt. Sa vie a été publiée par tes soins du rév. Richard Treffry, jun. — London. John Mason.
Le lecteur ne doit pas se méprendre sur la signification de ce morceau. John Hunt n’était pas l’un de ces hommes qui essayent de se payer de vains sophismes et de cacher leur inactivité sous des arguments spécieux. Le récit de ses travaux missionnaires que nous avons donné, a pu prouver qu’il savait être ingénieux pour multiplier son temps et pour le remplir de travail. Et si sa mort prématurée peut faire regretter une chose, c’est que la bonne résolution indiquée dans le fragment ci-dessus n’ait pas été prise plus tôt, et surtout plus fidèlement tenue. Comme beaucoup d’hommes, au début de sa carrière active, il avait compté sur une somme évidemment exagérée de forces et de vigueur physiques ; des expériences douloureuses étaient venues successivement le détromper et des pressentiments, trop vrais malheureusement, l’avertissaient que sa carrière missionnaire serait peu longue. Il en était venu à craindre que le temps ne lui manquât pour mener à bonne fin des œuvres qui lui tenaient à cœur et qui étaient à peine commencées ; cette mission de Fidji avec laquelle il s’était si rapidement identifié était l’œuvre de sa vie, et, par son intelligente activité, il en était devenu la cheville ouvrière ! il la voyait entrée dans la période douloureuse des luttes et il attendait patiemment celle des succès qui ne pouvait pas tarder à commencer. Et voilà que tout à coup, à peine âgé de trente-un ans, il découvrait chez lui des signes d’affaiblissement physique qui semblaient lui annoncer la cessation prochaine de ses grands travaux et une fin prématurée. Rien d’étonnant qu’une telle découverte le troublât et jetât dans son âme des doutes douloureux. Il se demandait si, pendant les premières années de son ministère, il n’avait pas peut-être, par un travail excessif, sacrifié son avenir et l’avenir de la mission. Ce qui l’effrayait dans la pensée de la mort, ce n’était pas la mort elle-même, mais le repos qu’elle amenait, repos qu’il croyait n’avoir pas mérité. La mort, il la voulait, mais envoyée par Dieu et non occasionnée par une activité excessive et insensée ; il voulait l’accepter comme un don de Dieu ; il ne voulait pas qu’elle eût, de près ou de loin, le caractère d’un suicide. Il se sentait une telle énergie dans l’intelligence, une telle force dans le cœur, une telle foi en Dieu, en un mot, une telle surabondance de vitalité intérieure qu’il n’acceptait que difficilement la conviction sinistre qui se faisait lentement jour dans son esprit. La vie lui paraissait belle, non pas à cause des charmes qu’elle peut avoir pour d’autres (l’existence au milieu des cannibales n’avait rien de bien attrayant, nos lecteurs ont pu en juger), mais il y tenait à cause du bien qu’il se sentait capable de faire. Il avait, comme tant d’autres, la noble passion de la perfection ; il ambitionnait une vie pleine d’action et de dévouement.
L’extrait de journal que nous avons cité nous fait entrevoir cette crise de la vie intérieure du missionnaire et nous le montre essayant de s’arrêter sur la pente fatale. Hélas ! le travail pressait autour de lui, les temps étaient graves, la mission fidjienne était entrée dans la phase décisive de son existence et réclamait toute l’énergie et toute l’ardeur de ses agents ; il fallait, pour répondre aux nécessités urgentes de la position, qu’une œuvre immense fût accomplie dans un espace de temps fort limité et avec un déploiement considérable de forces. Aussi il arriva ce qui devait nécessairement arriver dans de pareilles circonstances. Malgré la résolution très sérieusement prise par Hunt au commencement de cette année 1844, il se dépensa pour le salut des païens et s’oublia lui-même pour ne penser qu’à eux. On peut dire qu’il ne se passa peut-être pas de jour où il ne mit de côté ses règles de prudence et cela sous l’empire de la nécessité. Sans cesse aiguillonné par la vue des misères morales qui l’environnaient, et convaincu que l’Évangile en était le seul remède efficace, il ne voulait pas laisser passer une occasion de l’offrir aux âmes ignorantes qui l’entouraient, trop heureux s’il rencontrait quelques bonnes dispositions chez elles. Son travail lui semblait même insuffisant et il s’en plaignait en ces termes : « Il y a cinq ans que je suis à Fidji. Quel petit profit j’ai fait de mon temps ! O Seigneur, réveille-moi selon ta parole. »
Sur son lit de mort, il devait dire à son collègue et médecin, M. Lyth, ces paroles significatives : « Ma maladie a traîné toute l’année ; la fièvre s’est fréquemment portée à la tête. Mon travail a peut-être dépassé quelquefois la somme de mes forces ; toutefois ma conscience ne m’adresse aucune répréhension sur ce point, et même il m’eût été impossible de conserver une bonne conscience en faisant moins. N’est-ce pas un sujet de joie pour moi à cette heure de n’avoir rien à me reprocher à cet égard ? »
Mais, pendant quelques années encore, Hunt devait continuer ses travaux missionnaires, et il nous reste à raconter ses dernières œuvres qui furent bien les meilleures de sa vie.
La guerre entre Mbau et Rewa continuait ses ravages au sein des localités évangélisées par les missionnaires : les scènes de violence et de meurtre se répétaient à côté d’eux avec une persistance effrayante, et le journal de Hunt est plein de traits de ce genre qui servent à faire comprendre au milieu de quelles difficultés considérables se poursuivait l’œuvre d’évangélisation.
« 15 janvier 1844. — Il y a un ou deux jours plusieurs hommes de Tokatoka, ville soumise à Rewa, furent massacrés par une troupe de guerriers de Namata, tributaires et alliés de Mbau. Parmi les morts se trouvait le chef de Tenga, l’un des alliés de Rewa, ce que l’on considère comme un grand succès. Il s’était rendu à Nakase pour décider le peuple à se joindre dans la guerre au parti de Rewa. Le peuple se réunit sur la place publique, selon la coutume fidjienne, pour offrir ses services et débattre les conditions qu’on lui faisait. Or voici quelle est cette coutume :
Les guerriers s’assemblent et s’asseyent en face du chef qui est venu requérir leurs services. Celui-ci se tient debout et, d’une voix peu élevée, il leur adresse un discours dans lequel il les prie d’épouser sa cause ; il leur présente en même temps une dent de baleine qui indique à la fois l’engagement qu’il prend de récompenser leurs services, et, s’ils l’acceptent, la promesse d’y être fidèle. Pendant que le chef tient encore en sa main ce présent, il est d’habitude que les guerriers se lèvent et s’avancent vers lui la massue levée, comme s’ils fondaient sur un ennemi ; arrivés à quelques pas de lui, ils la laissent retomber lourdement sur le sol ou la brandissent en l’air, jurant ainsi de lui être fidèles et de le défendre contre tous ses ennemis. Ces évolutions se font souvent avec des épées ou des fusils. Tous les habitants de la ville se réunissent d’habitude pour être témoins de cette scène et ils applaudissent aux prouesses de leurs guerriers.
Une scène de ce genre se passa à Nakase ; pendant qu’elle avait lieu le peuple de Naitasiri entra dans la ville sans être remarqué. Ce peuple qui habite un petit royaume à l’intérieur de Viti Levou est l’ennemi déterminé de Rewa et l’allié de Mbau. Ces guerriers intrépides s’étaient peint le corps et le visage avec de la suie et du vermillon afin de n’être pas reconnus et s’avancèrent ainsi jusque sur la place où se tenaient les guerriers de Nakase. L’un d’eux s’approcha du chef de Tenga en brandissant sa massue, mais au lieu d’en frapper le sol il la laissa retomber de tout son poids sur la tête du chef et l’étendit mort à ses pieds. La confusion fut grande dans la ville, comme on peut l’imaginer. Tous ceux qui le purent s’enfuirent, mais un bon nombre furent massacrés. Les Fidjiens se montrent fort habiles et fort rusés pour mener à bonne fin des expéditions de ce genre, et, à dire vrai, ils font de cette façon-là la plupart de leurs conquêtes. »
La partie païenne de Viwa, quoique n’étant mêlée qu’indirectement à la guerre, causait parfois de vives inquiétudes aux missionnaires. La guerre, nous l’avons dit, servait d’occasion au déchaînement des passions mauvaises et des appétits brutaux de ce peuple sauvage. Un matin, la famille missionnaire achevait à peine son culte domestique lorsqu’un messager vint apporter la nouvelle qu’un jeune homme avait été massacré en punition d’un crime qu’on lui imputait, bien que tout indiquât qu’il en était parfaitement innocent. « Je me rendis sans perdre un moment, dit M. Hunt, sur le lieu du crime de l’autre côté de l’île et je trouvai le pauvre homme étendu par terre ; sa tête était entr’ouverte et une partie de la cervelle avait jailli au dehors. Il respirait pourtant encore et parut même nous reconnaître. Nous n’avions avec nous qu’une bêche qui nous servit à couper un arbre dont nous construisîmes un brancard, sur lequel nous l’étendîmes pour le transporter à la maison missionnaire. Nous déposâmes le pauvre moribond dans mon cabinet d’étude ; il expira dans l’après-midi. Nous lui fîmes des funérailles chrétiennes attendu qu’il avait précédemment embrassé le christianisme et que rien absolument n’était venu prouver sa culpabilité dans le crime qu’on lui reprochait ; je crois, en conséquence, qu’il m’était permis de m’opposer à ce qu’il fût inhumé d’après les rites païens. Ses meurtriers avaient tellement peur qu’il survécût à ses blessures qu’ils osèrent me faire demander la permission de l’emporter et de l’enterrer sans attendre sa mort. Je leur fis dire qu’ils ne l’auraient que s’ils parvenaient à me l’enlever de vive force ; cette réponse parut leur suffire, car je n’entendis plus parler d’eux. On m’a dit pourtant qu’ils ne sont pas encore satisfaits et que deux autres personnes doivent encore être massacrées. C’est vraiment désolant. »
Le missionnaire ajoute : « Nous avons été réjouis en recevant des lettres de nos collègues Lyth et Williams, qui nous ont paru fort affectueuses et tout à fait opportunes. C’est ainsi que Dieu semble vouloir nous préparer pour nos épreuves et nous soutenir pendant qu’elles durent. Nous sommes persuadés qu’il les sanctifiera pour nous et leur donnera une heureuse issue. L’horizon de Fidji est bien sombre à ce moment ; tout y est guerre, meurtre et destruction. La guerre entre Mbau et Rewa a un caractère toujours plus féroce. Je ne vois, à perspectives humaines, qu’une révolution qui pourrait l’arrêter. A peu près tout l’archipel est en proie à la discorde. Et pourtant Dieu continue son œuvre. Deux personnes ont encore embrassé le christianisme hier, et nos amis font des progrès spirituels vraiment réjouissants. Oh ! combien les missionnaires ont besoin des prières de l’Église, et de se rappeler cette promesse : « Voici, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »
Les prières du peuple de Dieu exercent, j’en ai la conviction, une influence toute-puissante sur les intérêts de Fidji. Plusieurs semblent atteints par l’Évangile, qui pourront contribuer à arrêter l’œuvre de destruction. Fidji n’est plus ce qu’il a été ; il n’est plus sous la domination unique du dieu de ce monde. Il y a une église à Fidji, pour la prospérité de laquelle Christ veut conquérir l’archipel tout entier. »
Les lignes qui précèdent prouvent que, malgré la guerre et ses horreurs, l’œuvre de la mission était en progrès. La puissance de la vie chrétienne se faisait sentir, et les vieilles traditions sanguinaires des païens commençaient à les faire rougir. L’église, quoique peu nombreuse, était vivante. Le culte religieux était suivi avec plaisir par les indigènes ; ils y apportaient une ferveur et une dévotion particulières. Hunt savait d’ailleurs briser au besoin les formes reçues et traditionnelles pour se mettre en relation plus directe avec ses auditeurs. Parfois, au lieu d’adresser une prédication à ces quelques centaines de personnes qui l’entouraient, il leur lisait un passage de l’Écriture, puis en faisait le sujet d’une conversation qu’il dirigeait, et qu’au besoin il ramenait à son objet, au milieu des détours et des digressions où s’engageaient ses interlocuteurs. Quant à la police de la chapelle, le chef avait voulu s’en charger, et il avait donné mission à l’un de ses subordonnés d’y veiller, en tenant en alerte les dormeurs, et en imposant silence aux enfants. Les auditeurs étaient assis sur des nattes, et dès que ce concierge d’un genre tout particulier voyait quelque tête se pencher sous le poids du sommeil, il ne manquait pas d’user de la baguette flexible qu’il tenait en main, à la fois comme insigne de sa dignité, et comme auxiliaire indispensable de ses fonctions. Une partie du culte réveillait mieux encore les auditeurs que la baguette en question : c’était le chant. John Hunt avait composé pour eux plusieurs cantiques en langue fidjienne, qu’ils chantaient sur de simples mélodies anglaises. Ils montraient de grandes aptitudes pour la musique, et le chant de cette assemblée de sauvages produisait un effet considérable sur leurs compatriotes encore païens. Ils avaient adapté les paroles du Te Deum à l’un de leurs airs nationaux, ce qui produisait un effet à la fois bizarre et émouvant. Une première personne entonnait le premier vers sur un ton assez bas ; une autre continuait une octave plus haut, et l’assemblée entière achevait la strophe, en chantant à l’unisson.
Les Fidjiens ne craignaient pas la multiplicité des services. Ils aimaient à venir souvent adorer Dieu dans sa maison, et leur assiduité aurait pu faire honte à beaucoup de chrétiens de l’ancien monde. Le dimanche s’ouvrait, au point du jour, par une réunion de prières où tous avaient la parole pour appeler la bénédiction de Dieu sur eux et sur les exercices de la journée ; à neuf heures, commençait le culte public en langue fidjienne ; à midi, en anglais, pour le personnel de la mission et pour ceux des indigènes qui apprenaient cette langue ; à quatre heures, un nouveau culte fidjien avait lieu, et enfin, à sept heures, on prêchait dans la langue des îles des Amis, en faveur du nombre assez considérable d’habitants de ces îles qui étaient établis à Viwa. Pendant les intervalles des cultes publics, chaque maison devenait une chapelle et de nombreux rassemblements se formaient pour la prière, sur tous les points de l’île.
Le mercredi soir et le samedi soir, des assemblées presque aussi nombreuses que celles du dimanche se réunissaient pour la prédication ou pour la prière. Le lundi soir, le missionnaire convoquait tous ses auditeurs du dimanche, et, pendant deux heures entières, il les interrogeait familièrement sur ce qu’ils avaient retenu de la prédication, et s’efforçait de dissiper les malentendus qui avaient pu naître dans leurs esprits ; cet entretien libre et simple faisait plus pour l’instruction de ces âmes naïves que la prédication proprement dite, et il avait le grand avantage d’indiquer au missionnaire les lacunes de ses sermons et les besoins auxquels il fallait surtout pourvoir.
En exigeant de chaque nouveau converti qu’il apprît au moins à lire, Hunt élevait aussi d’une manière assez rapide le niveau intellectuel de son troupeau. Les écoles d’adultes le mettaient en relation fréquente et directe avec chacun des membres de l’Église. Il avait dans ses manières une simplicité et une affabilité qui lui gagnaient tous les cœurs ; il ne craignait pas de se mettre à la portée de ces gens, et de gagner leur confiance à force d’avances Aussi l’aimaient-ils tendrement, et leurs larmes pendant ses prédications, et leurs chaudes poignées de main, lorsqu’il les congédiait, le récompensaient pour la peine qu’il se donnait, en essayant de mettre à leur portée les grandes vérités du salut.
En même temps que les formes du culte s’établissaient à Viwa, l’action de l’Évangile sur les cœurs devenait toujours plus profonde. Le moment approchait où, après avoir semé avec larmes, le serviteur de Dieu allait moissonner avec des chants de triomphe, selon la promesse de l’Écriture. Vatéa, la femme principale du chef de l’île, fut les prémices de cette moisson abondante. Elle appartenait à la famille la plus considérable de l’archipel, puisqu’elle était nièce de Tanoa et cousine germaine de Thakombau, les deux chefs redoutés de Mbau. Son mariage fut le résultat de l’une de ces transactions politiques qui sont fréquentes, même à Fidji. On se rappelle la part équivoque que Namosimaloua, le rusé chef de Viwa, avait prise à l’insurrection qui avait renversé Tanoa de la royauté de Mbau ; on sait comment, après l’avoir trahi dans la mauvaise fortune, il sut se l’attacher, en lui sauvant la vie, quand la chance des combats lui parut sur le point de le favoriser de nouveau. Remonté sur le trône, Tanoa oublia les anciens torts de Namosimaloua et affecta de ne se rappeler que ses services récents. Il voulut même les récompenser d’une manière éclatante, en lui donnant pour femme sa jeune et belle nièce, Vatéa. Celle-ci, malgré la répugnance bien naturelle qu’elle ressentait à la pensée d’épouser un vieillard pour lequel elle ne pouvait éprouver aucun sentiment affectueux, dut s’incliner devant l’inexorable volonté de son oncle. Elle devint sa femme, sans qu’il lui fût possible d’aimer ou d’estimer ce vieux chef rusé, auquel elle avait été sacrifiée dans un intérêt purement politique. En quittant Mbau pour Viwa, elle croyait tout perdre ; mais Dieu, qui fait tourner tous les événements vers l’accomplissement de ses desseins de miséricorde, devait se servir de cette transaction pour toucher son cœur et lui faire trouver le plus grand des biens. Un brick français ayant été pillé par les gens de Viwa, en 1834, le capitaine Dumont d’Urville en tira vengeance, en détruisant de fond en comble la ville et ses dépendances. C’était en 1838. Le vieux chef et sa jeune femme implorèrent en vain le secours des dieux de Fidji ; tous leurs biens furent anéantis, et eux-mêmes n’échappèrent à la mort que par la fuite. Cet événement jeta quelques doutes dans leurs esprits, et Namosimaloua, ayant appris que des missionnaires se trouvaient à Rewa, leur envoya un message pour leur demander de venir instruire son peuple au sujet du vrai Dieu. Un catéchiste indigène lui fut envoyé, et Namosimaloua et plusieurs de ses sujets ne tardèrent pas à renoncer au paganisme ; il ne fut malheureusement jamais lui-même qu’un chrétien de nom.
Quant à Vatéa, elle ne se décida pas si tôt ; elle avait des habitudes de réflexion qui manquaient en général à ses compatriotes. Les guerres et les révolutions auxquelles elle avait été mêlée de bonne heure, quoique passivement, avaient formé son caractère en lui donnant une vigueur précoce. Elle ne voulait pas s’engager à la légère dans une voie où elle s’attendait à rencontrer des luttes et des épreuves. Elle fut la première femme de Viwa qui fit profession extérieure de christianisme, et cela sous le ministère de M. Cross. Ce n’était pourtant pas là la conversion, et sa conduite pendant cette période le prouva trop, hélas ! Souvent en querelle avec son mari qu’elle n’aimait pas, elle le quitta plus d’une fois. Pourtant elle avait pour les missionnaires une vive affection et elle apprit d’eux à lire et à écrire. Ce fut surtout sous le ministère de John Hunt que commença sérieusement le long travail intérieur qui devait aboutir à sa conversion. En la voyant assidue au culte et toujours recueillie, il s’était souvent dit que, si cette jeune femme, âgée de vingt-quatre ans à peine et ornée de toutes les qualités du corps et de l’esprit, se décidait à devenir complètement chrétienne, son exemple en entraînerait beaucoup d’autres. Il avait compris qu’il y avait là une conquête à faire, et il y voyait avec raison le prélude certain de succès plus étendus. Aussi, depuis fort longtemps ne la perdait-il pas de vue un seul moment ; elle avait une grande place dans ses pensées et dans ses prières. La grâce de Dieu agissait évidemment chez cette jeune femme ; elle devenait plus patiente et plus résignée ; elle se sentait mal à l’aise au milieu des coutumes païennes qui l’environnaient et soupirait après une vie nouvelle. Cette vie nouvelle, sa conscience éclairée par l’Évangile le lui avait dit, devait être accompagnée du renoncement au péché. Ses convictions à cet égard étaient très vives. Le sentiment de sa misère morale l’accablait, et elle cherchait au pied de la croix du Sauveur le pardon et la paix. Le missionnaire surveillait et dirigeait avec bonheur ce travail intérieur, et il en salua la crise décisive avec une vive joie lorsqu’elle se présenta. Voici en quels termes il la raconte dans son journal :
« 26 mai. — Hier dimanche fut un bon jour, un jour où nous sentîmes la présence de Dieu au milieu de nous d’une manière remarquable. Notre réunion de prières du matin fut exceptionnellement bénie. Au service public qui a lieu dans la matinée, dix adultes furent baptisés, et une sainte émotion régnait dans l’assemblée, tandis que les néophytes répondaient aux questions d’usage et que je leur parlais de la solennité des engagements qu’ils allaient contracter. Lorsque cette partie du service fut achevée, je leur dis que les anges avaient été les témoins de leurs vœux, et j’ajoutai que Dieu permettait peut-être aussi aux âmes des bienheureux d’en être témoins, et qu’ainsi il se pouvait que l’âme glorifiée de M. Cross, leur premier pasteur, les eût entendus, et j’essayai de leur dépeindre la joie qu’il devait en ressentir. Je les pressai de se conduire désormais d’après la profession publique qu’ils venaient de faire, et, par plusieurs paroles, je les exhortai à ne pas suivre dans ses voies leur génération perverse. Plusieurs étaient tellement émus qu’ils ne pouvaient retenir leurs sanglots et leur cris.
Dès le début de cette intéressante cérémonie, la reine de Viwa fut incapable de se contenir ; son cœur semblait brisé, et, quoique naturellement forte, elle perdit deux fois connaissance, sous l’empire des émotions qui remplissaient son cœur repentant. Elle ne reprenait ses sens que pour gémir et crier, au point que nous eûmes de la peine à continuer le service. L’émotion se communiquait de proche en proche. D’autres femmes et quelques hommes poussaient des gémissements dans le trouble et l’angoisse de leur âme. Le baptême fini, nous entonnâmes le Te Deum. C’était un spectacle vraiment touchant de voir cette foule de Fidjiens, dont quelques-uns, naguère encore, étaient de féroces cannibales, chanter maintenant à pleine voix les louanges de Dieu, et, à côté d’eux, d’autres Fidjiens pleurant comme des enfants, sous l’empire du sentiment du péché. Les larmes remplissent mes yeux au souvenir de cette scène. Oh ! quel Dieu miséricordieux est notre Dieu ! béni soit à jamais son saint nom !
La reine vint à la maison à la suite du service et, avec un visage défait et les yeux pleins de larmes, elle me dit : « Misi Oniti, au saréré, M. Hunt, je suis tout effrayée. » J’essayai de la conduire à l’Agneau de Dieu et je priai avec elle. Elle me demanda de la laisser seule dans mon cabinet, afin qu’elle pût répandre son âme devant Dieu sans être dérangée. Elle y demeura longtemps en prière, jusqu’au moment où elle sentit que Dieu parlait de paix à son âme. Nous rendons grâce à Dieu pour ce nouveau bienfait. Oh ! puissions-nous conserver l’influence bénie qui a été répandue sur nous en ce jour et puissions-nous la voir se multiplier à l’infini ! Amen ! »
C’était une précieuse conquête que celle que l’Évangile venait de faire. Peu de femmes unissaient en vérité autant que la jeune reine les grâces extérieures à une intelligence très vive. Le portrait-miniature annexé à la biographie publiée à Londres par le missionnaire Waterhouseb, nous la montre comme l’un des types accomplis de cette race vigoureuse qui n’a conservé du type nègre que l’énergie sans la stupidité, et du type malais que la finesse sans l’énervement. L’expression de la physionomie ne manque pas de vie et d’animation, et il s’y joue un air d’intelligence qui étonne sous ce teint noir-marron. Son caractère réunissait la sensibilité et la mobilité d’impressions qui sont au nombre des traits du caractère singulièrement complexe du peuple fidjien.
b – Vah-ta-ah, (orthographe un peu différente du mot Vatéa) the Fijian princess, by the rev. Joseph Waterhouse. — London : Hamilton, Adams and Co. 1857.
La conversion de Vatéa fut l’une des grandes joies du ministère de John Hunt. Outre les qualités de l’esprit et du cœur qu’il avait toujours appréciées chez cette jeune femme et qui lui promettaient un membre fidèle de l’Église, il savait que sa conversion aurait un grand retentissement et pourrait achever de décider bon nombre de païens que retenait la crainte du monde. Mais il n’ignorait pas que de grandes tentations allaient entourer sa néophyte encore inexpérimentée. Son mari, Namosimaloua, quoique ayant renoncé en apparence au paganisme, en conservait la plupart des coutumes impures ou barbares, et il était à craindre qu’il ne s’opposât ouvertement à toute tentative de réforme ou de résistance essayée par sa femme. Il y avait entre eux aussi, comme nous l’avons dit, absence complète de sympathies qu’expliquaient assez les quarante années qui séparaient leurs âges ; le rude chef n’allait-il pas profiter des nouvelles convictions de sa jeune femme pour se venger de sa froideur par de mauvais traitements ? Enfin, la position de Vatéa était des plus équivoques ; elle n’était pas en effet l’unique femme de son mari qui, comme tous les chefs fidjiens, pratiquait la polygamie. Il en résultait pour le pasteur l’impossibilité de lui conférer le baptême et de l’admettre dans l’Église, bien qu’elle en exprimât le désir, et il en résultait pour elle une position extrêmement fausse, dans laquelle sa conscience, en lutte avec des devoirs qui paraissaient s’exclure et se contredire, ne savait à quoi s’arrêter. Ce conflit entre ses devoirs d’épouse et ses devoirs de chrétienne était fort pénible ; heureusement pour elle que Dieu se chargea lui-même d’y mettre un terme. Le missionnaire s’efforça de décider Namosimaloua à renoncer à la pluralité de ses femmes et à faire consacrer chrétiennement les nœuds qui l’unissaient à Vatéa, sa femme préférée. La peur acheva ce que la persuasion avait commencé. Ayant appris que son suzerain de Mbau avait laissé percer le projet de le faire mourir pour le punir de ses nombreuses trahisons, il crut sage et politique de lui donner un gage éclatant de fidélité inviolable en divorçant publiquement avec toutes ses femmes, sauf Vatéa qui appartenait, comme on l’a vu, à la famille royale de Mbau et était la cousine germaine de Thakombau. Ce résultat était la réalisation des vœux les plus ardents de Vatéa qui put, après avoir vu célébrer son mariage chrétiennement, être baptisée et entrer dans l’Église pour participer à tous ses privilèges. Elle reçut à son baptême le nom de Lydie.
Elle apporta, dans la vie nouvelle qui data de sa conversion, de précieuses qualités qui en firent l’un des membres les plus utiles de la petite communauté, et son concours fut souvent extrêmement avantageux aux missionnaires. Son intrépidité chrétienne ne s’arrêtait devant aucun obstacle et elle confessait ouvertement son Sauveur devant les hommes les plus opposés à l’Évangile. Un jour que Thakombau, le farouche guerrier, rendait visite à Viwa, elle se présenta courageusement devant lui et lui dit : « Je sais bien, ô mon maître, qu’il est formellement défendu à une femme d’approcher un chef de ton rang et de lui adresser la parole sans y être invitée. Mais, ô maître, mon amour pour toi, la tête de notre nation, est si grand que je me sens forcée de violer les règles des convenances pour cette fois. Je dois te dire que si tu ne renonces à tes péchés et si tu ne sers le seul vrai Dieu, tu iras en enfer. Dieu est depuis longtemps fort courroucé contre toi à cause de tes péchés et de ton impénitence ; mais il veut te pardonner, si tu te repens et si tu crois au Sauveur Jésus-Christ. Crois-moi, mon maître, les dieux de Fidji sont de faux dieux, des dieux menteurs, et ils ne pourront rien faire pour toi. » Le chef écouta avec patience la courageuse chrétienne et ne répondit pas. Il était venu à Viwa pour chercher querelle aux chrétiens, dont l’influence grandissante l’inquiétait et dont les sympathies pour sa cause ne lui paraissaient pas assez vives dans la guerre qu’il poursuivait ; mais la répréhension d’une humble chrétienne arrêta cet homme sanguinaire, et il retourna chez lui en maudissant sa faiblesse qui l’avait fait trembler devant une femme. Thakombau était loin encore d’être décidé à devenir chrétien.
Le récit de l’entrevue que nous venons de raconter fit grand bruit à Mbau. Chacun se scandalisa tout naturellement de l’audace de Vatéa ; la cour du chef en fit pendant bien des jours le sujet de ses conversations et de ses commentaires. La nouvelle convertie eut l’occasion de s’en entretenir elle-même, peu de temps après, avec la reine de Rewa, propre sœur de Thakombau ; celle-ci, comme les autres, prenait le parti de son frère et trouvait impardonnable la conduite de Vatéa. Il est bon de savoir, pour avoir une idée des mœurs fidjiennes que cette sœur qui défendait ainsi son frère, avait vu mourir peu avant son mari, égorgé par la main de ce même frère et s’était en vain jetée à ses pieds pour implorer sa grâce en son nom et au nom de ses enfants. Vatéa se contenta de lui dire en réponse à ses reproches : « Je vous aime et c’est mon amour pour vous, mes parents, qui m’a poussée à braver la colère de Thakombau, pour le supplier de devenir chrétien. Autrefois je ne vous aimais pas véritablement, mais l’Évangile m’a appris à aimer. Malheureusement vos cœurs sont orgueilleux. Vous avez tourné en ridicule mes paroles, et vous vous moquiez de moi pendant que je parlais au chef ; plusieurs ont même refusé de me parler depuis lors, mais c’est mon amour pour vous, mes parents, qui m’a fait agir. Je suis décidée à ne pas m’irriter en pensant à votre conduite. Je persévérerai à prier avec ardeur pour vous tous. »
La piété de Vatéa continua à se développer. Pendant le grand réveil que nous raconterons plus loin, elle fit de rapides progrès dans la grâce. Elle mit à profit toutes les occasions que lui donnait son rang élevé dans la société fidjienne, pour censurer le péché et annoncer la bonne nouvelle du salut. Elle contribua grandement à l’introduction du christianisme à Mbau, au moyen de ses relations fréquentes avec sa famille et ses anciens amis, et quand ce repaire de barbarie s’ouvrit à l’Évangile, elle eut sa part dans le succès comme elle l’avait eue dans la peine. Quant aux bons sentiments de son mari, ils ne durèrent pas plus longtemps que les craintes de mort qui leur avaient donné naissance ; elle eut beaucoup à souffrir de sa part ; pendant longtemps, elle supporta patiemment de grandes épreuves domestiques, et sa patience produisit un excellent effet sur les païens. En 1848, M. Hunt lui rendait ce témoignage : « Elle jouit d’un bonheur abondant en vivant près de Dieu ; elle vit dans un état de grâce élevé ; elle est pleine de prières et de louanges. »
Un missionnaire qui assista, en 1847, à une agape où se trouvait Vatéa, prit note des quelques paroles dont elle se servit pour raconter son expérience chrétienne. Les voici : « Je veux dire ce que j’ai sur le cœur, et je veux rendre témoignage à la fidélité de Dieu. S’il m’avait trompée, je le dirais ici ; mais il ne m’a pas trompée, il s’est montré fidèle. Je soupire après Jésus. Dieu est près de moi chaque jour. Je ne fais aucun compte des louanges des hommes. Je voudrais chasser le péché de mon cœur, parce qu’il offense Dieu. Je veux me confier en Jésus et l’aimer. Je me réjouis d’habiter tout près des missionnaires. Je me réjouis de ce que dans mon enfance j’ai été envoyée à Viwa, car c’est ici que je suis devenue chrétienne. Je désire être zélée, à cause de ce que Jésus a fait pour moi. Tel est mon sentiment. »
Dans le courant de l’année 1848, une lamentable éclipse survint dans la foi de Vatéa. Nous avons parlé de ses souffrances domestiques. Elles avaient redoublé, et les caprices de son mari l’avaient souvent violemment tentée. Quelques calomnies, au moyen desquelles les amis païens du vieux chef avaient essayé de noircir le caractère moral de sa jeune femme, avaient rendu son humeur plus intraitable que jamais, en excitant sa jalousie. Maltraitée injustement, elle se sentit le cœur aigri, et se rappela d’anciens griefs. Impétueuse comme elle l’était, elle quitta un jour son mari, et s’en alla à Mbau au milieu des siens. Les chefs de cette localité ayant voulu la forcer à retourner auprès de son mari qu’elle n’avait jamais aimé, et qu’elle avait abandonné dans une heure d’égarement, elle sentit son cœur se révolter contre un pareil ordre, et, dans un moment de désespoir, elle essaya de mettre fin à ses misères en se précipitant du haut d’un rocher. Dieu ne permit pas qu’elle y trouvât la mort, mais, hélas ! un abîme appela un autre abîme ; elle renonça non seulement à la piété, mais encore à la vertu. Dieu ne l’abandonna pas cependant ; après quelques années d’égarement, elle revint à lui, et elle édifia, par sa repentance et par son relèvement, l’église qu’elle avait scandalisée par sa chute. Un instant éclipsée, sa foi brilla d’un plus vif éclat jusqu’au moment où Vatéa mourut, l’âme pleine des espérances de l’immortalité, dans l’année 1855.
Son père spirituel, John Hunt, l’avait devancée de plusieurs années au sépulcre. Il était mort quelques semaines avant qu’éclatât, comme un coup de foudre, sur la petite église fidjienne, la triste apostasie de cette enfant tant aimée. Dieu avait sans doute voulu épargner à ce cœur si tendre cette amère tristesse.
Mais nous nous sommes laissé entraîner un peu loin sur les traces d’une jeune femme dont l’histoire se mêle à celle du missionnaire. Revenons à la vie de Hunt.
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