Un problème angoissant. — Auxiliaires laïques. — Initiative de Maxfield. — Intervention de Suzanne Wesley. — Création d’un ministère laïque. — Justification de cette innovation. — Travaux de Nelson dans le Nord. — Wesley part pour les comtés du Nord. — Une aventure en chemin. — Birstal. — Newcastle. — Une réunion extraordinaire. — Fondation d’une société dans cette ville. — Construction d’une chapelle. — Wesley prêche à Epworth sur la tombe de son père. — Les méthodistes devant un juge de paix. — Mort de Suzanne Wesley. — Division en classes des sociétés de Bristol et de Londres.
A mesure que l’œuvre missionnaire confiée par la Providence à Wesley et à ses amis se développait, un problème angoissant se posait devant leur esprit. Comment suffire, avec un nombre si restreint d’ouvriers, à des besoins sans cesse grandissants ? Comment organiser et diriger les âmes déjà réveillées ? Comment porter le réveil là où il n’avait pas encore pénétré ? Il fallait des hommes, et les hommes manquaient. Wesley avait bien espéré que le clergé officiel lui fournirait de nombreux auxiliaires. Son espoir avait été déçu ; c’est à peine si çà et là se manifestaient quelques sympathies timides ; la masse du clergé était décidément hostile au mouvement. Elle fermait résolument ses chaires et se préparait à opposer la résistance la plus vive aux efforts des novateurs qui avaient l’audace de troubler sa quiétude.
Un seul moyen existait pour sortir de cet embarras. Il s’agissait d’enter, sur le tronc presque entièrement desséché du ministère officiel, un ministère laïque, né du réveil même et apte par conséquent à le comprendre et à s’y associer. L’idée était tellement hardie à ce moment qu’elle paraissait tout à fait impraticable. Elle renfermait cependant le mot de la situation. Wesley y arriva, comme à toutes ses autres innovations, pas à pas et à son corps défendant. Les événements l’entraînèrent, ou plutôt ce fut la Providence elle-même, cette maîtresse des événements.
Nous avons vu qu’à Londres, à Bristol et à Kingswood, Wesley avait confié à quelques laïques intelligents le soin d’édifier en son absence les sociétés par des lectures de la Bible accompagnées de quelques réflexions, tout en leur recommandant de ne pas essayer de prêcher, ce qui, dans ses idées d’alors, eût été un empiétement manifeste sur les droits des ecclésiastiques. Les limites qu’il leur avait assignées n’étaient pas toutefois tellement bien définies qu’il leur fût aisé de s’y renfermer. L’un d’eux, Thomas Maxfield, entraîné par son zèle, en sortit bientôt, et se mit à prêcher à Londres, dans les réunions de la société, avec un grand succès.
Thomas Maxfield, l’un des premiers convertis de Bristol, avait accompagné quelque temps Charles Wesley, probablement comme domestique. II possédait de remarquables dons ; la comtesse de Huntingdon disait de lui : « Maxfield est l’un des plus grands exemples que je connaisse de la grâce spéciale de Dieu. Il est mon étonnement. La première fois que je l’entendis faire une méditation, je n’attendais pas grand’chose de lui ; mais, avant qu’il eût fait le quart de son discours, il avait rivé mon attention et je ne pouvais plus bouger. Sa puissance dans la prière est également tout à fait extraordinaire. »
Dès que Wesley en fut informé, il accourut de Bristol pour mettre fin à ce qu’il considérait comme un grave désordre. Heureusement que sa mère était là, et une fois encore elle devait lui être utile par ses conseils. Retirée dans le logement contigu à la chapelle de la Fonderie, elle suivait d’un regard sympathique l’œuvre qu’accomplissaient ses fils.
En voyant arriver son fils John d’une manière imprévue, elle n’eut pas de peine à reconnaître sur ses traits des signes d’inquiétude et de mécontentement ; elle lui en demanda la cause.
— Thomas Maxfield est devenu prédicateur, à ce qu’il paraît, lui dit-il avec une brusquerie qui n’était pas dans ses habitudes.
— John, lui répondit-elle, vous savez quels ont été mes sentiments, et vous ne me suspecterez pas de favoriser volontiers quoi que ce soit d’irrégulier. Mais prenez garde à ce que vous ferez par rapport à ce jeune homme, car il est aussi sûrement appelé à prêcher l’Évangile que vous l’êtes vous-même. Examinez quels ont été les fruits de sa prédication, et allez vous-même l’entendre.
Wesley suivit cet avis, et, lorsqu’il eut entendu prêcher Maxfield, il s’écria : « C’est le Seigneur ! Qu’il fasse ce qui lui semble bon ! » Il vit là l’une de ces directions d’en haut auxquelles il se soumettait sans hésiter. Dès lors, le ministère laïque était créé, et l’avenir devait prouver que cette institution répondait à des besoins réels. A peine fondée, elle prit en effet un rapide développement. Les sociétés demandaient des conducteurs qui pussent veiller sur elles et poursuivre l’œuvre d’évangélisation. Ces hommes, pris dans leur sein et agréés par Wesley, étaient des laïques simples et pieux, qui, sans renoncer aux travaux de leur profession, consacraient tous leurs loisirs à la prédication. Dès cette année, une vingtaine furent employés.
Ce fut l’une des innovations qui valurent à Wesley le plus de critiques de la part de tous ceux qui faisaient passer le formalisme ecclésiastique avant toute autre considération. Ils ne lui pardonnaient pas de laisser prêcher des hommes qui n’avaient pas reçu la consécration épiscopale. Il vaut la peine d’entendre Wesley exposer lui-même le point de vue auquel l’expérience l’avait amené sur cette question :
« Je ne crains pas d’affirmer que Dieu se sert de ces hommes illettrés pour la grande œuvre qui consiste à sauver des âmes de la mort. D’ailleurs, dans la seule chose qu’ils font profession de connaître, ils ne sont nullement ignorants. J’ai la confiance qu’il n’en est pas un parmi eux qui ne fût capable de subir un examen de théologie pratique et expérimentale mieux que la plupart de nos candidats universitaires. On objecte qu’ils ne sont que des laïques ; je réponds que les scribes, qui étaient prédicateurs chez les Juifs, n’étaient pas prêtres, et n’étaient que des laïques eux aussi. Plusieurs d’entre eux n’auraient pas même pu être prêtres, n’étant pas de la tribu de Lévi. Et c’est probablement ce qui explique que les Juifs n’aient jamais soulevé contre la prédication de Notre Seigneur l’objection qu’il n’était pas prêtre de l’ordre d’Aaron ; il ne pouvait pas l’être, étant de la tribu de Juda. Il ne paraît pas non plus que cette objection ait été adressée aux apôtres.
Si nous en venons aux temps modernes, Calvin avait-il reçu l’ordination ? Etait-il prêtre ou diacre ? Et la plupart de ceux qu’il plut à Dieu d’employer pour propager la Réformation n’étaient-ils pas aussi des laïques ? Cette grande œuvre aurait-elle jamais pu se répandre en tant de lieux, si les laïques n’avaient pas prêché ? L’ordination n’est pas considérée, dans toutes les Églises protestantes, comme une condition indispensable pour prêcher, car, en Suède, en Allemagne, en Hollande, et je crois dans toutes les Églises réformées de l’Europe, il n’est pas seulement permis, mais requis qu’avant de recevoir l’ordination, un candidat prêche publiquement, pendant un an ou deux, ad probandum facultatem. Et cette pratique s’appuie sur un commandement formel de la Parole de Dieu : Qu’ils soient d’abord éprouvés et qu’ensuite ils exercent leur ministère, s’ils sont sans reproche » (1 Timothée 3.10). »
Quand Wesley écrivait les lignes que nous venons de citer, le ministère laïque existait déjà depuis quelques années et avait fait ses preuves. Et lui-même s’était débarrassé de ses derniers préjugés ecclésiastiques, devant l’œuvre merveilleuse accomplie par ces humbles agents.
Charles Wesley rencontra, quelques années plus tard, à Hotwells, l’archevêque anglican d’Armagh, qui lui dit beaucoup de bien de son frère John, contre lequel il n’avait, disait-il, qu’un grief : l’emploi qu’il faisait de laïques comme prédicateurs. « Monseigneur, répondit Charles, la faute en est à vous et à vos frères. — Comment donc ? demanda le prélat. — Parce que vous vous taisez, et qu’il faut bien que les pierres crient. — Mais on m’assure, poursuivit l’archevêque, que ce sont des hommes illettrés. — Plusieurs en effet le sont, répliqua Charles ; mais c’est ainsi qu’une ânesse muette réprimanda le prophète. »
Parmi les premiers prédicateurs que Dieu suscita à Wesley se trouvait un simple maçon du Yorkshire, John Nelson, qui, travaillant de son état à Londres, avait été converti d’une manière remarquable par le moyen de la prédication de Wesley. Revenu dans son comté, il se sentit pressé de faire part à ses voisins du grand changement qui s’était accompli en lui, et il se mit sans retard à leur annoncer l’Évangile. Sa prédication simple et chaleureuse et sa piété exemplaire firent sensation dans sa ville natale, et il eut la joie de conduire à Jésus-Christ un grand nombre d’âmes. Il écrivit alors à Wesley pour lui demander ses conseils ; celui-ci lui répondit qu’il ne tarderait pas à aller le visiter. Un appel non moins pressant lui était venu de la part de la pieuse comtesse de Huntingdon, qui avait mis sur sa conscience le misérable état moral des mineurs de la région de Newcastle et de la Tyne. Il répondit à ces appels en mai 1742. C’était sa première tournée missionnaire dans les comtés du nord de l’Angleterre, où le méthodisme allait remporter de magnifiques succès.
[Sélina, comtesse de Huntingdon, née le 24 août 1707, était l’une des trois filles du comte de Ferrers. Mariée en 1728 au comte de Huntingdon, elle perdit son mari eu 1746. Elle avait déjà perdu plusieurs de ses enfants. Ces épreuves tournèrent son esprit du côté des choses religieuses. Elle embrassa avec ardeur les principes du méthodisme et consacra sa vie à les propager. Liée surtout avec Whitefield, dont elle partageait les vues théologiques, elle le nomma son chapelain, et invita à l’entendre chez elle les plus grands personnages de l’Angleterre : Chesterfield, Bolingbroke, Horace Walpole, Hume, la duchesse de Marlborough, etc. Elle employa sa grande fortune à fonder un collège de pasteurs à Trevecca (pays de Galles), à construire des chapelles, à salarier des pasteurs. Quand elle mourut en 1791, elle laissait soixante-quatre chapelles, formant ce qu’on appelait la « Connexion de lady Huntingdon ». Ces églises se sont fondues dans le congrégationalisme, et le collège de Trevecca a été transféré à Cheshunt, dans le comté de Herts, où il a prospéré. Le recensement de 1851 comptait, en Angleterre et dans le pays de Galles, 109 chapelles appartenant à la communauté à laquelle la noble comtesse a donné son nom.]
Il partit donc à cheval de Londres, s’arrêta quelques jours chez la comtesse, qui était déjà l’amie dévouée et la propagatrice infatigable du réveil, puis il se dirigea sur Birstal, petite localité du Yorkshire qu’habitait Nelson. Le long de la route, il eut une aventure qui est significative et qui fait connaître le temps et les hommes.
« En poursuivant mon chemin, raconte-t-il, je rencontrai un homme sérieux, avec qui j’entrai en conversation. Il me fit immédiatement part de ses opinions particulières, que je me gardai bien de contredire. Mais ma réserve ne parut pas le satisfaire ; il tenait à savoir si, comme lui, j’admettais la doctrine des décrets. Je lui répétai à diverses reprises qu’il valait mieux demeurer sur un terrain pratique que de nous aigrir réciproquement par des discussions arides. Nous cheminâmes ainsi paisiblement côte à côte l’espace de deux milles, jusqu’à ce qu’il parvint à m’entraîner, malgré moi et avant que je pusse me reconnaître, sur le terrain brûlant de la polémique. Il s’échauffa bientôt et me dit que j’étais gâté jusqu’au cœur et qu’il me soupçonnait fort d’être l’un des disciples de John Wesley. Non, lui répondis-je, je suis John Wesley lui-même. A ces mots il parut
Improvisum aspris veluti qui sentibus anguem Pressit,
(comme un homme qui, par mégarde, dans les broussailles, a posé le pied sur un serpent). Il m’eût bien volontiers quitté là ; mais, mieux monté que lui, je me maintins à son côté, et j’essayai de le faire rentrer en lui-même, jusqu’au moment où nous nous séparâmes en arrivant à Northamptona. »
a – Journal, 20 mai 1742.
A Birstal, Wesley fut agréablement surpris de trouver une petite société chrétienne et un excellent évangéliste. S’il eût encore conservé quelques doutes au sujet de l’utilité d’un ministère laïque, la vue du bien accompli par Nelson aurait suffi pour les dissiper.
John Nelson est l’un des caractères les plus remarquables parmi les auxiliaires de Wesley. Son autobiographie est un écrit du plus haut intérêt et que l’on peut sans désavantage comparer à celle de Bunyan. Elle a été traduite en français en 1838 par M. H. de Jersey et publiée à Lille sous ce titre : Vie de M. Jean Nelson écrite par lui-même.
Après avoir prêché en plein air à une nombreuse assemblée et vu de près la petite société de Birstal, Wesley continua son voyage vers le nord, accompagné de John Taylor, un ami de lady Huntingdon, qui l’accompagnait dans ce voyage.
Le 28 mai, il arriva à Newcastle, en Northumberland, ville importante et centre d’un des district houillers les plus riches de l’Angleterre. C’était aussi un foyer de misère et de corruption. Le soir de son arrivée, Wesley parcourut la ville, et fit la remarqua que, nulle part encore, dans un temps si limité, il n’avait vu tant de personnes abruties par la boisson ni entendu tant de blasphémateurs, même parmi les enfants. Certainement, se dit-il, la place est prête pour Celui qui est venu appeler à la repentance, non les justes, mais les pécheurs. Il chercha vainement dans toute la ville une personne bien disposée. Il n’était pas homme toutefois à perdre courage, et il se décida à commencer son œuvre sans retardb.
b – Journal, 28 mai 1742.
Le dimanche matin, dès sept heures, il pénétra dans Sandgate, le quartier le plus pauvre et le plus mal famé de la ville, et, se plaçant en haut de la rue avec John Taylor, il entonna le psaume 100. Trois ou quatre personnes sortirent de leurs maisons pour voir ce qui se passait d’extraordinaire ; dans quelques moments tout le quartier fut en émoi, et quinze cents personnes, dont l’expression annonçait une curiosité farouche, entourèrent le prédicateur. Wesley était l’homme de ces occasions-là ; il savait trouver dans son cœur la parole qui devait toucher et convaincre. Son auditoire l’écouta avec une attention étonnée, pendant qu’il lui parlait de la mort du Fils de Dieu, « navré pour nos péchés, frappé pour nos iniquités. » Sa prédication finie, il s’aperçut que la curiosité du peuple était loin d’être satisfaite : « Si vous voulez savoir qui je suis, leur dit-il, mon nom est John Wesley. A cinq heures, ce soir, je prêcherai encore dans ce lieu. »
Le soir, toute cette population ouvrière se porta en masse au lieu désigné. Jamais encore, ni à Bristol ni même à Londres, Wesley n’avait eu à parler à une aussi grande multitude. Tout échelonnée sur le flanc d’une colline, elle formait une pyramide immense. Le prédicateur se tenait au sommet, vu de tous, bien qu’une bonne moitié ne pût entendre ses paroles que très imparfaitement. Il présenta encore à ses auditeurs les compassions infinies de Dieu, et sa parole puissante remua plus d’une conscience. A peine put-il, lorsqu’il eut fini, regagner son logement ; on l’entourait de tous côtés, et chacun était si désireux de le voir de près et de lui parler qu’il faillit être écrasé par la presse. Son retour à son domicile fut une véritable ovation. Arrivé à sa modeste auberge, il la trouva encombrée de gens qui le supplièrent de passer encore quelques jours au milieu d’eux ; mais l’emploi de ses journées était réglé d’avance, et il ne put accéder à leurs désirs.
Charles Wesley vint bientôt continuer l’œuvre si bien commencée par son frère, qui y revint lui-même avant la fin de l’année, et cette fois-ci pour consacrer un mois et demi à l’évangélisation de cette cité et des localités avoisinantes. Nulle part encore il n’avait rencontré un pareil empressement ; l’avidité avec laquelle le peuple écoutait la prédication de l’Évangile le remplissait de joie. Ce qui le réjouit davantage encore, ce furent les conversions nombreuses et remarquables qui se produisirent à la suite de ses travaux ; quelques-unes furent accompagnées de crises physiques analogues à celles dont il avait été témoin dans les comtés du sud. Le plus souvent néanmoins, l’œuvre avait un caractère plus intérieur et plus concentré. « Je n’ai jamais vu encore, écrit-il, une œuvre qui se développe d’une manière plus uniforme et plus graduelle. Elle progresse continuellement et pas à pas. Nous ne voyons pas se produire en une seule fois autant de bien qu’à Bristol et à Londres, mais il s’en produit un peu chaque fois. Cela est également vrai de chaque âme prise à part. Je n’en ai pas vu en possession de ce triomphe de la foi, qui a été si commun ailleurs ; mais les croyants progressent avec calme et solidement. Que Dieu fasse son œuvre comme il le trouvera bon ! » A la fin de l’année, la société méthodiste de Newcastle comptait 800 membres.
Avant de quitter Newcastle, Wesley y acheta un terrain et y commença l’érection d’une chapelle, avec un asile pour les enfants abandonnés. Il vit dès le premier moment l’extension et l’importance qu’allait prendre cette œuvre. Cette construction était aussi une œuvre de foi. « Elle doit entraîner, dit Wesley, une dépense de 700 livres sterling, et beaucoup de gens prétendent qu’elle ne s’achèvera jamais ; d’autres disent que je ne vivrai pas assez pour en voir poser le toit. Mais je suis d’un autre avis. Je ne doute pas que, l’ayant entreprise pour l’amour de Dieu, il ne me fournisse les moyens de l’acheverc. »
c – Journal, 23 décembre 1742.
Au retour de sa première visite à Newcastle, Wesley prêcha dans les villes qui étaient sur sa route. Il voulut aussi profiter de l’occasion pour visiter Epworth, sa ville natale. Dans la paroisse de son père, la chaire lui fut refusée par celui qui lui avait succédé ; et ce pasteur osa même prêcher contre lui. Au sortir du sermon, Wesley, que l’opposition n’effrayait pas, fit annoncer qu’il prêcherait dans le cimetière. C’est ce qu’il fit en effet, debout sur la pierre qui couvrait les restes de son père, devant une immense et sympathique assemblée. Tous les jours, pendant une semaine entière, il prêcha à ce même endroit, qui lui rappelait tant de souvenirs, et sa parole émue produisit une profonde sensation. Plusieurs personnes furent réveillées et se mirent sérieusement à la recherche du salut. Des incrédules même furent atteints par la puissance de cette parole. Un homme qui passait pour un esprit fort et qui se vantait de n’avoir pas mis les pieds dans une église depuis trente ans, vint l’entendre par pure curiosité. Après le service, Wesley, voyant qu’il ne bougeait pas de place et qu’il paraissait vivement préoccupé, alla droit à lui et lui demanda brusquement : « Etes-vous pécheur, monsieur ? » Le pauvre homme pâlit à ces mots et répondit avec des larmes dans la voix : « Hélas ! je ne le suis que trop ! » Et il fallut, tant son émotion était vive, que sa femme et un domestique le transportassent dans sa voiture. Quelques années plus tard, Wesley le revit et fut tout heureux d’apprendre de sa bouche qu’il était devenu chrétien à la suite de cette entrevue.
Pendant ce même séjour à Epworth, Wesley apprit d’un juge de paix de ce district, excellent homme à tous égards, que ses voisins, irrités contre « les nouveaux hérétiques », lui en avaient amené une charrette toute pleine, afin qu’il instruisît leur procès. Avec le plus grand sérieux, le magistrat demanda quel était leur crime. Tous gardèrent le silence, en se regardant, car ils avaient oublié ce point. A la fin, l’un dit : « Ces gens-là prétendent être meilleurs que les autres, et puis ils prient du matin au soir. — Est-ce là tout ce qu’ils ont fait ? demanda le juge. — Oui, monsieur, répondit un vieillard, et, n’en déplaise à Votre Seigneurie, ils ont aussi converti ma femme. Avant d’aller avec eux, elle grondait toujours, et maintenant elle est aussi douce qu’un agneau. — Emmenez-les, reprit le magistrat en souriant, et puissent-ils convertir toutes les femmes querelleuses du paysd ! »
d – Journal, 9 juin 1742.
Cette anecdote prouve qu’à Epworth, comme à Birstal, le réveil avait commencé avant cette visite de Wesley. Benjamin Ingham, pleinement rattaché aux Moraves, avait en effet fondé un certain nombre de sociétés, surtout dans le Yorkshire ; mais, comme à Londres, le quiétisme y avait pénétré et y avait mis la division.
Au retour de sa première tournée missionnaire dans le Nord, John Wesley fut appelé à assister aux derniers moments de sa mère, qui se mourait à Londres. « J’ai trouvé ma mère, écrit-il, sur les confins de l’éternité ; mais elle n’a ni doute ni crainte ; elle n’a d’autre désir que celui de partir pour être avec Christ. » Le 23 juillet fut le dernier jour de sa vie. Le matin, elle dit encore : « Mon cher Sauveur, es-tu venu pour m’aider à ma dernière heure ? » Quand son fils revint l’après-midi de la réunion de prières de la Fonderie, il trouva que le dernier combat avait commencé. Il lut les prières des mourants, et bientôt cette sainte femme s’endormit du dernier sommeil. Un peu auparavant, elle avait dit à ses enfants réunis autour de son lit : « Mes enfants, dès que je m’en serai allée, chantez un psaume d’action de grâces à Dieu. » C’est ce qu’ils firent en effet, et un cantique de louange, chanté par des voix entrecoupées de sanglots, se fit entendre dans cette chambre d’où l’âme de Suzanne Wesley venait de s’envoler vers les cieux. Cette mort si sereine, couronnant une existence si utile, ne fut pas le moindre des enseignements que Wesley reçut de sa mère.
Cette année, qui vit le méthodisme prendre pied dans le Nord et adopter définitivement la coopération laïque, fut aussi marquée par un nouveau progrès dans la constitution des sociétés. Elles existaient depuis 1739 ; mais les classes proprement dites ne datent que de 1742, et elles durent leur naissance à un incident d’ordre fort différent. Une lourde dette pesait encore sur la chapelle de Bristol. Le 15 février, les principaux membres de la société se réunirent pour aviser aux moyens de l’amortir. L’un d’eux proposa que chaque membre souscrivît un penny (10 cent.) par semaine. Un autre objecta que beaucoup de membres étaient trop pauvres pour s’imposer cette souscription. « Eh bien ! répondit le premier, mettez avec moi onze des plus pauvres ; s’ils peuvent donner quelque chose, j’irai chaque semaine recueillir leurs offrandes ; s’ils ne peuvent rien donner, je souscrirai pour eux aussi bien que pour moi-même. Que chacun de vous en fasse autant. » — « Ainsi fut fait, dit Wesley ; chacun se mit en campagne, et, peu de temps après, quelques-uns de ces visiteurs m’informèrent qu’ils avaient trouvé tel et tel membre dont la conduite laissait à désirer. Cette pensée me frappa aussitôt : Voilà l’institution qui nous faisait défaut depuis si longtemps ! »
Chaque semaine dès lors, Wesley réunit ses collecteurs, qui, outre leurs fonctions financières, avaient pour mission de veiller aux intérêts spirituels des membres de leur groupe et de tenir leur pasteur au courant de ce qui survenait d’intéressant dans la société. Ce système fut, quelques semaines plus tard, introduit à Londres et donna aussitôt à la société la cohésion qui lui avait d’abord manqué. « Ainsi, dit Wesley, commencèrent nos classes, pour lesquelles je ne pourrai jamais assez bénir Dieu et dont l’utilité a dépassé tout ce que je pourrais en dire. »
A l’origine, les conducteurs de classe, ou chefs de groupe, devaient visiter chez eux les membres qui étaient sous leurs soins ; mais ce système était peu pratique et réclamait plus de temps que les conducteurs n’en pouvaient donner. Aussi en vint-on bientôt à remplacer ces visites par une réunion hebdomadaire des membres de la classe, qui se passait en entretiens religieux, où chacun racontait ses expériences.
En divisant ainsi les sociétés en petites compagnies, dont chacune avait son chef responsable, Wesley rendait possible une action pastorale efficace et une discipline sérieuse. Une fois par trois mois, il inspectait les classes, s’enquérait de l’état spirituel de chaque membre, et lui remettait un billet, ou carte de membre, qui servait à constater sa fidélité à la société.
Le méthodisme, qui avait alors quatre principaux centres d’action, Bristol, Kingswood, Londres et Newcastle, comptait déjà des sociétés en formation dans les comtés de Somerset, de Wilts, de Gloucester, de Leicester, de Warwick et de Nottingham, aussi bien que dans le sud du Yorkshire.