Demain…l’au-delà

Texte de Carlo Hemmerling écrit peu avant sa mort :

Au moment où je quitterai ce monde, du haut de sa croix éternellement dressée, peut-être me verra-t-Il, me débattant dans ma fange. Et peut-être me dira-t-Il alors — ô non pas : « ce soir tu seras avec moi dans le Paradis » — mais seulement « ce soir, je te ferai une petite place, dans la maison, derrière le brigand repentant de Golgotha. »
« Rien, ô Jésus, que ta grâce… »

« La Vie Protestante » a publié ce texte le 13 octobre 1967 en exergue de l’article annonçant la mort de Carlo Hemmerling. Figure extrêmement populaire dans toute la Suisse romande, directeur du Conservatoire de Lausanne, compositeur de la musique de la Fête des Vignerons de 1955, Carlo Hemmerling fut, de nombreuses années, l’organiste du Temple de Corsier-sur-Vevey. Au milieu d’autres notes, au milieu d’autres faits, ce texte manuscrit constitue un témoignage de grand prix quant à l’humilité de la foi exprimée. Nous sommes reconnaissants d’avoir été autorisés à le publier dans notre ouvrage.

Les échelons de Jacob

« Et Dieu seul connaît la réponse aux pourquoi de notre douleur… »

Nous le croyons également. Cependant, si le « pourquoi », dans une certaine mesure, reste de l’ordre strictement privé, le « comment » n’est pas tenu aux mêmes exigences. Plus ! Devant le deuil, les uns font preuve d’un cran impressionnant alors que d’autres se laissent couler. Là encore, l’abondance des uns aurait à subvenir à l’indigence des autres.

On dit que la foi transporte des montagnes. Comme le remarquait un commentateur, elle effectue souvent ce miracle avec une pelle, une brouette, une équipe de terrassiers.

La montagne du deuil devrait-elle nous laisser seuls en présence de sa masse écrasante ? La stricte intimité à laquelle se réfèrent certains faire-part de décès est parfois légitime. Elle ne doit pourtant pas être une règle absolue. Participer à l’épreuve d’autrui demande du tact et des sentiments authentiques. Ceux qui ont connu le deuil sont à même d’aider les nouveaux promus de l’épreuve.

C’est pourquoi nous avons pris la liberté d’écrire la lettre suivante à plusieurs personnes. Son texte fera mieux saisir le sens des réponses que nous avons reçues.

Lausanne et Ecublens, novembre 1972

A quelques personnes qui, en lisant
nos lignes, comprendront pourquoi
nous nous sommes adressés à elles.

Madame, Mademoiselle, Monsieur,

Voici plus ou moins longtemps, vous étiez parmi ceux qui “avaient le grand chagrin de faire part du décès de leur cher…”.

Chacun de nous est appelé à affronter la mort, soit à l’heure de son départ, soit à l’heure du départ de ses bien-aimés. Beaucoup s’efforcent d’oublier cette échéance et réussissent à la bannir de leurs pensées jusqu’à l’heure où, faute d’avoir pris le temps de s’y préparer, ils improvisent… ou l’affrontent dans l’ignorance. Les deux signataires de ces lignes envisagent la publication d’un livre sur la mort. Ce livre, fait de citations, de textes et d’affirmations chrétiennes, nous aimerions qu’il contienne aussi des documents très concrets, pratiques.

C’est ici que nous vous demandons votre aide.

Peut-être votre épreuve vous a-t-elle soudainement laissé en pleine obscurité. Mais, peut-être aussi la foi a-t-elle guidé vos pas… Or, si votre chagrin et votre deuil ont été publiquement annoncés, (faire-part, lettres et télégrammes), sans doute ne sont-ils pas nombreux ceux qui connaissent votre cheminement de consolation, préalablement reçu, peut-être aussi progressivement découvert, de jour en jour, au travers de longs mois, où d’années même. Aussi, aimerions-nous que ces richesses, acquises par votre expérience douloureuse, ne restent pas le privilège de quelques proches, mais publiées, puissent être connues d’un plus grand nombre.

Ce que nous vous demandons, c’est d’écrire les étapes de votre itinéraire, les degrés de votre remontée vers la lumière, vers une joie, différente sans doute mais retrouvée, modifiée mais reconstruite.

Nous nous permettons encore de vous préciser ceci : si vif soit notre désir de pouvoir transmettre au lecteur les claires affirmations de la foi chrétienne, nous ne vous demandons pas tant de nous parler de “l’échelle de Jacob”, de la consolation et de l’espérance, mais des échelons très précis de cette échelle. A la description des ressources sublimes de la foi, nous préférerons l’évocation concrète de ce à quoi vous vous êtes cramponnés…

Nous choisirons dans ce qui nous aura été envoyé, pour éviter les doublets et les redites ; nous ne pouvons nous engager à tout publier, du moins nous engageons-nous à respecter scrupuleusement votre anonymat.

Merci de nous permettre par cet ensemble de “signes de vie”, de témoigner effectivement des signes de la résurrection.

Alain Burnand & Maurice Ray

Solitaires

Parmi les lettres reçues, nous avons retenu celles des solitaires (veufs, veuves, orphelins…) et celles des couples dont le témoignage illustre les aspects de l’esprit d’équipe.

Le deuil peut rendre insociable, difficile à vivre. Faut-il le dire ? Aucun document ne nous est parvenu de ces solitudes-là.

En langage lapidaire, le solitaire est un diamant. « Diamant taillé dans une larme… » écrivait C.-F. Landry dans un poème de Noël. Cette poétique définition s’applique aux quelques facettes des témoignages qui vont suivre.

La taille arrache à la pierre des éclats d’elle-même. Et le deuil ?

Le polissage de la pierre taillée l’use par un interminable frottement abrasif. Et le chagrin ?

Mais un sertisseur de pierres précieuses nous a révélé ceci. qui prend ici valeur de parabole : on ménage toujours au diamant authentique une minuscule fenêtre dans le métal de la monture, de telle sorte qu’un filet de lumière, l’éclairant par en-dessous, comme par un infime soupirail, fasse s’épanouir ses feux, comme de l’intérieur.

Dans des circonstances que l’enquête établira…

« ll y aura bientôt trois mois qu’il nous a quittés.

Un jeudi de pluie, mon compagnon de 21 années m’a embrassée pour la dernière fois. Je suis partie à mon travail. A 16 heures, on vint me prévenir que, sur la route — une heure après notre au revoir — ça avait été l’accident mortel.

Un bloc de glace m’est tombé sur le cœur : j’ai cru que tout mon sang m’avait quittée. Je n’ai pas versé une larme. J’ai pris mon manteau, mon sac, j’ai téléphoné à ma famille, à mon pasteur, puis je suis partie comme un automate.

Trajet de silence complet. Il m’a semblé rouler 200 km, pourtant ce n’était pas si loin. Puis j’ai dû répondre à des questions de routine (identité, etc.), qui auraient pu attendre, semble-t-il. Ensuite, on nous a conduits à une morgue sinistre. On a ouvert deux cercueils avant de trouver « le bon »…

Et je l’ai vu. Trois heures plus tôt il m’avait dit : à ce soir ! Il était couché sur le côté, un peu de sang au coin des lèvres.

Nous l’avons quitté ; nous sommes répartis avec ses derniers effets donnés, avec infiniment de tact, par les gendarmes : les photos qu’il avait avec lui de sa femme et de son fils, sa montre qui marchait toujours.

Je suis rentrée à la maison. J’ai serré mon fils contre moi et, du mieux que j’ai pu. je lui ai dit de notre drame ce que son développement mental lui permettait de réaliser. A ce moment seulement, j’ai pu pleurer.

Il y a eu les obsèques au bout de quatre longs jours d’attente meublée de tant de formalités obligatoires… de tant de témoignages réconfortants pour la plupart, ou vraiment déprimants pour quelques-uns ? au milieu de téléphones de sympathie, d’autres, d’une curiosité morbide, comme si ce désir de savoir n’était pas tant celui d’être fixé. mais d’être renseigné « de première main ». Une amie (!) n’est-elle pas allée jusqu’à interrompre sa lettre de condoléances pour cette question : « écrivez-moi comment ça s’est passé ». Voulait-elle que je lui fasse un croquis ?

Pour le service funèbre, j’avais choisi le texte biblique de notre mariage : « Maintenant donc ces trois choses demeurent, la foi, l’espérance et l’amour… », et j’ai demandé que la prédication ne soit pas tellement un message de consolation qu’une mise en garde. Sans vantardise, je crois pouvoir dire que notre ménage était un ménage solide. Et parmi les nombreux collègues et camarades de mon mari, il en était quelques-uns qui avaient peut-être besoin de ce solennel avertissement plus que je n’avais besoin, moi, de paroles de consolation.

Le temps a passé. J’ai repris mon travail. « Notre » travail, puisque nous étions aussi collaborateurs professionnellement parlant. Ça a été dur ; inhumain au début. Surtout (une fois encore) en raison des curieux : des curieuses plus précisément, qui me laissaient une désagréable impression : celle d’être venues non pour me voir ou me parler, mais plutôt pour « venir voir la tête de la veuve ». Mes collègues ont été merveilleux, écartant les importuns, assumant le travail pénible, ou mieux, ce qui dans le travail me serait pénible : me reconduisant à la maison ; me soutenant moralement… une « équipe », vraiment. Ah ! les rentrées les égards de proches si attentionnés. et parfois si maladroits à force de vouloir m’aider selon leur jugeotte, et sans considération pour ma vision des choses.

Mais les soirs… les nuits… les matins… la solitude de tous ces moments. Le lit qu’on découvre machinalement pour personne.

La prière, seule et ultime consolation. Mais aussi la prière seule : plus de main qui tient la nôtre au coucher. Si on ne croyait pas, ce serait la fin. Se dire que sa volonté n’est pas la nôtre, accepter… cela demande du temps.

Puis il y a eu les fêtes. Période la plus terrible. Noël… on nous a entourés tant qu’on a pu. Mais le soir du 31, j’ai passé la soirée la plus pénible depuis l’accident. J’ai réalisé seulement ce soir-la que c’était terminé… Dans l’appartement d’à côté, on réveillonnait. On avait eu la délicatesse de me prévenir… A 22 heures, je suis allée sur le balcon. Un quatrième étage…

J’ai pensé à notre enfant, à ma mère si calme, si courageuse, (à peine sortie elle- même de deux autres deuils). Et une collègue a, juste alors, téléphoné. Son appel venait de 200 km, et elle a su m’ordonner — M’ORDONNER ! — de prendre ce que le médecin m’avait prescrit et d’aller me coucher, J’ai obéi.

Depuis lors, les ténèbres s’éclairent de temps à autre. On me dit femme de tête, je vais essayer de le rester, d’apprendre à vivre seule, sans ennuyer les autres. En pensant aux autres, qui souffrent comme moi. En appliquant à leur aider ce que j’ai durement appris, compris. Comme les sinistrés que l’on voit dans les ruines de leur maison écroulée cherchant ce qui, peut-être, serait utilisable, intact ; je fais l’inventaire de ce qui permet à la vie de continuer : merci pour chaque petite joie qui nous est offerte ; merci — eh oui ! — pour la relative sécurité matérielle que nous avons ! merci pour un bon livre, pour la musique, pour les projets qu’il est possible (et nécessaire) de faire. Merci pour cette petite idée qui n’est peut-être qu’un reflet de ma foi… cette pensée qui me tient compagnie et qui m’aide dans mes efforts, que mon époux, que le père de mon fils, puisse être fier de moi. Une amie m’a écrit, et je ne saurais dire combien cela m’a aidée : « Tu es forte et bien organisée, j’espère que cela t’aidera ». Et plus loin ce conseil précieux : « Continue à être jolie, pour toi, pour les autres aussi ».

♦   ♦

Quels enseignements, quelles conclusions se dégagent de ces lignes ?

Les échelons de Jacob ?

Des amis ont pris connaissance de la totalité des témoignages qui vont suivre. Ils pouvaient en apprécier la diversité, eux qui, jeunes parents, ont affronté ensemble la mort d’un de leurs enfants, suite à une cruelle leucémie. Du tracé de leur itinéraire, on retiendra cette impression de boue dans laquelle on patauge ; comme si les roues qui devraient avancer tournaient sur place, creusant une ornière où s’embourbe la foi.

L’échelle est tombée

…« Qu’avons-nous à dire aux autres, à leur apporter au sujet de la souffrance et de la mort ? Pas grand-chose de « bien-pensant » : nous ne sommes pas bien pensants, Notre avance ? C’est du cahin-caha ; un jour « oui », un jour « non ».

Nous avions appris dès notre plus jeune âge, la prière où il est dit : « Que ta volonté soit faite… ». Aujourd’hui que cette « volonté » nous est présentée comme celle d’un Dieu qui fait mourir et qui fait vivre… nous ne pouvons pas faire nôtre une telle prière. Au début, nous nous accrochions à des bribes acceptables de foi. Car notre foi elle-même a été ébranlée ; heureux tous ceux qui la conservent intacte (ce qui signifie non entamée) : c’est le point d’appui inébranlable sur quoi tout le reste peut de nouveau s’étayer.

Mais que dire à ceux qui, comme nous, ont vu le credo de leur catéchisme ne pas supporter le passage de la théorie à la douloureuse pratique. Leur dire peut-être comment le ramasser à terre, pièce par pièce… et peut-être d’abord les plus petites, les plus faciles à ressaisir, les plus maniables. Car cette échelle de Jacob, avez-vous pensé qu’elle peut, elle-même, gésir à terre, montants et échelons désarticulés ?

Les échelons que nous avons ramassés les premiers : peut-être que sa toute-puissance n’est que faiblesse… et sa victoire n’est pas là où on l’attendait. l’idée que lui aussi a vu mourir son enfant.

Oserons-nous le dire ? Et vous, oserez-vous le publier ? Le pire, c’est peut-être les fausses consolations des bien-pensants, inhumains à force de sublime. « Salut, glaciers sublimes, vous qui touchez aux cieux… » Les gens sublimes nous ont toujours semblé à la fois si impressionnants d’altitude et si… glacials, justement. Le comble… ce verset biblique anonymement jeté dans notre boîte aux lettres : « heureux celui qui reçoit le châtiment de l’Eternel… »

Pour rester à l’image de l’échelle de Jacob, nous l’avons peu à peu refabriquée à l’aide des éléments récupérés. Nous l’avons vue se dresser lentement, très lentement : quand la boue est profonde dans les terres sinistrées, les montants semblent s’enfoncer, plus que rien d’autre. Et puis, on croit que ça y est, que ça tient, mais c’est encore fragile : une poussée de rien du tout, un énervement contre l’un de nos autres enfants (il est des moments où on leur en voulait presque d’être vivants… ils nous agaçaient !), une maladresse de parents, de voisins… et tout semblait redégringoler.

En repensant à tout ce brassage de glaise, nous pouvons dire « je comprends » à ceux qui voient démoli le frêle bâti de leur foi. Peut-être qu’avant de dire : « je crois à la résurrection », il faudrait dire — apprendre à dire ! — je crois à la reconstruction. Ce patient assemblage, brindille par brindille, oserait-on dire que ça révèle déjà l’aide de Dieu ? Nous le pensons, même si ça ne ressemble guère à une espérance et à une joie forgées par l’épreuve : même si notre « vécu » à nous ressemble comme un frère à celui de ceux qui ne croient pas… qui ne croient plus et à qui il faut tout réapprendre avec amour, avec tact, avec patience ; tout redire : qui est Jacob, ce qu’est une échelle, où sont les échelons. »

« Tout réapprendre, tout redire… » Il se trouve que la lettre suivante réalise, à point nommé, ce programme.

Elle nous a été adressée par un pasteur. Son ministère consiste précisément à réapprendre avec amour, avec tact, avec patience qui est Jacob, ce qu’est une échelle et en quoi les échelons s’accrochent horizontalement aux montants verticaux de la prière. Horizontalement… c’est dire que les points d’accrochage de la consolation peuvent paraître singulièrement « humains » (voyez ce qu’il dit de l’importance du scrabble dans leur itinéraire de remontée).

Et puis, rien ne vaut l’exemple vécu. Quand le pasteur traverse lui-même l’épreuve, n’est-ce pas pour toute sa paroisse, autant que pour son propre foyer, l’occasion de vivre à découvert le prodigieux passage du « credo du catéchisme », de la théorie à la pratique ?

« Un enfant nous est mort. Le médecin avait dit : Pour vous, les enfants c’est fini. Nous en avions déjà cinq. Bénédiction. Alors nous n’avons pas poussé les hauts cris. Et puis trois ans après, en voici un qui s’annonce quand même : surprise… déception… Et puis acceptation joyeuse.

» Mais alors que les cinq premiers étaient nés sans intervention médicale, à la maison, ce dernier complique tout : il faudra une césarienne ; c’est un tout beau garçon. L’équilibre est rétabli : trois filles, trois garçons !

» Dominique grandit, fait notre joie : il est intelligent. Peu avant ses cinq ans, c’est le drame : une péritonite subite. Opération. Des jours et des jours d’angoisse. Et alors que nous désespérions, le miracle se produit et en quelques jours sa santé se rétablit. Louange !

» Neuf mois après, c’est la catastrophe.

» Invité à une partie de luge par un camarade de son frère aîné, garçon de dix ans, notre gosse part tout joyeux. Deux heures après, coup de téléphone de la police : « On vient de retirer votre enfant de la rivière ». On se précipite affolés au barrage d’une usine où le médecin tente la réanimation. Mais c’est en vain. Tout est fini. Nous sommes en plein cauchemar.

» Jusqu’à cette date de janvier, il n’y avait pas eu de maladie grave, ni d’accident, ni de deuil cruel dans la famille proche où plus éloignée. Coup sur coup, trois morts, dont un suicide, et puis cet enfant. On pense que la mort, c’est pour les autres. Tout va tellement bien pour nous. Et subitement…

» Quels seront les échelons qui nous permettront de retrouver la lumière ?

» 1 Eh bien, je crois d’abord que même si je ne comprends par le pourquoi, il y « a une volonté de Dieu qui s’est manifestée. Il y a eu trop de circonstances étranges, trop de coïncidences. Il me semble que c’est un peu le « il faut » de la Passion du Christ : « il faut que le Fils de l’homme soit livré… ». Greffés sur Jésus-Christ, mort et ressuscité, nous avons ressenti une nécessité mystérieuse du plan de Dieu à l’égard de cet enfant, mais aussi à l’égard de ses parents, à l’égard de son père, pasteur, donc à l’égard de la paroisse qui attend un témoignage authentique de foi, d’espérance et d’amour qui ne soit plus seulement en paroles.

» 2 Et puis la certitude de l’amour de Dieu. Je me souviens avoir dit: « je ne crois pas avoir jamais ressenti autant l’amour de Dieu qu’en ces journées-là ! » C’est inexplicable, irraisonnable. mais c’est ainsi : la foi ne s’explique pas, elle se démontre.

» 3 La sympathie de toute une population appartenant à plusieurs communautés religieuses ; par exemple l’amitié d’une femme, professeur de mes aînés, qui nous a apporté un jeu, « le scrabble », et qui nous a presque forcés à jouer pour chasser nos fantômes noirs. Elle est venue longtemps nous voir, sans parler beaucoup, un peu comme les amis de Job au commencement.

» 4 Et c’est vrai aussi que la vie a continué, qu’il a fallu reprendre le catéchisme, la prédication, le chemin du cimetière pour d’autres morts, et même pour d’autres enfants, mais aussi pour un centenaire devenu tout à coup contemporain d’un gosse de cinq ans et demi, devant l’éternité.

» Le combat a été dur. Ma femme a eu énormément de peine à reprendre le dessus. On dit d’ailleurs que pour une mère, la mort d’un enfant est comme une amputation. Elle m’a même dit : « Pour toi c’est plus facile : tu le vois vivant, mais moi, je le vois mort ! » Et ce fut un rude combat à deux, beaucoup de patience, un amour renouvelé et une communion plus vivante avec le Vivant. Et puis il y avait les autres enfants qu’on sentait meurtris, mais qui gardaient le silence.

» La victoire nous a été donnée et si, parfois. le cauchemar de jadis revient nous faire frissonner, nous regardons autour de nous la joie de nos autres enfants qui ont grandi et pris une place dans le champ que Dieu cultive, et puis aussi la peine de ceux qui souffrent et sont éprouvés, et nous partageons mieux leurs fardeaux.

» Voilà beaucoup de choses en vrac, mais une chose est certaine : « Je suis assuré que ni la vie, ni la mort, ni rien au monde ne pourra jamais nous séparer de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 8.38-39). C’est le. texte de ma première prédication après le départ de l’enfant… ».

Une autre missive se termine par ces mots dont la simplicité constitue, comme on dit, tout un programme :

« C’est samedi soir. Je suis seule. Dehors il fait froid, il neige. Mes filles sont au match de hockey. Mais vous voyez que je ne suis pas seule puisque je bavarde avec vous, en pensant amicalement à toux ceux et celles qui sont dans la peine et qui n’ont peut-être pas reçu le mode d’emploi pour en sortir ou qui n’ont pas pu le lire. »

Au début de sa lettre, notre correspondante, brusquement plongée dans le deuil suite à un infarctus qui a fauché son mari, avoue : « La mort… je n’y avais jamais beaucoup pensé, à vrai dire…» et elle poursuit :

« Si j’ai peu pensé à la mort, c’est que « vivre » est pour moi l’essentiel. C’est une théorie que j’ai souvent défendue et que je continue à défendre, même maintenant que je suis « dans le bain ». Ceux qui sont morts n’ont plus besoin de rien. Il faut s’occuper des vivants : une fleur à un vivant, même en bonne santé… un sourire, un petit mot gentil, valent beaucoup plus que pleurs et fleurs au cimetière. C’était la vie « avant », c’est la vie « après ». Le travail, les responsabilités à prendre, les grandes filles à mener à bien, c’est une question d’organisation. Et je suis reconnaissante à mon mari qui m’a toujours laissé me débrouiller avec les problèmes internes. Donc, j’étais préparée. A la maison, j’ai fait beaucoup de changements, justement pour ne pas cultiver le saule pleureur ! On vivait toutes les trois autour de mon mari, comme des satellites qui gravitent autour du soleil. Maintenant, j’essaie de m’intéresser à tout ce qui se passe autour de moi, dans la mesure de mes possibilités et du temps disponible, pour me former une personnalité propre. (…)

» Dieu ? Il m’a toujours aidée, tout le temps. Il m’a donné tant de choses, et puis il a mené ma vie comme il le juge bon et il sait pourquoi, moi pas. On verra bien. Mais combien de fois mes problèmes se sont résolus quand je les ai placés sous son regard bienveillant. J’essaie de l’en remercier en mettant en pratique son commandement n° 1 : « Aimez-vous les uns les autres ».

» Au fond de moi il y a de la joie, un grand calme, je me sens disponible, je ne sais pas encore pour quoi, pour qui, dans quel but, mais j’ai la certitude que j’ai encore quelque chose à faire ici-bas, peut-être de plus utile que ce bonheur partagé… et j’attends. J’attends un signe. Saurai-je reconnaitre le pauvre qui frappera à ma porte ? »

Les échelons ?

Ce sont peut-être, aussi, à côté de nous, près de nous, avec nous, les amis. Dans un message qu’un prêtre rédigeait à l’intention de ses paroissiens, ces lignes nous ont frappés :

« La Mort… une réalité quotidienne, compagne la plus tenace de la vie…

» Elle nous provoque, de bien des façons : elle meurtrit, elle révolte, mais elle suscite aussi un élan fraternel, un courant d’amitié, une lutte pour la vie. »

Dans ce dernier paragraphe, notez ce verbe, amputé de son habituel préfixe : susciter. On a tellement l’habitude des quatre syllabes de ressusciter, que l’étonnement salutaire nous est communiqué par l’idée que la mort puisse susciter, soit, selon la définition du dictionnaire : « faire naître, provoquer, déclencher ».

Faire naître, et pas seulement renaître ce qui existait déjà. Faire surgir des choses nouvelles, inédites. Le nouveau mode d’existence peut être, si l’on regarde en avant, riche de possibilités nouvelles. On connaît la boutade que l’on prête à une dame d’un certain âge et très active qui, s’adressant à son mari, lui disait avec candeur : « Quand l’un de nous sera mort, je me mettrai à la peinture ».

Susciter nous semble être le mot-clef des témoignages suivants :

« J’ai connu la révolte : mon mari mort à 46 ans, c’est anormal ! Mais la Foi m’a aidée à surmonter mon chagrin (…), Et puis, il y a eu l’amitié, De vrais amis m’ont entourée pour de bon, pendant la maladie de P., et après, et encore maintenant : c’est énorme, c’est l’essentiel.

« Il y a d’ailleurs des personnes que je ne connaissais pas, ou peu, et qui se sont révélées à cette occasion, qui sont venues m’apporter leur amitié et leur aide d’une façon extraordinaire. C’est dans l’épreuve qu’on reconnait les vrais amis, et — j’en suis témoin — qu’on en découvre de nouveaux ! »

« Le sarment qui porte du fruit, il l’émonde afin qu’il en porte encore davantage. » Certes, la vigne fraichement taillée forme, de sa sève, des sortes de larmes. On dit que la vigne pleure. Mais le vigneron ne massacre pas la plante : en arrière de la coupure, il a vu sur le bois l’imperceptible point qui va bourgeonner, fructifier. Parfois même, à la place où le sarment unique a été coupé, d’autres rameaux vont pousser.

« La vie continue… pour les autres », nous écrit une femme qui a perdu son mari après dix-huit mois de maladie…

» … Sur le moment, la sympathie des amis et des parents fait oublier tant soit peu la solitude ; mais la vie continue pour chacun. Alors vous restez seule avec vos souvenirs et vos problèmes. Mon expérience, c’est que le secours de Dieu nous conduit à nous oublier nous-mêmes…

» Il me vient une pensée : une vie ne peut être traversée sans être labourée… »

Et nous ajouterons : aucun paysan ne laboure pour le seul plaisir de mettre la terre sens dessus dessous. Il laboure pour de nouvelles semailles.

♦   ♦

Un veuf, demeuré seul au terme de cinquante-deux ans de vie commune, « de labeurs mais aussi de joies », conclut un message d’espérance et de confiance en Dieu par ce mot-programme :

« … et maintenant, c’est une nouvelle vie, bien seul, mais qu’il faut utiliser et remplir jusqu’à la fin. »

Traduire cette résolution dans les actes de la réalité, ça ne s’improvise pas. Heureux ceux qui peuvent, à ces moments difficiles, se référer à des itinéraires de détournement, quand la route principale est coupée. Des itinéraires déjà balisés existent. Comme pour cette célibataire, filialement dévouée à son vieux père et qui, après la mort de ce dernier, nous écrit :

« Lors de mon catéchisme, mon vénéré pasteur m’avait fait comprendre que Dieu avait un plan pour chacun de nous, si nous acceptons d’être ouvriers avec lui (…). C’est là notre responsabilité d’engagés, de n’avoir point honte de porter notre témoignage. »

Nous avons aussi trouvé dans une autre lettre, cette référence à un souvenir d’enfance. Piton solide, planté des années auparavant, demeuré en réserve dans une mémoire mûrie et non point oublieuse, il a servi de support de rappel au moment du passage critique :

J’ai suivi le mot d’ordre que m’a donné, il y a longtemps, une cheftaine d’Union cadette, par un chant qui m’a servi de guide :

« Jésus me demande d’être un rayon de soleil, qui gaiement fasse connaître son amour sans pareil. »

Vous connaissez ? J’en ai gardé le souvenir.

« Fais que m’oubliant moi-même je ne m’efforce plus.
Que d’être pour ceux que j’aime un reflet de Jésus.

» O Seigneur donne-moi d’être comme un rayon d’espoir,
paraissant à la fenêtre quand le ciel est tout noir. »

Ce n’est peut-être pas très spectaculaire, mais c’est quotidien, et c’est la façon que j’ai choisie pour le servir.

Pitons, points d’ancrage dans une paroi verticale, ne sont-ils pas des « cousins » de nos échelons ? Et que dire du témoignage suivant ? Il émane d’une impotente de 78 ans, marchant avec deux cannes (c’est elle qui le souligne). Deux cannes, qui ont dû soutenir une démarche de plus en plus alourdie par tant de deuils qu’elle évoque :

« J’ai perdu mon mari assez jeune. Je suis restée avec six enfants, dont le dernier avait huit ans. L’un de mes fils, âgé de 37 ans, marié, père de trois petites filles, meurt écrasé par son tracteur.

» Après deux ans, ma belle-fille, mère de deux petits enfants, mourra dans un accident de voiture à Montréal. Deux ans plus tard, mon fils ainé (50 ans) est tué dans un accident qui blesse grièvement sa femme. Quelle détresse ! Mais jamais Dieu ne m’a laissée seule… »

Le problème, pour les uns, peut être de se hisser, par degrés, pour remonter et faire surface. Pour d’autres, ce peut être de reprendre la marche : un pas, puis un autre… Eh bien oui ! Ces deux cannes sont comme une parabole. Notre folie ne serait-elle pas, lorsque le deuil nous a rendus impotents, de vouloir nous remettre sur pieds par nos seules forces ? Ou alors de nous obstiner à demeurer assis « dans les ténèbres de la mort », jusqu’à une guérison totale, soudaine et miraculeuse ?

Des échelons ; des cannes ; des béquilles… Quelles béquilles ?

« En cette journée du 9 février 19.., notre désarroi le plus complet s’est exprimé avec les mots du Psaume 55 : « J’erre çà et la dans mon chagrin… » Pourquoi Seigneur nous avoir repris ce fils de 27 ans ? Dieu a-t-il répondu ? Dans un sens oui. Au travers de pensées, d’événements mineurs et concrets, que nous avons progressivement compris comme des moyens de nous conduire petit à petit vers la consolation et la lumière.

» Lors du décès de notre fils, sa fiancée était auprès de nous : elle est restée avec nous et ne nous a quittés qu’au terme de trois ans pour fonder un foyer. Ayant trouvé de nouveaux parents en la famille de son époux, elle est restée pourtant pleinement notre fille. Pour cette adoption de cœur, merci Seigneur.

» Nous étions directeurs-éducateurs d’un foyer pour jeunes apprentis, tous des cas sociaux. La façon dont ils se sont ingéniés à nous entourer de sympathie vraie et durable nous a bouleversés… Dieu nous a fait comprendre que nous ne pouvions pas les plonger dans notre deuil alors qu’ils nous appelaient à partager leur joie de vivre : en nous demandant de reprendre jeux, musique, rires et discussions de la vie communautaire, Dieu nous a donné ce qu’il nous avait ordonné… merci Seigneur. »

L’Eglise aussi est un « foyer pour apprentis » de tous âges :

« Lors du décès de mon mari, fatiguée et malade, je pensais que ma vie était désormais finie. Malgré ma foi, je n’arrivais pas à surmonter ce sentiment que je n’étais plus utile, plus nécessaire à personne… et ceci d’autant plus que nous avions constitué un ménage très uni, mais sans avoir la joie d’avoir des enfants. Et voici que, dans l’espace d’une semaine, trois preuves — qui me parurent raisons de vie ! — me furent données :

» Coïncidence ? Pour moi j’ai vu trois signes de Dieu, me montrant que je pouvais encore être utile. Progressivement ma confiance se rétablit. Ce fut le point d’un nouveau départ. Je me suis attachée à rendre ma maison accueillante. J’y invitai des gens, des jeunes.

» Puis je me tournai du côté de ma paroisse, plutôt pour offrir que pour demander. J’y découvris un chantier en pleine activité et en pleine embauche. Petit à petit je m’intégrai dans cette vie de l’Eglise… seconde et nouvelle famille. Cette Présence qui nous reste, si mystérieuse, parfois si lointaine, n’est-elle pas là : joie et miracle de la résurrection… »

♦   ♦

Mais l’Eglise, ce n’est pas seulement la communauté locale ! Ce peuvent être aussi les « amis inconnus ».

« J’étais veuve depuis des années déjà quand j’ai perdu mon fils, 22 ans, suite à une longue maladie. Ceux qui ont perdu un enfant comprendront combien l’épreuve est dure. Ce que Dieu a employé pour m’aider, ce sont les lettres que m’a écrites le docteur qui l’a soigné à l’hôpital. Plusieurs années de suite, il m’a écrit ; et son propos fut de me dire et de me répéter combien le témoignage de mon fils l’avait impressionné… Alors je me suis dit que si cette mort n’avait pas été inutile pour le docteur, il ne fallait pas non plus qu’elle soit inutile pour moi. Du moment où j’ai pu me dire cela, c’est comme si ce chagrin que je portais en moi m’avait été arraché… »

L’Eglise ? Ce sont aussi les proches… ceux qui nous restent et partageront désormais notre pain quotidien, à cette table où une place est devenue vacante :

« Mon mari est mort des suites d’un accident de voiture. Je peux l’avouer, je me suis dit : « que m’importe la vie désormais… », mais j’y ai trouvé une raison de plus de la faire belle aux autres.

» Pour mes enfants (18 et 20 ans), qui avaient un père épatant, je me suis dit qu’ils avaient droit à n’avoir pas une mère imbuvable.

» Je n’ai pas voulu m’asseoir dans un fauteuil pour pleurer : ils ont droit à la joie dans leurs difficultés de jeunesse.

» J’ai retourné en tous sens cette dernière année de vie conjugale et tout m’a tellement semblé « achevé », accompli. Mon mari disait : « Je sens que je suis à un tournant de ma vie, il faut que je me tienne en forme physiquement, intellectuellement, spirituellement ». … Nous avions une même pensée concernant notre travail, je continue avec lui.

» On me dit : « Vous avez de la chance d’être optimiste ! »

» Optimiste, oui, mais ce mot me trouble et ne me plait pas entièrement, j’y vois trop de facilité et d’inconscience. L’optimisme « grand teint » a du courage et voit les forces données pour surmonter…

» Les pierres du chemin sont utiles pour éviter que les fondrières ne se creusent. Pour moi, l’optimisme est une approche de la confiance. Et j’ai tellement confiance dans le Maître des circonstances. »

La vie continue

« Comment supporter un deuil ?

» Pas seule en tous cas. L’assurance sociale dont les initiales sont A.V.S. nous désigne, veuves et orphelins, comme des survivants…

» C’est vrai : le problème est de continuer à vivre et pas seulement de survivre. Pour moi, ce qui m’a tenue pendant cette première année, c’est la certitude de la foi partagée et la prière d’intercession de tant d’amis… la certitude aussi, non seulement de nous retrouver un jour, mais la certitude que l’amour de Dieu règne déjà des deux côtés, qu’il nous enveloppe l’un et l’autre…

» L’idée de la mort m’est devenue plus familière et je pense que je passerai plus facilement par un chemin où mon mari m’a précédée. »

Notre correspondante sait-elle qu’elle dit ici des choses très proches des remarques de Anne Philippe : « Tu es devenu ma connaissance de la mort. Quand elle viendra, je n’aurai pas l’impression de te rejoindre, mais celle de suivre une route familière, déjà connue de toi ».

Elle poursuit sa réflexion :

« … un deuil est une amputation et je ne pense pas qu’on s’en remette jamais complètement. Mais si on a perdu une jambe, on a le choix entre la résignation à une vie d’invalide, ou la courageuse réadaptation qui mobilise toute notre énergie pour marcher à nouveau. »

On dit que les amputés commencent par avoir mal au membre qu’ils ont perdu. C’est affreusement vrai. Et ce serait une folle naïveté de penser que l’apprentissage d’une prothèse va transformer cette souffrance en une partie de plaisir. Mais porter son appareil chaque jour un moment de plus, c’est cela et rien d’autre qui nous achemine vers les habitudes nouvelles.

« Continuer… c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais il le faut pourtant : continuer à tirer seule l’attelage qu’on avait mis tant d’années à tirer à deux. Les gens vous disent : « la vie continue ». C’est vrai : au début c’est la vie qui nous pousse. »

La vitesse acquise par l’attelage nous rend ce service de nous faire avancer mécaniquement. Les contraintes extérieures imposent aux asphyxiés du deuil une sorte de respiration artificielle. C’est un temps intermédiaire précieux, pendant lequel l’entourage familial, amical, doit nous aider, nous prêter main-forte. L’expression dit bien qu’il y aura besoin de poigne, et pas seulement d’une sympathie attentive à laisser l’endeuillé au pouvoir ouaté de l’inconscience. Il faut. Puis : tu dois. Puis : je dois.

« Maintenir, continuer à éduquer les enfants, à garder la famille unie, à mener à bien (et de mieux en mieux) les tâches entreprises ensemble. Le temps nous vient en aide. Mais pas tout seul. Pas d’un coup. Le mot d’ordre est : peu à peu. Le temps n’est qu’un récipient vide, il faut quelqu’un pour le remplir. Les autres d’abord vont nous aider… nous y forcer peut-être. Puis, « peu à peu » nous prendrons le relais. Certes, l’essentiel manque et manquera toujours : l’amour partagé, la totale confiance, la complicité et la plénitude… tout ce qui fait un merveilleux bonheur humain. Mais il reste la reconnaissance d’avoir vécu un tel bonheur et la certitude que c’est la préfiguration du bonheur à venir. »

Dix ans après

En 1964, la petite famille de Pierre a connu la tragédie de vacances endeuillées. Le soleil, la mer, et, brusquement, une vague de fond semant la panique parmi les baigneurs. L’un d’eux, projeté contre les rochers, y laissera sa vie. A la fin de l’automne, sa femme avait écrit à tous leurs amis :

« J’aurais voulu répondre personnellement à chacun, mais je dois constater avec regret, que cela n’est pas possible, en tous cas pas pour le moment. J’opte pour la lettre circulaire, en vous assurant que pour moi, cette forme de correspondance conserve, malgré son apparence d’anonymat, le caractère d’une lettre personnelle. »

Lettre personnelle dont nous avons reçu l’autorisation de tirer les extraits qu’on lira ci-après. En nous donnant son amicale permission, l’auteur a ajouté ces quelques lignes…

« j’aurais aimé ajouter tellement de choses à cette missive « vieille » de bientôt 10 ans. J’étais encore — et c’est normal ! — pauvre en expériences. Depuis cette date, j’ai eu tellement de réponses à mes prières, tellement de soleil dans ma vie pourtant bien pesante, tant de signes de Dieu, de son Amour. Tout cela nous fortifie et nous donne le courage de gravir le sentier caillouteux de la vie, au fur et à mesure des possibilités de chacun et de chaque jour. Ça ne fut pas toujours facile, mais je ne puis que louer le Seigneur… »

C’est dire que les années qui ont suivi n’ont pas démenti, n’ont pas infirmé, les décisions prises aux premières heures du drame.

« Le départ brusque de Pierre m’a terriblement bouleversée, je ne me gêne pas de l’affirmer. Et si je m’efforce toujours de ne rien en laisser paraître, je puis vous assurer que la blessure occasionnée par ce déchirement ne se cicatrisera que très lentement.

» Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ! Nous formions un ménage très uni et très heureux. Pourtant, au fil des jours qui passent, je me rends compte, face à l’irrémédiable, que son heure était arrivée, que Dieu a rappelé à lui son enfant et que nous devons recevoir cette volonté, même si elle parait sévère, comme l’un des signes de son amour. »

Suit l’évocation de la tragédie estivale :

« Et voilà ! Seule, si loin de vous tous. Et pourtant, je ne puis que rendre hommage à la merveilleuse solidarité dont j’ai été l’objet sur place. Ce fut une grande force pour moi, et cela l’est encore. Son service funèbre fut encore l’occasion d’une extraordinaire démonstration de l’affection fraternelle et de la solidarité humaine. Pour moi, je suis donc de nouveau à la maison. Je pense y séjourner en tous cas encore quelques années. Il est bon, je pense, pour l’équilibre des enfants qu’il n’y ait. pour eux, qu’un minimum de changements. Peut-être serez-vous étonnés de savoir qu’au fond, je me sens chez moi ici, bien que notre installation y soit relativement récente. Mais nous avons été réellement accueillis d’une façon extraordinaire dans ce canton et je sais que pour Pierre, qui m’en avait parlé clairement, cette région était comme une sorte de « terre promise ». Il m’y a conduite, je ne considère pas que ma tâche y soit aujourd’hui terminée (…). Je vous sens tous très proches, et cela m’est d’un grand réconfort. Puis-je vous demander, au nom de l’affection que vous portiez à mon mari, de poursuivre fidèlement ce ministère d’affection et de prière, dont nous avons évidemment si besoin. J’aimerais demander à Dieu, comme un autre signe de son amour, que l’engagement de Pierre puisse être pour de nombreux chrétiens l’appel à continuer sa tâche. Déjà ici, sur un vibrant appel de mon pasteur, un ingénieur s’est proposé pour l’Ecole du Dimanche, c’est une vraie joie pour moi, soyez-en certains. Il est trop tôt pour que je sache déjà comment s’ordonnera ma vie et, probablement, mon travail. Mais des voies me sont ouvertes, il faut savoir attendre, croire et espérer. Que votre pensée et votre prière portent aussi ces problèmes. Nous sommes en route vers le pays des enfants de Dieu, nous efforçant de vivre ce que nous croyons, là où nous sommes. »

Ensemble pour tenir le coup

Nos lecteurs l’auront compris : par crainte de lasser leur patience, nous n’avons plus systématiquement établi le parallélisme entre chaque témoignage et les échelons de Jacob.

Nous y revenons pourtant avant les textes qui vont suivre. Ils vont mettre en lumière une réalité implicite, commune aux échelles et aux couples.

Le dictionnaire dit d’une échelle que c’est « une sorte d’escalier portatif composé de deux montants reliés entre eux par des barreaux transversaux… »

Deux montants…

Reliés ENTRE EUX…

C.-F. Ramuz est l’auteur d’un texte remarquable sur les époux :

« Tous ces soucis, tous ces tracas ; seulement tu as été là. On est resté fidèle l’un à l’autre. Et ainsi j’ai pu m’appuyer sur toi, et toi, tu t’appuyais sur moi. On a eu la chance d’être ensemble (…), on a tenu le coup. »

Un couple de montants. Reliés l’un à l’autre : reliés entre eux par les mêmes échelons réalisant ce miracle de permettre à chacun de prendre appui sur l’autre. De faire à deux ce que ni l’un ni l’autre n’eût été capable de faire seul : tenir le coup.

Ce que Ramuz a traduit là, la Bible le dit d’un mot : « Je lui donnerai une aide semblable à lui… ».

Entre les deux montants principaux du foyer, et pour qu’ils tiennent le coup, alors même que le coup peut être terrible, la nécessité des mêmes échelons n’est-elle pas vitale ?

« ll est profond le fond de la souffrance ! On croit l’avoir atteint et il faut descendre encore. C’est le plein combat sur tous les fronts. Des situations et des problèmes prévus, les uns se sont déroulés logiquement, d’autres d’une manière imprévisible. Cet univers de la souffrance, nous n’avons pas fini de l’explorer. Tous ces remous se retrouvent au niveau du couple, des parents, de la foi, du contact et de la reprise de contacts avec les autres. Que sortira-t-il de tout cela ? Que résultera-t-il de ce qui se détruit mystérieusement et profondément en nous ?… »

Ainsi s’expriment des parents découvrant l’itinéraire de l’épreuve.

L’important est de rester ensemble, justement. Ensemble pour s’aider mutuellement à croire l’incroyable, à se sentir étroitement solidaires l’un de l’autre dans les heures de sérénité et de calme, comme dans les moments de révolte ou de doute. Le « pleurez avec ceux qui pleurent » prend ici une signification conjugale très précise : lorsque surviennent le deuil et l’épreuve, les différences de maturité spirituelle peuvent constituer une difficulté supplémentaire ! Et c’est pourquoi il est bon de savoir s’y préparer le plus possible à l’avance. Ensemble aussi ! pour découvrir la vérité biblique :

« Il y a un temps pour pleurer et un temps pour sécher ses larmes », et puis pour passer du deuil à la consolation, pour s’éviter mutuellement le piège des larmes que l’on risque, à la longue, de verser sur soi-même !

» Je voudrais te dire ce que j’ai appris durement au cours de ces derniers mois, ma lutte pour survivre au choc reçu. Nous pensons souvent : Nous avons été trop malheureux pour avoir le courage de redevenir quelque chose de valable… Il faut lutter contre ce défaitisme.

» Nous sommes encore là, c’est pour accomplir une tâche. Nous avons des possibilités qu’il ne faut pas laisser s’étioler. Reconnaissance pour cela. Reconnaissance qu’on doit exercer chaque jour, pour tous les bienfaits qui nous restent. « Mon âme, bénis l’Eternel et n’oublie…» est un des plus solides moyens de se raccrocher à la vie.

» Mais cette vie est terrestre. C’est en allant au-delà de ses formes, au-delà du visage émouvant de notre enfant — que nous voudrions tant pouvoir tenir encore dans notre regard et dans nos mains, et dont la pensée nous fait crouler — que nous trouverons ce qui dure, ce qui tient, ce qu’au fond de nous-mêmes nous désirons ardemment. Donc, nécessité absolue d’une recherche de Dieu et de sa vérité à Lui.

» Dans les débuts, que de questions sur Dieu ! S’il a permis cet accident, il n’est donc soit pas tout-puissant, soit pas aimant ! Que de cassements de tête, de tours en rond désespérés ! Il a fallu cesser d’appliquer nos normes à Dieu. Accepter que son ordre nous dépasse. Il nous a blessés, il nous a infligé un coup terrible. Mais le pire serait d’être séparés de lui, de le perdre. Retrouver par conséquent à tout prix la confiance en lui, et accepter de la main de ce Maitre vie et mort, ces immensités qui nous dépassent. Accepter d’être roulés dans ces flots éternels, plus puissants que nous. Dieu tient maintenant notre fils en main, plus sûrement que nous ne le pouvions. Il l’a engrangé, cette idée doit nous donner la paix. Notre fils nous relie à l’éternité.

» Nous sommes si loin d’être les seuls, tant de gens se trouvent dans des circonstances pareilles aux nôtres, ou pires ! Nous sommes entrés à présent dans le grand cercle des souffrants, et notre épreuve nous rapproche d’eux, nos semblables, elle doit nous ouvrir, non nous fermer. Notre fils n’aurait pas voulu que l’épreuve nous endurcisse. Lui qui avait reçu naturellement le don d’aimer et de sympathiser, qui était heureux partout où il allait et accueillant à tous, il nous montre le chemin.

» C’est à la fois doux et cruel d’avoir de lui un souvenir lumineux. Mais même si le chagrin nous fait quelquefois chanceler, nous devons nous fortifier dans l’idée qu’il faut poursuivre notre chemin avec énergie, avec courage, afin d’avoir encore la plus belle vie possible et ne pas regretter de l’avoir mal utilisée, quand nous aussi nous serons devant le grand Portail.

» C’est ce que Dieu veut… « Que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que Tu puisses emplir de musiques. »

Vous qui avez prié…

« Il est arrivé que, pendant nos longues fiançailles, notre sœur est morte, la maladie s’en était emparée depuis longtemps déjà. Pendant ce temps précieux des fiançailles, nous avions appris de plusieurs manières que le Seigneur reprend quand il veut et comme il veut, ce qu’il a donné. Il a aussi voulu que nous sachions bien à qui appartient réellement ce qui peut être ainsi soustrait à notre prétendue propriété. « Regarde, mon mari, le beau petit garçon que Dieu nous confie. » Il nous a fallu des années pour affermir jusqu’au réflexe cette pensée du prêt, de la gérance privilégiée ; pour extirper aussi les racines fallacieuses de la possession : pour toute sa création, DIEU SEUL EST POSSESSEUR.

» Le vocabulaire s’est alors insensiblement modifié : instrument, outil, mouler, forger, bref tout un langage d’ouvrier s’est mis à corriger celui du « propriétaire ». Il a fallu encore qu’avant un accouchement, les médecins déclarent que, selon toutes probabilités, une seule des deux vies subsisterait, soit la mère, soit l’enfant: la faiblesse née d’une telle infection ferait une victime au moins dans cette épreuve de forces. Nous nous sommes donc dit au revoir, après avoir conféré sans hâte sur ce qu’il y aurait à faire jusqu’à ce que nous nous retrouvions. « … Sauf miracle», avait pourtant ajouté le spécialiste ! Il y eut ce miracle. Et le mot sursis s’est mis à prendre un sens…

» Car il n’était pas évanoui seulement, comme on nous l’avait dit : il était mort, couché dans le pré, avec ce chandail qu’il aimait particulièrement, ces chaussures à semelles de cuir où six mille volts avaient fait seulement deux petits trous. Il avait poussé un grand cri, il avait encore eu la force de dire à son frère de ne pas le toucher. Et voilà que ce jeune corps était inerte, impossible à réanimer.

» Nous étions en famille autour de lui. Nous aurions tous donné notre chair pour que la sienne revive. Nous demandions le miracle, nous demandions à sortir de ce que nous prenions pour un cauchemar. Le combat de la détresse et du désespoir avait commencé et il devait durer très longtemps.

» Nous vous remercions, vous tous qui avez prié pour nous et qui avez ainsi mobilisé pour nous les forces que nous avons reçues. Nous ne nous sommes jamais essayés à les déterminer, à les dénombrer, à les qualifier ; elles ont été là, malgré nous, étant notre lumière dans l’obscurité, notre lucidité dans la déroute, notre boussole dans l’incohérence des pensées, notre paix dans la désespérance. Elles venaient accentuer la joie bien fragile de savoir que ce jeune homme avait été repris en pleine forme spirituelle, décidé à servir le Seigneur sur la piste qu’il avait découverte après des mois de discussion intérieure, de dégoût de tout, de violente impression d’inutilité.

» C’est à cause de vous qui avez prié, que nous avons accepté de revenir sur tout cela, meurtris d’avoir parcouru à nouveau ces chemins difficiles. Car la force n’est pas en nous ; nous pouvons seulement lui préparer les passages jusqu’aux tréfonds de notre être, comme on pose les conduits d’électricité avant de raccorder l’édifice au réseau d’où lui viendra la lumière, l’énergie, la chaleur. »

Une commune espérance

« En nous réveillant ce matin-là, nous n’imaginions pas que l’épreuve nous attendait. Rien ne l’avait annoncée, ni préparée. On ne vit pas en imaginant que la mort va nous prendre un des nôtres. Aussi, quand des lèvres du médecin mandé d’urgence tombent ces mots d’abord incroyables : « C’est fini », vous savez soudain que la mort n’est plus une étape seulement. Vous l’aviez lu, mais maintenant vous connaissez que cette vérité a des dimensions infinies : la mort est un ENNEMI.

» Cette découverte nous remplit d’horreur et le cri qu’elle peut vous arracher est à la mesure du mal qui vous étreint. Dans ce premier désarroi, en un instant tout est devenu incertain.

» C’est une vraie mêlée intérieure, semblable sans doute à celle qu’ont connue les disciples. Alors qu’un inconnu les rejoint sur le chemin d’Emmaüs, ils disent, tout secoués encore par les événements qu’ils viennent de traverser : « Nous avions cru… »

» Eh ! oui, on croit. Du moins, on croyait croire. On avait cru comprendre que Dieu est amour, qu’il est là avec nous, qu’il nous garde, qu’il nous secourt. On l’appelle le Tout-Puissant, le Dieu vivant. On le prie, on lit sa Parole. On se confie en lui, on le remercie de ce qu’il donne et promet. On est sûr de lui.

» Et puis, soudain, à cause de cette vie ôtée, de ces yeux à jamais clos, tout est remis en question.

» Tout ?

» Non ! Il n’y a que la mort qui soit totalitaire. La vie n’a pas ce caractère abrupt, inexorable.

» Elle l’a même si peu, qu’en ces heures-là les choses les plus simples, celles auxquelles vous n’aviez jamais pris garde, prennent une valeur de bénédictions. Le premier train du matin, le facteur qui ne sait rien de ce qui vous est arrivé et qui, comme chaque jour, vous apporte le courrier. Oui, la vie continue. Un des enfants vient de se réveiller. Lui non plus ne sait rien. Il dit : « J’ai faim, où est ma tartine ?… »

» Oui, c’est une bénédiction d’avoir à refaire les gestes de tous les jours. En apparence rien n’a changé. En fait, sans le savoir encore, on est entré dans le vrai chemin. Au-delà de ce premier choc, et entraîné par la vie habituelle d’un matin qui sera définitivement différent des autres, vous allez faire le compte de vos certitudes.

» Etape nécessaire, difficile peut-être.

» Il y a les solutions absurdes, tissées d’amertume, de révolte, de doute, d’incrédulité hostile.

» Mais non ! C’est trop facile, c’est trop bête de ramener la vie à une marche vers le néant, à une vanité retournant à la vanité.

» Au jour du malheur, réfléchis…

» Réfléchis, non plus avec ta tête seulement, mais avec ton cœur d’époux, de père, d’homme cruellement meurtri dans ton amour.

» Sur le chemin d’Emmaüs, à ceux qui disaient : « Nous avions cru… », l’inconnu s’est mis à parler : « O hommes sans intelligence, dont le cœur est lent à croire… ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses et qu’il entrât dans sa gloire. Alors leurs yeux s’ouvrirent ».

» Oh ! Ce n’est pas tout de suite la pleine lumière.

» Mais à replacer une à une nos certitudes dans le contexte d’une réalité qui leur donne leur vraie dimension, une à une elles émergent avec une solidité nouvelle.

» Dieu n’a dit nulle part que les enfants sont nôtres. Ils nous sont confiés. Nous sommes appelés à les élever pour lui, pour son service, pour sa gloire.

» Et s’il décidait que l’heure de ce service et de cette gloire est venue ? S’il voulait maintenant nous en décharger, parce que serait accompli ce qu’il attendait de nous pour eux ?

» Serions-nous en droit de refuser ?

» Dieu n’a dit nulle part qu’il nous éviterait l’épreuve. Il a promis d’être avec nous dans l’épreuve pour nous en faire triompher. Et s’il voulait que nous connaissions cette victoire-là ?

» Pourquoi dirions-nous non ?

» Dieu ne nous a rien caché. Il a dit que la mort était notre compagnon de route, que notre état d’homme pêcheur lui donnait des droits sur nous. Il nous a révélé que seule l’intervention du Christ Sauveur nous délivrerait de son emprise. Il nous a pressés de nous saisir de la vie offerte en Christ, de faire de lui le Maitre de notre vie afin qu’à l’heure où la mort prétendrait à ses droits, seule notre chair mortelle reste en son pouvoir.

» Non, il ne nous a rien caché. Il nous a dit que la figure de ce monde passe et nous a appelés à nous réjouir de la venue de ce règne nouveau, où la mort ne sera plus, où avec Christ se retrouveront tous ceux qui ont triomphé par lui, sortis vivants du tombeau.

» Hommes sans intelligence, cœurs lents à croire.

» Il y a ce qu’il a dit, ce qu’il nous appelle à croire.

» Et parce que l’heure serait venue de prendre au sérieux ses promesses, de vivre notre foi, nous dirions : « Non ! Je ne veux pas » ?

» Alors, soudain, toute résistance a faibli. La nuit, un moment installée en nos cœurs de parents meurtris, a fait place à une clarté d’abord hésitante, bientôt décidée à paraître, soudain là, dans sa force paisible, faite de réelle consolation, même de joie indicible. A toujours nous savions !

» Non plus seulement par la Bible qui le dit, non plus seulement par des paroles que l’on prêche ou que l’on écoute, mais là, devant ce lit devenu linceul, dans cette chambre où la mort avait passé, nous savions qu’avec Christ notre enfant était vivant.

» Pouvions-nous regretter que cette part lui soit faite ? »

Pour conclure…

Les familles rédigent et insèrent les faire-part.

Les familles rédigent et insèrent les communiqués de gratitude qui expriment globalement la reconnaissance qu’il serait impossible de manifester individuellement.

Mais il nous appartient ici de dire à tous ceux qui nous ont écrit combien notre dette est profonde à leur endroit. Ils ont accepté de partager avec des lecteurs inconnus le fruit de dépouillements à nul autre pareil. Les échelons de leurs confidences constituent un émouvant témoignage à « l’échelle des valeurs » humaines et, plus encore, chrétiennes.

Mais une vérité supplémentaire se dégage de ces documents rassemblés : aucun d’eux n’eût, à lui seul, suffi. A l’enseigne de la souffrance, nous sommes à la fois prodigieusement proches et différents. Plusieurs allusions avaient trait à l’Eglise. Ce n’est pas l’effet du hasard : elle a reçu vocation d’aider, de guider, de soutenir. Et, pour répondre à l’appel de son Seigneur, il lui faut nous enseigner, nous rappeler sans cesse que nous sommes complémentaires les uns des autres, et que dans un monde et dans des cités en pleine déshumanisation, nous avons à retrouver le sens d’une fraternité vécue qui fasse de nous tous, pour le prochain que le Seigneur met sur notre route, un échelon providentiel de l’échelle de Jacob.

Document

Kinshasa, le 11 janvier 1973

Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur,

Je vous salue dans le beau nom de Jésus, notre Rédempteur.

Je suis le même MAKANSU qui a été frappé le 8 mars 1969 par le décès de mon grand Frère. J’ai de nouveau été frappé le 7 janvier 1973 par la mort de ma chère Maman MUNZENGA Nbemko Selima Marie, âgée de 70 ans. L’enterrement a eu lieu le 8 janvier au cimetière de la Ngombe à 16 heures.

Maman a laissé cinq enfants. Trois filles mariées et deux fils. Son fils cadet, KIANTANDU Mavumi-Sa, est étudiant en théologie à l’Université nationale du Zaïre, campus de Kisangani. Priez pour lui.

Maman a vécu toute sa vie pour Dieu, elle a travaillé pour Dieu, elle a élevé ses enfants dans le Seigneur, elle a obtenu miséricorde et Jésus l’a purifiée par Son sang qui a coulé à la croix.

— Maman était une femme de prière,

— Maman était patiente,

— Maman savait aimer,

— Maman savait pardonner,

— Maman savait qu’au Ciel quelqu’un la connaît, le Christ,

— Maman souhaitait passer son éternité avec le Seigneur, dans la présence même de Jésus,

— Le 7 janvier elle a été admise en la présence de Jésus.

Sa mort nous cause une profonde douleur.

Son départ au Ciel auprès de Jésus nous donne beaucoup de joie.

Sur son lit de mort, elle aurait eu raison de dire :

    "J’ai combattu le bon combat,
    j’ai achevé la course,
    j’ai gardé la foi,
    désormais la couronne de justice m’est réservée ; le Seigneur, le juste Juge, me la donnera dans ce jour-là, et non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui auront aimé son avènement."
    II Tim. 4:7-8

"Oh ! Dieu, nous sommes devenus orphelins, Tu as pris notre chère Maman, mais nous savons que Tu n’as jamais fait de mal à personne.

Que Tu aies pris notre chère Maman dans ton Ciel, c’est un grand bien et pour elle et pour nous.

Maintenant que Tu as trouvé bon de couronner notre chère Maman de Ta gloire, loué sois-Tu et béni soit Ton nom à jamais !"

MAKANZU Mavumilusa
Evangéliste national

Faire-part

Lettre de faire-part du décès de la mère de l’évangéliste zaïrois M. Makanu.

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