Je ne suis pas venu mettre la paix, mais la guerre.
Parole bien étrange dans la bouche de Celui qui reconnaît pour ses disciples ceux-là seuls qui auront de l’amour les uns pour les autres ! qui fait de la charité presque l’unique vertu ! qui lui promet le pardon ! et qui lui-même vit et meurt pour elle !
Et pourtant cette parole est vraie ; et le Fils de l’homme, l’ami de l’homme savait, en la prononçant, qu’elle ne devait que trop s’accomplir.
N’est-ce pas une guerre acharnée que l’apparition de la doctrine chrétienne a excitée dans le monde ? Et la religion qui prêche la paix n’a-t-elle pas fait couler des torrents de sang, depuis celui des vierges et des martyrs versé par des mains païennes, jusqu’au sang des païens versé par des mains chrétiennes ; jusqu’au sang des chrétiens eux-mêmes, horriblement versé parmi des tortures exquises, par ceux-là mêmes qui se portaient les gardiens des enseignements de Jésus ? Que de guerres ! que de massacres ! que de pertes pour l’humanité ! et que penser du christianisme, s’il n’était permis de juger son action dans le genre humain que par ces manifestations extérieures pleines de haine, de rage et de cruauté !
Ou bien, le Sauveur avait-il en vue cette guerre non sanglante, mais plus redoutable, qui, dans le sein même des populations chrétiennes, s’exerce et s’exercera toujours entre la piété et l’impiété, entre le vice et la vertu, entre les vrais disciples de Jésus et les enfants du siècle ? Guerre dont les armes sont le sarcasme et la moquerie, le raisonnement, le paradoxe et l’exemple ; guerre qui affaiblit la conscience, mine les principes, exalte les passions, et pervertit les idées au point de faire du bien un sujet de honte et du mal un sujet de vanterie ; guerre qui nous emporte des générations entières à mesure qu’elles arrivent à l’âge d’homme, et nous fait découvrir avec horreur la corruption et la mort dans ces âmes précieuses où nous croyions trouver encore l’innocence et la vie ! guerre où l’ami a pour séducteur son ami ; où le fils est dépouillé par son père ; où la fille absorbe le poison avec la tendresse jusque sur le sein maternel ! — Est-il une guerre plus funeste et dans laquelle les ennemis soient plus acharnés et plus rapprochés ?
Oui, c’est cette guerre intestine, cette guerre à mort, dont le champ de bataille est le cœur même de l’homme ; cette guerre entre la chair et l’esprit, entre la conscience et la volupté, entre l’intérêt et le sacrifice, entre le ciel et la terre, entre l’animal et l’ange, qui est la condition de tous les progrès de l’homme dans la carrière qui lui fut tracée ; cette guerre de tous les instants, où deux principes opposés luttent corps à corps, et dont le succès final décide de la valeur de l’homme et de toutes ses espérances ; guerre décisive que le ciel contemple avant de prononcer son irrévocable arrêt.
De laquelle de ces trois guerres voulait parler le Sauveur ? Des trois peut-être. Mais la dernière dure encore ; elle est éternelle. Laissons donc les deux premières ; voyons ce qu’est l’autre et la part qu’y prend le christianisme.
L’homme de la nature, l’homme qui ne vit que de la vie animale est en paix avec lui-même. Toute son existence suit une seule direction, est mise en mouvement par un seul principe, tend vers un seul et unique but. Il y a donc en lui de l’ordre et de l’harmonie. Il n’a qu’une seule volonté, claire, précise et forte. Il ne rencontre que des obstacles extérieurs ; il ne lutte que contre la nécessité. Toutes les forces de son âme se dirigent contre cet ennemi qu’il voit devant lui. Il combat au dehors ; mais en lui-même point de combat. Il est un. Son intérêt et finalement son plaisir, conserver, embellir sa vie, voilà sa loi. Elle est unique. C’est la première loi de la nature animée.
Et cette vie, simple dans sa brutalité, ne change point de nature en se perfectionnant. L’aigle se sert de son œil et de ses serres pour atteindre et saisir sa proie ; le castor se sert de sa queue pour se bâtir un abri contre la rigueur du froid ; les oiseaux se servent de leurs ailes pour aller chercher dans d’autres climats la nourriture et la chaleur que le climat natal leur refuse. L’homme se sert de son intelligence pour s’approprier la terre et la mer, pour en multiplier les richesses, pour en exploiter toutes les ressources. Par elle, il augmente la portée de ses sens, la force de ses bras, la rapidité de ses pieds. Il arrête l’oiseau dans son vol ; il saisit le poisson dans le fond des mers ; il dompte l’éléphant dans la forêt. Il fait de son intelligence elle-même un instrument de plaisir. Jusque-là, au sein de la civilisation la plus avancée et des jouissances qu’elle procure, l’homme est toujours simple, toujours un : être sensitif, servi par une organisation plus compliquée et par une intelligence plus étendue, mais toujours être sensitif ; vie animale, perfectionnée tant que vous voudrez, embellie par tous les plaisirs des arts et par toutes les conquêtes de l’intelligence, mais toujours vie animale. C’est là que s’arrêtent la plupart des hommes, depuis le sauvage jusqu’au philosophe : et ils ont la paix. — Il n’est pas question maintenant d’en estimer la valeur.
Mais dans l’homme, tel que le laissent la nature visible et les besoins ou les plaisirs de la vie terrestre, dorment d’autres facultés, qui le mettent en rapport avec d’autres lois, avec d’autres existences ; qui le tirent du cercle étroit de son individu et de tout ce qui l’intéresse pour le soumettre à un ordre plus général et lui imposer des devoirs dont lui-même n’est plus le but ; qui lui parlent non plus de possessions, d’intérêts, de jouissances et de voluptés, mais d’obligations, de renoncement, de sacrifices, en un mot, de vertu. A côté de cet instinct d’égoïsme, que je puis appeler brutal, puisqu’il est commun à l’homme et à la brute, de cet instinct de conservation et de plaisir, mobile de l’homme charnel, dort un instinct plus noble qui porte l’homme à s’unir par l’amour avec la masse de ses semblables, à leur reconnaître des droits même contre ses intérêts, à comprendre qu’il a des devoirs à remplir, alors même qu’il n’en retire aucun avantage, à sentir vivement la différence fondamentale qui se trouve entre l’utile et le juste, entre le plaisir et la sainteté, entre l’individu et l’humanité ; qui lui fait pressentir au delà du monde visible un autre ordre, d’autres lois, une autre existence, un autre univers. Ce pressentiment, trop souvent étouffé par les besoins ou les plaisirs de la terre ; cet élan de l’esprit, trop souvent arrêté par les mouvements de la chair, est une partie tellement intégrante, tellement fondamentale de l’homme, que, lorsqu’on la néglige ou qu’on la repousse, il est impossible de comprendre ni l’individu ni la race. Si ce n’est là qu’une chimère, quelles réalités ont jamais exercé plus d’influence et laissé dans les annales du genre humain de plus ineffaçables traces ? Où sont les choses visibles pour lesquelles l’homme ait jamais fait, soit isolément, soit en famille, soit en peuple, ce qu’il a fait pour les choses invisibles, pour les choses mystérieuses de l’âme, pour le monde de la conscience, du sentiment et du cœur ? Où sont les intérêts matériels et palpables qui n’aient pâli devant de tels intérêts ? Où sont les affections qui n’aient été sacrifiées, les passions qui n’aient été domptées, en présence de leurs objets et malgré toute leur magie, pour ces choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, que les mains n’ont point touchées, que l’intelligence n’a point comprises, mais que le cœur pressent avec une irrésistible force quand il se replie sur lui-même : pour la vertu, pour la religion et pour Dieu ?
Entre cette loi supérieure, que l’homme trouve en lui dès qu’il veut sérieusement la chercher et qui lui parle avec une irrésistible évidence dès qu’il veut écouter sa voix, et les penchants brutaux de la vie sensitive ; entre la loi de l’esprit, qui est propre à l’homme, et la loi de la chair, qui domine sur la terre toute la nature vivante, il s’élève dans le cœur de l’homme une véritable guerre ; guerre profonde, guerre intestine, pleine d’agitation et de trouble, de succès et de revers, de victoires et de défaites. Il faut que l’homme triomphe de lui-même, combatte ses désirs les plus chers, s’expose à la privation et à la souffrance, ou qu’il perde sa propre estime, qu’il foule aux pieds sa conscience, qu’il se dégrade à ses propres yeux de ce qui le fait homme, qu’il sorte de gaieté de cœur de l’ordre pour lequel il sent bien qu’il est fait, dans lequel, malgré qu’il en ait, quelque chose de plus fort que lui, lui déclare que se trouve sa destination finale et sa véritable place. Dès que l’esprit se réveille en lui, l’homme se sent double ; il est tiraillé en deux sens opposés. Ses passions et sa conscience sont deux ennemis acharnés entre lesquels il n’y a plus ni paix ni trêve : il faut que l’un des deux triomphe et soumette l’autre.
Le grand but du christianisme est de ranimer cette guerre ; car elle seule peut arracher l’homme à la vie sensitive et brutale pour le porter vers la vie supérieure de l’ordre et de la vertu, par laquelle seule son existence est ennoblie et complétée. Et comme cette guerre ne peut commencer que par le réveil du principe spirituel, assoupi dans la vie naturelle et brutale, le grand but du christianisme est d’opérer ce réveil.
Comment y parvient-il ?
Comment s’y prend-il pour remplacer la paix de la vie sensuelle par la guerre à mort de l’esprit contre la chair, de l’invisible contre le visible ?
L’esprit réside en l’homme : c’est un élément de sa nature. L’homme est un être spirituel et céleste en même temps qu’un être terrestre et corporel. Il porte en lui la conscience, et avec elle la religion et la vertu, comme il porte les appétits et les passions. Le sentiment de l’infini, que la terre ne lui offre jamais, se trouve au fond de son âme, à côté de celui du borné, dont la terre l’environne et le presse. Les besoins, les nécessités, les fatigues, les travaux, les passions, les plaisirs et les douleurs de la vie arrêtent, troublent, suspendent, dénaturent, corrompent le développement de ces facultés sublimes de notre nature, mais ne les étouffent jamais complètement. Elles restent en nous en puissance, si ce n’est en exercice ; car, bien que dégradés par le triomphe de la chair, nous sommes hommes. Des années peuvent s’écouler, et la vie entière, sans que nous voyions en nous autre chose que l’animal perfectionné. Mais si quelque grande circonstance, comme une baguette magique, touche le principe divin endormi, il se réveille et se relève. Si, dans un miroir puissant et fidèle, l’homme voit tout à coup son image dans toute sa grandeur et dans sa céleste beauté, soudain il est frappé, saisi ; il se reconnaît lui-même, tel qu’il peut et doit être, et il se voit tel qu’il est. Un monde nouveau se révèle à lui, et il distingue avec clarté la place qui lui est marquée. Le christianisme est cette baguette magique ; le christianisme est ce miroir enchanté. Jamais l’homme ne fut présenté à lui-même dans une image plus fidèle et plus noble. Jamais les grands traits qui constituent sa dignité morale et son véritable mérite ne furent retracés avec plus de force et plus de pureté. Jamais les parties les plus intimes et les plus profondes de sa conscience ne furent touchées d’un aiguillon plus pénétrant et ne furent plus puissamment excitées à rassembler toute leur énergie pour se dégager des liens des passions et de la chair. Jamais l’homme ne fut raconté à lui même avec plus de plénitude et plus de clarté. Dans ce langage si simple, l’homme se trouve tout entier. A chaque parole, si familière et si populaire, il sent un écho dans son cœur. A chacune de ces paraboles, rattachées de si près aux détails les plus communs de la vie matérielle, la matière recule et l’esprit se dresse, les passions, les intérêts s’affaiblissent et la conscience se relève, la terre s’enfuit et le ciel s’approche. Sans peine, sans effort, sans incertitude, sans hésitation et sans retour, par la seule puissance de la vérité du tableau, l’homme se sent et se reconnaît lui-même. Il s’aime tel qu’il doit être, et il se hait tel qu’il est. C’est là un immense bienfait du christianisme ; c’est là son grand bienfait. Dès lors la lutte s’établit, la guerre se déclare. L’homme se sent double ; mais, dans ce combat à mort, il sait de quel côté il doit souhaiter la victoire.
Et non seulement le christianisme, en présentant à lui-même l’homme tout entier, lui a fait voir dans sa propre conscience les éléments de ce monde invisible avec lequel il est en rapport, mais il a manifesté au dehors ce monde invisible par des traits qu’il est impossible de méconnaître. Son apparition sur la terre a manifesté aux moins clairvoyants des lois, des forces, une puissance et une sagesse que le monde visible est incapable de produire et d’expliquer. Dans ce grand drame, l’homme a vu comme de ses yeux les choses invisibles de Dieu et de l’éternité, ou, pour me servir d’une expression de nos saints livres, il a vu Dieu manifesté en chair. Et quand quelqu’un voudrait ne pas tenir compte de ces manifestations matérielles, dans lesquelles l’ordre de la nature fut interrompu par une puissance supérieure à elle, où la matière se montra soumise aux commandements de l’esprit, comment ne pas reconnaître, dans l’histoire du christianisme, dans ses enseignements, dans son auteur, dans ses effets, dans son inexplicable puissance, une intervention de l’esprit, telle que jamais la terre n’en avait vu de semblable, une communication extraordinaire du monde invisible, dont notre cœur nous révèle l’existence, avec le monde visible au milieu duquel nous vivons ? Quand il a senti le christianisme, qui peut nier l’ordre éternel ? qui peut méconnaître l’intervention et la présence d’un Dieu esprit ? qui peut ne pas avouer qu’il y a dans l’univers autre chose que ce que les lois physiques nous révèlent, et que ce quelque chose a pour premier caractère l’indissoluble union de la puissance et de la sainteté ? — Le christianisme, comme phénomène historique, est donc propre à réveiller dans l’homme le principe moral, le sentiment du monde invisible ; à exciter la guerre dans le fond des consciences assoupies par le mouvement et les séductions du monde corporel.
Mais un autre aspect du christianisme est surtout propre à réveiller dans le cœur de l’homme le principe moral endormi ; à lui révéler, d’une manière à la fois forte et simple, sa nature, sa loi véritable et son avenir : c’est la vie de son auteur. L’ordre moral se manifeste dans sa pureté céleste ; l’homme parfait se réalise et marche devant nous en la personne du Sauveur du monde. Que j’ignore cet ordre moral ; que je méconnaisse l’excellence de ma nature ; que j’aie vu dans toute ma vie seulement des plaisirs à goûter, des besoins ou des passions à satisfaire ; et que la grande figure de Jésus vienne tout à coup à frapper mes regards ; que je contemple cette vie si supérieure à la terre, cette tendance inflexible vers un ordre meilleur, cette force et cet amour, cette pureté et cet abandon, ce pressentiment du ciel et de Dieu, que tout décèle jusque dans ses moindres paroles : surpris, touché, attendri, gagné, je me sens en quelque sorte révélé à moi-même ; je retrouve tout dans mon propre cœur, et je m’écrie, plein d’une vie nouvelle : Voilà l’homme ! Parmi ces trésors de grâce, que l’Évangile recèle et qui sont si puissants pour changer l’esprit de l’homme en le redressant vers les cieux, qui pourrait ne pas placer en première ligne les cieux eux-mêmes s’abaissant vers la terre et se réalisant devant nous par la vie du Sauveur des hommes ?
Et ce n’est pas seulement de l’homme dans son excellence idéale que le christianisme nous a donné le sentiment ; c’est de Dieu. Pour la première fois, dans les pages de l’Évangile, le Dieu dont l’homme a besoin, le Dieu qu’il ne peut repousser, le Dieu de l’amour, de l’ordre et de la pureté, le Dieu qui est le couronnement et le chef du monde invisible, fut présenté à l’homme tel qu’il peut et doit le recevoir, tel que sa conscience l’invoque, tel que son cœur le pressent, et non un Dieu créé par le monde visible et par les besoins de la sensualité, un Dieu grossier et charnel, tel que tant de gens le conçoivent et s’imaginent croire en Dieu. Après avoir dit : Voilà l’homme ! en contemplant le Sauveur, qui pourrait ne pas s’écrier après l’avoir entendu : Voilà Dieu !
Oh ! qui pourrait, à un tel spectacle, à de telles révélations, ne pas sentir réveiller sa conscience, demeurer inerte et froid sous l’empire incontesté des intérêts et des passions, et suivre sans résistance la pente de sa nature sensuelle vers le repos ou vers le plaisir ? Qui ne reconnaîtrait pas en lui-même une nature meilleure, une destination plus haute, et les germes féconds d’un immense avenir ? Qui ne se sentirait point avili, dégradé par tout ce qui tend à étouffer en lui et cette nature excellente et ces germes d’un avenir illimité ? Qui n’éprouverait des regrets et des remords pour les triomphes passés de la vie terrestre et brutale ? Qui n’éprouverait des craintes mortelles pour le succès de la lutte qui se prépare ? Plein du sentiment de sa faiblesse et du souvenir de sa corruption antérieure, qui ne s’écrierait, comme saint Paul, dès que le christianisme lui eût révélé sa’ double nature et la valeur de son âme : Ah ! misérable que je suis, je ne fais pas le bien que j’aime, et je fais le mal que je hais ; qui me délivrera de ce corps de mort ?
Voilà ce qu’a fait le christianisme ; voilà comment à sa voix une guerre acharnée s’est allumée dans le cœur de l’homme. Un des deux ennemis dormait ; le christianisme l’a réveillé ; il était abattu, le christianisme l’a redressé et lui a rendu le courage.
Mais il fait plus encore. Après avoir rallumé la guerre en excitant un des deux ennemis, il finit par ramener la paix, en procurant le triomphe du combattant.
Comment arrive-t-il à ce résultat ?
En soutenant vigoureusement la lutte par les moyens mêmes qui l’avaient d’abord excitée ; en faisant pénétrer peu à peu la vie spirituelle jusque dans le cœur même de l’homme. Un triomphe obtenu par les secours que le christianisme tend à l’homme prépare un nouveau triomphe, comme une chute prépare une autre chute. La vérité est puissante et elle doit l’emporter. Quand on est dans le vrai, on le sent à l’ordre qui s’établit partout, au contentement qu’on éprouve, au progrès que l’on fait, à la sûreté de la marche, à l’accord admirable et inconnu qui s’établit peu à peu entre le dehors et le dedans, entre l’âme et le monde, entre les devoirs et la vie, entre les affections, les besoins ou les plaisirs, et le pressentiment de l’ordre invisible toujours plus abondamment fourni par la conscience, entre l’espérance et la réalité. Ce triomphe de la vérité, de l’esprit, sur l’erreur et sur la chair, amené par l’Évangile et par la puissance divine qui s’y est empreinte, est le but final pour lequel il nous fut donné. Serait-il donc impossible que ce but fût jamais atteint ?
Il est surtout une dispensation qui occupe une grande place dans l’Évangile et dont le dessein n’est pas autre que d’assurer ce triomphe. C’est l’acte mystérieux par lequel le Sauveur des hommes couronne son ministère de charité ; c’est l’abandon de sa propre vie qu’il fit afin de proclamer du haut de sa croix la miséricorde et la grâce pour le repentir et la foi, c’est-à-dire pour la nouvelle naissance, pour la régénération parfaite du visible et de l’invisible dans l’homme, de la vie qui se manifeste au dehors par les œuvres de l’esprit qui en est le fond et la source. Par là l’homme est délivré du combat terrible du passé contre l’avenir. Il embrasse la vertu sans découragement et sans faiblesse. Il ne voit son Dieu que sous des traits plein d’amour. La certitude du pardon l’a rendu digne de l’obtenir. Ainsi la chair finit par être vaincue ; le juste vit de sa foi, et l’harmonie revient dans son intérieur.
Il y a donc deux paix : l’une avant, l’autre après le combat ; l’une par le triomphe incontesté de la chair, l’autre par le triomphe final de l’esprit ; l’une, la paix de l’homme-brute, l’autre, celle de l’homme-ange ; l’une qui naît de la nature mortelle et ne produit que la mort, l’autre qui naît de la nature invisible et produit la vie.
Lecteurs qui vous sentez vous-mêmes, si vous jouissez de la paix, de laquelle jouissez-vous ? Est-ce la chair, est-ce l’esprit, est-ce le ciel, est-ce la terre, qui règne en vous sans contestation ? Qu’êtes-vous ? que voulez-vous ? et quel sort vous est réservé ?