La fin du séjour aux Oumbras tire à sa fin. Jean-Paul s’est tellement habitué à la campagne, il s’y trouve si heureux que la pensée du départ le remplit de tristesse. Il a l’impression que les jours maintenant filent dix fois plus vite. Que ne ferait-il pour ralentir leur fuite ? Hélas ! Bientôt les valises ! Bientôt Paris ! Bientôt la classe ! De telles perspectives jettent une ombre sur la joie des derniers jours.
Insensiblement son cœur s’est attaché à ces vieux murs austères, à ce paysage sauvage mais si lumineux, à ces gens un peu rudes au premier abord… et qui cachent pourtant, derrière leur rudesse, de grands cœurs. Ils sont plus sensibles et plus aimants qu’ils n’en ont l’air. D’ailleurs, il semble au jeune homme que Francine et grand-père Adolphe causent davantage ce qui permet de savoir un peu ce qui bout au fond de leur marmite. Or, ce qui bout dans leur marmite. c’est du bon ! On découvre chez eux, à mesure qu’on les approche, une certaine culture, qui surprend lorsqu’on considère dans quel isolement ils ont vécu.
— Grand-père a dû beaucoup lire dans sa jeunesse, suppose papa qui croit trouver là l’explication de ce mystère.
Jean-Paul a définitivement adopté « papé » Adolphe et Francine : il les aime comme oncle et tante. Ils font partie de la famille. Comme il a peu de parents, hormis sa vieille grand’mère qui s’obstine à vivre en Normandie et qu’il ne voit que rarement, le jeune homme se sent un peu seul, c’est pourquoi il est trop heureux d’élargir le cercle de ceux qu’il aime. Etienne lui aussi tient une grande place dans son cœur. Les deux garçons se voient tous les jours, et avec quelle joie ! Le matin, ils courent à travers champs et forêts, et le soir, ils gardent ensemble le petit troupeau de chèvres des Olivettes. Ils sont inséparables, comme les dix doigts de la main. L’aventure de la grotte les a cimentés l’un à l’autre pour toujours.
♦
♦ ♦
Sept heures ! Assis dans son lit, les bras croisés sur les genoux, Jean-Paul goûte à demi réveillé la fraîcheur du matin. Il regarde en direction de la fenêtre, sans penser à rien. La vieille tour est toujours là, éclairée des mille feux du soleil matinal ; au second étage, les volets bleus sont grands ouverts. Soudain Jean-Paul sursaute. Deux nains viennent de saisir les volets qui se rabattent avec fracas. Il se souvient alors avoir déjà vu ces mains — les mêmes sans doute — quelques semaines auparavant.
— Oui, un personnage mystérieux se cache dans la tour. Il faut que je sache, pense-t-il, bien résolu à percer ce mystère. Pour les enfants, les vieilles tours ont toujours des mystères.
Le lendemain à cinq heures et demie, Jean-Paul a déjà les yeux ouverts. Il fait encore sombre et le jour commence juste à poindre. Le petiot saute hors du lit et court à la fenêtre. Les volets bleus sont de nouveaux ouverts. Le locataire de la tour est matinal ! Passerait-il la nuit, là-haut ? L’air est si frais que Jean-Paul grelotte. Il va à sa chaise et enfile un tricot de laine, puis regagne son poste d'observation car… il veut savoir à tout prix !
La vie reprend à la ferme. Les sabots de Francine vont et viennent. La grande pendule frappe ses coups, tandis que le poulailler se réveille au bruit de cocoricos sonores. Quelques petits nuages restent figés à l’horizon.
Le jeune adolescent ne quitte pas la tour des yeux. Peu importe les poules et les allées-et-venus de Francine ! Il ne veut pas manquer le moment important qui arrive enfin. Comme la veille, deux mains saisissent les volets qui pivotent et viennent brusquement s’appliquer l’un contre l’autre avec fracas. Une fois encore Jean-Paul n’a pu voir l’homme de la tour. Qui donc est ce personnage si matinal ? Que fait-il en cet endroit, à des heures si indues ? Jean-Paul ne comprend pas.
Il regagne son lit, déçu par son insuccès.
— Je saurai quand même ! se répète-t-il. Je saurai… !