« Le prophétisme, a écrit M. de Pressensé, est ce qu’il y a de plus grand dans l’histoire d’Israël. Il n’y apparaît pas comme une exception sublime ; bien au contraire, il est sa représentation idéale : il concentre comme dans un foyer pur et brûlant, tout ce qu’il renferme de divin ; il développe dans toute sa grandeur la pensée maîtresse qui est sa raison d’être. Cette pensée maîtresse qui s’est dégagée de ses institutions, de sa position dans le monde, de son histoire, c’est, pour Israël, d’être, par excellence, la race sainte qui prépare la voie au Rédempteur, non seulement pour elle-même, mais pour le monde entier. Son élection est un sacerdoce pour toute la race humaine. Le particularisme, qui caractérise toutes ses institutions, aboutit au plus large universalisme, et, selon la belle expression d’Irénée, enveloppe et protège cette grande pensée de l’avenir, comme la paille enferme le grain de blé pour le jour de la moisson. La sainteté qui lui est commandée ne se termine pas à lui-même ; elle rentre dans sa large mission humaine, qu’il pressent sans en avoir pleine conscience ; il pourrait déjà prononcer la divine parole : « Je me suis sanctifié moi-même pour mes frères. » C’est ainsi que tout Israël tend vers le grand avenir : il n’est pas seulement le peuple-prêtre, il est encore, par là même, le peuple-prophète ; il sait que son histoire n’a pas d’autre fin que la réalisation de cet avenir, et qu’elle l’annonce à sa manière, en le préparantl. »
l – Le Siècle apostolique, pages 43 et 44.
Nous avons indiqué le futurisme ou le messianisme comme le second élément nécessaire de la préparation du salut, et par là même comme le second des caractères distinctifs de l’histoire du peuple d’Israël, qui fut l’agent privilégié de cette préparation. Nous ajoutons que ce fut des deux le plus important. On pourrait supposer encore le monothéisme se perpétuant dans une nation ou dans une race comme une tradition des premiers âges de l’humanité, ou comme une donnée de la révélation naturelle. Le messianisme en Israël a été en tout cas un fait nouveau intervenu dans le cours de l’histoire, et dont aucun facteur antécédent ne pourrait rendre compte.
L’accomplissement du salut n’a pas succédé immédiatement au régime légal, que nous venons de voir déjà épuisé quelques siècles après son institution. Cette manifestation suprême de la grâce de Dieu, l’apparition du Fils de Dieu en chair, n’eût pas été suffisamment préparée par cette démonstration d’insuffisance de la loi ; car le peuple d’Israël ne devait pas, comme les païens, jouer un rôle négatif seulement dans la préparation du salut ; et l’idée d’avenir dont il était le porteur privilégié devait se dégager toujours plus distincte et triomphante, et plus encore de ses ruines que de ses gloires. Or les interprètes de cette idée à ses phases successives et sous ses diverses incarnations ont été les prophètes. Eux-mêmes se sont appelés les sentinelles de leur peuple (Ésaïe 21.10-11 ; Jérémie 6.17 ; Ézéchiel 3.17 ; comp. Ézéchiel 33.6) ; soit que, commentateurs autorisés des anciennes ordonnances, ils aient extrait l’esprit de la lettre et du rite et placé l’obéissance du cœur au-dessus de la prestation des mains (1 Samuel 15.22 ; Osée 6.6 ; Michée 6.6-8 ; cf. Matthieu 12.7) ; ou que, historiens anonymes du royaume de Dieu, ils aient recherché et consigné dans des pages immortelles les vestiges de l’idée divine dans le passé d’Israël ; ou que, plus tard encore, assis sur les ruines de leur patrie, ils aient contemplé l’antique mission d’Israël remplie dans les gloires futures ; car il fallait autant de capacité spirituelle pour faire tomber le rayon divin au sein des ténèbres du passé que pour percer les obscurités de l’avenir.
Le mot hébreu navih est la désignation la plus générale du prophète, c’est-à-dire de l’homme qui parle au nom de Dieu.
« Ce mot, écrit Dillmann, ne signifie nullement, comme plusieurs l’affirment encore : l’exalté, l’inspiré, (den Angesprudelten, den Begeisterten), — car la formation du mot comporte une signification active et non passive, comme on peut le reconnaître par la formation du pluriel en arabe. La signification de la racine naba’a, produire des paroles, annoncer, s’est conservée parfaitement en arabe, et est confirmée par l’éthiopien nababa, parler. Navih signifie donc l’orateur, le héraut (Hervorsprecher, Kundebringer), et correspond bien au grec προφήτες, et au latin vatesm. »
m – Bibellexicon de Schenkel, page 607. — Même opinion chez Schultz, Alltestament. Theol., page 215 ; et chez d’Orelli, Die alltestament. Weissagung, page 6.
Ewald complète cette définition du navih en indiquant l’origine de cette parole proférée par le prophète :
« Ce mot signifie originairement : celui qui parle à haute voix (lauten klaren Sprecher), mais toujours dans ce sens que le navih annonce les paroles d’un autre qui ne parle pas. Comme le muet doit avoir quelqu’un qui parle pour lui, ou qui explique sa pensée, le mot désigne dans l’emploi sacré celui qui parle non pas en son nom, mais au nom de Dieu. A un degré inférieur, il peut désigner aussi celui qui explique la pensée d’un homme saint qui lui est supérieurn. » (cf. Exode 7.1).
n – Die Proph. des A. B., pages 6 et 7.
Les prophètes ne furent donc ni les penseurs ni les poètes, mais les prédicateurs d’Israël.
Notre Article II comprendra trois chapitres traitant :
- De la nature du prophétisme Israélite ;
- De la gradation de l’oracle messianique dans le cours de la préparation du salut ;
- Des éléments d’imperfection du prophétisme.