Le Sâdhou Sundar Singh – Propos de table

IX. Propos de table

On remarque peu de différence dans le fond et la forme des paroles du Sadhou, qu’il s’agisse de discours prononcés du haut d’une tribune ou de conversations intimes avec quelques familiers autour d’un repas. Le Sadhou est cependant plus à l’aise lorsqu’il emploie le style familier du Guru hindou s’entretenant avec ses disciples, que lorsqu’il prononce des allocutions en public à la manière occidentale. En outre, il est plus facile d’apprécier dans des réunions intimes l’humour du Sadhou, sa bienveillance, son intuition spirituelle, la vivacité de son expression, la mobilité de sa physionomie ; et l’on jouit de cette atmosphère de paix divine qu’il répand autour de lui.

Ce chapitre-ci contient une sélection des discours publics ou privés du Sadhou, discours choisis pour leur profondeur, leur pénétration et leur simplicité pittoresque.

Le Prédicateur

Je ne m’assieds pas devant ma table pour écrire mes sermons. Mais, lorsque je prie, les textes, les sujets et les exemples me viennent à l’esprit. Tout prédicateur devrait recevoir son message de Dieu. S’il le cherche dans les livres, ce n’est pas son propre Évangile qu’il annonce, mais celui des autres. Il couve les oeufs des autres et se figure que ce sont les siens.

Le correspondant d’un journal de Londres demanda au Sadhou quel serait le sujet de sa prédication à une prochaine réunion. Il répondit qu’il n’en savait rien lui-même, mais qu’il serait guidé par le Seigneur. Cependant, lorsqu’il doit parler en public, il se réserve beaucoup de temps pour la prière et la méditation, et débute par un texte et quelques idées principales choisis avec soin pour la circonstance. Le développement de sa pensée dépend beaucoup de l’auditoire :

– Il y a en moi un instinct sûr, qui me permet de deviner les besoins spirituels de l’assistance, à la façon d’un chien qui suit une trace infiniment mieux qu’un savant ne pourrait le faire.

Alors que nous parlions de sa méthode pour préparer les sermons, nous lui demandâmes :

– Que doivent faire les prédicateurs qui n’ont pas d’imagination ? S’ils montent en chaire, comme vous le faites, sans avoir laborieusement préparé leur discours, ils ne pourront retenir l’attention de leur auditoire.

Le Sadhou répondit :

– Seuls les hommes appelés par Dieu devraient Le servir comme prédicateurs. Et quand bien même ils seraient peu doués intellectuellement, Dieu les inspirerait.

« Un balayeur hindou se convertit au christianisme. Il donna son coeur au Christ, trouva en Lui la paix et le salut et, devint un témoin de son Sauveur. Les gens disaient :

« – Il y a quelque chose de particulier chez cet homme que nous ne comprenons pas…

Et on l’écoutait avec la plus grande attention. Un homme qui passait demanda :

« – Pourquoi tant de respect pour un balayeur ?

« Ce balayeur répondit :

« – Lorsque mon Sauveur entra dans Jérusalem, monté sur un âne, le peuple jeta ses vêtements et les étendit sous ses pieds. Ce n’était pas sous les pieds de Jésus, mais sous les pieds de l’âne. Pourquoi rendre tant d’honneur à cet animal ? Parce que le Roi des rois en avait fait sa monture. Quand le Christ en fut descendu, personne ne fit plus attention à l’âne ; il avait été honoré aussi longtemps qu’il avait porté le Roi des rois. »

– Avez-vous un conseil à donner pour la formation des étudiants en théologie ?

– Il faudrait leur faire faire plus de travail pratique. Les professeurs devraient, pendant deux ou trois mois, parcourir eux-mêmes le pays avec leurs élèves pour prêcher l’Évangile.

Vie et espoir

« La vie et la plénitude de la vie ne sont pas une même chose ; il y a entre elles une grande différence. À quoi bon tout simplement « vivre » ? Permettez-moi de vous citer un exemple. Je visitai un hôpital et je vis un homme alité, malade. Ses jours n’étaient pas en danger ; cependant j’appris le lendemain que cet homme était mort. Comment cela était-il arrivé ? Un cobra était tombé pendant la nuit du toit sur le lit. Le malade l’avait vu ramper à ses pieds et s’approcher de sa tête, à sa grande épouvante. Mais il n’avait pas eu la force de sortir de son lit ou de tuer le serpent. Il fut mordu au cou et mourut. Sur ces entrefaits, survint un autre homme qui tua le serpent. Le malade possédait bien la vie, mais quelle différence entre ces deux hommes ! Quoique vivant, le malade était incapable de se protéger du danger, tandis que l’autre put se défendre et tuer l’animal. Bien des chrétiens possèdent ainsi la vie, mais ils sont incapables de se protéger contre l’antique serpent. Ils ne peuvent surmonter la tentation. Comment pourraient-ils sauver les autres ? Ils mourront dans le péché, mordus par le serpent tentateur, dont le poison se répandra dans tout leur corps. Mais ceux qui ont la plénitude de la vie pourront tuer le serpent et, victorieux de la tentation, il leur sera possible d’aider leurs frères à faire de même. C’est cela, la vie surabondante.

« Si nous nous donnons au Seigneur, il peut travailler par nous ; c’est lorsque nous nous remettons entre ses mains qu’il peut faire de nous ses instruments. C’est au moyen des hommes de prière que Dieu peut accomplir de grandes choses.

« Les serviteurs de Dieu sont parfois découragés. On ne les écoute pas ; on ne tient pas à les entendre. J’ai moi-même, parfois été abattu ; mais j’ai compris que notre tâche consiste à prêcher, à rendre témoignage malgré tout. À cette condition, le Saint-Esprit travaillera dans les coeurs. Mais il faut que nous fassions notre part de travail.

« Ne soyons jamais découragés par nos faiblesses. Le soleil a de nombreuses taches. Cesse-t-il pour cela de nous éclairer ? Ainsi donc, nous devons briller de la lumière que Lui, la Véritable Lumière, nous dispense. Il fera disparaître nos défauts et nous rendra parfaits. Notre devoir est de rayonner. Le ver luisant est, parmi les insectes, l’un des plus menus ; et cependant il réjouit le coeur du voyageur par sa toute petite lumière. »

Service

« Il était une fois un homme riche. Un jour, son fils était assis dans le jardin. Des oiseaux arrivèrent en foule et mangèrent les fruits, tandis que des bestiaux piétinaient les plantes et les écrasaient. Le fils vit tout cela, mais il ne chassa point les animaux. On lui demanda :

« – Est-ce bien de laisser détruire ainsi le jardin de ton père ? Ne peux-tu donc chasser toutes ces bêtes ?

« Il répondit :

« – Mon père ne m’a pas dit de le faire. Ce n’est donc pas mon ouvrage.

« Le père, ayant appris ce qui s’était passé, chassa le fils de la maison paternelle. Ce n’est pas un ordre particulier qui nous est adressé ; ce sont les besoins et les imperfections de ceux qui nous entourent qui constituent pour nous l’appel de Dieu.

« Dans les montagnes du nord de l’Inde, où le climat est extrêmement froid, les voyageurs conservent leur chaleur de la manière suivante : ils remplissent de braise un petit récipient et le recouvrent de cendre. Ils l’entourent de cordes, l’enveloppent de linges et le portent sous leur bras. Trois hommes faisaient route ainsi vers un lieu de pèlerinage nommé Amarnath. L’un d’eux, voyant plusieurs de ses compagnons souffrir du froid, sortit la braise de son récipient, et alluma un feu auquel tous purent se réchauffer. Ranimés par la chaleur, ils reprirent leur route. Lorsque la nuit vint, le second voyageur sortit les braises de son vase, alluma une torche, grâce à laquelle ils purent marcher en sécurité. Le troisième voyageur se moqua d’eux, disant :

– « Vous êtes fous de gaspiller ainsi votre feu pour les autres !

« – Montre-nous le tien, lui dit-on.

« Mais lorsqu’il ouvrit son vase, il ne contenait plus que des cendres et du charbon. Au moyen de la braise, le premier voyageur avait procuré de la chaleur à ses camarades, et l’autre de la lumière ; mais le troisième, en égoïste, avait gardé le feu pour lui et ce feu lui était devenu inutile.

« De même, c’est la volonté de Dieu que le feu du Saint-Esprit, que nous avons reçu, répande la chaleur et la lumière parmi nos frères, contribuant ainsi à leur salut. Bien des gens méprisent ceux qui prodiguent leur santé et leur argent pour le salut des autres, et les traitent de fous. Et cependant ceux-là mêmes qui en auront sauvé beaucoup, seront sauvés, à leur tour. Mais ceux qui n’ont pas le désir de voir leurs frères participer au salut qu’eux-mêmes ont reçu, le perdront au dernier jour et ils iront en enfer. Inutile alors de se lamenter, C’est pourquoi nous devons essayer de sauver notre prochain dès maintenant.

« Un roi régnait dans le royaume de Paras. Il savait que ses sujets étaient très paresseux et il s’inquiétait de la façon dont ils se défendraient si les ennemis envahissaient le pays. Voyant que ses conseils n’étaient pas écoutés, il fit rouler une grosse pierre à la croisée de quatre routes. Les gens virent la pierre, mais ne tentèrent pas de l’enlever et continuèrent leur route. Une semaine s’écoula. Le roi, alors, commanda à tous ses sujets de se rassembler en ce lieu. Il souleva facilement la pierre qui était légère, car elle était creuse. Elle recouvrait un sac rempli de bijoux d’or de la valeur d’un lakh (cent mille roupies). Le sac portait cette inscription : « Ce trésor appartiendra à celui qui soulèvera la pierre. » Le roi le montra à ses sujets et leur dit :

« – Voilà ce que vous avez perdu par votre paresse. Si vous continuez de la sorte, vous perdrez ce royaume lorsque l’ennemi l’envahira.

« Tous ceux qui étaient présents regrettèrent d’avoir perdu cette occasion fabuleuse, de s’enrichir, et cela par crainte de l’effort et du travail.

« C’est ainsi que le Christ nous appelle à porter la croix et à endurer les peines et les souffrances pour le salut des autres. Il y en a beaucoup qui se refusent à porter la croix, préférant la richesse, la santé, leur situation sociale. Ils trouvent que la croix est lourde, mais le Christ a dit : « Mon joug est aisé et mon fardeau léger. » Quand nous le porterons, nous verrons qu’il n’est pas pesant. Bien plus, quand nous nous chargerons de la croix, le trône, la couronne et la gloire nous seront donnés par surcroît. Il faut donc nous préparer à dépenser notre santé, notre force, et au besoin notre vie, pour le salut de nos frères.

« Il y avait un bon chrétien qui obéissait à l’appel de Dieu et travaillait dans Sa vigne. Il fut battu, maltraité et suspendu à un arbre la tête en bas. Mais il dit à ses persécuteurs :

« – Je ne suis pas étonné que vous me suspendiez la tête en bas, les pieds en l’air. Le monde est à l’envers et ses oeuvres aussi. C’est ainsi que vous m’avez suspendu, et je vous en remercie. Dans la lanterne à projections, les vues sont placées à l’envers et se trouvent projetées à l’endroit. Si elles étaient à l’endroit dans la lanterne, elles seraient renversées sur l’écran. Vous m’avez pendu à l’envers, ici-bas, mais je serai debout dans la maison céleste. Si j’étais debout ici-bas, il est probable que là-haut je serais à l’envers. »

Religion

Toutes les religions ne se ressemblent-elles pas ? Elles recommandent toutes de faire le bien.

– Oui, mais il y a une grande différence Les autres religions disent : « Faites toutes les bonnes oeuvres que vous pourrez et vous finirez par devenir bons [1]. » Le Christianisme dit : « Soyez bons, et alors vous ferez le bien ; il jaillira naturellement d’un coeur bon.

Le changement du coeur doit venir en premier. »

Nous demandâmes au Sadhou :

– Que pensez-vous du Bouddha et de son message ?

– Ce n’est pas un mystique, mais seulement un maître de morale. Car, dans son enseignement, il n’est pas question de Dieu. Cela paraît surprenant pour un homme tel que lui. Il prêcha le nirvana ou l’extinction du désir. Mais le salut est dans la réalisation du désir et non dans sa suppression. Le vrai moyen de combattre la soif n’est pas de la tuer, ce qui entraînerait la mort, mais de la satisfaire.

« Supposez que nous écrivions le chiffre 1 et que nous placions une rangée de zéros à sa droite. Plus il y aura de zéros, plus ce chiffre sera important. Plaçons-les au contraire à gauche, ils demeureront de simples zéros. Le Christ est semblable au chiffre 1 ; à sa gauche se trouve le monde. Les biens acquis par ceux qui recherchent le monde, ne sont que de simples zéros. Mais à sa droite est le ciel. Les biens acquis par ceux qui recherchent le ciel sont sans limites.

« Les sectes sont étranges et inutiles. Il n’y a qu’un Dieu. Pourquoi avoir tant d’Églises et créer des dissensions ? C’est là, je pense, l’oeuvre du monde. Quand toutes les sectes seront réunies, ce ne sera plus la terre, mais le Ciel.

« Un jour que je passais dans une rue, je constatai que toutes les portes étaient verrouillées. On ne voyait personne. Je pensai alors tant que notre coeur sera fermé au Seigneur qui l’a créé, il faudra verrouiller les portes afin de sauvegarder la propriété. Mais si les coeurs s’ouvrent au Seigneur, les verrous ne seront plus nécessaires, car il n’y aura plus de voleurs. »

La providence

« Je demandai à un jeune homme comment il servait son Sauveur.

« – Qu’a-t-il donc fait pour moi qui m’oblige à travailler pour lui ?

« N’a-t-il pas versé son sang et donné sa vie pour toi ? lui dis-je.

« – Pardon, me dit-il, était-ce seulement pour moi ? Il a donné sa vie pour tous. Qu’a-t-il fait de particulier pour moi qui m’oblige à le servir ?

« Quelques mois après, ce jeune homme tomba gravement malade et fut en danger de mort. L’Esprit s’empara de lui et il eut une vision : Les murs de sa chambre se couvrirent de tableaux représentant différentes heures de sa vie. On le voyait enfant ; il faisait une chute du haut d’un balcon. Un Homme le reçut dans ses bras et le posa doucement à terre. Les mains de cet Homme portaient des traces de clous. Un autre tableau le montrait, jeune homme ; il tombait du haut d’un rocher et se croyait perdu. Là encore, il fut sauvé par Celui dont les mains étaient blessées. Dans un autre tableau, il marchait sur un serpent, mais il y avait Quelqu’un qui retenait le serpent et l’empêchait de lui faire du mal. Et les mains de cet homme étaient encore percées. Puis, dans le secret de sa chambre, l’âme du jeune homme cédait au péché. L’Homme lui apparut, lui montra ses blessures et le conjura de ne pas commettre le mal. Pendant que le jeune homme contemplait ces tableaux, Il s’approcha de lui et dit :

« – J’ai fait tout cela pour toi et tu as pensé que je n’avais rien fait. Maintenant tu vas mourir, et si tu meurs, tu es certain d’aller en enfer. Mais, cette fois encore, je te sauverai de la mort. Va et proclame à chacun les grandes choses que le Seigneur a faites pour toi.

« Lorsqu’il fut rétabli, le jeune homme devint un serviteur de Dieu. Quand je le revis, il me dit avec angoisse :

« – Dans mon ignorance, j’avais cru que Dieu n’avait rien fait pour moi. Lorsqu’à plusieurs reprises j’échappai à des catastrophes, mes parents et moi crûmes à la chance ou au hasard. Maintenant je sais que c’est le Sauveur qui a promis d’être avec nous jusqu’à la fin du monde. Il est avec moi chaque jour de ma vie et me préserve de tout danger. »

L’au-delà

« Le poussin, dans sa coquille, a des preuves de l’existence d’un autre monde : ce sont ses yeux et ses ailes. Les yeux sont faits pour voir et les ailes pour voler. Mais comment voler dans une coquille, et que peut-on y voir ? Il est donc clair que les yeux et les ailes ne sont pas faits pour la vie dans la coquille, mais pour la vie hors de la coquille. De même, un grand nombre de nos bonnes aspirations et de nos ambitions ne peuvent se réaliser ici-bas. Il doit y avoir une occasion de les satisfaire. Ce sera dans l’éternité.

« Si nous devons jouir du ciel dans l’au-delà, au lieu d’être châtiés en enfer, il faut dès ici-bas conformer notre conduite à certaines exigences. La chaleur maternelle est nécessaire au poussin pour éclore, faute de quoi l’oeuf se gâterait et serait jeté. Comme le poussin a besoin de chaleur, même dans sa coquille, ainsi le Saint-Esprit nous est nécessaire pour vivre sur cette terre. Le poussin sort de l’oeuf ; de même, nous quitterons ce monde pour entrer dans le royaume des cieux, où nous jouirons des félicités éternelles.

« Bien des gens parlent de l’au-delà et disent qu’après la mort nous n’existerons plus, et qu’il est oiseux de parler du ciel et de l’enfer. Cela me rappelle le dialogue de la poule et du poussin :

« – Petit, dans une minute ou deux, tu quitteras cette coquille ; alors tu me verras, moi, ta mère ; tu verras aussi, tout autour de toi, le monde qui est rempli de belles fleurs et d’arbres magnifiques.

« Mais le poussin répétait obstinément que tous ces récits n’étaient que mensonges. Bientôt après, la coquille se fendit et le poussin sortit. Il vit sa mère et le monde qui l’environnait, et connut que les paroles de sa mère étaient vraies.

« Ceux qui nient Dieu, le ciel et l’enfer découvriront, eux aussi, la vérité, lorsque la coquille de leur corps se brisera et que leur âme sera libérée. Quand vous allez à l’étranger, il est bien doux d’avoir un ami qui vous vienne en aide. Devenez les amis de Jésus-Christ, et, quand vous irez au ciel, vous y trouverez un Ami. »


[1] Nous retrouvons la même pensée avec quelque différence, p. 86.

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