Ils suivent l’Agneau partout où il va.
Quand le Dr Bruce et l’évêque entrèrent dans la maison Sterling, ils trouvèrent cet intérieur, toujours si correctement tenu, dans un état de complète confusion. Les grandes salles du rez-de-chaussée étaient vides, mais on entendait, à l’étage au-dessus, des bruits de pas précipités et de voix confuses. Comme les deux messieurs se disposaient à monter l’escalier, ils rencontrèrent une servante, qui le descendait en courant.
« Miss Félicia est avec Mme Sterling », répondit-elle à la question qu’ils lui adressaient, puis elle poussa un cri perçant et se précipita vers la porte qui donnait dans la rue.
Au haut de l’escalier, Félicia les attendait. Elle s’avança vers le Dr Bruce, les deux mains tendues. L’évêque, qui connaissait la jeune fille depuis qu’elle était enfant, posa une des siennes sur sa tête, puis tous trois restèrent, pendant un moment, parfaitement silencieux.
Ce fut l’évêque qui parla le premier :
— Que Dieu ait pitié de vous dans cette heure sombre, Félicia. Votre mère ?…
Il hésitait à continuer. Pendant le court trajet qu’il venait de faire, entre la maison de son ami et celle où il se trouvait, l’unique roman de sa vie s’était levé hors du passé, où il croyait l’avoir enseveli. Bruce lui-même ignorait qu’un jour l’évêque avait offert à la belle Camilla Rolfe l’amour unique de sa jeunesse, et qu’elle lui avait préféré un millionnaire. Il n’y avait pas d’amertume dans son souvenir, mais il n’avait jamais oublié tout à fait.
Pour toute réponse à cette question inachevée, Félicia se dirigea vers la chambre de sa mère, avec un calme qui frappa les deux hommes. Sur le seuil elle se retourna et leur fit signe de la suivre. Ils obéirent, avec le sentiment qu’ils allaient se trouver en face de quelque chose d’extraordinaire.
Rose, les bras étendus, était à demi couchée sur le lit. Clara, la garde, était assise tout auprès, la tête cachée dans ses mains, secouée par ses sanglots.
Mme Sterling reposait sur ses oreillers, si tranquille, en apparence, que l’évêque lui-même s’y trompa au premier abord. Puis la vérité lui apparut tout à coup, et la douleur poignante de son ancienne blessure lui étreignit le cœur à le briser. Mais cela ne dura qu’une minute, et il retrouva, dans cette chambre mortuaire, le calme éternel et la force que les enfants de Dieu possèdent de droit. Les jours qui suivirent lui fournirent amplement l’occasion de déployer cette force et ce calme.
L’instant d’après un vrai tumulte éclatait dans la maison. Le docteur arrivait en même temps que des officiers de police, que les domestiques effrayés étaient allés chercher. A leur suite entraient quatre ou cinq correspondants de journaux et plusieurs voisins. Les deux pasteurs reçurent tout ce monde au haut de l’escalier et réussirent à congédier ceux dont la présence n’était pas nécessaire. Puis, avec les quelques personnes qui restaient, ils se firent raconter les détails de ce que les journaux du lendemain appelèrent, dans leur style sensationnel, la « tragédie Sterling ».
M. Sterling s’était rendu dans sa chambre, vers neuf heures, et personne ne l’avait revu jusqu’au moment où, une demi-heure plus tard, un coup de feu retentissait dans la maison. Un domestique, qui traversait justement le vestibule, s’était précipité dans la chambre de son maître, pour le trouver étendu sans vie sur le parquet. Félicia passait la soirée auprès de sa mère. Rose, qui lisait dans la bibliothèque au moment où le coup partait, était arrivée comme les domestiques soulevaient le corps de son père et le déposaient sur son lit ; l’instant d’après elle entrait dans la chambre de sa mère, avec un air égaré et se laissait tomber dans un fauteuil, en proie à une crise de nerfs. Quand elle avait appris ce qui venait de se passer, Mme Sterling avait perdu connaissance. Revenue à elle, elle avait donné l’ordre, avec une présence d’esprit étonnante, qu’on allât chercher le Dr Bruce ; après quoi elle avait insisté pour voir son mari. Malgré les supplications de Félicia elle s’était levée, pour se traîner, soutenue par Clara et sa femme de chambre, jusqu’à la chambre où M. Sterling était étendu. Après l’avoir considéré avec des yeux sans larmes, elle s’était laissé ramener chez elle sans résistance ; enfin, au moment où le Dr Bruce et l’évêque entraient dans la maison, elle expirait, avec une prière de pardon pour elle et pour son mari sur les lèvres.
C’est ainsi que la mort grimaçante était entrée dans ce palais débordant de luxe, en ce soir de dimanche. Mais ce ne fut que lorsque l’état des affaires de M. Sterling fut connu, que l’on comprit la cause de sa mort.
On apprit alors, comment, depuis quelque temps déjà, il se trouvait en face d’un désastre financier, par suite de spéculations malheureuses qui, dans l’espace d’un mois, avaient englouti sa fortune entière. Il avait lutté, avec l’énergie désespérée d’un homme qui voit lui échapper la chose à laquelle il a voué son cœur et sa vie, pour sauver cet argent, auquel il avait tout sacrifié. Mais, le samedi après-midi, il apprenait que la ruine ne pouvait plus être évitée ni cachée, que la maison qu’il habitait, les sièges sur lesquels il s’asseyait, l’argenterie dans laquelle il mangeait, toutes ces choses payées avec de l’argent dont pas la moindre parcelle n’avait été gagnée par un travail honnête, ne lui appartenaient plus. Tout l’échafaudage de sa fortune reposait sur un tissu tromperies et de spéculations louches, sans aucun fondement qui ait une valeur réelle, il le savait mieux que personne, mais il espérait, avec l’espoir que ces hommes-là ont toujours, pouvoir conserver son argent par les mêmes méthodes auxquelles il le devait. Il avait été déçu en cela, comme tant d’autres ; et, à l’heure où il s’était trouvé en face de la pauvreté, il n’avait trouvé d’autre issue à sa situation que le suicide. C’était la fin inévitable d’une vie comme la sienne. Il avait fait de l’argent son dieu, son dieu lui échappait, et il ne lui restait rien à adorer, et quand un homme perd l’objet de son adoration, sa vie n’a plus de raison d’être. Ainsi mourut le grand millionnaire Charles-R. Sterling. Sa mort était vraiment celle d’un insensé, car que sont les pertes ou les gains d’argent, comparés avec les insondables richesses éternelles, ces richesses que ni la spéculation, ni les pertes, ni aucune fluctuation ne sauraient atteindre ?
Mme Sterling n’était pas au courant des affaires de son mari, elle savait pourtant que la source de sa fortune était précaire. Depuis des années elle semblait être plus morte que vivante, mais on disait des Rolfe qu’ils possédaient une force de résistance supérieure à celle de tout le monde, et qu’ils pouvaient supporter, sans faiblir, n’importe quel désastre. Elle se conformait aux vieilles traditions de sa famille quand elle se faisait transporter dans la chambre de son mari, mais sa frêle enveloppe, usée et minée par de longues années de souffrances et de désappointement, n’était pas forgée du même métal que son caractère ; aussi, malgré tout, ce coup de foudre l’avait-il tuée.
Les effets de cette triple catastrophe se firent immédiatement sentir pour les deux sœurs. Pendant des semaines, Rose resta anéantie par l’horreur que la vue de son père mort lui avait causée. Ni la sympathie qu’on lui témoignait, ni les efforts tentés pour la sortir d’elle-même, ne parvenaient à ranimer son intérêt. Elle ne paraissait pas se rendre compte que l’argent, qui avait fait partie intégrante de son existence, ne lui appartenait plus ; et, même quand on lui eut expliqué que Félicia et elle devaient quitter la maison, et dépendaient entièrement de leurs parents et amis, elle ne parut pas comprendre ce que cela voulait dire.
Félicia, par contre, ne se faisait aucune illusion sur leur situation. Elle savait parfaitement la cause des malheurs qui les frappaient, aussi, peu de jours après les funérailles de ses parents, discutait-elle ses plans d’avenir avec sa cousine Rachel. Mme Winslow et sa fille, accourues à Chicago, dès que la terrible nouvelle leur avait été transmise, s’occupaient, avec d’autres amis de la famille, des affaires de Rose et de Félicia.
— Vous allez venir avec nous, à Raymond, maman ne veut pas entendre parler d’un autre arrangement, disait Rachel, en regardant Félicia avec une affection qui ne faisait que grandir, depuis qu’elle la savait enrôlée, comme elle, dans la petite phalange des disciples de Jésus.
— A moins que je ne puisse trouver à faire quelque chose ici, répondit Félicia d’un air pensif.
— Que pourriez-vous faire, ma chérie ?
— C’est ce que je me demande. Je n’ai rien appris, si ce n’est un peu de musique, mais pas assez pour donner des leçons ou gagner quoi que ce soit. Si, pourtant, j’ai appris à faire un peu la cuisine. Et Félicia prononçait ces dernières paroles avec un petit sourire de fierté.
— C’est parfait ! vous pourriez remplacer notre cuisinière, elle est pour maman un continuel tourment, s’écria Rachel qui comprenait combien la perspective de tout devoir aux autres était pénible à sa cousine.
— Le pourrais-je vraiment ? répondit Félicia, comme si elle prenait tout à fait au sérieux la proposition de Rachel. Je suis prête à faire n’importe quel travail honorable, pour gagner ma vie et celle de Rose. Pauvre Rose ! J’ai peur qu’elle ne se remette jamais de cette secousse !
— Nous verrons cela quand nous serons à Raymond, dit Rachel en souriant, au travers de ses larmes, de l’ardeur que Félicia mettait à vouloir se tirer d’affaire à tout prix.
C’est ainsi qu’au bout de quelques semaines les deux demoiselles Sterling se trouvèrent faire partie de la famille Winslow. Ce fut une amère expérience pour Rose ; force lui fut bien, cependant, d’accepter l’inévitable ; elle s’y résigna, mais avec des lamentations et une mauvaise grâce qui faisaient d’elle un fardeau pour Félicia et Rachel.
L’atmosphère religieuse dans laquelle Félicia se trouvait transportée, répondait tellement à toutes ses aspirations qu’il lui semblait être au ciel. Il est vrai que Mme Winslow n’était pas d’accord avec la direction que sa fille donnait à sa vie, mais les événements remarquables, provoqués par ceux qui se laissaient diriger par la même règle qu’elle, n’avaient pu la laisser complètement indifférente, aussi son hostilité appartenait-elle au passé.
Par contre, l’intimité était complète entre Rachel et Félicia, et bientôt celle-ci trouva une occupation spéciale dans l’œuvre du Rectangle. Elle avait insisté pour qu’on la laissât s’occuper du ménage chez sa tante, et déployé de si étonnantes aptitudes culinaires, que Virginia lui demanda de se charger de la direction de l’école de cuisine, nouvellement installée au Rectangle.
Félicia se voua à cette tâche avec le plus vif plaisir. Pour la première fois de sa vie elle éprouvait la joie de faire quelque chose d’utile pour le bonheur des autres. Sa résolution de faire toutes choses en se demandant : « que ferait Jésus », faisait vibrer les cordes les plus profondes de sa nature. Elle se développait et se fortifiait d’une manière remarquable ; Mme Winslow elle-même rendait hommage à la beauté de son caractère.
Elle observait avec étonnement cette citadine, élevée dans le plus grand luxe, cette fille de millionnaire qui allait et venait dans sa cuisine, les bras blancs de farine, parfois même un peu de farine sur le front, — car Félicia avait dans les débuts l’habitude de se frapper le front du bout de ses doigts quand elle cherchait une recette, — et qui semblait trouver tout naturel de remplir l’office d’une servante, soit à la maison, soit au Rectangle. Mme Winslow avait d’abord essayé d’une remontrance.
— Félicia, ce n’est pas votre place d’être ici, à faire un ouvrage pareil. Je ne puis pas le permettre.
— Pourquoi donc, ma tante ? N’avez-vous pas aimé mes gaufres, ce matin ? Félicia posait cette question avec un sourire malicieux, car elle connaissait le faible de sa tante pour les gaufres.
— Elles étaient parfaites. Mais il ne s’ensuit pas que vous deviez vous livrer, pour nous, à ce genre d’occupation, mon enfant.
— Pourquoi ? Que pourrais-je faire d’autre ?
Mme Winslow considéra, d’un air pensif, la belle jeune fille, aux yeux candides, debout devant elle.
— Vous ne pensez pourtant pas, Félicia, à continuer longtemps tout ceci ?
— Bien au contraire, j’y compte bien. Mon rêve serait d’ouvrir un restaurant idéal à Chicago, ou dans quelque grande ville, et d’aller dans les familles misérables des quartiers pauvres, comme le Rectangle, pour apprendre aux mères à cuisiner proprement. Je me souviens d’avoir entendu dire, un jour, au Dr Bruce, que, selon sa conviction, une des plus grandes causes de maladies, chez les pauvres, était la mauvaise préparation de la nourriture ; il prétendait même qu’on pourrait faire remonter certains crimes jusqu’à du pain aigre et de la soupe à la graisse rance. Je crois que, de cette façon, je pourrais gagner notre vie, à Rose et à moi, tout en rendant service aux autres.
Félicia devait développer ce rêve jusqu’à en faire une réalité. En attendant elle s’attirait l’affection du Rectangle, où elle était connue sous le nom de « la cuisinière angélique », mais la base de tous ses projets, comme de son développement, restait toujours la promesse faite un dimanche matin à l’église de l’avenue de Nazareth.
« Que ferait Jésus ? » Ses prières, ses espérances, ses occupations, gravitaient autour de cette question et en dépendaient, comme aussi sa plus haute ambition consistait à y conformer sa vie.
Il y avait trois mois que le Dr Bruce avait transmis à son Eglise, du haut de sa chaire, le message de la Première Eglise de Raymond. Jamais il ne s’était rendu compte, avant ce jour, de la profondeur des sentiments religieux d’une partie des membres de son troupeau. Il confessait, humblement, que son attente avait été complètement dépassée par l’accueil qu’avaient fait à son appel des hommes et des femmes, avides, comme Félicia, de mettre dans leur vie quelque chose d’autre que ce qu’ils trouvaient dans la forme toute conventionnelle de leur qualité de membres d’une Eglise.
Mais le Dr Bruce n’était pas content de lui-même et ce fut encore dans une conversation intime avec son ami, l’évêque de l’Eglise anglicane, qu’il donna un libre essor aux pensées qui pesaient sur son cœur.
— Savez-vous pourquoi je suis venu ici ce soir ? demanda l’évêque, après s’être assis, comme trois mois auparavant, dans un des fauteuils du cabinet de travail du Dr Bruce.
Celui-ci branla la tête pour toute réponse.
— Je suis venu vous confesser que je n’ai pas encore tenu la promesse, que j’ai faite à Jésus, de suivre ses traces, comme je vais être obligé de le faire pour satisfaire ma conscience.
— Et moi, s’écria le Dr Bruce, j’en suis au même point que vous ! Moi non plus, je ne suis pas satisfait. J’en suis au moins arrivé à voir clairement ma route, seulement… pour la suivre, il faut que je donne ma démission de pasteur de l’Eglise de l’avenue de Nazareth.
— Je savais que vous en arriveriez là, dit tranquillement l’évêque, et je suis venu, ce soir, vous dire que je vais démissionner également.
Le Dr Bruce se leva et se rapprocha de son ami.
— Est-ce bien nécessaire dans votre cas ? demanda-t-il avec émotion.
— Oui. Laissez-moi vous dire mes raisons, quand même je suis certain qu’elles sont les mêmes que les vôtres. Il s’arrêta un moment, puis continua avec passion :
— Calvin, vous savez depuis combien d’années je remplis les devoirs de ma charge, et vous savez quelles en sont les responsabilités et les soucis. Je ne veux pas dire que ma vie ait été exempte d’épreuves et de difficultés, mais il est certain qu’aux yeux des pauvres, des désespérés, des abandonnés de cette ville, elle aura été très confortable, et même très luxueuse. J’habite une belle maison, je dépense largement pour ma nourriture, mes vêtements et mon agrément. Je me suis souvent accordé le plaisir de faire de beaux voyages, je me suis entouré d’objets d’art, j’ai, vécu dans un milieu raffiné, jouissant de tout ce que la musique et la littérature pouvaient m’offrir de meilleur. Je n’ai jamais su ce que c’est que de manquer de quoi que ce soit. Et je n’ai pu m’empêcher de me demander constamment, ces derniers temps, à quoi j’ai renoncé pour l’amour de Christ ?
Il a été dit à Paul qu’il devrait souffrir beaucoup pour l’amour de son Maître. Maxwell est dans le vrai quand il insiste, là-bas, à Raymond, sur ce que suivre les traces de Jésus équivaut à souffrir pour Lui. Qu’ai-je donc eu à souffrir, moi ? Les petits ennuis, les mesquines épreuves de ma carrière pastorale ne valent pas la peine d’être appelés des tribulations ou des souffrances. Si je compare ma vie à celle de Paul, ou de quelqu’un des martyrs ou des premiers disciples, je suis obligé de dire que j’ai vécu dans le luxe, la paresse et le péché. Je ne puis pas supporter cela plus longtemps. La façon dont j’ai cru, jusqu’ici, suivre Jésus s’élève en condamnation contre moi. Je n’ai pas suivi ses traces. Dans l’état actuel de notre système ecclésiastique et social, je ne vois pas, pour moi, d’autre moyen d’échapper à la condamnation, que de consacrer le reste de ma vie au soulagement des misères physiques et spirituelles de la lie de notre population, telle qu’on la trouve dans la plus mauvaise partie de notre ville.
L’évêque se leva, fit quelques pas dans la chambre, puis, les bras étendus vers la fenêtre ouverte, il s’écria, en montrant la rue brillamment éclairée et le flot mouvant des passants :
— Calvin, c’est une ville terrible que celle que nous habitons. Son péché, son égoïsme, sa misère, me pèsent lourdement sur le cœur. Ce n’est pas d’hier, c’est depuis des années que je lutte avec moi-même, persuadé que le moment viendrait où je serais obligé d’abandonner mon agréable position, pour entrer en contact personnel avec le paganisme de ce siècle. L’affreuse condition des jeunes filles employées dans les grands magasins, l’égoïsme brutal de la société insolente, élégante et frivole, qui ignore les misères qui l’entourent, l’horrible malédiction des cabarets et des maisons de jeux, le cri des sans-travail, la haine vouée aux Eglises par des multitudes d’hommes, qui ne voient en elles que de belles constructions en pierre, et en leurs pasteurs que des hommes payés pour ne rien faire, tout cela me hante et me poursuit. Le bruit assourdissant de ce torrent débordant qu’est l’humanité, avec ses idées justes et ses idées fausses, ses amertumes, ses hontes et ses inexprimables souffrances, qui tiennent à tant de causes complexes, ne cesse de retentir à mes oreilles et me remplit d’une sorte de terreur : « En tant que vous ne l’avez pas fait à un de ces plus petits d’entre mes frères, vous ne l’avez pas fait à moi-même », a dit Jésus. Quand ai-je visité les prisonniers, les désespérés, les âmes perdues, au prix d’une souffrance positive de ma part ? N’ai-je pas, au contraire, borné ma vie à des besognes faciles et agréables, ne l’ai-je pas passée dans la société des membres riches, cultivés, aimables et bien élevés de ma congrégation ? Savez-vous, Calvin, que j’ai été quelquefois tenté dernièrement de me frapper moi-même avec une corde ? Si j’avais vécu au temps de Martin Luther, j’aurais offert mon dos à la torture !
Le Dr Bruce était devenu très pâle. Jamais son ami ne s’était livré, devant lui, à un pareil accès de passion. Un silence profond régnait maintenant dans la chambre. Ce fut lui qui le rompit.
— Ai-je besoin de vous dire, Edouard, que vous avez exprimé mes sentiments aussi bien que les vôtres. Tout ce que vous venez de dire, je l’ai éprouvé également. Ma vie dans ses grandes lignes, a été semblable à la vôtre. Je ne prétends pas avoir été exempt, pendant le cours de mon ministère, de désappointements, de découragements, de lourds fardeaux à porter, mais quand j’ai souffert, était-ce bien pour Jésus ? Ce verset de saint Pierre me revient sans cesse à l’esprit : « Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces », et je me sens condamné par ces paroles. La grande vague de péché et de misère de cette ville est venue se briser sans cesse contre les murailles de mon église et de la maison où nous sommes ; à peine l’ai-je entendue ; les murailles, trop épaisses, en ont atténué la clameur. Le moment est venu où, comme vous, je ne puis plus supporter tout cela. Je ne condamne pas l’Eglise, je l’aime et ne l’abandonne pas. Je crois en sa mission et n’ai aucun désir de détruire. Je désire, par-dessus tout, n’être pas soupçonné de vouloir renoncer à la communion fraternelle, mais je n’en dois pas moins renoncer à ma charge de pasteur de l’Eglise de l’avenue de Nazareth afin de pouvoir suivre les traces de Jésus ainsi que je me sens appelé à le faire. En agissant de la sorte, je ne blâme aucun autre pasteur, je ne critique aucun autre disciple. Je sens seulement, comme vous, le besoin d’entrer en contact personnel avec le mal, la honte et la dégradation de cette ville immense et corrompue.
Ce n’était pas une chose ordinaire que celle que ces deux hommes décidaient de faire. Ils étaient arrivés aux mêmes conclusions par des raisonnements identiques, et ils étaient trop sérieux, trop habitués à ne rien entreprendre à la légère, pour se faire des illusions sur les difficultés de leur position.
— Quel est votre plan ? demanda l’évêque avec un sourire qui illumina sa belle et intelligente figure.
— Mon plan est, en résumé, celui-ci : Je vais aller m’établir au centre de la partie de la ville où la misère humaine, et la nécessité d’y porter remède, me paraîtront les plus grandes. Ma femme est parfaitement d’accord avec moi, nous sommes décidés à nous placer à l’endroit où nous pourrons faire produire à nos vies la plus grande somme possible d’utilité.
— Laissez-moi vous indiquer un endroit, s’écria l’évêque avec une vivacité pleine d’enthousiasme. Il se mit à développer un plan si grandiose que le Dr Bruce, quelque capable et expérimenté fût-il, se sentit comme ébloui par la vision qu’une âme, plus haute que la sienne, faisait passer devant lui.
Ils restèrent ensemble jusque tard dans la nuit, aussi heureux que s’ils eussent combiné un voyage d’exploration, dans un pays inconnu. Souvent, dans la suite, l’évêque raconta que, dès l’instant où il s’était décidé à vivre la vie de sacrifice et de dévouement dont il avait fait choix, un poids énorme avait été enlevé de dessus ses épaules. Il rayonnait positivement, et le Dr Bruce partageait sa joie.
Leur plan consistait à louer un vaste bâtiment, autrefois occupé par une brasserie, à le réparer et à s’y établir, pour vivre au cœur même d’un territoire où les cabarets régnaient en maître, où les logements étaient les plus sordides, où le vice, l’ignorance, la honte et la pauvreté s’étalaient sous leur forme la plus hideuse. Ce n’était pas une idée nouvelle. C’était l’idée réalisée par Jésus-Christ, quand il quittait la maison de son Père et renonçait à la gloire qui lui appartenait, afin de s’identifier à l’humanité et de la séparer de son péché en le prenant sur lui.
Les colonies universitaires — ces grands établissements fondés à Londres et dans d’autres villes, par des étudiants qui vont porter la lumière dans les ténèbres du vice et de la misère — ne sont pas une invention moderne. Elle est vieille, au contraire, comme Bethléem et Nazareth. Et, dans ce cas particulier, cette forme de renoncement à soi-même était la seule qui put satisfaire ces deux hommes, avides de souffrir quelque chose pour la cause de leur Maître. C’était aussi le seul moyen, pour eux, de se rapprocher de la grande misère physique, et de la grande détresse spirituelle de l’immense cité dont la vie palpitait autour d’eux ; ils ne pouvaient leur porter remède qu’en s’identifiant avec elles, dans la mesure où il est possible de s’identifier à la misère d’autrui.
Cette voie, ils la choisissaient pour eux sans juger les autres. Ils tenaient simplement leur engagement, en faisant ce qu’ils croyaient, en toute sincérité, que Jésus aurait fait à leur place. Ils l’avaient promis. Auraient-ils pu reculer devant l’œuvre qui venait de s’imposer irrésistiblement à eux ?
L’évêque possédait une belle fortune personnelle, et le Dr Bruce avait gagné, par des travaux littéraires, menés de front avec les devoirs de sa charge, de quoi se créer une position indépendante. Ils décidèrent de mettre cet argent en commun, et d’en employer une grande partie à la location et à l’aménagement de la maison dont ils allaient faire le centre d’une mission urbaine.
Les résultats de l’engagement pris par un certain nombre des membres de l’Eglise de Nazareth ressemblaient, par des côtés, à ceux observés dans l’Eglise d’Henry Maxwell à Raymond. La congrégation entière se réveillait ; des horizons nouveaux s’ouvraient devant elle, elle comprenait la vie chrétienne d’une façon toute autre que par le passé, et pourtant, le jour où le Dr Bruce annonça sa démission du haut de la chaire, la stupeur de l’assemblée fut immense et se propagea dans toute la ville. Il en avait pourtant conféré d’avance avec ses anciens, en sorte que cette nouvelle ne leur causa aucune surprise.
Mais quand le public apprit que l’évêque renonçait également à la position qu’il occupait depuis si longtemps, pour s’en aller vivre dans le pire quartier de Chicago, l’étonnement général ne connut plus de bornes.
— Expliquez-moi donc pourquoi ce que nous nous proposons de faire vous paraît si extraordinaire ? demandait l’évêque à un ami qui essayait, les larmes aux yeux, de le faire revenir sur sa décision. Qu’y a-t-il d’étrange à ce qu’un docteur en théologie et un évêque éprouvent le désir de sauver des âmes par ce moyen-là ? Si nous renoncions à nos postes pour nous en aller à Bombay, à Hong-Kong ou en Afrique, les Eglises et tout le monde exalteraient, jusqu’aux nues, l’héroïsme des missions. Pourquoi ne consacrerions-nous pas nos vies au salut des païens et des âmes perdues, qui vivent à nos portes, dans notre ville même ? Est-ce donc un événement si stupéfiant, que deux ministres chrétiens soient désireux de se rapprocher assez des plus misérables d’entre les misérables de ce monde, pour apprendre à les connaître et à les comprendre ? Pourquoi l’amour de l’humanité ne se manifesterait-il pas sous la forme d’une œuvre de sauvetage, comme celle que nous allons entreprendre ?
Mais quoi que l’évêque pût dire pour prouver que ce qu’ils faisaient n’était pas si remarquable, le public n’en continuait pas moins à parler, et les Eglises à manifester leur étonnement, de ce que deux hommes aussi distingués pussent quitter leurs confortables demeures et renoncer volontairement à leurs agréables positions sociales, pour se vouer à une vie de labeur, de renoncement, et de souffrance. Amérique chrétienne, la stupéfaction que te causent les renoncements de ceux qui veulent sincèrement suivre les traces de Jésus, n’est-elle pas la condamnation de ta manière de considérer le christianisme ?
L’Eglise de l’avenue de Nazareth se sépara de son pasteur avec des regrets unanimes, bien que ces regrets fussent mélangés de quelque soulagement chez ceux de ses membres qui avaient refusé de prendre l’engagement. Le Dr Bruce emportait avec lui le respect d’hommes qui gardaient, au fond de leur cœur, une admiration sincère pour le courage moral, quand bien même ils se trouvaient pris dans des engrenages tels, que la fidélité à la promesse demandée eût immanquablement causé leur ruine. Ils connaissaient depuis des années le Dr Bruce comme un homme bon et sûr ; mais ils ne se le représentaient pas sous le jour sous lequel il se montrait maintenant. Ils n’eurent pas plutôt compris ses intentions, qu’ils le considérèrent comme absolument d’accord avec ses récentes convictions. Ils reconnaissaient qu’il mettait en pratique ce qu’il leur avait dit sur la manière dont il faut suivre Jésus ; et dans leur âme ils l’honorèrent comme ils ne le faisaient pas auparavant. L’Eglise de l’avenue de Nazareth n’a jamais perdu l’impulsion que le Dr Bruce lui avait donnée. Ceux qui l’avaient suivie, dès le début, ont fait passer dans la congrégation entière un souffle de vie divine et continuent, jusqu’à aujourd’hui, à travailler à l’extension de de cette vie d’En-Haut.
C’était de nouveau l’automne, bientôt l’hiver allait faire sentir ses rigueurs dans la ville. L’évêque venait de quitter la Colonie — c’est ainsi qu’on appelait couramment la grande maison qu’il habitait avec les Bruce, — dans l’intention d’aller voir quelques-uns des nouveaux amis qu’il s’était faits dans ce district. Il n’était pas encore allé bien loin, quand ses yeux furent attirés par un magasin, qui ne ressemblait à aucun de ceux du voisinage. Le quartier ne lui était encore qu’imparfaitement connu ; chaque jour il y faisait quelque découverte nouvelle, ou s’y heurtait à un spécimen de l’humanité absolument inédit pour lui.
La boutique, qui le frappait pour la première fois, occupait le rez-de-chaussée d’une petite maison, située à côté d’une buanderie chinoise. Ses deux fenêtres reluisaient de propreté, et ce fait seul les faisait remarquer de loin. A l’intérieur des fenêtres s’étalaient, sur des assiettes, des mets tout préparés. Les prix, indiqués sur des étiquettes, étonnèrent l’évêque, qui commençait à se familiariser avec les détails matériels de la vie du peuple.
Comme il restait en contemplation devant ces fenêtres, la porte qui les séparait s’ouvrit, et Félicia Sterling en sortit.
— Félicia ! s’écria l’évêque, quand êtes-vous arrivée dans ma paroisse sans que je le sache ?
— Comment m’avez-vous si vite découverte ? demanda Félicia.
— Comment ? N’avez-vous pas remarqué que ces fenêtres sont les seules, dans tout le voisinage, qui aient jamais été lavées ?
— Je crois, en effet, qu’elles sont uniques, répliqua Félicia avec un éclat de rire perlé qui fit du bien à l’évêque.
— Mais pourquoi avez-vous osé revenir à Chicago sans me le dire, et entrer dans mon diocèse sans ma permission ? demanda-t-il gaiement. Félicia ressemblait tellement au beau monde propre, raffiné et distingué, qu’il avait fréquenté autrefois, qu’on pouvait bien lui pardonner de voir en elle quelque chose du paradis perdu, dans lequel pourtant il ne désirait pas retourner.
— Je vous dirai, mon cher évêque, — Félicia l’appelait toujours ainsi quand elle était enfant, — je vous dirai que je vous savais surchargé de travail, et que je ne voulais pas vous ennuyer de mes affaires. D’ailleurs, j’ai l’intention de vous offrir mes services ; je me rendais même chez vous, en cet instant, pour vous voir et vous demander quelques conseils. Pour le moment, je suis établie avec Mme Bascom, une revendeuse qui loue trois de nos chambres, et avec une des élèves de Rachel, venue ici pour poursuivre des études de violon que Virginia Page paye pour elle. Elle est du peuple, continua Félicia, qui prononçait ces mots « du peuple » si gravement, que l’évêque sourit en l’entendant, et je tiens le ménage pour elle, en même temps que je tente un essai pour procurer aux masses des aliments de bonne qualité. Je suis experte en la matière, et j’ai des projets que je désire vous faire admirer. Voulez-vous que je vous les raconte, mon cher évêque ?
— Mais certainement que je le veux, s’écria-t-il presque ahuri par la vue de Félicia, par son entrain, son enthousiasme, et son air entendu et déterminé.
— Martha pourra se rendre utile dans la Colonie avec son violon ; moi, je vous aiderai avec mes casseroles ! J’ai voulu être établie et avoir fait mes preuves, avant de vous proposer mon concours. Je suis capable de gagner ma vie, maintenant.
— Vraiment, dit l’évêque un peu incrédule. Et comment vous y prenez-vous ? En cuisant ces choses-là ?
— Comme vous dites : « ces choses-là ». Venez plutôt les goûter, vous me faites l’effet de n’avoir pas pris un seul repas convenable depuis un mois.
Elle insista pour le faire entrer dans une petite salle où Martha, jeune fille au visage éveillé, était en train de s’exercer.
— Ne vous en allez pas, Martha, dit Félicia, voici l’évêque dont vous m’avez souvent entendu parler. Je vais lui faire goûter les produits de mon art !
L’évêque, qui depuis des semaines avait à peine pris le temps d’avaler ses repas, prit place à la petite table que Félicia dressait en toute hâte pour lui, et fit honneur, autant qu’elle pouvait le désirer, à l’appétissant goûter qu’elle plaça devant lui.
— Je savais bien, dit-elle, en le regardant manger, que vous trouveriez mon menu aussi bon que celui des grands banquets de l’Auditorium !
— Aussi bon ! Ces banquets n’étaient rien comparés à ceci. Mais il faut que vous veniez voir notre Colonie, Félicia. Je suis encore tout étonné de vous avoir découverte ici, gagnant votre vie de cette façon. Allez-vous, vraiment, vous mettre à enseigner à ces pauvres gens ce que vaut une nourriture saine ? Vous pourriez nous être d’un grand secours.
— Oui, c’est bien ce que je compte faire, répondit gravement Félicia. C’est ma tâche. Ne dois-je pas l’accomplir ?
— Ah ! que Dieu vous bénisse, mon enfant, vous et votre bon sens. Quand j’ai quitté le monde, — l’évêque souriait en prononçant ces paroles, — on y parlait beaucoup de la « femme nouvelle ». Si vous en êtes une, je suis tout gagné à sa cause.
— Ne saurait-on échapper à la flatterie, même dans les bas-fonds de Chicago ? Et Félicia se reprit à rire de son rire jeune et frais. Le cœur de l’évêque, sur lequel la tristesse ambiante pesait lourdement depuis des semaines, se dilata en l’entendant. Il était consolant ce rire, il était bon, il venait de Dieu.
Félicia était impatiente de voir la Colonie, aussi l’évêque l’emmena-t-il avec lui pour la lui montrer en détail. Elle fut confondue de tout ce que l’argent, joint à une intelligence consacrée au service de Dieu, avaient été capables de produire. Son enthousiasme ne tarissait pas, et se manifestait à chaque pas.
Ils descendirent au sous-sol. L’évêque ouvrit une porte derrière laquelle on entendait un bruit de rabot, et la fit entrer dans un petit atelier de menuiserie. Un jeune homme, vêtu d’une longue blouse et coiffé d’un béret, rabotait une planche tout en sifflant. Il leva les yeux, entendant le bruit de la porte et souleva son béret ; un petit copeau, enroulé autour d’un de ses doigts, s’accrocha à ses cheveux et y resta suspendu.
— Miss Sterling, M. Stephen Clyde, présenta l’évêque. Clyde vient nous aider deux après-midi par semaine.
A ce moment on appela l’évêque, qui s’éloigna, en laissant Félicia seule avec le jeune menuisier.
— Nous nous sommes déjà rencontrés, dit la jeune fille, en le regardant avec ses grands yeux francs et lumineux.
— Oui, « là-bas dans le monde comme dit l’évêque, répondit le jeune homme dont les doigts qui serraient le rabot tremblaient un peu.
— Je suis très contente de vous revoir, s’écria Félicia après une minute d’hésitation.
— L’êtes-vous réellement ! fit le jeune homme en devenant rouge de plaisir. Vous avez passé par de tristes choses dès lors…, il s’arrêta comme s’il craignait de lui avoir fait de la peine ou d’avoir réveillé en elle de tristes souvenirs. Mais Félicia les avait surmontés.
— Vous aussi, répondit-elle simplement. Comment se fait-il que vous travailliez ici ?
— C’est une longue histoire, Miss Sterling. Mon père a perdu sa fortune et j’ai été obligé de me mettre à travailler. C’est une excellente chose pour moi. L’évêque dit que je dois en être reconnaissant et je le suis. Je suis très heureux maintenant, j’ai appris un peu de menuiserie dans l’espoir de pouvoir me rendre utile ici ; mais je suis, en réalité, secrétaire de nuit dans un des grands hôtels de la ville. Ce certain dimanche matin où vous avez pris l’engagement à l’Eglise de l’Avenue Nazareth, je l’ai pris également !
— Je l’ignorais, dit lentement Félicia, mais j’en suis bien, contente.
L’évêque rentrait justement et il emmena Félicia, laissant le jeune menuisier à son ouvrage, qu’il reprit en sifflant plus fort qu’avant.
— Félicia, dit l’évêque, aviez-vous vu Stephen Clyde ?
— Oui, mon cher évêque, « là-bas dans le monde ».
— Ah ! fit-il.
— Nous étions très bons amis, continua Félicia.
— Mais rien de plus ? risqua l’évêque.
Félicia devint toute rose, mais elle répondit très franchement :
— Non, non, vraiment… rien de plus.
Ce serait la chose la plus naturelle, aux yeux du monde, si ces deux jeunes gens venaient à s’aimer, se disait l’évêque, quand Félicia l’eut quitté, et quelque chose de l’ancienne douleur que lui avait causée autrefois la mère de la jeune fille, fit tressaillir son cœur. Il se prit à songer à l’avenir de Félicia et, peu à peu, il se laissa aller à espérer pour elle le bonheur que donne un amour partagé. Après tout, se dit-il, en homme bon et sensible qu’il était, le roman ne fait-il pas partie de l’humanité ? L’amour est plus ancien que moi… et plus sage.