L’Ecriture n’est cependant pas la seule « révélation extérieure, » avec laquelle nous ayons à comparer le résultat de notre analyse. Nous avons encore devant nous la révélation qui découle de la vue de la nature.
Que le Dieu de la nature soit bien Celui dont nous avons senti l’action s’exerçant au dedans de nous, c’est ce qui ressort ne fût-ce que de ce fait, que nous sommes, nous hommes, une portion intégrante de cette nature. Ce qui peut-être est moins évident, c’est que, sous certains rapports, l’œuvre directe de Dieu se fait voir de plus près dans la nature extérieure que dans notre être intérieur ; c’est que l’évolution de vie dans laquelle nous reconnaissons cette œuvre, nous la montre plus clairement que ne la décrit le témoignage de l’Ecriture. Le fait est que celle-ci, — tout comme aussi notre conscience morale, — se borne à affirmer les manifestations de cette vie ; qu’elle n’en expose devant nous ni la genèse ni les progrès successifs.
Il est en particulier un fait, dans l’histoire de cette vie, sur lequel il semble que l’étude attentive du monde des sens soit peut-être à même de jeter quelque jour. Je veux parler de cette dualité dans notre vie personnelle, — de ces deux formes de vie morale au dedans de nous, — dont témoigne l’Ecriture et dont, comme nous l’avons vu, nous avons nous-mêmes conscience.
Quelle idée pouvons-nous nous former de ce fait, le plus intime de tous les faits de notre existence actuelle, lequel, résidant encore instinctif, latent, potentiel, au point de départ de ce qui est l’objet en nous de la perception de l’obligation morale, deviendrait ensuite conscient de lui-même, et capable dès lors d’un développement ultérieur ?
De plus, comment pouvons-nous rattacher cette crise si décisive et si caractérisée de notre propre vie, à ce qui serait une œuvre de Dieu en nous ? Quel rôle assignerons-nous à l’action divine, dans ce que nous avons entendu l’Ecriture appeler notre « régénération ? » Quelle image un peu plausible pouvons-nous arriver à nous faire de cette vie morale, dont nous avons conscience comme d’une portion de notre existence personnelle, et dont nous sentons pourtant qu’elle ressortit à une sphère éternelle qui nous est devenue étrangère ? Comment se fait-il que, sans cesser d’être hommes, nous puissions « recevoir le droit d’être appelés enfants de Dieu ? » Qu’est-ce donc que ce fait de vie humaine capable de devenir une vie éternelle, et dont la présence en nous n’empêchera pourtant pas, en dépit de ses origines, que l’existence au centre duquel il subsiste ne devienne toujours plus une persistance dans la mort ?
Evidemment, la question qui domine ce problème, est celle de la vie et de ses origines. En particulier, c’est cette question-ci : peut-on concevoir comme un fait de vie personnelle, — bien mieux ! comme le fait d’une vie personnelle destinée soit à s’éteindre en nous, soit à s’y développer comme notre vie éternelle, — ce qui n’est tout d’abord qu’un fait instinctif ? ce qui s’annonce en nous comme un principe de vie caractérisé, il est vrai, mais aveugle et privé de la conscience de lui-même ?
Sans doute, ce ne sera jamais au moyen d’une analyse directe, que nous pourrons aborder l’étude de ce qui n’est ainsi à ses débuts qu’un pur instinct. Ne nous sera-t-il pas cependant permis de l’apprécier par voie d’analogie, c’est-à-dire à l’aide d’autres faits de vie dont l’évolution demeurerait plus accessible à notre observation ?
Ce qui semble nous indiquer cette voie, c’est l’exemple de notre Seigneur lui-même. Nous le voyons, en effet, lorsqu’il s’agit de nous expliquer les faits de la vie spirituelle de l’âme, avoir recours aux faits de cette vie physique dont l’évolution a lieu sous nos yeux. Faisant appel à cette conviction de tout homme qui croit au Dieu créateur : que l’œuvre divine est une comme la pensée de son auteur, — le Seigneur Jésus n’hésite pas à enseigner le côté invisible de l’action de Dieu, au moyen des manifestations visibles de cette même action. C’est ainsi que « les lys des champs » et « les oiseaux du ciel, » lui servent à démontrer la vigilance, la toute présence, et la bonté de Dieu. C’est ainsi que les diverses phases de la vie d’un champ de blé, lui aident à faire voir les dangers qui menacent la vie spirituelle dans les cœurs, comme aussi le but auquel cette vie est destinée à atteindre. En particulier c’est ainsi que, dans sa mémorable rencontre avec les Grecs, il se borne, pour leur annoncer le Dieu vivant, à les renvoyer à cette vie de la nature, qu’ils croyaient cependant avoir si complètement appréciéed.
d – L’auteur a publié une étude de ce fait spécial dans le Chrétien évangélique, d’octobre 1878. (Ce même article a été ajouté à la fin du présent ouvrage. ThéoTEX)
C’est spécialement ce mot de Jésus aux Grecs, qui nous montre jusqu’à quel point la nature visible, si nous savons la comprendre, est propre à nous faire discerner l’évolution de notre vie spirituelle. La question qui est mise devant nous, ne concerne en effet nullement le caractère essentiel de ce fait de vie intérieure. Sous ce rapport, la vie de la nature visible ne saurait rien nous apprendre. Ce que nous cherchons à saisir, c’est l’histoire de ce fait de vie ; c’est sa genèse, c’est son évolution progressive au dedans de nous. Voici, à cet égard, la question dont il s’agit :
Tout premièrement, notre vie éternelle existe-t-elle, a-t-elle commencé en nous, avant notre régénération ? Ce dernier fait ne serait-il alors chez nous que la prise de possession, — que l’avènement de la conscience réfléchie, — de notre vie éternelle ? même avant le moment où, comme dit l’Ecriture, le nous recevons le droit d’être appelés « enfants de Dieu, » l’étions-nous déjà dans ce sens, que nous étions alors « de race divine ? » Si tel est le cas, quelle est la valeur de ce fait de vie primitif et originaire, qui a ainsi persisté au dedans de nous en dépit de notre péché et de notre exil hors du paradis de Dieu ?
De plus, au cas où la régénération n’aurait pas lieu en nous, qu’advient-il de ce principe inconscient de la vie divine ? Un fait de vie divine n’est-il pas, en lui-même, et dès son début, un fait permanent, et même indestructible ?
Il n’est personne qui ne voie la portée de ces questions pour la doctrine du salut, en tant que cette doctrine est impliquée dans la nature, et dans l’histoire, du fait moral qui subsiste au dedans de nous.
Or, à cet égard, notre conscience et l’Ecriture elle-même se bornent à nous placer devant les faits. Ni l’une ni l’autre ne nous les expliquent. En particulier l’Ecriture, dont le témoignage va plus loin que celui de la conscience, n’emploie ici qu’un langage figuré, dont la compréhension dépendra nécessairement du degré de connaissance qu’on posséderait déjà des faits sensibles eux-mêmes.
C’est en face, ou de ce silence ou de ces paroles problématiques, que la vue de la nature semble, sinon nous dicter, du moins nous faire pressentir, une solution du problème qui est mis devant nous.
Une des branches des sciences naturelles qui a donné lieu de nos jours aux plus brillantes découvertes, c’est l’embryogénie, ou l’observation des premières manifestations de la vie organique dans les plantes et dans l’animal. Il m’est impossible de m’étendre ici sur des faits dont l’exposition la moins complète exigerait de longs détails, et des connaissances préalables que je n’ai pas. Il suffira de rappeler, à ceux de vous qui ont présent à l’esprit le résultat de ces recherches, un fait qu’ont mis en lumière les micrographes modernes, dans leurs études sur les œufs des animaux appelés « inférieurs ; » œufs qui, à cause de leur transparence, permettent l’observation directe des premières manifestations de la vie dans le germe.
Ce fait, c’est la présence, déjà dans l’œuf non fécondé, d’un phénomène positif de vie animale. Ce phénomène de vie, qui se trahit par une pulsation irrégulière, inégale, intermittente, est destiné à cesser au cas où la fécondation n’aurait pas lieu. Cette « vie » s’éteint alors peu à peu ; et le travail de la décomposition, — qu’on pourrait appeler, au point de vue de l’organisme dont il s’agit, une évolution en sens inverse, ou une vie progressant vers la mort, — ne tarde pas à faire son apparition. Du moment, au contraire, où cet œuf est soumis au contact de l’élément fécondant, ce premier mouvement de vie se régularise. Le germe, qui était déjà « vivant, » mais d’une vie marchant à la décomposition, — ce germe commence aussitôt, avec une énergie progressive et soutenue, à s’assimiler la matière qui l’entoure, et la vie d’une nouvelle individualité a inauguré, dans notre univers, la série de ses manifestations.
Voici donc, sous nos yeux, aux débuts d’une même vie, l’apparition successive de deux faits bien distincts.
L’un, que nous pouvons nous contenter d’appeler un fait d’existence, est celui dans lequel ce qui va devenir une vie individuelle se manifeste déjà par un effort irrégulier, intermittent, et bientôt impuissant. C’est le fait initial. Laissée à elle-même, cette forme de vie est destinée à faire bientôt place à ce qui en sera la cessation, et même la négation directe.
Le second de ces faits, c’est cette même vie s’affirmant et devenant le principe d’une nouvelle activité ; inaugurant dès lors un progrès soutenu, en assimilant à ses organes les éléments du milieu qui l’entoure, et qui, sans cela, était, lui aussi, voué à la décomposition.
C’est, de plus, le passage de la première à la seconde de ces deux formes de la même, vie, grâce à l’intervention d’un agent, semblable mais supérieur, à celui dans lequel résidait cette vie initiale qui, sans cette intervention, eût été absolument inhabile à persister.
Ces faits de la genèse de la vie animale, ne semblent-ils pas comme une parabole vivante des faits spirituels que nous venons de considérer avec vous ? Il est difficile de ne pas rappeler ici l’unanimité et la persistance avec lesquelles les témoins du salut, dès qu’il est question du rapport entre le Dieu de ce salut et l’homme, — et cela aussi bien dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau, — replacent toujours devant nous l’image d’un connubium, ou d’une union personnelle mystique, dans laquelle l’âme humaine est appelée à devenir « l’épouse » de son Dieu. Vous vous rappelez le mot de Paul à ce sujet, lorsqu’il parle de ce « mystère » dont il dit posséder une intelligence spéciale, mot devant lequel nous sommes toujours de nouveau saisis d’une émotion involontairee.
e – Éphésiens 5.32 ; comp Éphésiens 3.3-5 et le ch. 2.
Ce n’est pas ici le lieu de toucher au côté passionnel de ces images. Elles sont devenues familières, sous ce rapport, au langage de la dévotion. Je ne les rappelle ici qu’au point de vue de la vérité métaphysique qu’elles impliquent.
Il est de fait que, sous prétexte d’accentuer la sainte vérité de la souveraineté de Dieu dans son œuvre, on a trop souvent perdu de vue le fait que cette œuvre souveraine a eu ses premiers débuts dans la création même de l’homme. Elle s’est montrée alors dans une vie, dont le péché est venu sans doute plus tard arrêter le développement, mais que ce péché n’a cependant pas tout d’abord, ni même jusqu’ici, entièrement détruite. On a, de la sorte, négligé la part qui revient à l’homme lui-même dans l’œuvre de sa régénération. On a oublié que, pour pouvoir ainsi renaître, ou naître de nouveau, il faut que l’homme possède déjà une vie capable de tout ce qui devra acheminer cette nouvelle naissance. On a perdu de vue ce fait que, si l’homme est sans doute la victime, et même la victime consentante, du péché, il n’en est ni l’auteur, ni encore moins l’inventeur. Séduit par le tentateur, il est sans doute en danger, s’il ne lui est pas arraché, de devenir comme lui l’ennemi de Dieu. Il est cependant si loin d’avoir débuté par là, que c’est la pensée « d’être semblable à Dieu, » qui l’avait porté à lui désobéir. Encore à l’heure qu’il est, c’est bien un germe de vie céleste qui est à la racine, chez lui, de ces aspirations grâce auxquelles il sera encore susceptible de « naître de nouveau, » et cela de nouveau par l’opération de l’Esprit de Dieu. De là ce fait que quand, du sein de son égarement il se lève pour retourner vers son Père, c’est qu’il avait commencé par « revenir à lui-même. »
C’est à ce germe de vie dans l’homme pécheur et égaré, que rend témoignage la conscience de l’obligation morale. On voit l’importance capitale d’une saine appréciation de cette œuvre de la conscience. Au lieu de s’imaginer glorifier Dieu, en sacrifiant la pensée de cette conscience à une préoccupation exclusive de la grâce, il faut avoir compris que ce dont la conscience témoigne en nous, fait au contraire déjà partie de cette grâce. Ce n’est que de la sorte qu’on arrivera à comprendre comment, dans l’Ecriture, la foi, par exemple, nous est représentée aussi bien comme l’œuvre de Dieu en nous, que comme l’œuvre que Dieu attend de nous.
Je vous rends donc attentifs à ce qui découle de ces remarques, pour la réponse à faire à cette question : Comment concevoir une vie éternelle, — une vie provenant non pas, il est vrai, directement de Dieu lui-même, mais cependant « du souffle de Dieu, » — qui, si elle n’est pas ultérieurement soumise à une action de l’esprit fécondateur et créateur, est destinée à s’éteindre, en entraînant sinon la cessation immédiate, du moins la décomposition graduelle, de l’existence dont cette vie constituait la raison d’être ?
Nous contentant de ces quelques mots sur un sujet qui, parce qu’il touche à l’apparition et au développement de la liberté dans l’être humain, demanderait à être traité pour lui-même, et avec une attention spéciale, — nous concluons, du coup d’œil jeté avec vous soit sur le témoignage des faits sensibles, soit sur celui de l’Ecriture : que ces deux révélations extérieures s’accordent, aussi bien dans ce qui concerne la doctrine sur l’homme qu’à l’égard de la doctrine sur Dieu, avec les données de la révélation intérieure dont nous sommes redevables à la perception de conscience.