Samuel mourut. Tout Israël s’étant assemblé le pleura… Samuel dit : Pourquoi donc me consultes-tu, puisque l’Éternel s’est retiré de toi ?
Samuel mourut dans sa ville de Rama, à un âge qui n’est pas indiqué, mais qui doit avoir été fort avancé.
Après sa rencontre avec David, dans Najoth, son nom a de nouveau disparu des récits sacrés. L’histoire du fils d’Isaï et des épreuves qu’il eut à subir nous est seule racontée. Alliance de David avec Jonathan ; séjour chez Abimélec, puis à Gath ; massacre de la famille d’Abimélec à la suite de la trahison de Doëg (et d’un mensonge de David) ; retraites du proscrit à Keïla, dans le désert de Ziph, dans la caverne d’En-Guédi – tel est, en substance, le contenu des chapitres qui séparent l’épisode de Najoth du décès de Samuel.
Cette mort, deux lignes seulement la signalent à notre attention. « Samuel mourut. Tout Israël s’étant assemblé le pleura, et on l’enterra dans sa demeure à Rama. » Ce verset est répété presque textuellement au chapitre vingt-huitième (v. 3). Mais c’est tout. Point d’oraison funèbre. Pas même la caractéristique générale ou le résumé rapide d’une vie qui traça, pourtant, un sillon si profond dans l’histoire des Hébreux. La Bible procède volontiers ainsi. Elle ne s’était pas étendue davantage sur la mort d’Aaront ; pas beaucoup plus sur celle de Moïseu. Jamais elle n’exalte l’homme, pas même le plus éminent des serviteurs de Dieu. En face du tombeau, mais surtout en face du Saint des Saints, les éloges lui paraîtraient une impiété. Qu’elle a raison, n’est-ce pas ? Point de panégyriques ; point de mausolées, et le moins possible d’épitaphes. A quoi bon s’efforcer piteusement de « porter jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant ? » pour parler avec Bossuet. Une ou deux courtes lignes suffisent à l’écrivain sacré. Et ce n’est pas sec, pourtant ; ce n’est pas dur. C’est un souvenir du père de famille, qui ne croit point perdu l’enfant entré dans la patrie d’En-haut. Aaron mourut ; Moïse mourut ; Samuel mourut. Cela nous redit, dans les pages immortelles de l’Écriture, que « la mort de ceux qui l’aiment a du prix aux yeux de l’Éternelv. »
t – Nombres 20.28-29.
v – Psaumes 116.15.
Reprenez d’ailleurs chaque mot de cet avis mortuaire ; vous y trouverez plus d’un enseignement. « Tout Israël s’étant assemblé pleura Samuel. » Tout Israël. Pour un temps, ces tribus agitées et volontiers jalouses oublièrent leurs dissentiments. Elles s’assemblèrent dans un élan unanime de reconnaissance pour le grand homme qu’elles avaient perdu. Aux cris de guerre qu’elles avaient poussés contre l’ennemi commun, et quelquefois aussi les unes contre les autres, ont succédé des larmes sincères, des pleurs qui valent beaucoup de discours. Israël avait beau être un peuple de col roide. Il savait pourtant que, depuis Moïse, il n’avait pas eu un chef comparable à son juge de Rama. Josèphe, à coup sûr, exprime bien les sentiments de sa nation entière lorsqu’il écrit : « Le deuil prolongé du peuple, l’empressement qu’il montra à faire à Samuel d’honorables funérailles, prouvèrent quelle était sa valeur et quelle estime il avait acquise au milieu des siens. On l’enterra dans sa patrie, à Rama, et on le pleura pendant bien des jours, non seulement comme si l’on pleurait sur un malheur général, mais comme si chaque citoyen déplorait une perte qui lui fût personnelle. Car c’était un homme juste, d’un caractère excellent, et particulièrement cher à Dieuw. »
w – Jos. Antiq. VI, 13, 5. Saül s’est-il joint à ces manifestations de deuil provenant de tous ses sujets ? Il est difficile de penser qu’il en ait été autrement, et il n’en est pas moins étrange que le texte n’en dise rien.
La courte notice qui mentionne le décès du prophète ajoute encore qu’il fut « enterré dans sa demeure. » Il faut entendre par là quelque place, – cour ou jardin, – attenante à la maison. Une indication du même genre se retrouve à la mort de Joabx, et à celle du roi Manassé ; dans ce dernier cas, le jardin de la maison est expressément nommé comme le lieu de la sépulturey. C’est une inhumation très analogue que nous retrouvons, lorsqu’il s’agit de notre Sauveur ; son corps aussi fut déposé dans un jardin particulier. Si enfin, nous nous adressons aux légendes, nous en trouverons de deux sortes. Celle des musulmans montre le tombeau de notre voyant à l’emplacement nommé Nebi Samwil. Une mosquée le désigne à l’attention du voyageur. L’Église romaine, d’autre part, adoptant un récit de saint Jérôme, veut que la dépouille mortelle du fils d’Elkana ait été transportée à Chalcédoine, en l’an 406 de notre ère. Elle aurait été plus tard déposée, en grande pompe, à Constantinople. Cela paraît, en somme, fort peu probable. Ce qui est à peu près impossible, c’est que les restes du prophète aient jamais été inhumés à Mitspa, ainsi que le prétend une dernière tradition.
x – 1 Rois 2.34.
y – 2 Rois 21.18.
Mais vous l’avez observé, mes amis. L’histoire de Samuel ne finit pas avec sa mort. Comme Moïse et comme Élie les deux héros de l’ancienne alliance avec lesquels il a le plus de rapport, il avait encore une mission à remplir, après avoir quitté la terre. Non pas, il est vrai, la tâche glorieuse de saluer le Messie sur le mont de la transfiguration, et de s’entretenir avec lui « de son départ qu’il allait accomplir à Jérusalemz. » Mais le mandat plus effrayant d’annoncer une dernière fois à un roi rebelle le jugement de Jahveh. C’est ce que nous raconte le chapitre vingt-huitième de notre livre, l’un des plus difficiles, l’un des plus sombres et pour le fond et pour la forme. Essayons toutefois d’en comprendre les traits essentiels.
z – Luc 19.31.
Et d’abord le cadre, à la fois historique et topographique.
Les Philistins viennent de faire contre Israël une levée générale. Leurs forces, très nombreuses, se sont établies à Sunem, dans la tribu d’Issacara, au pied du versant ouest du petit Hermon. Elisée illustrera plus tard cette même localité par de fréquents séjours et par la résurrection d’un jeune hommeb. C’est aujourd’hui le village de Sulem.
a – Josué 19.17-18.
Saül, d’autre part, a aussi rassemblé son armée. Mais le bonheur des anciens jours n’est évidemment plus attaché à ses drapeaux. Ses bataillons, d’abord, ont beaucoup diminué. Il résulte d’un curieux passage des Chroniques que les meilleurs guerriers d’Israël, quittant la fortune chancelante du monarque, accouraient auprès de David à Tsiklag. Ils grossissaient en une telle mesure les rangs de sa troupe, d’abord minime, qu’il finit par avoir « un grand camp, comme un camp de Dieuc. » C’était autant de soldats perdus pour Saül. – Sa position, ensuite, n’est pas sans périls. Sans doute elle est élevée, et lui permet de discerner sans grande peine les mouvements de l’ennemi. Guilboa est une chaîne de collines, d’une altitude moyenne de quatre cents mètres, traversant une portion de la tribu d’Issacar. Elle court au sud-est de la plaine de Jizréel ; on y rencontre encore le village de Dschelbon, reste probable de celui de Guilboa, et qui pouvait fournir à des assaillants un point d’appui d’une certaine valeur. Mais, placé de la sorte à neuf ou dix kilomètres des Philistins, Saül paraît leur avoir présenté une ligne trop étendue et qui leur rendait facile une manœuvre tournante. Il s’exposait de la sorte à n’avoir pas de retraite possible.
c – 1 Chroniques 12.1-22.
Au surplus, nous n’entendons pas raconter maintenant cette dernière campagne du fils de Kis. Nous n’en voulons retenir qu’un épisode, qui la prépare et qui nous fait assister à une entrevue particulièrement solennelle entre le prophète et le roi. Or, avant d’esquisser cette scène, l’historien mentionne, comme en passant, un acte de Saül qui sert à nous mieux faire saisir ce qui suit. A une époque indéterminée de son règne, le prince « avait ôté du pays ceux qui évoquaient les morts et ceux qui prédisaient l’avenir. » On a supposé, quelquefois, que cet acte de haute justice, accompli peut-être d’une façon barbare, avait coïncidé avec la mort de Samuel. Frappé par ce décès qui le privait de son meilleur conseiller, effrayé de l’isolement qui en résultait pour lui, et sachant bien qu’il était l’objet de la réprobation de Dieu, Saül aurait essayé de forcer en quelque sorte les faveurs célestes en relevant un article de loi tombé en désuétude. On tolérait depuis longtemps les sorciers dans ses états ; la loi les prohibait ; leur donner la chasse devait bien être un sûr moyen de rentrer en grâce auprès du Législateur… Ce n’est pas tout à fait, j’en conviens, Louis XIV envoyant les huguenots aux galères pour faire excuser ses débordements ; car Dieu même condamnait les diseurs de bonne aventure et commandait de les détruire. Mais les deux calculs ont pourtant grande analogie. Le seul acte d’obéissance qui eût sauvé Saül, c’eût été, répétons-le, la conversion. Seulement il ne veut pas se convertir. Combien il est plus simple de faire égorger quelques devins !
Ces personnages un peu mystérieux, pas mal surfaits, et surtout nullement intéressants, se partageaient en gens qui évoquaient les morts et gens qui prédisaient l’avenir. Les premiers étaient appelés oboth, et ce terme, pluriel du substantif ob, désigne les esprits revenus sur la terre ; plus particulièrement encore, les esprits qui étaient censés demeurer dans les enchanteurs ; finalement les enchanteurs eux-mêmes, les nécromanciens, doués soi-disant du pouvoir de s’entretenir avec les morts. La version grecque des Septante traduit le mot par « ventriloque ; » nos anciennes versions françaises par « esprit de Python, » ainsi que nous le lisons encore dans le livre des Actesd. Ce dernier nom est emprunté à la mythologie grecque, d’après laquelle la peau du serpent Python, tué par Apollon, aurait servi à recouvrir le trépied de la Pythie, à Delphes. L’esprit de Python était l’esprit révélateur dont on supposait la prêtresse inspirée. Avoir l’esprit de Python, c’était se mêler de nécromanciee.
d – Actes 16.16.
e – Voir Jos. Antiq. XIV, 6, 2.
Quant à ceux qui se donnaient pour prévoir l’avenir, l’hébreu les nommait Jédihim, de la racine jadah, savoir. Ce sont donc « les sachants, » ou du moins ceux qui s’attribuent le savoir. En langage familier, les diseurs de bonne aventure. – Deux classes d’assez pauvres sujets.
En les faisant disparaître de son royaume, Saül avait simplement remis en vigueur un arrêté très précis de la loi mosaïque. « Si un homme ou une femme, – lisons-nous au livre du Lévitiquef – évoque les esprits ou se livre à la divination, ils seront punis de mort ; on les lapidera ; leur sang retombera sur eux. » Et encore, au livre du Deutéronomeg : « Qu’on ne trouve chez toi personne qui exerce le métier de devin… personne qui consulte ceux qui évoquent les morts ou disent la bonne aventure, personne qui interroge les morts. » Mais l’acte de justice accompli par le roi n’a point calmé sa conscience. Loin de là. Il a peur, grand’peur. Moins, peut-être, des bataillons ennemis qui campent dans la plaine, que de cet autre adversaire qu’il pressent vaguement derrière les Philistins, et qui n’est autre que l’Éternel. Il a deviné que Dieu n’est plus avec lui, comme il l’était aux jours glorieux de sa campagne contre les Ammonites. Il n’a plus ni cet entrain ni cette confiance qui sont déjà la moitié de la victoire. Le soleil si brillant des premières années est couché. Le ciel est chargé d’orages ; il fait noir partout.
f – Lévitique 20.27.
g – Deutéronome 18.10-12.
Saül a cependant essayé de sortir de ces ténèbres. Il a consulté. Non pas l’Éternel, à ce qu’observe, d’une manière en quelque sorte vengeresse, l’auteur du premier livre des Chroniquesh. Mais du moins les représentants de l’Éternel. En vain. Il n’est point venu de réponse. Point de songes révélateurs. Point de prophètes : comme il a rompu avec le Maître il a rompu aussi avec les disciples, et les écoles des prophètes n’ont point de nouveau Samuel à lui envoyer. Point de prêtres : il les a massacrés en masse dans un accès de folle colère. Lequel d’entre eux, aujourd’hui, lui parlerait par le moyen de l’Urim ?
h – 1 Chroniques 10.14.
Encore un terme qu’il convient d’expliquer. Il n’est pas complet. Habituellement il se rencontre sous la forme : Urim et Thummim ; et l’on a discuté à perte de vue pour découvrir le sens le plus probable de cette expression. On n’est pas arrivé à grand’chose. Un passage de l’Exodei semble indiquer qu’il faut entendre par là deux objets qui devaient être joints au pectoral. Mais quels objets ? Nous l’ignorons. Urim est un mot pluriel qui veut dire « lumières. » Thummim, pluriel aussi, signifie « perfections. » Employés et réunis lorsqu’il s’agit de consulter le Seigneurj, indiquent-ils l’un la lumière absolue qui procède de Dieu, représentée par l’ensemble de ses rayons ; l’autre la perfection sans égale, la réunion de toutes les faces de la vérité, dans les sentences que Dieu rend ? C’est possible. Nous n’affirmons pas ; les données nous manquent. Est-ce que cette lumière et cette perfection étaient rendues sensibles aux regards par les rayons multicolores que lançaient les douze pierres du pectoral ? Supposition encore. Peut-être supposition ingénieuse ; mais rien de plus.
i – Exode 28.30.
j – Nombres 27.21.
Reste ce fait. L’urim et le thummim dépendaient du pectoral, donc de l’éphod. On ne pouvait dès lors y recourir qu’en s’adressant au grand prêtre. Or, au moment où nous arrivons, l’éphod a été porté dans le camp de David par Abiathar, après le massacre des prêtresk. Il n’a donc pas été possible à Saül d’y avoir recours. Ses habitudes autoritaires rendent admissible l’hypothèse qu’il se serait ingéré cette fois encore dans les affaires du culte, et aurait ordonné la fabrication d’un éphod nouveau à son intention. C’eût été, toutefois, bien hardi. Et je ne sais vraiment pas si la phrase : « L’Éternel ne lui répondit point par l’urim » signifie que le prince ait essayé de cette consultation-là. Je croirais volontiers que Dieu la lui refusa même avant qu’il l’eût demandée. Car entre l’Éternel et Saül il y avait le sang de quatre-vingt-cinq sacrificateurs, qui s’élevait en témoignage contre le roi, comme autrefois le sang d’Abel contre Caïn.
Que faire ? Ce qui se fait partout où la foi manque : Recourir à la superstition. Le roi d’Israël ne veut pas s’humilier devant l’Éternel. Il va se faire tout petit devant des séducteurs dont il savait parfaitement les habitudes trompeuses, et dont il s’était efforcé d’exterminer la race. Oh ! je veux bien qu’il ait passé par une grande lutte intérieure avant d’en venir là. Malheureusement, il était vaincu d’avance. A qui ne veut pas Dieu, surtout après l’avoir connu, il ne reste plus que les sorciers. Et l’on vient à eux. C’est presque fatal. Disons mieux : c’est écrit dans les plans de Dieu.
Il restait dans le royaume un de ces tristes personnages : une femme. Pour la découvrir, Saül a dû s’abaisser jusqu’à confier à ses domestiques sa détresse et son désir. « Cherchez-moi une femme qui évoque les morts… » On l’a cherchée, et on l’a trouvée, bien cachée à En-Dor. C’était dans la tribu de Manassé, au nord du petit Hermon, à quatre heures environ de Guilboa et à trois quarts d’heure de Sunein. En-Dor, comme tant d’autres villes dont les habitants cananéens n’avaient jamais été complètement expulsés par les Israélites, possédait une de ces populations mixtes qui deviennent aisément un nid d’idolâtrie.
Saül prend, sans tarder, la résolution de s’y rendre. Il se déguise, d’abord. Son travestissement n’est que l’image de la fausseté de son cœur. Il se fait accompagner par deux hommes. Il part, probablement à la chute du jour… Quelle marche ! mes amis. Quel contraste avec celle qu’il avait faite, jadis, de Rama jusqu’à Guibea-Elohim, alors qu’il s’en allait à la rencontre d’une couronne. Il s’en va, aujourd’hui, au-devant d’un scandale, s’il est reconnu par ses gens ; d’une captivité dégradante et peut-être d’un supplice, s’il est surpris par une patrouille ennemie ; en tout cas au-devant d’un malheur, car il n’est pas dans le chemin de Dieu. Autrefois, l’Esprit de l’Éternel était avec lui ; il n’est maintenant inspiré que par l’esprit du mal.
Toujours despote, jusque dans sa déchéance, Saül commande à la diseuse de bonne aventure d’exercer son art en sa faveur. « Prédis-moi l’avenir, » ordonne-t-il. « Évoque un mort. Fais-moi monter celui que je te dirai… » La parole est encore hautaine. Mais la voix est troublée déjà et presque éperdue.
La devineresse n’est pas sans appréhension. Elle rappelle à son visiteur nocturne les mesures prises par le roi contre les devins. Quant à ce client étrange, évidemment elle ne le connaît point. Comment l’aurait-elle pu ? Qui aurait deviné Saül, le beau Saül, sous ce déguisement à peine estompé par les lueurs d’une lampe fumeuse ? Eh bien ! le prince a le courage peu enviable de rassurer la sorcière par un serment au nom de Dieu. Je ne sais rien de plus navrant, ni qui révèle mieux à quel degré d’aberration est tombée l’âme de celui qui fut un jour compté au nombre des prophètes. Au nom de l’Éternel jurer qu’on ne fera pas ce que l’Éternel commande ! Car c’est bien cela ; et si ce n’est pas fou, c’est odieux. Nous savons les peines prononcées contre les nécromanciens. Saül les ignorait moins que personne, puisqu’il les avait très énergiquement remises en vigueur. Lui, gardien de la loi, il s’engage par serment à ne pas l’exécuter. « Aussi vrai que l’Éternel vit, » il ne fera aucun mal à cette femme, que l’Éternel lui enjoignait à tout le moins d’expulser, aussitôt découverte. C’est bien ici, en vérité, que son impiété se consomme et que sa condamnation est résolue. A cause de cette consultation et de cette promesse, il mourra. C’est l’explication précise que l’auteur des Chroniques donne de sa fin : « Saül mourut, parce qu’il se rendit coupable d’infidélité envers l’Éternel… et parce qu’il interrogea et consulta ceux qui évoquent les mortsl. »
l – 1 Chroniques 10.13.
Je ne serais point étonné que ce serment du roi, imprudent autant que blasphématoire, ait éveillé quelques soupçons dans l’esprit de la devineresse. Un personnage très haut placé en Israël pouvait seul le prendre sur ce ton, et s’engager avec une pareille énergie. De là à pressentir le roi dans ce personnage, il n’y avait peut-être pas loin. Qui veut trop se cacher se trahit presque toujours.
La femme, d’autre part, se montre à la hauteur de son vilain métier. Elle ne doute de rien. – « Qui veux-tu que je te fasse monter ? » dit-elle avec assurance. Prince ou valet, il ne m’importe ; mon pouvoir s’étend sur tous les morts. – Elle ne s’attendait pourtant pas à ce qui allait arriver. Saül, dont le choix était fait d’avance, demande à voir Samuel.
L’expression « faire monter, » employée couramment ici, soit par la sorcière soit par le prince, ne doit pas nous étonner. Elle a son explication dans la croyance générale des Hébreux relativement au séjour des âmes après la mort. Ils l’appelaient le Scheol (probablement « le lieu qui demande, » c’est-à-dire le « lieu avide ») et le plaçaient dans l’intérieur de la terre. Pour en sortir il fallait donc « monter. » La même idée se retrouve, au reste, chez les Latins qui désignent par inferi, « enfers, » le séjour des décédés ; et inferi signifie littéralement « les lieux bas. »
La femme d’En-Dor a-t-elle arrangé quelque sortilège, usé de quelque incantation pour faire sortir de ce séjour l’âme du prophète de Rama ? On a supposé qu’elle avait jeté sur un brasier des poignées d’encens, prononcé ensuite, à travers les vapeurs bleuâtres qui s’élevaient, des formules magiques et des prières mystérieuses. Il se peut. Le texte pourtant n’en dit rien. La rapidité très grande, probablement aussi très intentionnelle du récit, ouvre plutôt la porte à d’autres suppositions. Il ne semble point que le temps de faire de la magie ait été laissé à la malheureuse. Entre la fin du verset onzième qui reproduit l’ordre du roi : « Fais monter Samuel ! » et le début du douzième, qui mentionne l’effet produit sur la pythonisse par l’apparition : « Lorsque la femme vit Samuel… » je ne sais en vérité où placer les cérémonies qu’on lui prête, et qu’elle se disposait très certainement à accomplir. Elle paraît avoir été surprise avant d’avoir pu rien faire ni rien ordonner. Aussi le texte, dont chaque terme veut être pesé, ne dit-il pas : « Elle fit monter Samuel » – mais seulement : « Lorsqu’elle le vit, » comme si cette apparition avait été produite par un pouvoir bien autre que le sien. Tout est si brusque alors, si imprévu, qu’elle en est absolument bouleversée. Jamais, je crois qu’on peut l’affirmer, ni elle ni ses pareilles n’avaient été saisies d’une telle stupeur. Habituée à tromper les autres, elle est placée malgré elle en face de la vérité. Alors elle tremble. Elle n’est plus maîtresse d’elle-même. Elle ne s’y reconnaît plus ; elle est désarmée.
En même temps, elle n’a plus le moindre doute sur l’identité de son visiteur. Ce ne peut être que le roi. Il n’est pas possible qu’une pareille apparition, si majestueuse à la fois et si redoutable, soit accordée à un autre qu’à lui. Dès lors, sa vie à elle est en danger. Un piège lui a été tendu. On l’a trompée. C’est la récompense assez ordinaire et assez juste des trompeurs.
Saül, cependant, est moins bien placé que personne pour se permettre cette observation. D’un mot il rassure la devineresse, et lui enjoint de continuer : « Ne crains rien, mais que vois-tu ? » Ne résulte-t-il pas de cette question que lui-même ne voit rien ? Il est obligé de s’en rapporter aux yeux comme aux paroles de cette femme, et de tenir pour vraie la description qu’elle va lui faire. Quand elle lui affirme « qu’un dieu monte de la terre, » il n’objecte pas, il ne doute pas. Il demande plus de détails. « Quelle figure a-t-il ? » Et quand elle le lui dépeint comme un vieillard qui est enveloppé dans un manteau, toute hésitation disparaît ; Saül est certain que Samuel est là. Certain, dis-je. Et pourtant, rien ne prouve qu’il l’ait vu. Jusqu’à cet instant, c’est la femme qui voit, qui décrit, qui raconte. Maintenant Saül comprend, et il se prosterne le visage contre terre… Est-ce donc le moyen de voir ?
Ces remarques ont leur importance. L’art des nécromanciens consistait très spécialement à faire voir les personnages dont leurs clients avaient réclamé l’évocation. Par un procédé ou par un autre, peut-être par des scènes de fantasmagorie, un être vague, une ombre, un fantôme se montrait. Sans doute à une distance assez respectable pour qu’on ne pût point le toucher. Mais enfin le consultant voyait quelqu’un ou quelque chose. A En-Dor, cela se passe autrement. Dans une même chambre (rien ne prouve qu’il y en eût deux) la devineresse voit un personnage ; le roi, qui l’avait demandé, ne semble point le voir. Ne serait-ce pas la preuve que la pythonisse, domptée par une force qu’elle n’attendait pas, n’est plus ici qu’un rouage inutile, qu’elle est mise de côté, que son art est frappé d’impuissance, que la vision n’a point été réellement évoquée par elle, et que le prophète du vrai Dieu n’a nullement répondu à l’appel d’une femme adonnée au mensonge ? Retenons ces quelques traits, en vue d’une explication finale, et poursuivons l’exposé de la scène.
Nous ne serons pas surpris que la figure du vieillard entrevu ait été comparée à un « dieu. » Le mot traduit de la sorte (Elohim) s’emploie une fois au moins dans l’Ancien Testament pour désigner les juges d’Israëlm ; il pouvait donc convenir à Samuel. Le manteau (mehil) dont la devineresse voit ce dieu couvert était la portion la plus connue, et presque la marque distinctive, du vêtement d’un prophète. Nous nous rappelons avec quel désespoir Saül l’avait saisi et déchiré, au jour où il fut rejeté de Dieu. Les preuves sont donc suffisantes. C’est bien Samuel, c’est du moins son image qui est apparue.
m – Psaumes 82.
Après les signes la parole. Non pas celle de la nécromancienne. « Samuel dit à Saül ; » ainsi s’exprime le texte. Et comment supposer que la femme ait parlé, dans la situation d’esprit où elle se trouvait ? Qu’il n’y ait, dans le rapide discours qui va suivre, rien qu’elle n’eût pu penser, étant donnée la découverte qu’elle venait de faire, c’est vrai, à la rigueur. Néanmoins, il est plus qu’improbable qu’elle eût adressé elle-même au roi des reproches aussi graves, des menaces aussi sévères. Elle a peur, en face de ce monarque auquel elle reconnaît le pouvoir de la perdre, pour peu qu’il veuille faire usage de son droit. Est-il vraisemblable qu’elle lui déclare, avec une telle autorité, que c’est lui qui est perdu ? Le silence seul lui convient ; et c’est au prophète à parler.
« Pourquoi m’as-tu troublé en me faisant monter ? » dit-il d’abord au prince. Car c’est troubler une âme entrée au séjour du repos, que de la ramener sur la terre, même pour un seul instant. Et que ce trouble est plus grand pour un Samuel, quand il doit faire entendre une suprême sentence de condamnation à ce Saül qu’il avait tant aimé ! L’aveu de la détresse royale est poignant. Séparé de Dieu, le monarque ne peut ni ne veut revenir à Lui. Il confesse, avec plus de douleur que d’humilité, que l’Éternel lui a refusé toute manifestation de sa volonté. Comme par un reste d’habitude, il a voulu consulter le voyant. Ce qu’il a négligé durant des années de demander au prophète vivant, il essaye de le demander au prophète mort. Pauvre Saül ! Il fait pitié.
Et pourtant l’heure de la pitié est passée. Samuel ne le rassure point. Il reprend les arrêts de la justice divine, non pour les rapporter, mais pour les confirmer, avec cette solennité terrible qui vient de l’au delà… Pourquoi, dit-il, me consulter lorsque Dieu reste muet ? L’Éternel t’a rejeté. Depuis longtemps déjà. Au commencement de ton règne, il t’a multiplié ses faveurs. Toi, le premier, tu t’es détourné de lui. Il est devenu ton ennemi. C’est toi qui l’as voulu. Ce qui arrive aujourd’hui c’est ce que je t’avais prédit. Ne te rappelles-tu pas ton retour de la campagne contre Amalek ? Alors tu avais déjà méprisé l’ordre de Dieu. Quand tu as voulu colorer ta révolte d’une teinte religieuse, je t’ai averti que la désobéissance est aussi coupable que la divinationn. Crois-tu, maintenant, que la divination soit innocente ? C’est fini ; trop tard pour le pardon. La royauté, déchirée entre tes mains, est définitivement confiée à celles de David. Ton peuple partagera ton sort. Tes fils aussi. Vous serez avec, moi demain, dans le séjour des morts. Ton armée sera battue par les Philistins. La ruine sera complète.
n – 15.23.
Nous ne demanderons pas comment Saül entendit cette voix. Il nous suffit qu’il l’ait entendue. Subjectivement, c’est-à-dire par l’effet d’une révélation intérieure ; ou objectivement, c’est-à-dire par les sons d’une parole articulée ; au fond il importe peu. La dernière supposition paraît la plus probable. Les deux compagnons du roi auraient alors pu entendre, et peut-être transmettre à d’autres les termes mêmes de cette mémorable prophétie. Pour le malheureux prince, c’est plus qu’il ne peut supporter. Il tombe à terre sans force. Son corps épuisé ne se soutient plus, et son âme épouvantée ne le relève pas. C’est le commencement de la fin.
Nous n’avons à suivre le chef infortuné d’Israël ni dans son retour à l’armée, ni dans la funeste bataille de Guilboa. Les derniers moments qu’il passe chez la pythonisse, honorables pour l’hospitalité de cette femme, ne présentent aucune difficulté d’interprétation. Samuel a disparu de la terre des vivants, cette fois pour n’y plus revenir avant l’heure de la résurrection. Le moment semble arrivé pour nous de chercher une explication pour l’ensemble de la scène d’En-Dor. Au cours de l’exposition, j’ai laissé entrevoir celle qui me paraissait la plus plausible. Essayons de la justifier.
On a dit que l’évocation de Samuel par la devineresse était un fait réel, et que rien n’empêchait d’en prendre le récit absolument au pied de la lettre.
Certaines considérations peuvent être avancées en faveur de cette hypothèse. C’est, par exemple, une vérité incontestable que Satan se déguise quelquefois en ange de la lumièreo. Il n’est pas moins certain que Dieu s’est servi du faux prophète Balaam pour annoncer des événements qui se sont, en fait, accomplis. Dès lors, n’aurait-il pas pu trouver dans l’art coupable de la sorcellerie un moyen de châtier Saül ? Oui, certainement, il l’aurait pu. Par un procédé occulte dont on connaît maints analogues, la magicienne aurait produit une apparition quelconque. Peut-être même elle n’en aurait point produit du tout, et se serait contentée d’affirmer audacieusement qu’elle en voyait une. Ensuite, contrefaisant sa voix, ou recourant à la ventriloquie, elle aurait prononcé de graves paroles que rien n’eût empêché d’attribuer à Samuel. Il n’était pas si malaisé de les forger. La situation que la visite de Saül venait soudain de révéler ; le désir personnel qu’elle devait éprouver de se venger d’un monarque naguère si dur pour les sorciers ; un peu d’habileté se joignant à quelques bribes de connaissances ; en vérité il n’en fallait pas davantage pour fabriquer une prophétie très vraisemblable. La scène rappellerait dès lors, par bien des traits, celle que nous lisons à la fin du règne d’Achab, au premier livre des Roisp. Dans un cas comme dans l’autre, Dieu aurait montré qu’il emploie à l’occasion des esprits menteurs, pour frapper des pécheurs longtemps endurcis.
o – 2 Corinthiens 11.14.
p – 1 Rois 22.17-24.
Encore une fois, Dieu aurait pu le faire à En-Dor. L’a-t-il fait ? C’est une autre question, et je penche pour la résoudre par la négative.
Est-il admissible que Dieu ait mis son serviteur Samuel à la disposition, en quelque sorte, d’une diseuse de bonne aventure ? Est-il probable qu’il ait employé, ne fût-ce qu’un moment, un art aussi positivement condamné que celui de la divination, pour annoncer à son oint ses jugements ? Était-ce à la bouche d’une femme trompeuse par profession qu’il appartenait de prononcer, pour la première fois officiellement, le nom de l’homme « selon le cœur de Dieu » qui allait remplacer Saül ? Jamais, à notre connaissance, Samuel n’avait nommé le fils d’Isaï dans ses entretiens avec le fils de Kis. Ne serait-il pas pour le moins étrange que cette révélation eût été faite par une pythonisse ?
Les termes du texte, rigoureusement examinés, ne conduisent pas à cette conclusion. Au moins pas nécessairement, et nous croyons dès lors qu’ils nous obligent à en chercher une autre.
Nous avons remarqué d’abord que la devineresse, autant que nous pouvons le conclure d’un récit très sommaire, n’a pas eu le temps de se livrer à la pratique de ses sortilèges. Nous avons ajouté, ceci ne fait aucun doute, qu’elle est tout d’un coup remplie d’effroi. Elle ne domine plus rien, à ce moment. Elle est au contraire dominée, saisie, en présence « d’un dieu qui monte de la terre. » Son rôle est fini presque avant d’avoir commencé. Son autorité s’efface ; ses artifices demeurent frappés d’impuissance. Elle est, dans ma conviction, contrainte de se taire. Un autre parle, révélant des secrets et prononçant des jugements qu’il n’appartient à l’homme ni de deviner ni d’inventer. Une voix retentit, sans doute. Mais ce n’est point celle de la pauvre sorcière. C’est celle de Dieu même, prenant une dernière fois les accents du prophète de Rama. En sorte que l’historien peut dire avec une entière vérité : « Samuel dit à Saül. »
En résumé, donc, l’Éternel ne se serait servi de la pythonisse que pour humilier encore jusqu’en terre le prince coupable. Il l’aurait mise ensuite de côté. Elle aussi avait besoin d’être abaissée, et ce put être pour elle un moyen de grâce. Elle prétendait commander aux morts, et ne savait pas discerner au premier coup d’œil les vivantsq. Une fois la femme d’En-Dor réduite au silence, le Dieu des vivants et des morts envoie son prophète au roi d’Israël, sous la forme d’une apparition. Et le roi ne voit rien. Il entend seulement, et il frissonne. Car la voix est bien celle qui lui parlait autrefois. Avec la redoutable solennité d’outre-tombe, elle lui redit une condamnation déjà ancienne, irrévocable aujourd’hui parce qu’elle n’avait point éveillé de repentir véritable. Jusque dans cet instant suprême, Saül ne demande pas grâce. Il vit, sans doute… Mais dès cette heure, avant que son corps tombe sur la colline de Guilboa, la pierre du sépulcre est comme scellée sur lui.
q – « Je crois, écrit le Rév. W. Deane, que Samuel apparut, non en réponse aux évocations de la devineresse, mais sur l’ordre de Dieu lui-même, aussi réellement que Moïse et Élie lors de la Transfiguration. » (Ouvrage cité, p. 207, note).
La version des Septante renferme une addition remarquable au texte de 1 Chroniques 10.13, qu’elle lit comme suit : « Et Saül mourut dans ses péchés, dans lesquels il pécha contre Dieu, selon la parole de l’Éternel, parce qu’il ne l’observa pas. Car Saül interrogea la pythonisse pour s’enquérir, et Samuel le prophète lui répondit. » (Texte du mst. du Vatican.)
Deux paroles de l’Écriture concentrent l’enseignement que nous donne cette scène lugubre. Retenons-les pour notre salut.
La première est une exhortation d’Ésaïe. Au milieu des épreuves qui semblaient creuser un abîme entre le Seigneur et son peuple, il a commencé par s’écrier : « J’espère en l’Éternel. » Il ajoute aussitôt après : « Si l’on vous dit : consultez ceux qui évoquent les morts, et ceux qui prédisent l’avenir, qui poussent des sifflements et des soupirs, répondez : un peuple ne consultera-t-il pas son Dieu ? S’adressera-t-il aux morts en faveur des vivants ? A la loi et au témoignager. » Voilà la règle, la norme. A la loi, c’est-à-dire à l’Écriture sainte. A la loi augmentée des livres des prophètes et de ceux des apôtres. Au témoignage de ceux que le témoin fidèle, l’Esprit de vérité, a choisis pour guider et pour instruire nos âmes !
r – Ésaïe 8.19-20.
La seconde parole est du Seigneur Jésus. Vous la lirez dans la parabole de Lazare et du mauvais riche.
Du sein des tourments, l’opulent égoïste d’autrefois pense aux cinq frères qu’il a laissés à la maison. Il voudrait les avertir. Il se croit sûr que le moyen le plus efficace de les sauver, ce serait l’apparition d’un trépassé. Si Lazare, soudain, se montrait à eux ! S’il leur parlait ! Tous les cinq se convertiraient… « Non ! répond Abraham. S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu’un des morts ressusciteraits. »
s – Luc 16.30, 31.
Vous avez entendu. Les morts, s’il revenaient parmi nous, n’auraient absolument rien à nous prêcher que nous ne sachions déjà. Ils ne nous apporteraient point une révélation différente de celles que Dieu nous a jusqu’à présent accordées. Ah ! que nous voudrions, n’est-ce pas ? après le départ pour le ciel d’un de nos bien-aimés, le rappeler pour un jour, pour une heure, et lui demander des leçons qui feraient tomber toutes nos résistances, dissiperaient tous nos doutes, illumineraient toutes nos obscurités… ! Prenons garde ! Ce que nous chercherions à coup sûr, dans cet entretien impossible, ce serait bien plutôt la consolation de notre cœur meurtri, que l’affermissement de notre foi ébranlée. Les trépassés n’ont rien à nous dire que « le vivant » n’ait déjà proclamé avec une suffisante clarté.
Voyez plutôt. Un mort sorti du tombeau s’est entretenu, un jour, avec les amis qui l’avaient déposé dans sa dernière demeure. Les Juifs ont vu Lazare ressuscité. Ils l’ont entendu, ils l’ont touché. Et tandis que Marthe et Marie ont cru au Sauveur, auquel elles croyaient déjà, ils n’ont cherché, eux, qu’à se débarrasser du Christ et de Lazare. Leur incrédulité est devenue de la haine. – Un autre mort a été rendu à la vie. Pendant quarante jours il a conversé avec les vivants. Il a été vu de plus de cinq cents frères en une seule fois. Les Pharisiens l’ont su. Ils n’ont pas nié ; ils ne pouvaient pas montrer le cadavre dans la grotte de Joseph d’Arimathée. Pourtant, ils n’ont pas cru. Et qu’a-t-il dit, lui, à ceux qui voulaient croire ? De quels nouveaux arguments s’est-il servi pour faire tomber les dernières objections de leur intelligence ? Il s’est servi des plus anciens. Il a eu recours à Moïse et aux prophètes, à eux seuls, pour expliquer tout ce qui le concernaitt.
t – Luc 24.27.
Ainsi l’enseignement de Samuel réapparu hors du Scheol est absolument semblable à celui de Samuel pendant tout son ministère terrestre. Prédicateur de la loi, c’est-à-dire de la sainteté et de la justice de Dieu, il n’a qu’une chose à dire au monarque prosterné devant lui : Parce que tu ne t’es pas converti, tu périras !
C’est par là surtout que nous voyons consommée l’unité de cette noble vie. – Jamais moi ! Toujours Toi ! Ainsi a constamment parlé et pensé ce prophète dans ses rapports avec Dieu. Et voilà pourquoi il a été si grand.
Au moment où il a pris en mains l’autorité, si gravement ébranlée par les faiblesses d’Éli et par les triomphes des Philistins, Samuel s’est proposé, sans doute, de rétablir l’unité compromise de son peuple. Il a voulu que ces tribus rivales et désunies redevinssent une nation. Il s’est efforcé de poursuivre, quoiqu’il en dût coûter, une réforme politique dont la période entière des juges n’avait jamais réalisé l’idéal. Mais il a compris d’emblée qu’elle dépendait étroitement, absolument, d’une réforme religieuse radicale. C’est par là qu’il a commencé. « Otez du milieu de vous les dieux étrangers ! » Alors seulement il a pu chasser aussi les bataillons étrangers, et dresser son Eben-Ezer au milieu d’Israël victorieux.
Après des années d’une magistrature intègre et glorieuse, contre laquelle aucune plainte justifiée n’a osé s’élever, Samuel a vu ses propres fils devenir les artisans d’une révolution. Le peuple, inquiet de leurs tendances, a demandé un roi. Le cœur du prophète a saigné. Il a gémi, il a prié… et la réponse à ses prières a été tout l’opposé de ce qu’il espérait. Obéis à leur voix ! a dit l’Éternel. Le voyant a obéi. S’effacer soi-même ; quitter le premier rang ; oublier sa propre douleur ; non seulement descendre mais aider à faire monter autrui ; il a consenti à tout cela. Sans comprendre les voies de Dieu, il s’est contenté d’obéir. Il a repris, avec une piété plus intense et plus mûrie la devise de sa jeunesse :
Parle, Seigneur ! Tes œuvres sont si grandes,
Et mon regard est si borné !
Et puis, nouvelle déception ! Aussi dure, plus amère, parce qu’elle semblait rendre inutile un premier sacrifice. Le roi choisi et si fidèlement aimé s’est détourné des sentiers de l’obéissance. Il a substitué ses caprices à la loi de Dieu. Il a manqué à la parole donnée. Il a couvert sa révolte des voiles de la piété. Il a cherché l’apparence et non la vérité. Deux fois Dieu l’a rejeté. Deux fois Samuel en personne a été chargé de le lui dire. Il n’a pas faibli un instant. Ses supplications en faveur du roi qu’il aimait n’ont pas désarmé la justice de l’Éternel. Dès lors, ses sympathies personnelles n’ont rien enlevé à sa fidélité. Comme un Luther hébreu, il s’est présenté devant un monarque impénitent, et il a dit à sa façon : Je ne puis autrement ! Il l’a redit même après sa mort. Il est sorti quelques instants du tombeau, pour crier, à notre génération comme à la sienne, qu’on ne se moque pas de Dieu.
Nous pourrions donc, n’est-il pas vrai ? nous proposer Samuel pour modèle. Nous ne le ferons point cependant ; l’Ecriture ne nous y invite pas. Ce prophète a été, dans son temps, un phare lumineux. Sa lumière n’est pas éteinte ; ses rayons nous ont éclairés. Mais ce n’est pas au pied du phare que le navigateur s’arrête. Il veut entrer dans le port. Nous le voulons. Notre port n’est pas Samuel. C’est Celui que tous les prophètes ont annoncé ; Celui qui seul a dit, parce qu’il avait seul le droit de le dire : « Venez à moi ! » Tous les autres, le montrant de loin, sont unanimes à nous répéter : Allez à lui !… O Dieu, Dieu de Samuel, amène-nous à Jésus-Christ, et par Jésus à toi !