Écoutez une autre similitude : Il y avait un père de famille qui planta une vigne ; il l’environna d’une haie, il y creusa un pressoir et il y bâtit une tour, puis il la loua à des vignerons, et s’en alla faire un voyage.
La saison des fruits étant proche, il envoya ses serviteurs vers les vignerons pour recevoir les fruits de sa vigne. Mais les vignerons s’étant saisis de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre et en lapidèrent un autre. Il envoya encore d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers, et ils les traitèrent de même.
Enfin il envoya vers eux son propre fils, disant : Ils auront du respect pour mon fils. Mais quand les vignerons virent le fils, ils dirent entr’eux : c’est ici l’héritier ; venez, tuons-le, et nous saisissons de son héritage. Et l’ayant pris, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Quand donc le maître de la vigne sera venu, que fera-t-il à ces vignerons ?
Ils lui répondirent : il fera périr misérablement ces méchants, et il louera sa vigne à d’autres vignerons qui lui en rendront les fruits en leur saison.
Et Jésus leur dit : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures, ces paroles : La pierre que ceux qui bâtissaient ont rejetée est devenue la principale pierre de l’angle ; ceci a été fait par le Seigneur et c’est une chose merveilleuse devant nos yeux ? C’est pourquoi je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté et sera donné à une nation qui en rapportera les fruits. Celui qui tombera sur cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera sera écraséb !
b – Lire aussi Esaïe 5.1-7 ; Psaumes 80.
cUn pieux voyageur, parcourant la Terre-Sainte, aperçut aux approches de Jérusalem, sur le bord de la route, une vigne dans un état d’abandon, de désordre et de ruine, qui lui apparut comme la triste et saisissante image de cette terre de Judée, jadis favorisée de tous les sourires du ciel, aujourd’hui sillonnée de tous ses anathèmes. La vue de cette vigne dévastée lui rappela les descriptions tour à tour magnifiques et désolées du psaume d’Asaph. Elle aurait pu lui rappeler aussi la parabole si simple et si solennelle de Jésus-Christ, parabole essentiellement prophétique qui se résume dans un triple enseignement.
c – Ce discours a été prêché dans l’église de Meaux, le 1er novembre 1866, à l’occasion de la fête de la Réformation. Il avait été précédé d’une allocution spéciale et pleine d’intérêt de M. le pasteur Bouvier, de Meaux, et d’une fervente prière de M. le pasteur Chottin, de Quincy. Nous célébrions avec joie les grands souvenirs de la Réforme dans ces lieux qui en furent le berceau.
Le premier est le tableau parallèle des bontés infinies de Dieu envers son peuple et de l’endurcissement de celui-ci jusqu’au rejet définitif du Fils de Dieu.
Le second est le jugement qu’il exerce sur les âmes rebelles et qui se formule dans cette, redoutable sentence : « Le royaume de Dieu vous sera ôté et il sera donné à une nation qui en rapportera les fruits. »
Le troisième est le motif de ce jugement : l’acceptation ou le rejet de Christ, de Christ le fondement suprême, la pierre angulaire sur laquelle doit s’édifier ou se briser toute nation, toute Église, toute famille, toute âme d’homme.
Quel tableau toujours émouvant, quoique souvent offert à nos regards que celui de l’amour inépuisable de Dieu pour son peuple d’Israël ! Et combien cette gracieuse image de la vigne, empruntée aux prophètes, en était l’expression touchante ! « Cette haie protectrice » entourant la vigne de l’Éternel, « cette citerne et ce pressoir » creusés dans son sein, « cette tour » élevée pour la défendre, « ces ceps exquis » plantés dans son sol généreux ; et puis, selon les beaux développements du psalmiste, « ces montagnes couvertes de son ombre, ces rameaux semblables à ceux des cèdres, ces branches étendues jusqu’à la mer et ces rejetons jusqu’au fleuve » autant de traits pleins de couleur et de poésie, de l’amour paternel de Dieu et de sa sollicitude pour son peuple. L’Éternel n’avait-il pas comme oublié les autres nations, « les laissant marcher dans leurs voies, » pour concentrer son regard sur Israël « son plus précieux joyau ? » Ne l’avait-il pas à la fois caché « dans le creux de sa main, » en lui donnant ce pays providentiel que bornaient le désert égyptien, les hautes montagnes et la grande mer, — et pourtant placé au centre même de l’ancien monde de telle sorte qu’à l’accomplissement des temps, Israël pût-épancher sur toutes les nations comme un réservoir céleste, le salut et la vie ? Ce peuple, Dieu l’avait honoré d’une révélation positive qui le faisait briller comme un point lumineux au milieu de la nuit universelle : il possédait ces deux fondements de la science religieuse, le dogme de l’unité de Dieu et la promesse d’un Sauveur : il possédait, en dix paroles gravées sur la pierre, le code immortel de toute morale : il possédait une législation civile qui le soustrayait aux nombreux abus régnant dans ces temps reculés : il possédait une loi cérémonielle qui enveloppait d’un réseau religieux la vie de l’Israélite et dirigeait ses regards vers Celui dont toutes ces institutions étaient le type et l’ombre. Vous parlerai-je de son histoire, série ininterrompue de merveilleuses interventions de Dieu dans ses destinées, depuis l’Egypte, son berceau douloureux, séjour de servitude et de délivrance jusqu’au désert et à ses miracles ; depuis la conquête et le partage jusqu’aux juges, jusqu’aux rois, jusqu’au grand désastre national, jusqu’au retour de l’exil et à la restauration ? Et pendant ces longues périodes, Dieu n’avait cessé de le garder « comme la prunelle de son œil, » et de le porter à travers mille dangers et mille vicissitudes « comme sur des ailes d’aigle. » Ah ! n’avait-il pas le droit de dire, dans le langage si paternellement ému d’Esaïe : Que pouvais-je faire à ma vigne de plus que je ne lui ai fait ?
Mais qu’avait fait de son côté le peuple, objet de tant de soins ? La vigne chérie avait-elle réjoui les regards de son Maître ?… Hélas ! de la part d’Israël et dans toutes les périodes de son histoire, quelle série d’ingratitudes, d’infidélités, de révoltes ! Dieu lui avait envoyé des prophètes, présentés ici comme des messagers venant demander aux vignerons les fruits de la vigne. Mais ces saints prophètes, un Moïse, un Samuel, un Élie, un Michée, un Ésaïe, un Jérémie, qu’ont-ils rencontré ? La haine, l’outrage, la persécution. Le prophète Urie est tué par le roi Jéhojakim ; Jérémie est jeté dans une fosse de boue ; Zacharie, fils de Jéojadah, est lapidé entre le temple et l’autel ; Jérusalem « tue ses prophètes et lapide ceux qui lui sont envoyés. » Enfin le Maître de la vigne se décide à envoyer son propre fils… Remarquez, comme le Fils est distingué ici de tous les serviteurs, comme Jésus se détache du groupe de tous les messagers de Dieu. Ce n’est pas un envoyé ordinaire, ce n’est pas un prophète, ce n’est pas un ange, c’est le Fils, le Fils unique de Dieu.
Mais « les vignerons dirent entre eux : Celui-ci est l’héritier ; venez, tuons-le. » Avec quel accent Jésus ne dut-il pas prononcer ces paroles, et annoncer sa mort qu’il lisait déjà, non seulement dans les conseils éternels de son Père, mais dans les regards irrités de ceux qui l’entouraient ! Les visages sombres des Pharisiens, l’attitude douteuse du peuple un moment touché par la parole du Fils de Marie, mais au fond repoussant la lumière ; des signes multipliés, de menaçantes apparences, tout semblait présager cette résolution meurtrière : Venez, tuons-le ! Et quelques jours après, ils soudoient un traître, ils envoient contre Jésus une bande armée d’épées et de bâtons, ils arrachent une sentence à Pilate : Venez, tuons-le. Et Celui que le ciel donnait à la terre et aux pieds duquel toute la terre aurait dû se prosterner, ils le jettent hors de la vigne, ils le traînent au mont de l’ignominie et le clouent sur une croix : Venez, tuons-le. Et voilà la dernière réponse du peuple élu au dernier mot de la charité de Dieu : Venez ! tuons-le !
Nous serions bien aveugles, si après avoir compris l’application directe de cette parabole au peuple juif, nous ne comprenions point qu’elle peut nous concerner nous-mêmes.
Je connais une autre vigne, plantée par la main miséricordieuse du Seigneur, dans notre patrie, environnée, elle aussi, d’une haie et couronnée d’une tour : c’est notre chère Église protestante, destinée à servir d’asile au pur Évangile et à le faire luire, aux yeux de notre nation, à travers les ténèbres ou tout au moins les clartés affaiblies d’un christianisme altéré par les traditions humaines. Dieu lui-même, l’avait plantée de « ceps exquis, » en lui donnant pour prémices ces humbles cardeurs de laine de la Picardie, pauvres selon le monde, mais riches en la foi ; pour premiers amis un docteur plein de science évangélique, Lefèvre d’Étaples ; un pieux mais trop faible évêque, encourageant la Réforme naissante de ce même siège de Meaux, du haut duquel Bossuet devait lancer un jour, contre elle, toutes les foudres de son génie ; une princesse de sang royal, fleur délicate au milieu d’une cour rude et corrompue ; en lui donnant enfin pour disciple et bientôt pour maître cet écolier, au front pâle et au regard ardent, cet élève studieux de Paris, de Bourges et d’Orléans, que la France devait proscrire, mais qui, du fond de son exil, devait, avec tant d’éclat, propager et organiser la Réforme dans son sein. — Dieu lui-même avait été « sa haie et sa forte tour, » en lui permettant de naître et de prospérer, sans ministère régulier, sans lieu fixe d’assemblée, sans formes ecclésiastiques déterminées, et puis de s’organiser tout à coup en une société puissante et bien ordonnée, en 1559, à la lueur des bûchers, lueur sinistre et glorieuse, qui éclaire presque toute son histoire ! — Vigne bénie que tant de rois ont voulu ravager et détruire » ; que le plus illustre et le plus aveugle de tous crut avoir extirpée, en abattant ses rameaux et les jetant sur la terre étrangère. Mais, tandis que ces rameaux fleurissaient sur d’autres rivages, les racines restaient cachées sous le sol de la patrie, et nous sommes, nous, ici rassemblés, les tiges vivantes qui ont repoussé sur le vieux tronc des pères, et repris vie au soleil de la liberté !
Comme à son peuple, l’Éternel nous a envoyé ses prophètes : — ces Réformateurs, héros chrétiens, géants de la foi, ramenant aux sources évangéliques la chrétienté déchue ; — ces grands caractères, hommes d’État, hommes de guerre, magistrats, écrivains, artistes, montrant ce que pourrait être, dans toutes les sphères, le génie de la France, si à ses brillantes qualités s’unissait la fermeté indomptable d’une foi personnelle et vivante — des martyrs, qui sont aussi « des prêcheurs, dit le vieux Crespin, et des plus écoutés, » nous enseignant du haut des échafauds et des bûchers, du banc des galères, du fond des cachots, du milieu des routes de l’exil, que la vérité est préférable à tous les biens, à la liberté, à la vie. — Puis, après des jours meilleurs, après une période de repos, mais aussi de sommeil, pour nos églises, ces hommes du réveil, ces courageux témoins de Christ, qui ont ranimé nos troupeaux et relevé le drapeau de la doctrine et de la vie ; fidèles serviteurs de Dieu, qui disparaissent les uns après les autres, avec leur grande éloquence ou leur activité prodigieuse, avec leur saint amour des âmes, leur dévouement sans réserve à la cause de Dieu. — Voilà nos prophètes ! Et par eux, le prophète des prophètes, le Fils unique, venant à nous pour demander à notre église les fruits de tant de bénédictions, la fidélité à de si nobles traditions, à de si grandes lumières ! Ces fruits, où sont-ils ? Où est la foi, où est la virile piété, où sont les mœurs incorruptibles de nos pères ? où est la forte race de nos pasteurs, de nos anciens, de nos fidèles ?… Ah ! mes frères, n’êtes-vous pas, comme moi, troublés par ces questions, et ne commencez-vous pas à craindre que nos générations amollies ne ressemblent à l’Israël déchu des jours de Jésus-Christ ?
Mais je veux provoquer de votre part un examen plus direct encore. N’est-il pas une autre vigne, que Dieu a aussi couronnée d’une haie, protégée d’une tour, et plantée de ceps exquis ?… C’est votre âme, c’est l’âme de chacun de nous. De quels soins miséricordieux et fidèles, ne l’a-t-il pas entourée depuis notre naissance jusqu’à cette heure ? Ce « lait spirituel et pur de la Parole » dont Il nous a abreuvé dès notre enfance, cette liberté de culte que nos pères n’ont jamais connue, ces temples se relevant de toutes parts, ces institutions et ces œuvres chrétiennes ouvrant une si belle carrière à notre foi et à notre charité, que de privilèges, que d’appels, que de grâces ! — Dieu nous a envoyé aussi, à chacun personnellement, ses prophètes pour chercher les fruits de la vigne : ces types de piété vivante qu’il nous a été donné de contempler, tout près de nous peut-être, et qui semblaient nous dire : « va et fais de même ; » ces grandes joies, ces merveilleuses protections, ces insignes délivrances, prophètes radieux dont la douce voix, disait au-dedans de nous : « mon âme bénis l’Eternel et n’oublie aucun de ses bienfaits ; » ou ces grands deuils, ces rudes épreuves, ces épidémies, ces fléaux de Dieu, prophètes sévères qui nous criaient d’une voix solennelle : « Israël, retourne-toi vers moi ; regarde la verge et Celui qui l’a assignée…. » Ah ! qu’avons-nous fait à l’égard de ces prophètes, qui nous sont apparus aux heures émouvantes de la vie ? Ne les avons-nous pas méconnus, méprisés, rejetés ?… Et le prophète des prophètes, le Fils unique, Jésus-Christ, qui s’est si miséricordieusement porté au-devant de nous, comment l’avons-nous traité ?… Vous avez entendu la parole homicide d’Israël : venez, tuons-le !… Ne disons pas : en quoi cet épouvantable langage peut-il nous concerner ? Saint Paul n’écrivait-il pas à quelques-uns de ses frères : « autant qu’il est en vous, vous crucifiez de nouveau le Seigneur Jésus ? » Il ne s’agit plus, il ne peut plus être question pour nous du meurtre matériel de Christ. Mais si nous repoussons « le Saint et le Juste, » si nous lui fermons obstinément notre âme, si nous disons, non des lèvres peut-être, mais du cœur : « nous ne voulons pas que Celui-ci règne sur nous, » quelle différence essentielle peut-il y avoir entre nous et ces Juifs aveuglés qui disaient : venez, tuons-le ! Le Christ n’a-t-il donc plus d’ennemis ?… Que si nous n’avons pas dit : venez, tuons-le, avons-nous dit : venez, aimons-le ; venez servons-le ; venez, consacrons-lui notre cœur et notre vie ? Et si nous l’avons dit, l’avons-nous fait ? Est-il à nous et sommes-nous à Lui ? Portons-nous, comme une vigne fertile, des fruits à sa louange ? Et, s’il venait, à ce moment même, nous les demander, à nous qui sommes dans cette chaire, comme à vous qui êtes assis sur les bancs de ce temple, qu’aurions-nous à lui présenter ? Ah ! je tremble pour notre Église, je tremble pour nos âmes, et je vois passer devant ma conscience alarmée le double spectacle des appels, des invitations, des grâces infinies de Dieu, — et de nos ingratitudes, de nos infidélités, de notre révolte persévérante. Prenons garde, ô mes frères, que l’histoire d’Israël ne se trouve être la nôtre jusqu’au bout, et qu’elle n’ait pour dénouement, aussi bien pour nous que pour lui, un redoutable jugement de Dieu !
Ce jugement, il s’inscrit au livre de l’histoire depuis dix-huit siècles, et les faits viennent confirmer, avec une réalité saisissante, cette sentence, de Jésus-Christ : « Le royaume de Dieu vous sera ôté et sera donné à une nation qui en rapportera les fruits. »
Prédiction infaillible qui n’est que l’accomplissement d’une loi de la Providence et de la grâce. Cette loi, la voici. D’une part, les desseins de Dieu s’accomplissent, en faveur des hommes et par leur moyen : d’autre part aucun homme, ni aucun groupe d’hommes, Eglise ou nation, n’est nécessaire. Si donc ceux pour qui et par qui les desseins de Dieu doivent s’accomplir, ne les remplissent pas, ils s’accompliront par d’autres et pour d’autres, et ceux qui se sont refusés à ce rôle sublime seront rejetés comme des instruments inutiles, ou brisés « comme des vases de colère. »
Voilà la loi du royaume de Dieu. Elle s’est réalisée pour Israël rebelle. Appelé le premier de Dieu, convié le premier « au festin des noces, » c’est chez lui qu’est venu le Christ ; et après le meurtre du Saint et du Juste, la miséricorde divine lui a encore laissé un sursis de quarante années. Mais, ce délai expiré, l’armée de Titus se chargeait d’écrire en lettres de sang et de feu sur les ruines de Jérusalem : « Le royaume de Dieu vous sera ôté et il sera donné à une nation qui en rapportera les fruits. » La cité de David perdait jusqu’à son nom et s’appelait Ælia Capitolina Adriana. A la place même du temple de Salomon s’élevait un autel à Jupiter Capitolin, et « un pourceau de marbre placé au-dessus de la porte qui conduisait à Bethléem rappelait, par un insultant emblème, aux fils d’Israël, que leur cité sainte était pour eux à jamais perdue et profanée. » Les Juifs avaient rejeté le salut de Dieu, il passait aux Gentils. — Chez les Gentils, devenus peuple de Dieu, la loi providentielle se réalise encore. Il y avait des églises florissantes dans l’Asie-Mineure, dans ces contrées visitées par les Paul et les Barnabas, qui furent le premier champ missionnaire de la foi chrétienne. Cherchez ces Églises…, cherchez Éphèse, Pergame, Thyatire… elles ne sont plus. Après que le monde fut entré dans leur sein, après que la lumière évangélique s’y fut affaiblie et presque éteinte, « le chandelier leur fut ôté, » selon la parole de l’Apocalypse, et le glaive du faux prophète substitua, dans ces lieux pleins de souvenirs apostoliques, le Croissant à la la Croix. — Traversez la mer et contemplez, dans un passé glorieux, ces grandes Églises d’Afrique illustrées par les Tertullien, les Origène, les Cyprien, les Augustin. Cherchez ces Églises… elles ne sont plus ! L’Arabe vagabond promène sa fierté sauvage dans ces plaines aujourd’hui désertes, où retentissait avec tant d’éclat, au milieu de cités populeuses, la prédication chrétienne ; et c’est à peine si, à la suite de nos conquêtes, l’Évangile de Jésus-Christ reparaît sur cette terre à laquelle l’Europe chrétienne portait envie. — Repassez les flots de la Méditerranée et rentrez dans notre vieille Europe. Il semble que sur ce sol tout couvert de monuments chrétiens, le Christianisme soit implanté pour toujours. Espérons-le de la bonté de Dieu… Toutefois, qui nous l’a dit ? Qui nous assure, que si l’incrédulité poursuit ses ravages parmi nos générations, que si le positivisme et le matérialisme ruinent peu à peu la foi dans les âmes, le Christianisme ne disparaîtra pas du milieu de nous et qu’il ne faudra pas aller le chercher sur les lointains rivages d’un autre hémisphère ?…
D’ailleurs, sans que le Christianisme soit effacé du sol d’une nation, le royaume de Dieu peut lui être ôté dans une certaine mesure, si l’église infidèle ne répond pas aux besoins de la génération présente. Ne le vit-on pas, il y a trois siècles, lorsque le crépuscule se faisait sur l’Europe Catholique ? Qui peut dire quelles furent les pertes de Rome, quand par une déchirure violente la moitié de l’Europe brisa son joug et alla s’abriter dans une église nouvelle ! Et les nations qui ont entièrement repoussé cette église nouvelle, renaissance de l’église primitive, où en sont-elles ? Où en est leur vie religieuse ? Où en est leur civilisation ? Où est l’élan, le progrès, la liberté, la vie ?… Demandez-le à l’Italie qui se relève enfin, après de longs siècles, d’un réveil si lent, si laborieux, si souvent entravé, et dont chaque phase a imprimé une secousse sanglante à l’Europe. Demandez-le à l’Espagne qui ne se relève pas, et qui demeure avec sa population diminuée, ses richesses épuisées, son sol généreux trop souvent changé en désert, son clergé ignorant, son peuple abaissé, ses tribunaux persécuteurs, comme un témoin tristement fidèle de la parole de Jésus-Christ : « le royaume de Dieu vous sera ôté et il sera donné à une nation qui en rapportera les fruits. »
Je ne veux pas interroger ma patrie, je ne veux pas lui demander ce qu’elle s’est refusé de vraie gloire, de solides progrès, de vigueur morale, de sécurité sociale, de garanties d’ordre et de liberté, en refusant à son heure, les lumières protestantes. Je craindrais, mes chers corréligionnaires, de vous pousser à l’orgueil, quand je sens l’impérieux devoir de vous humilier et de m’humilier avec vous. Ah ! je ne veux interroger ici que ma propre église…. Eglise Réformée de France, église des Calvin et des Théodore de Bèze ; église des Coligny, des Lanoue et des Duplessis-Mornay, église des saints et des martyrs, église de l’adoration de Dieu « en esprit et en vérité » et du contact direct entre l’âme et son Sauveur, église de la Parole éternelle et non des traditions humaines, église affranchie de tout joug terrestre mais courbée sous le joug de Dieu et du Chef invisible qui est Christ ; ah ! si tu n’étais pas fidèle, fidèle dans la foi, fidèle dans la vie, fidèle dans la vérité et dans la charité, fidèle dans le recouvrement de toutes tes libertés et de tes saintes ordonnances ; si l’on ne pouvait plus dire de tes temples envahis par la sagesse du siècle : ici l’Evangile est annoncé, et de nos familles : ici l’Evangile est honoré, et de nos vies à tous : ici l’Evangile est pratiqué… prends-y garde, église Réformée de France, malgré les bénédictions des pères, malgré l’illustre succession de tes confesseurs, malgré tout un passé de souffrance et de gloire, Dieu pourrait te rejeter comme un instrument inutile, Dieu pourrait t’effacer du sol de la patrie, et susciter du milieu de tes ruines quelqu’église nouvelle qui remplirait la noble mission à laquelle tu te serais dérobée et qui tiendrait haut élevé ce drapeau du libre et pur Evangile que tu aurais laissé tomber de tes mains ! Et pour toi, pauvre Sion déchue, pauvre vigne stérile et ravagée, s’accomplirait la terrible sentence : Le royaume de Dieu vous sera ôté et il sera donné à une nation qui en rapportera les fruits !
Le Seigneur juge les Eglises, mes frères, mais Il juge aussi les âmes. Il les juge ici-bas et il les jugera surtout là haut. Pour les individus comme pour les sociétés religieuses, la loi providentielle doit s’accomplir. Ne vous croyez donc pas en possession assurée du royaume de Dieu, si vous ne portez pas « des fruits à sa louange. » Ne dites pas : nous avons des temples, nous possédons dans l’intérieur de nos demeures la vieille bible de nos pères ; de génération en génération nous sommes protestants, et le sang huguenot coule dans nos veines. Il ne s’agit point d’être « la postérité d’Abraham selon la chair, » mais sa postérité selon l’esprit. Si votre protestantisme ne consiste qu’à n’être pas catholiques romains, s’il n’est qu’un hasard géographique et non une foi, qu’une forme et non une réalité religieuse, en vérité, je vous le dis, avec cette religion de naissance, de tradition et de néant, le royaume de Dieu vous sera ôté. — Vous nous trouvez injuste peut-être et vous nous dites : nous avons une religion, nous avons une foi. Oui, mais quelle religion ? quelle foi ? Est-ce une religiosité nuageuse et toute mondaine ? Est-ce une foi quelconque en un Christ quelconque ?… Avec cette foi-là, conforme à la sagesse du siècle et non à la sagesse de Dieu, le royaume de Dieu vous sera ôté. — Non, dites-vous encore, mais nous croyons au Christ des Écritures, au Christ revêtu de tous ses titres. C’est bien, mais si cette foi n’habite que la froide région de votre intelligence, sans remplir votre cœur et fructifier dans votre conduite… avec cette foi-là, lumière sans chaleur et formule sans vie, le royaume de Dieu vous sera ôté. — Non, répétez-vous une troisième fois, nous croyons de l’esprit et du cœur. Dieu le veuille ! Mais où sont les fruits vraiment divins que ce principe divin doit produire ? « Que faites-vous d’extraordinaire ? » Où est la visible transformation de vos sentiments et de vos actes ? Où est la sainteté, où est l’incorruptible justice, où est la céleste charité ? Où-est l’imitation courageuse de Jésus-Christ ?… Avec cette foi-là… je ne veux rien exagérer, mes frères, le royaume, de Dieu ne ne nous sera pas ôté peut-être, mais si « nous échappons comme au travers du feu, » nous n’aurons offert à Dieu et aux hommes qu’un christianisme sans flamme, sans fécondité, sans joie, sans témoignage puissant dans la vie et dans la mort… Et tandis que nous nous condamnerons à une piété médiocre et stérile, la Parole de Dieu suivra son cours et déploiera ailleurs ses énergies glorieuses. Tandis que nos vieilles églises dormiront leur sommeil, là-bas aux extrémités du monde, de jeunes églises surgiront à la voix de nos missionnaires et nous offriront les types d’une piété pleine de fraîcheur et de vie. Tandis qu’au nom de notre science et de notre sagesse, nous demeurerons dans les clartés douteuses d’une foi mêlée d’incrédulité, quelque chétif, quelque pauvre d’esprit recevra humblement la pleine lumière de l’Evangile et possédera « le secret de l’Eternel. » Tandis que satisfaits de nous-mêmes, et enflés de notre propre justice, nous repousserons ou n’accepterons qu’à moitié la folie de la croix, « des péagers et des femmes de mauvaise vie nous devanceront au royaume des cieux. » Tandis que, membres de l’Eglise évangélique, la Bible dans les mains, au centre de toutes les ressources religieuses, nous resterons « oisifs et stériles dans la connaissance de Jésus-Christ, » telle âme, du milieu d’un culte mélangé d’erreurs, à travers des voiles épais et des intermédiaires humains, puisera en abondance aux sources de la vie, et « réjouira les anges de Dieu » par sa pure fidélité ! « Le royaume de Dieu vous sera ôté et il sera donné à une nation qui en rapportera les fruits. »
Voilà, mes frères, le jugement de Dieu. Et quelle est la base de ce jugement ? Vous l’avez vu, c’est la présence ou l’absence des fruits de sanctification que Dieu attend de nos âmes : et, si nous remontons de l’effet à la cause et des conséquences au principe, c’est l’acceptation ou le rejet de Jésus-Christ. Tel est le dernier mot de cette parabole. Jésus l’énonce par un brusque changement d’image qui n’interrompt pas le cours de sa pensée, mais au contraire lui donne un relief nouveau et une conclusion d’autant plus impressive pour la conscience de ses auditeurs qu’elle était empruntée au Psaume 118, si fréquemment chanté dans les cérémonies d’Israël : « La pierre, que ceux qui bâtissaient ont rejetée, est devenue la maîtresse pierre de l’angle… Celui qui tombera sur cette pierre sera brisé et celui sur qui elle tombera sera écrasé. »
Dieu lui-même, intervenant dans nos destinées, a posé sur le sol de l’histoire et au centre du monde moral cette pierre angulaire qui est son Fils, et il invite l’humanité toute entière à s’asseoir sur « ce rocher des siècles. » Toute espérance fondée sur Jésus-Christ est immortelle, toute pensée d’accord avec lui est vraie. Toute œuvre accomplie en son nom et pour sa gloire participe à sa durée éternelle. Mais toute espérance qui ne repose, pas sur lui est trompeuse, toute pensée contraire à la sienne n’est qu’erreur et mensonge, toute œuvre faite sans Lui est néant, toute arme dirigée contre Lui se brisera et se retournera contre celui qui a osé la saisir.
Par conséquent le rejet ou l’acceptation de Jésus-Christ, voilà la question souveraine pour les nations, pour les églises, pour les familles et pour les individus.
Nations, qui couvrez la face de la terre, dans la mesure où vous recevrez Jésus-Christ, dans la mesure où Il pénétrera vos lois, où il réglera vos mœurs, vous prospérerez, vous vous élèverez, vous serez douées d’énergie vitale et d’expansion féconde. Mais si vous le rejetez, vous descendrez les pentes rapides de la décadence.
Eglises, chargées de manifester Jésus-Christ au monde, plus vous le manifesterez avec pureté par la foi et par la vie, plus vous grandirez, plus vous attirerez les âmes, plus vous aurez la gloire de concourir au règne de Dieu. Mais si vous diminuez Jésus-Christ, vous vous abaisserez, vous vous annulerez dans la même proportion ; et si vous le reniez jamais, vous ne serez plus qu’un corps sans âme auquel il ne restera qu’à tomber en poussière.
Familles, adressez-lui la prière de l’Allemagne évangélique : « Seigneur Jésus, sois notre hôte ! » Les liens du sang sont plus doux et plus forts en passant par son cœur… et ils sont immortels ! Mais la famille sans Jésus-Christ, c’est la famille sans foyer spirituel, sans souffle de Dieu, sans gage d’éternel avenir.
Et toi, âme d’homme, qui que tu sois, médite cette parole de saint Jean : Qui a le Fils a la vie, qui n’a point le Fils, n’a point la vie.
Emouvante et inévitable alternative, mes frères ! Le poète l’a dit :
En présence du ciel, il faut croire ou nier !
Que sera-ce donc, en présence du ciel descendu sur la terre et s’abaissant jusqu’à nous, c’est-à-dire de Jésus-Christ ! Devant cette manifestation suprême de Dieu, il n’y a pas de neutralité possible.
Quand le Christ nous est apparu, dans la plénitude de sa lumière, il faut que notre âme se prononce pour Lui ou contre Lui, il faut qu’il soit pour nous « une occasion de chute ou de relèvement, » « odeur de vie ou odeur de mort, » « rocher de notre salut » ou « pierre d’achoppement et de scandale ! » Quoi ! serions-nous réduits à souhaiter de ne pas l’avoir connu !… Ah ! bien plutôt, heureux de l’avoir connu, heureux que le Père nous l’ait envoyé, heureux d’appartenir à une église qui nous met plus directement, plus immédiatement en sa présence ! Oui, heureux, mes frères,… mais pour aller à Lui, pour nous asseoir comme Marie à ses pieds, nous abreuvant de sa doctrine et de sa vie ! Heureux, mais pour entrer « comme des pierres vives, » (serions-nous la plus petite et la plus inaperçue de ces pierres) dans le saint édifice dont Il est la pierre angulaire ! Heureux, mais pour être un rameau (serait-ce le plus chétif et le plus obscur) de cette vigne dont Il est à la fois le Maître et le Cep divin, et dont les fruits consolent la terre en attendant de renaître plus beaux sur les plages du ciel !