Les documents du Nouveau Testament : peut-on s’y fier ?

Chapitre X

Le témoignage des écrits païens

Telles sont donc les seules informations que nous pouvons tirer des écrits juifs ; voyons maintenant les écrits païens.

Le premier qui nous intéresse semble être d’un certain Thallus qui, en 52 environ écrivit une histoire retraçant les relations de la Grèce avec l’Asie depuis la guerre de Troie jusqu’à son époque. 1 On l’a identifié au Thallus samaritain dont Josèphe (Ant. 18.6) nous dit qu’il était un affranchi de l’empereur Tibère. Or, Julius Africanus, écrivain chrétien des années 220, qui connaissait les écrits de Thallus, déclare, à propos des ténèbres qui se firent sur la terre à la mort de Christ : ‘Thallus, au troisième tome de son histoire, explique ces ténèbres par une éclipse solaire, ce qui me semble peu rationnel (tout à fait irrationnel en effet, car il est impossible qu’une éclipse solaire ait eu lieu pendant la pleine lune ; or, le Christ est mort à l’époque de la pleine lune pascale). 2

1 Les fragments qui nous restent ont été recueillis par C. Müller dans Fragmenta historicorum graecorum III, 517 et par F. Jacoby dans Die Fragmente der griechischen Historiker II, B (Berlin 1929), § 256.

2 Dans les Actes de Pilate du 4ème siècle les Juifs expliquent les ténèbres de la même manière (Actes de Pilate, 11.2).

Cette référence de Julius Africanus nous donne à penser : 1) que la tradition évangélique, ou du moins le récit traditionnel de la Passion, était connu des milieux non-chrétiens de Rome vers le milieu du siècle ; 2) que les adversaires du christianisme essayaient de réfuter cette tradition chrétienne en donnant des explications naturelles aux événements qu’ils rapportaient. 3

3 Cf. M. Goguel, Life of Jesus, p. 93.

Malheureusement les ouvrages de Thallus ont disparu ; nous ne les connaissons que par des citations dans des œuvres postérieures. En dehors de lui, nous ne trouvons aucune référence certaine au christianisme dans les écrits gentils non-chrétiens du premier siècle. Il y a bien, cependant au British Museum un manuscrit intéressant contenant le texte d’une lettre rédigée quelques temps après 73, mais nous ne savons pas combien de temps après. Cette lettre fut envoyée par un Syrien du nom de Mara Bar-Sérapion à son fils Sérapion. Le père était alors en prison et écrivait à son fils pour l’exhorter à rechercher la sagesse, en faisant remarquer que ceux qui persécutaient les sages finissaient toujours par subir les revers de la fortune. Il cite alors en exemple la mort de Socrate, de Pythagore et de Christ : ‘Quel avantage les Athéniens ont-ils gagné à mettre Socrate à mort ? La famine et la peste se sont abattues sur eux en punition de leur crime. Quel avantage les hommes de Samos ont-ils gagné à brûler Pythagore ? En un instant leur terre a été recouverte de sable. Quel avantage les Juifs ont-ils eu à exécuter leur Roi Sage ? Leur royaume fut aboli immédiatement après. Dieu dans sa justice, a vengé la mort de ces trois hommes : les Athéniens moururent de faim ; les Samiens furent submergés par la mer et les Juifs ruinés et chassés de leur terre, vivent dans la dispersion ; mais Socrate n’est pas mort pour de bon, car il survit dans l’enseignement de Platon ; Pythagore n’est pas mort pour de bon car il survit dans la statue d’Héra ; le Roi Sage n’est pas mort pour de bon, car il survit dans l’enseignement qu’il a laissé’.

Cet écrivain n’était sûrement pas un chrétien car, sinon, il aurait dit que Christ survivait puisqu’il était ressuscité des morts ; c’était probablement un philosophe gentil, qui fut le premier à adopter une position aujourd’hui commune qui consiste à considérer Jésus comme un des grands sages de l’Antiquité.

La raison pour laquelle la littérature classique du Ier siècle contient si peu de références au christianisme n’est pas difficile à deviner : du point de vue de la Rome impériale, le christianisme du Ier siècle, qui commençait à peine son existence, n’était qu’une obscure superstition orientale, vulgaire et de mauvais aloi, et s’il devait trouver place dans les rapports officiels, ce ne pouvait être que dans les rapports de police, qui ont malheureusement disparu (avec une quantité d’autres documents du 1er siècle que nous aurions aimé posséder). 4

4 Selon Tacite (Annales XIII, 32) Pomponia Graecina, femme d’Aulus Plautius, le conquérant de la Bretagne, fut accusée, en 57 après J.-C., de croire à une ‘superstition étrangère’. Cette ‘superstition’ n’était autre probablement que le christianisme. Pour la même raison, semble-t-il, l’empereur Domitien fit exécuter son cousin Flavius Clemens et bannit la femme de ce dernier, Flavia Domitilla, en 95 après J.-C. (Suétone, Vie de Domitien, 15.1) ; Dion Cassius, Histoire, 67.14). Lorsque les accusés étaient d’un rang suffisamment élevé, les actes judiciaires devenaient matière historique. La probabilité que Pomponia et Flavia Domitilla aient été chrétiennes est corroborée par les inscriptions de cimetières chrétiens de Rome. Cf. F.F. Bruce, The Spreading Flame, p. 137-162.

Justin (Apol. 1.34) et Tertullien (Contre Marcion 4.7-19) considéraient que les actes juridiques rapportant le recensement de Luc 2.1, et en particulier le recensement touchant Joseph et Marie, pouvaient être consultés dans les archives officielles de l’époque d’Auguste et ils conseillaient aux lecteurs désireux de vérifier les faits concernant la naissance du Seigneur de consulter les archives. Ceci ne signifie pas obligatoirement qu’ils les avaient eux-mêmes consultées mais simplement qu’ils étaient sûrs que les actes y étaient conservés.

Nous aimerions surtout savoir si Pilate envoya à Rome un rapport sur le jugement et l’exécution de Jésus et, dans ce cas, ce que le rapport contenait ; mais il n’est pas certain qu’il l’ait fait et, de toute façon, il n’en reste aucune trace.

Assurément quelques écrivains anciens étaient persuadés que Pilate avait envoyé un rapport, mais il n’y a pas de preuve qu’aucun d’entre eux en ait pris connaissance. Vers l’an 150, Justin Martyr, adressant son Apologie du Christianisme à l’empereur Antonin le Pieux, le renvoyait au rapport de Pilate qui, supposait-il, se trouvait dans les archives impériales. Mais les mots ils ont percé mes mains et mes pieds, dit-il, sont une description des clous qui furent plantés dans ses mains et ses pieds sur la croix ; et après qu’il fut crucifié, ceux qui l’avaient crucifié tirèrent au sort ses vêtements et se les partagèrent ; et vous pouvez vous assurer que les faits sont véridiques en lisant les ‘Actes’ qui furent enregistrés sous Ponce Pilate’. 5 Plus loin, il dit encore : ‘Vous pouvez facilement vérifier qu’il a réellement accompli ces miracles en lisant les ‘Actes de Pilate’ (Apol. 1-48).

5 Apol. 1.35.

Tertullien, le grand juriste-théologien de Carthage, écrit dans son Apologie du Christianisme, adressée aux autorités romaines de la province d’Afrique, vers 197 : ‘Tibère, sous le règne duquel apparut pour la première fois dans le monde le nom de chrétien, exposa au sénat des nouvelles venues de la Syrie-Palestine qui lui avaient révélé la vérité divine manifestée dans ce pays, et lui-même soutint la motion de son vote. Le sénat le rejeta parce qu’il n’avait pas donné lui-même son approbation. César s’en tint à son opinion et menaça de châtiment ceux qui accuseraient les chrétiens. 6

6 Apol. 5-2.

Il serait certainement très réconfortant de pouvoir croire à l’histoire de Tertullien, que lui-même, visiblement, tenait pour vraie ; mais l’historien aura du mal à accepter une histoire si peu plausible, si peu en accord avec ce que nous savons de Tibère, et qui, de plus, est rapportée près de 170 ans après les événements.

Alors que l’influence du christianisme s’étendait rapidement dans l’Empire, l’un des derniers empereurs païens Maximin II, deux ans avant l’édit de Milan, chercha à porter atteinte au renom du christianisme en publiant les Véritables Actes de Pilate (ou soi-disant tels), qui présentaient les origines du Christianisme sous un jour scandaleux. Ces Actes, remplis d’allégations outrageuses au sujet de Jésus, devaient être lus et appris par cœur dans les écoles. Le livre était visiblement forgé de toutes pièces, comme le faisait déjà remarquer l’historien Eusèbe à l’époque (Hist. Ecclés. 1.9) ; entre autres, la datation en était entièrement erronée, puisqu’il plaçait la mort de Jésus dans la 7ème année du règne de Tibère (20 ans après J.-C.), alors que Josèphe indique clairement (Ant. 18-2) que Pilate ne fut nommé procurateur de Judée que dans la 12ème année de son règne (sans compter le témoignage de Luc, selon lequel Jean-Baptiste commença à prêcher dans la 15ème année du règne de Tibère). Nous ne savons pas exactement ce que ces prétendus Actes contenaient, puisqu’ils furent naturellement détruits lorsque Constantin arriva au pouvoir ; mais nous pouvons supposer qu’ils étaient très voisins des Toledoth Yeshu, compilation anti-chrétienne très populaire dans certains milieux juifs du Moyen-Age. 7

7 Cf. Klausner, Jesus of Nazareth, p. 47.

Au IVème siècle apparurent d’autres Actes de Pilate, cette fois-ci d’origine chrétienne, mais tout aussi faux que ceux de Maximin qu’ils étaient peut-être destinés à contrebalancer. Ils existent encore aujourd’hui et comprennent les prétendus actes du procès, de la passion et de la résurrection du Christ, enregistrés par Nicodème et consignés chez Pilate. (On les appelle aussi Evangile de Nicodème). 8 Du point de vue littéraire, ils possèdent un intérêt certain, mais ceci n’est pas du ressort de notre étude.

8 Cf. MR. James, Apocryphal New Testament, p. 94.

Le plus grand historien romain de l’Empire fut Tacite, né en 52-54 après J.-C., qui écrivit l’histoire de Rome sous l’Empire. Dans son histoire du règne de Néron (54-68), qu’il écrivit alors qu’il avait déjà 60 ans, il décrit le grand incendie qui ravagea Rome en 64, et raconte que le bruit courait que Néron l’avait allumé lui-même, pour se glorifier ensuite d’avoir fondé une nouvelle ville. Il poursuit ainsi :

Donc, pour dissiper cette rumeur, Néron substitua des accusés et frappa des peines les plus raffinées ces gens odieux en raison de leurs infamies, que le vulgaire appelait chrétiens. L’auteur de ce nom, Christ, sous la domination de Tibère, avait été mis à mort par le Procurateur Ponce Pilate, et cette détestable superstition, qui avait été étouffée sur le moment, éclatait à nouveau, non seulement à travers la Judée, point de départ de ce fléau, mais même à travers Rome, où affluent et se propagent de tous côtés les abominations et les ignominies. (Annales 15.44).

Ce récit, visiblement, n’est pas de source chrétienne, ni même juive, car des Juifs n’auraient pas appelé Jésus ‘Christ’. Pour un païen tel que Tacite, Christ n’était qu’un nom propre, mais pour les Juifs, comme pour les premiers chrétiens, ce n’était pas un nom mais un titre, l’équivalent grec du sémitique Messiah, qui signifie ‘l’Oint’. Les chrétiens l’appelaient Christ, parce qu’ils croyaient qu’il était le Messie annoncé ; mais les Juifs qui n’y croyait pas ne lui auraient jamais accordé ce titre respecté. Tacite, en tant que gendre d’Agricola, gouverneur de Bretagne de 80 à 84, pouvait facilement accéder à tous les documents officiels existants, et à supposer que Pilate ait fait parvenir un rapport à Rome, Tacite était certainement un des écrivains les plus susceptibles d’en avoir eu connaissance ; mais son style est trop concis pour que l’on puisse en tirer aucune conclusion assurée. Un point, cependant, vaut d’être souligné : en dehors des écrits chrétiens et juifs, Tacite est le seul auteur de l’Antiquité qui ait mentionné Pilate. Ironie de l’histoire : le seul acte qui ait valu à Pilate d’être mentionné dans l’histoire romaine est le rôle qu’il joua dans l’exécution de Jésus ! 9

9 Il y a une référence au christianisme dans ce qui pourrait être un fragment des Histoires de Tacite préservé par Sulpice Sévère (Chron. 2-30) ; ce fragment parle de l’incendie du temple de Jérusalem en 70.

Suétone mentionne aussi le Grand Incendie de Rome dans ses Vies des 12 Césars rédigées vers 120. Dans sa vie de Néron (16-2), il écrit : ‘Des peines furent infligées aux chrétiens, groupe de personnes adonnées à une nouvelle superstition pernicieuse’.

Une autre référence possible au christianisme apparaît dans sa Vie de Claude (25.4) au sujet duquel il écrit :

‘Comme les Juifs provoquaient constamment des troubles à l’instigation de Chrestus, il les chassa de Rome.’

Nous ne savons pas avec certitude qui est ce Chrestus, mais il est probable que les troubles qui agitaient les Juifs romains de cette époque étaient dûs à l’apparition du christianisme dans les cercles juifs de Rome, et que Suétone, trouvant parmi les Juifs des traces de discorde à propos d’un certain Chrestus (variante orthographique de Christus dans les milieux Gentils), en déduisit faussement que ce Chrestus était à Rome du temps de Claude. Quoi qu’il en soit, cette indication nous intéresse d’un autre point de vue, car nous lisons dans Actes 18.1 que Paul, à son arrivée à Corinthe (probablement vers l’an 50), y rencontra un nommé Aquilas et sa femme Priscille arrivés tout récemment de Rome, car Claude avait ordonné à tous les Juifs de quitter la ville. Ce couple joua un rôle important dans l’histoire des débuts du christianisme ; peut-être même furent-ils membres fondateurs de l’Eglise de Rome.

D’autre part, Suétone écrit dans la Vie de Claude (18.2) que le règne de Claude fut marqué par ‘une série de saisons sans récoltes’ (assiduae sterilitates) qui nous rappellent la prophétie d’Agabus dans Actes 11.28, annonçant ‘une grande famine dans tout l’univers, ce qui se produisit sous Claude’.

En 112, C. Plinius Secundus, plus connu sous le nom de Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie (Asie Mineure), écrivait à l’empereur Trajan, pour lui demander conseil à propos de l’embarrassante secte des chrétiens qui prospérait dans sa province. Selon les témoignages qu’il avait pu se procurer en soumettant quelques-uns à la torture, ‘ils s’assemblaient à jour marqué avant le lever du soleil ; ils chantaient tour à tour des vers à la louange du Christ comme d’un Dieu ; ils s’engageaient par serment, non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol, de brigandage, d’adultère, à ne point manquer à leur promesse, à ne point nier un dépôt ; après cela, ils avaient coutume de se séparer, et se rassemblaient de nouveau pour manger des mets communs et innocents’. 10

10 Epîtres 10, 96. Les derniers mots de la citation font allusion à l’accusation de meurtre rituel proférée, dans l’antiquité, contre les Juifs (cf. Josèphe, Contre Apion, 2, 8) et contre les chrétiens (cf. Tertullien Apol. 7 etc.)

Quoi que l’on puisse penser par ailleurs du témoignage des écrivains juifs ou païens brièvement évoqués dans ces chapitres, ils établissent en tous cas formellemcent pour ceux qui refusent les témoignages des chrétiens, la réalité historique du personnage de Christ. Si certains se plaisent à élaborer des théories sur un ‘Christ mythique’, ils ne peuvent en tout cas pas le faire sur la base des preuves historiques. L’historicité du Christ est aussi évidente pour l’historien impartial que celle de Jules César. Ce ne sont certes pas des historiens qui propagent les théories du ‘Christ-mythe’. 11

11 Sur les théories du ‘Christ-mythe’, cf. H.G. Wood, Did Christ Really Live ? ; A.D. Howell-Smith, Jesus : Not a Myth (1942).

Les premiers propagateurs du christianisme ont accueilli avec satisfaction l’examen minutieux des faits historiques relatifs au message chrétien. Les grands événements du ministère et de la résurrection du Christ ne s’étaient pas ‘passés dans les coulisses’, comme le dit si bien l’apôtre Paul au roi Agrippa, et pouvaient supporter toute la lumière qu’il était possible de faire à leur sujet. Le même état d’esprit devrait animer aujourd’hui les successeurs de ces premiers chrétiens. car, en se familiarisant avec les preuves de l’authenticité du message de l’Evangile, ils pourraient non seulement exposer à tous les raisons de l’espoir qui les habite mais eux-mêmes pourraient aussi, comme Théophile, éprouver la solidité des enseignements qu’ils ont reçus.

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