Fondé sur le Roc

Chapitre 10

L’approbation du réveil

Le réveil eut aussi son effet sur l’activité abondante des élèves de l’Ecole. Je dois résumer mes souvenirs, mais je prie que ce témoignage ranime l’espoir et le zèle des uns, tout en conduisant les autres à se consacrer entièrement au service du Maître, qui n’accorde Sa vraie puissance qu’à ceux qui Lui obéissent (Actes 5.32).

Pendant le temps de nos études, l’activité extérieure des étudiants consistait à répondre aux demandes de cultes et de réunions diverses que la direction recevait des Eglises, des œuvres et sociétés religieuses, ainsi que d’institutions telles qu’hôpitaux, prisons, poli-cliniques, homes, etc. Ce travail comprenait encore des réunions en plein air et dans les bas-fonds ; en un mot notre champ d’activité était aussi vaste que varié.


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Je parlerai d’abord des réunions en plein air qui prirent, dès qu’éclata le réveil, un caractère remarquable. C’est en effet là que se déversa entre les heures de cours le trop-plein de la vie abondante des élèves ; c’était là aussi l’un des buts pratiques de nos belles réunions de prière du soir dont je viens de parler.

L’Ecole étant située au centre de la ville, nous nous trouvions près de vastes carrefours ; il nous était facile d’atteindre la grande foule. Les réunions en plein air avaient généralement lieu le soir. Mais dès lors nous organisâmes des réunions à midi, à l’heure du lunch où les hommes d’affaires, les employés de bureau et de magasins venaient s’ajouter au grand trafic, dans les artères principales.

Je me souviens surtout de deux des endroits choisis. Nous nous placions de préférence à l’angle d’une rue transversale qui débouchait sur Sauchiehall Street. Nous nous y rendions en colonne de marche en chantant de beaux cantiques aux mélodies entraînantes, véritables chants de guerre et de gloire, dont nos cœurs étaient débordants. Toutes ces voix d’hommes formaient une merveilleuse harmonie, et dégageaient une telle puissance que les foules s’arrêtaient et que beaucoup suivaient le cortège des chanteurs. Arrivés à notre poste, nous nous mettions en cercle et aussitôt commençaient les témoignages entrecoupés de chants. En Grande-Bretagne, chacun a l’habitude des réunions en plein air, mais ces réunions-là avaient un caractère spécial du fait de la puissance divine qui s’y manifestait. L’amour de Dieu et le fardeau du monde perdu qui nous avaient été révélés et communiqués dans les réunions de prière s’exprimaient librement. Les témoignages étaient courts et visaient un but précis. Le temps était passé de ces témoignages où l’on cherche à se faire valoir, où l’on veut laisser l’impression de ses dons de prédicateur. Le feu de Dieu brûlait dans nos cœurs ; et la réalité du feu de l’enfer menaçant toutes ces âmes perdues nous contraignait à les en arracher à tout prix. Le réveil nous avait communiqué — enfin ! — le sens véritable du sort qui attend toute âme qui n’est pas sauvée. Enfin nous comprenions que l’exemple de Celui qui est « venu chercher et sauver ce qui était perdu » est la raison d’être de tout ouvrier de Christ. Enfin nous comprenions que l’Eglise, les églises, l’évangéliste, le pasteur, le chrétien n’ont pas le droit de viser un autre but que celui-ci : glorifier le Seigneur en Lui amenant des âmes. L’amour de Christ nous étreignait en toute réalité et nous savions supplier les hommes d’être réconciliés avec Dieu.

C’est à ce genre de travail que nous préparons les élèves de l’Ecole Biblique de Genève, en leur conseillant d’aller où les besoins sont les plus grands. C’est ce qui nous a amenés à organiser ces « sorties d’action » où des groupes, des équipes entières se transportent hors de nos frontières pour répandre les Ecritures et atteindre les non-atteints. Cette branche si féconde de l’activité de l’Action Biblique a été conçue en plein réveil pour trouver sa réalisation plus tard, en différents lieux et pays où Christ n’avait pas été annoncé, ou mal annoncé.

De temps en temps, la police devait nous rappeler à l’ordre, car les foules débordaient dans l’artère principale et gênaient le trafic. Quand il en était ainsi, nous nous reformions en cortège et, tout en entonnant un nouveau chant de guerre, nous nous dirigions vers un autre emplacement, suivis d’une bonne partie de la foule. Quelques-uns d’entre nous étaient responsables de l’offre de brochures et d’Evangiles, et d’autres se donnaient comme tâche d’entrer en conversation pour atteindre les âmes une à une — ce que nous appelions la pêche à la ligne. Tout ce travail était accompli rapidement, mais avec ordre et précision.

Il est impossible d’oublier ces scènes, cette foule saisie, comme soustraite par une puissance invisible au courant du trafic et subitement mise en face du glorieux Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ, annoncé par des jeunes gens qui avaient obéi à Dieu et qui avaient reçu la puissance d’en haut. Il n’y avait aucune crainte dans nos cœurs ; il nous semblait que tout nous était possible, tellement le Seigneur était avec nous !

Un autre de nos emplacements de prédilection pour ces réunions de midi était un carrefour proche de la gare centrale. Là le bruit était encore plus grand, car à celui des tramways et des lourds attelages venait s’ajouter celui des trains ; et à notre côté se trouvait le pont de la voie ferrée. Il nous fallait donc forcer nos voix, savoir ce que nous allions dire et le dire avec conviction, sans intervalle de silence ni hésitation. Dès que l’un terminait, l’autre commençait. Pendant que l’un parlait, les autres, qui formaient le cercle, priaient et soutenaient l’orateur ; d’autres de nos camarades circulaient dans la foule, discernant et cherchant les gens touchés pour leur parler. Notre entente était parfaite et tout ce travail était magnifique.

Le Saint-Esprit nous donnait Son message en toute simplicité, le langage sobre et direct rendait le message de l’Evangile accessible à l’homme de la rue ; on n’entendait aucun verbiage religieux. Les élèves et la foule formaient un tout. Le Seigneur maintenait Son autorité sur ces rassemblements sur lesquels planait la puissance divine. La lutte était très grande à certaines occasions ; les puissances des ténèbres étaient très réelles, le souffle de Satan terrible, ses agents puissamment à l’œuvre. Mais nous apprîmes alors que l’utilisation de la pression est le secret de la puissance. Il ne faut pas craindre l’opposition et la résistance des hommes et du diable, mais les vaincre et les employer au Nom du Seigneur pour entrer en possession d’un secret de puissance et de victoire nouvelles. Plus de quarante ans de service pour Dieu m’ont permis d’avoir une abondante démonstration des effets de cette loi.

Malgré l’opposition que nous rencontrions souvent, je ne me souviens pas qu’aucune de ces réunions ait dû être interrompue. Ce n’était pas un service facile, mais il y avait une telle unité entre nous, une telle joie et puissance dans nos cœurs, que nous rentrions toujours à l’Ecole avec le sentiment que le témoignage avait été rendu, et bien rendu, et que d’innombrables âmes avaient été subitement mises en face des réclamations de l’Evangile. La semence avait été semée ; nous avions obéi à l’ordre d’Actes 1.8. Dieu avait fait le reste. L’éternité le prouvera.


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Une autre occasion spéciale nous était donnée deux fois par an, quand fermiers et ouvriers de campagne avaient rendez-vous sur une place de la ville en vue des engagements de travail à conclure pour l’année. Le champ de foire était rempli d’une foule de gens de la campagne et des Highlands. Il y en avait de tout âge et de toute condition. Les marchands forains avaient dressé leurs bancs et l’animation et le bruit étaient grands. Nous prenions nos positions au milieu de la place. Il nous fallait littéralement nous serrer les coudes, car les interrupteurs ne manquaient pas : incrédules et ivrognes décidés à rompre notre cercle pour troubler la réunion. L’enfer était à nos portes ; le démon de la boisson levait la tête, excitant ses victimes. Souvent notre situation devenait dangereuse, mais la police veillait et le Seigneur aussi. Notre but n’était pas seulement de prêcher l’Evangile, mais de mettre chacun en possession soit d’une brochure soit d’un Evangile, quelque chose que ces gens pourraient prendre avec eux et lire là-bas, quand ils seraient loin de la foule.

Notre activité nous conduisait aussi dans certains bas-fonds d’une réputation telle qu’il ne fallait pas moins de trois gendarmes pour le service de surveillance ! Les choses ont changé depuis ; mais alors ces lieux étaient de vraies succursales de l’enfer. La boisson et le péché avaient une telle emprise sur ces habitants qu’ils étaient réduits à l’état social et moral le plus bas qu’on puisse imaginer. Avec mon ami Mitchell, munis de brochures et d’Evangiles, nous aimions donner nos soirées libres à des promenades dans ces quartiers, dans l’espoir d’atteindre au moins quelques-uns de ces gens-là. Avec d’autres étudiants qui faisaient le même travail, toujours deux à deux, nous descendions ces sombres rues, nous parcourions les allées des docks, ramassant les ivrognes et tâchant de donner une parole d’espérance aux misérables épaves que nous rencontrions sur notre route. Un fait remarquable est le respect de la Bible qui subsistait dans cette population en partie dépravée. Aussi la portions-nous en évidence, sous notre bras. Quelques-uns des pires voyous, qui avaient appris à nous connaître, nous saluaient cordialement. Jamais nous n’avons été molestés quand nous étions sur l’offensive pour répandre l’Evangile. A deux reprises seulement, nous fûmes en danger par inexpérience et manque de prudence de notre part : une fois en voulant arrêter un combat de femmes, qui alors dirigèrent leur colère contre moi. Et une autre fois où, voyant plusieurs hommes se jeter contre un homme seul, je voulus prendre sa défense et devins aussitôt le but des attaques de toute la bande. J’étais accompagné d’un camarade canadien qui réussit à me dégager de la mêlée, et nous sautâmes dans un tram qui passait… mais j’avais laissé une dent sur le terrain du combat. C’est ainsi qu’on apprend…


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Une autre activité que mon ami Mitchell et moi aimions spécialement consistait à nous munir d’affiches que nous portions l’une sur la poitrine et l’autre sur le dos, ainsi qu’une étiquette « Mettez-vous en règle avec Dieu » sur nos chapeaux. Nous nous rendions à midi à la sortie de la Bourse. Je dois dire que quelquefois nous avions de la peine à ne pas rire en voyant la mine ahurie des brasseurs d’affaires et des banquiers qui se trouvaient subitement en face de ces textes : « Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde s’il perdait son âme ? » ou « Christ est mort pour les impies », ou encore « Le salaire du péché, c’est la mort », etc. Notre méthode était de nous promener parmi les gens de la Bourse sans rien dire ; et l’heure étant passée, nous rentrions à la maison.

La grâce et la puissance de Dieu survenues dans nos vies étaient telles que ces promenades n’exigeaient pas de notre part un effort pénible, elles étaient pour nous simplement le moyen d’exprimer ce qui bouillonnait dans nos cœurs. Il nous fallait cependant rester très près du Seigneur, dans Sa communion — et mourir à nous-mêmes. Cette méthode de témoignage ne s’adapte évidemment pas à tous les temps et à tous les pays. Mais à ce moment-là, elle porta de bons fruits à Glasgow.


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Quant aux réunions et aux cultes que les élèves présidaient les soirs de semaine et les dimanches en ville, c’était une tout autre lutte. Car si le réveil avait éclaté dans certaines salles d’évangélisation de la ville et dans certaines Eglises, nous étions souvent appelés à parler à des congrégations où régnaient encore la mort et l’hiver. C’est ainsi que nous apprîmes à discerner les atmosphères spirituelles, à résister en esprit à l’encerclement de la mort et du formalisme. Voilà comment Dieu bénit le ministère des élèves. Cependant le réveil ne se répandit que d’une façon restreinte dans la ville ; il se manifesta plutôt dans la vie et l’activité des élèves de l’Ecole, car Dieu avait surtout en vue leur avenir sur le champ missionnaire.


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La bénédiction qui reposa sur une Mission tenue dans une Eglise presbytérienne de Lurgan, près Belfast, en Irlande, fut une suite directe du réveil de Glasgow. Un camarade de l’Ecole nous avait invités, mon ami et moi, à passer les vacances chez lui pour y tenir des réunions de réveil. Je sentis que Dieu nous mettait à l’épreuve et nous lançait à l’eau. Ainsi nous partîmes tous les trois.

C’était le dimanche de Pâques ; de bonne heure le matin nous fûmes réveillés par la fanfare de l’Armée du Salut qui jouait sous nos fenêtres : « Christ est ressuscité ». Vite nous sautâmes hors de nos lits, nous préparant à notre première journée d’action. Un pasteur, béni lui-même par le réveil du Pays de Galles, venait de donner une série de réunions dans cette ville ; un grand travail y avait déjà été accompli et l’esprit du réveil ne demandait qu’à être alimenté. Le chemin était préparé et nous n’avions qu’à y entrer à notre tour.

La Mission consistait en réunions pour enfants, réunions en plein air et réunions de réveil le soir dans l’église. La puissance de Dieu était là ; sous l’action du Saint-Esprit, l’église se remplissait chaque jour d’un auditoire venu pour entendre ce que ces jeunes gens de Glasgow avaient à leur dire. Pour nous, c’était une expérience entièrement nouvelle ; mais nous comptions sur Celui qui nous avait envoyés et sur la puissance de Son Esprit. Sachant que Dieu choisit les choses faibles et folles de ce monde pour anéantir les fortes, nous considérions comme un honneur d’être appelés, comme l’apôtre Paul lui-même, « fous pour Christ ».

Les âmes se convertissaient, les chrétiens étaient réveillés et, comme conséquence, le feu s’étendait. Mais de nouveau le fleuve de la bénédiction spirituelle nous conduisit dehors dans les rues, et c’est là que se fit le travail principal. Quelles réunions ! Quels auditeurs ! Et quand nous nous promenions en cortège à travers la ville, quelle puissance se dégageait des chants ! Nous entraînions les curieux avec nous pour ensuite nous arrêter, nous disposer en cercle et prêcher.

La ville fut entièrement remuée ; les réunions qui avaient précédé les nôtres avaient laissé de telles traces que maintenant les cafés se fermaient, faute de clients. Les chrétiens se réconciliaient entre eux, grâce à l’action du Saint-Esprit dans leurs cœurs, et le plus important de tout : les âmes se convertissaient, souvent seules avec leur Bible, tellement la grâce divine était à l’œuvre.

Les réunions d’enfants étaient merveilleuses. L’esprit de réveil s’emparait de ces jeunes cœurs, leur donnant un esprit de prière et de louange dignes de chrétiens plus âgés ; leurs chants d’ensemble, les refrains qu’ils avaient appris étaient quelque chose d’irrésistible.

La Mission de Lurgan dut être prolongée ; le directeur de l’Ecole Biblique nous donna à cet effet une autorisation spéciale. Puis les convertis furent laissés dans les mains de chrétiens capables de les suivre et de les nourrir spirituellement. Je rends grâces à Dieu pour l’expérience faite alors : celle de me trouver subitement en face d’une responsabilité considérable sans aucune expérience préalable de ce genre de ministère. Quand Dieu appelle à une tâche quelconque, c’est Lui qui en prend la responsabilité, et nous en avons le privilège. Il m’avait donné cette promesse en ce soir mémorable du réveil « … afin que la bénédiction promise… se répandît… par la foi… » Ayant pris cette promesse pour moi-même, je savais que je pouvais y croire implicitement et que la bénédiction devait se répandre. Ce que j’avais reçu, je le donnais tout simplement. On perd la bénédiction que l’on garde pour soi-même ; la bénédiction que l’on donne se multiplie. « Car on donnera à celui qui a, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. »

Nous sommes rentrés à Glasgow heureux et reconnaissants, et avons terminé notre deuxième année d’études dans la plénitude de la bénédiction de l’Evangile de Christ, tandis que le Seigneur conduisait nos pensées et nos prières dans la direction des missions. De nombreuses visites de missionnaires contribuèrent à cette action de l’Esprit de Dieu.

C’est à cette époque qu’un pasteur canadien visita l’Ecole en vue de faire connaître son œuvre et de chercher des recrues pour les provinces du Nord-Ouest. En nous présentant les besoins de cette vaste contrée, il dit ces mots que je n’oublierai jamais : « La seule condition que nous posons à nos candidats, c’est qu’ils connaissent leur Bible et qu’ils connaissent aussi le cœur de l’homme. » C’est en effet ce qui doit caractériser tout serviteur de Dieu, et c’est à cela que nous visons à l’Ecole Biblique de Genève. Mon ami Mitchell répondit à cet appel et s’établit au Canada.

Ainsi se formèrent des vocations inspirées par le Maître de la moisson. A la réunion de clôture de la session, le nombre d’élèves qui à tour de rôle dirent comment Dieu les avait appelés et où Il les envoyait fut une merveilleuse démonstration des fruits du réveil, répandus maintenant en Asie, en Afrique, en Amérique… jusqu’aux extrémités de la terre.

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