Les attributs divins trouvent leur complète unité dans l’amour. L’amour n’est pas un des aspects, mais la propre substance de l’être divin. Tous les autres attributs ne sont que des modifications de l’amour et ne servent qu’à mettre en évidence sa véritable signification. L’amour nous servant de point de départ pour de nouvelles études, mettons-nous en présence du mode des révélations de Dieu dans une nouvelle sphère. Maintenant il n’est plus question de quelques-uns des aspects du rapport qui unit Dieu et ce monde, mais de ce rapport en lui-même et dans son ensemble. L’Évangile nous enseigne que Dieu est amour, et que l’amour un se révèle dans une triple personnalité comme Père, Fils et Saint-Esprit. Bien que la conscience chrétienne soit l’expression du monothéisme le plus pur, elle ne peut concevoir l’amour un qu’en trois personnes. Le culte chrétien, qui a renversé cependant les autels de l’idolâtrie polythéiste, ne laisse notre âme s’élever vers le Dieu un que par l’invocation trinitaire. La foi nous enseigne que la vie éternelle jaillit pour nous de trois sources vivantes et personnelles : de Dieu le Père qui nous a créés, de Dieu le Fils qui nous a rachetés, et de Dieu le Saint-Esprit qui nous sanctifie et nous fait être enfants de Dieu. Ce n’est donc que par la doctrine trinitaire que nous parvenons à la connaissance de l’amour divin dans toute sa plénitude. Le Père, le Fils, le Saint-Esprit ne sont pas des attributs, des énergies, ni des forces divines ; ce sont des hypostases, c’est-à-dire des distinctions telles que chacune d’elles exprime non des aspects différents de l’être divin, mais l’être divin dans sa plénitude. Ce sont des moments dans l’être divin, mais des moments dont chacun en particulier retient toute la substance, tout l’amour de l’être divin lui-même se révélant seulement sous une forme différente. Tous les attributs divins sont en Dieu le Père, qui, par sa parole, a créé le monde et conçu de toute éternité le plan de son royaume. Tous les attributs divins sont en Dieu le Fils, la Parole éternelle, qui, au commencement, était auprès de Dieu et était Dieu ; par lequel tout a été créé, et qui, dans la plénitude des temps, été fait chair et a habité parmi nous. Tous les attributs divins sont encore dans le Saint-Esprit, par lequel nous connaissons ce qui nous est donné de Dieu, et devenons capables de sonder les profondeurs du Père et du Fils. Chacun de ces moments est l’amour tout entier, quoique sous des rapports différents.
La doctrine chrétienne du Dieu un, se révélant à nous par trois révélations dont chacune le révèle tout entier, est une doctrine qui ne procède pas de la métaphysique, mais de la foi aux faits révélés. La foi réelle et historique au Père, au Fils, et au Saint-Esprit, est exprimée dans toute sa simplicité par le Symbole des apôtres, que consacre encore aujourd’hui la formule du baptême chrétien. Quand sur cette base l’Église a élevé sa doctrine d’un Dieu en trois personnes, ou en trois hypostases, elle n’a eu qu’une seule préoccupation : maintenir dans toute sa pureté l’idée chrétienne de Dieu contre les empiétements du judaïsme et du paganisme, contre l’arianisme et le sabellianisme. Elle ne soutint sa grande lutte que pour affirmer le christianisme comme la révélation parfaite de l’amour de Dieu, vérité méconnue par la conception déiste ou arienne, qui creuse un abîme entre Dieu et la création, et par celle des panthéistes ou sabelliens qui les confond l’un et l’autre.
L’arianisme ne veut appeler Dieu que le Père, et considère le Fils et le Saint-Esprit comme des êtres subordonnés. Il n’est qu’une réaction au profit du judaïsme incrédule, cette paroi infranchissable entre Dieu et la création. Il croit que le Très-Haut ne se laisse connaître qu’au reflet de sa gloire, dans ses œuvres, dans les puissances et les vertus qui le proclament, et dans la loi qui nous dicte ses volontés.
Quant à Dieu lui-même, il siège inaccessible par dessus les mondes, dans sa redoutable majesté. L’homme ne pourra jamais le rencontrer face à face ; il verra tout au plus dans la nature le bord de son vêtement, et son doigt dans l’histoire. Contre une pareille doctrine, l’Église affirme que certainement le Père n’est pas venu en ce monde, mais qu’il ne serait pas amour, lui qui en tant que Père est au-dessus du monde, si le Fils ne procédait pas du Père et si, dès le commencement du monde, le Fils n’avait pas été dans le monde, en tant que Fils, Dieu de Dieu, portant avec lui la lumière et la vie des hommes, et s’incarnant à l’heure de l’accomplissement des temps.
Christ est-il un demi-dieu, ou n’est-il qu’un homme, se rapprochant de la divinité autant qu’il est possible à un homme de le faire ? N’est-il qu’un ange, ou le plus grand de tous les prophètes ? Il n’est alors qu’une créature, et la révélation chrétienne n’est plus la révélation parfaite ; car aucune créature, aucun homme, aucun ange, mais Dieu seul peut révéler Dieu tel qu’il est. Le Dieu homme, qui réunit en lui la nature incréée à la nature créée, peut seul combler l’abîme entre le Créateur et la créature ; lui seul peut encore réaliser entre eux la miséricordieuse médiation. Pour la doctrine du Saint-Esprit, on peut faire la même argumentation. De même que Dieu ne peut être révélé que par Dieu, Dieu seul peut nous faire aimer et comprendre Dieu. Dieu, qui est l’objet de la connaissance et de l’amour dans la conscience humaine, doit en être aussi, dans cette même conscience, le principe. Si le Saint-Esprit n’est plus qu’une force divine ou une énergie, ce n’est plus Dieu lui-même qui, comme Esprit-Saint, se trouve au milieu de son Église ; il n’y a plus dès lors cet amour réel, cette communication parfaite entre Dieu et l’âme. C’est pourquoi nous maintenons avec Athanase la consubstantialité (ὁμουσία) du Fils et du Saint-Esprit avec le Père. Nous maintenons encore que le Saint-Esprit n’est pas seulement une force divine, un don de Dieu, mais Dieu lui-même se révélant en Christ. Nous établissons ainsi l’immanence de Dieu, sa sainte présence dans la création.
Mais si l’idée chrétienne de Dieu se distingue du judaïsme incrédule, elle se distingue également du paganisme, confondant panthéistiquement Dieu et la création. Tel est le cas de l’hérésie sabellienne. Le sabellianisme donne le nom de Dieu au Père, au Fils, et au Saint-Esprit ; mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont que les modes différents pour la révélation de la substance divine apparaissant dans le monde ; en Dieu elles n’existent pas réelles et éternelles. En d’autres termes, la trinité n’existe qu’avec le monde, avant lui, et indépendamment de lui. Dieu n’est pas trois, mais la pure unité, la divinité impersonnelle qui est élevée au-dessus de toute distinction. Avec ce monde seulement la trinité se fait dans l’unité, ou, si l’on aime mieux, ce n’est qu’avec le développement de ce monde, ou pour mieux dire, le développement de la conscience religieuse, que Dieu se montre sous la forme trinitaire. En tant que l’essence divine est conçue comme la cause du monde, Dieu se révèle comme Père. En Christ, nous nous représentons le même être, comme Fils, et dans l’Église comme Saint-Esprit. Dieu est devenu Fils dans la plénitude des temps, et Saint-Esprit dans l’Église. La trinité ne représente donc que les différents moments de l’histoire de la révélation et du développement de l’essence divine dans le monde. L’Église doit protester contre une pareille doctrine, parce que, non moins que l’arianisme, elle nie que le christianisme soit la révélation de l’amour divin. Car il ne peut pas être question de l’amour de Dieu, si Dieu est la déité impersonnelle se connaissant pour la première fois en Christ et s’affirmant comme l’Esprit pour la première fois dans l’Église. Si Dieu est amour, il faut qu’il puisse se résoudre librement à se révéler au monde ; par suite, il doit, dans une éternelle révélation de lui-même à lui-même, vivre une vie d’amour. Et si Dieu se révèle à nous dans une triple personnalité comme Père, Fils et Saint-Esprit, il doit de toute éternité s’être révélé à lui-même et s’être aimé dans ce triple rapport. L’on peut donc dire que le Dieu un considère le monde sous trois aspects (τρία πρόσωπα) mais il faut que ces trois aspects ne regardent pas seulement le monde, mais qu’ils se regardent entre eux et se reflètent mutuellement, autrement ils ne seraient pas la révélation de l’essence divine ; ils n’en seraient que la dissimulation. D’après le sabellianisme, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont que trois masques qui simulent la révélation de l’amour, tandis que derrière eux il n’y a qu’une substance impersonnelle qui ne peut ni aimer ni être aimée. De même que le sabellianisme supprime la révélation de l’amour, il supprime également l’indépendance de la trinité, en faisant dépendre sa manifestation de l’existence du monde. Le même jugement s’applique à toutes les interprétations panthéistes de la trinité, depuis Sabellius jusqu’à Schleiermacher et Hegel. C’est pourquoi, avec l’Évangile, nous devons maintenir la distinction entre la révélation de Dieu extérieure (ad extra) et la révélation intérieure (ad intra, ou entre l’économie de la trinité et la substance de la trinité (τρόπος ἀποκαλύψεως et τρόπος ὑπάρξεως).
Remarque. — Quoique l’Écriture considère surtout la trinité dans l’économie de la rédemption, dans le conseil éternel de Dieu manifesté par cette rédemption, dans la venue du Christ, dans les effets du Saint-Esprit sur l’Église, elle renferme d’assez nombreuses indications d’après lesquelles on peut affirmer que la trinité révélée n’implique pas seulement le rapport de Dieu à l’homme, mais un rapport personnel dans l’intimité de l’être divin lui-même. L’Évangile de saint Jean dit : « Au commencement, la parole était avec Dieu. » Il pose par conséquent une distinction réelle entre Dieu et Dieu, et un rapport interne de Dieu à Dieu. Et quand saint Paul dit que l’esprit sonde les profondeurs de Dieu, il dit également que le Saint-Esprit n’est pas uniquement l’action de Dieu s’exerçant sur le monde, mais encore une action intime de Dieu sur lui-même, et qu’en réalité le Saint-Esprit est Dieu. Dans ces passages et d’autres analogues, l’Église peut trouver des indications précises qui permettent de concevoir la trinité révélée comme n’étant que l’expression d’une trinité intime et réelle. Au reste, l’idée de révélation implique nécessairement l’idée trinitaire.
Une connaissance vivante, une intuition complète du mystère de la trinité est certainement impossible pour l’esprit créé, car nous ne pouvons pas pénétrer dans la gloire intime de Dieu, et nous n’avons qu’à nous rappeler que ce mystère habite dans une lumière inaccessible. Nous ne pouvons avoir june conception véritable de la trinité qu’en étudiant l’économie de la révélation par les œuvres de la création, de la rédemption et de la sanctification. Une esquisse, c’est-à-dire une connaissance ontologique de la substance de la trinité, nous est donc possible. La conception de la trinité se confond pour nous avec celle de la personnalité divine ; car concevoir la trinité, c’est se représenter ontologiquement la forme essentielle de la vie personnelle de Dieu, les moments de l’essence divine, sans lesquels la personnalité et la conscience de la personnalité seraient impossibles. L’ancien comme le moderne arianisme croit, il est vrai, que Dieu peut être personne sans qu’il y ait en lui trinité, et que la personnalité divine est suffisamment assurée quand on a conçu Dieu comme Père, lui reconnaissant une volonté et la conscience de lui-même. Mais nous demandons s’il est possible de se représenter, ou même de penser que Dieu, de toute éternité, s’est connu comme Père, si de toute éternité il n’a pas pu distinguer son moi à lui du moi d’un Fils avec lui éternel dans l’unité de l’Esprit. En d’autres termes, est-il possible de se représenter Dieu pouvant dire moi, sans qu’en même temps il ait pu dire toi ? Si donc nous enseignons avec l’Église la préexistence éternelle du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme indépendante de la création, nous voulons dire que Dieu, pour se révéler lui-même, a dû pouvoir s’aimer éternellement et, par conséquent, se distinguer en moi et en toi, en Père et en Fils, et en même temps se recueillir en lui-même comme l’Esprit de l’amour, lequel n’est -passible qu’étant donné un rapport de personne à personne. Nous avons parfaitement le droit de raisonner ici par analogie, nous référant à la formation de la conscience humaine, puisque l’homme a été créé à l’image de Dieu. On nous objectera cependant que les distinctions ne constituent point des réalités personnelles, mais de simples idéalités. Cette objection n’est possible que parce qu’on oublie la différence entre la conscience créée et la conscience incréée, et de plus que la trinité, dans la conscience humaine, en atteste une autre d’un type supérieur dont elle n’est que le reflet. Que cette trinité en nous ne soit qu’une idée et non point un fait, la cause en est qu’en l’être créé il faut que la pensée et l’être restent distincts, son développement même n’étant possible que par cette distinction. En Dieu, au contraire, la pensée et l’être sont un ; l’action par laquelle Dieu acquiert la conscience de son être s’accomplit en lui avec sa propre substance. Aussi certainement que Dieu doit se connaître lui-même dans la conscience de sa béatitude, aussi certainement il doit se former en Dieu un plérôme de réalités, d’idées, de forces et de puissances divines, véritable monde incréé (κόσμος νοητος) ; mais si, dans la sphère de la conscience divine, le triple rapport du moi divin avec lui-même a pour conséquence un rapport dans la même forme avec le monde céleste incréé, les trois moi en Dieu deviennent non pas des différences en idée, mais des différences de personne, des différences de conscience, et des différences d’essence (τρόπος ὑπάρξεως).
Lorsque le moi divin sortant de son essence incréée se révèle lui-même à lui-même, traduisant sa plénitude sous la forme visible d’une pensée qui s’affirme, Dieu est le Père éternel. Dieu contemple alors tout un monde sortant des profondeurs de sa nature, mais se distinguant de son être, de son moi à lui, dans une autre substance et sous une autre forme. Ce monde céleste idéal produit des profondeurs de Dieu est, pour la conscience divine, ce qu’est le monde extérieur pour la conscience humaine. Il ne serait pas un système, mais un chaos s’anéantissant dans une confusion sans borne, si sa naissance ne coïncidait pas avec aussi celle de Dieu, du Logos, le principe pensant, ordonnateur et coordonnateur de ce monde, qu’il conserve et qu’il fait vivre dans la lumière et la vie, sous le regard et l’approbation du Père.
L’apôtre saint Jean dit : « Au commencement était la parole, et la parole était auprès de Dieu, et la parole était Dieua. » Cette solennelle affirmation représente la parole éternelle, dans laquelle le Père se contemple lui-même, parole parlée et parole parlante, révélation et révélateur. Ici, nous pouvons saisir la différence du judaïsme et du christianisme sur la manière de concevoir l’économie intime, la révélation de la divinité dans son propre sein. D’après la conception de l’Ancien Testament, Dieu se révèle lui-même dans la sagesse qui était auprès de lui, au commencement, et s’ébattait devant sa face. Mais, dans l’Ancien Testament, la sagesse n’est que le prototype éternel de ce monde, l’idée qui sans doute est surnaturelle et incréée. Elle n’est pas Dieu lui-même, mais l’intermédiaire entre le Très-Haut et le monde révélé.
a – Jean 1.1.
On peut en dire autant de la philosophie de Philon. Dans ce système, le Logos n’est que l’expression du monde céleste (κόσμος νοητός), monde incréé, il est vrai, mais toujours subordonné à Dieu. La théologie juive, quand elle cherche à comprendre comment Dieu se révèle à lui-même, ne le met aux prises qu’avec des idées, et ne le connaît, en tant que Père, que comme Père du plan de ce monde et de la création. Mais pour que Dieu ait réellement conscience de lui-même, il faut qu’il pense un autre que lui, et que cet autre qu’il pense soit un autre lui-même. De même, pour se savoir Père, il faut qu’il se connaisse non comme le Père de la création ou de l’idée, mais le Père du Logos pensant qui produit l’idée, et sans lequel aucune pensée ne pourrait se présenter au Père comme une réalité distincte et hors de lui. En disant que Dieu se connaît comme Père, nous voulons dire : Dieu ne se connaît comme le principe de l’univers céleste, qui éternellement procède de lui, que pour autant qu’il se sait lui-même le principe de sa propre procession dans cet univers, dans lequel il s’hypostasie comme le Logos. Que Dieu se connaisse comme Fils, cela veut dire : Dieu se connaît comme Celui qui de toute éternité procède de sa propre substance créatrice, comme le second Dieu (δεύτερος Θεός), donnant une forme sensible et distincte à la plénitude contenue dans le sein du Père. Sans le Fils, le Père ne pourrait pas dire moi, car le moi ne peut pas se concevoir sans un être distinct du moi (un non-moi, un toi) dont la présence l’oblige à se connaître comme moi, le non-moi supposant toujours un toi. Ce que sont le monde extérieur, la nature et les autres personnalités, pour le développement de notre propre conscience, le Fils et les réalités qui sont en lui et pour lui (δἰ αὐτοῦ) le sont pour le Père ; ils constituent pour lui le milieu extérieur, condition de son éternelle personnalitéb. Si en Dieu la révélation extérieure n’était la révélation que par le Fils, Dieu ne se révélerait que d’après la nécessité de sa nature et de sa pensée, et non point d’après la liberté de sa volonté. Dieu ne serait en rapport avec le monde céleste que par une intuition intellectuelle émanant nécessairement de lui par la conception de son Fils, mais non point par un acte libre et créateur. Pour que Dieu soit réellement le maître du monde, il faut qu’il soit avec lui, non plus dans un rapport de nécessité logique et naturelle, mais qu’il se connaisse et soit connu comme libre et souverain. Aussi la conception du Fils par le Père exprimant le moment de la nécessité, le Saint-Esprit procédant du Fils indique celui de la liberté dans l’économie divine. En tant que troisième hypostase, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; c’est lui qui transforme le procès nécessaire et logique de la pensée divine en un acte libre et volontaire, et du royaume de l’idée fait celui des conceptions et des créations intérieures. Le plérôme qui sortant du sein du Père apparaissait dans le Fils sous la forme d’une idée souveraine et nécessaire se transforme, par l’action libre et la puissance créatrice de l’Esprit, en un royaume de gloire (δόξα). L’on voit alors toutes les éternelles possibilités apparaître et se réjouir devant la face de Dieu comme autant de magiques réalités. Elles forment une armée de célestes visions, d’idées et de types, attendant impatientes l’heure où, à leur tour, elles pourront se révéler au monde du dehors. Ce n’est qu’alors que l’Esprit apparaît, aspirant à rentrer dans le sein du Père, dont il vient de sortir dans la plénitude de la liberté. Ce n’est qu’alors que l’union du Père et du Fils devient la communion dans l’amour éternel. Par le Saint-Esprit, le rapport de Dieu avec lui-même et avec le monde céleste n’est plus un rapport métaphysique et nécessaire, mais un rapport moral et libre. Quoique le Saint-Esprit soit une hypostase particulière, le moment qui achève et qui consomme l’entité divine, la trinité tout entière peut être appelée le Saint-Esprit. Dieu est Esprit, dit le Christ. Telle est donc la conception parfaite du vrai Dieu, c’est-à-dire de la trinité. Il y a dans la conscience divine trois affirmations éternelles et distinctes, mais chacune d’elles implique le moi divin tout entier. Une hypostase n’est qu’avec et pour les deux autres. Entre elles on ne saurait concevoir ni avant ni après, il n’y a qu’un même temps, et ce temps est toujours le présent pour la trinité tout entière. Ce sont trois flammes distinctes jaillissant de la même lumière.
b – Voir les dissertations de Nitsch et de Weisse sur la trinité essentielle en Dieu.
Dans sa gloire intérieure, la trinité se connaît comme le maître du monde céleste et la source inépuisable, éternellement féconde, d’idées, de forces et de formes produisant ces innombrables multitudes que l’Écriture appelle les armées du ciel. Mais la gloire de
Dieu ne serait pas complètement révélée si elle se renfermait dans cette révélation d’elle-même à elle-même. Le Dieu personnel ne veut être lui-même que s’il se révèle comme maître sur un monde spirituel et réel, sur un royaume d’êtres personnels, susceptibles de le connaître et de l’aimer. La véritable puissance est celle qui veut être obéie librement par des êtres libres ; de même, l’amour véritable n’est pas l’amour de Dieu pour lui-même, pour sa propre perfection, mais l’amour qui le porte à créer un monde dont la seule signification sera le besoin de Dieu, la réalisation de la parfaite charité, à l’aide et au profit de créatures indigentes et bornées. Les formes idéales, les types divins qui se jouent devant la face de Dieu, dans une révélation intérieure, n’auront donc de réalité que s’ils peuvent concourir à l’exécution du dessein créateur dans l’économie du royaume de Dieu, dans le temps, et si, à ce titre, ils appartiennent réellement à la volonté qui seule dispose du règne, de la puissance et de la gloire.
Dans l’exécution des desseins éternels, ou dans la révélation divine (ad extra) au dehors, se reproduisent les mêmes moments qui ont été constatés dans la révélation intérieure. Dieu crée le monde par son Fils, il se révèle comme Père et Créateur, lorsque comme Verbe il se fait le principe immanent de la création, en attendant qu’à l’heure de l’accomplissement, il devienne le véritable médiateur entre le Père et son universelle création. En Christ se révèlent les desseins éternels pour le royaume de Dieu en ce monde, mais cette révélation ne devient une réalité qu’à la condition de se faire l’œuvre du Saint-Esprit. Il procède du Père et du Fils, et il n’a d’autre but que de glorifier le Fils et de transformer le royaume céleste en un royaume réel sur la terre. L’œuvre du Saint-Esprit dans cette économie est donc une œuvre de création, de transformation et de consommation, s’accomplissant dans un immuable présent. L’économie divine revêt sur la terre les conditions du temps et de l’histoire. Par la loi et les prophètes, Dieu se révèle comme Père ; quand les temps sont accomplis, il se révèle comme Fils : la Parole est faite chair et habite parmi nous ; et, au miracle de la Pentecôte, il devient l’Esprit de l’Église. L’année ecclésiastique, dans sa première moitié, répète les moments principaux de l’économie chrétienne, puis les résume tous dans la fêta de la Trinité, attestant ainsi que la trinité historique a sa cause et sa vraie réalité dans la trinité anté-historique et essentielle.
La révélation éternelle accomplie dans le sein de Dieu lui sert de présupposition, et lui imprime un plus fécond développement à l’heure de son accomplissement dans le temps. Dieu s’aime lui-même dans son Fils. Par la création et l’incarnation, le rapport entre Dieu et son Fils n’est plus un rapport de Dieu à Dieu, mais un rapport entre Dieu et le Premier-né de la création, entre Dieu et le Dieu-homme, entre le Père et Christ. L’amour qui unit le Père au Fils en se soumettant aux conditions du temps et du fini créé, ne peut pas rester un rapport d’affection intellectuelle ; il devient, nous ne pouvons pas mieux dire, un rapport passif et affectif, qui intéresse non seulement la majesté mais le cœur de Dieu. Mais dès lors que sa gloire ne se réfléchit plus pour lui essentiellement dans le règne de l’idée, mais dans le domaine des esprits et des âmes unies en Christ par une mutuelle affection, et se sentant en communion avec la grâce qui fait les heureux bien plus qu’avec la puissance de la divinité, par cela même, le bonheur de Dieu rencontre sa véritable réalisation. Nous n’avons plus à le contempler comme la majesté suprême jouissant d’une souveraineté jalouse, inaccessible et antérieure à tous les mondes. Il est la gloire et le parfum de l’œuvre accomplie par la grâce, dans l’amour et la magnifique indépendance des enfants de Dieu, la réalisation de la parole de l’apôtre : « Dieu tout en tous ».
Alors seulement, dans la nouvelle économie, dans le nouveau ciel et la nouvelle terre, la gloire de la trinité sera complètement manifestée, car elle sera la splendeur de l’amour du Créateur pour la création et de la création pour le Créateur.
La doctrine de la trinité embrasse en son entier la conception de la révélation chrétienne. Sans elle, il n’est pas un seul fait de l’économie de la grâce qui nous reste encore intelligible. Notre exposition dogmatique ne sera donc qu’un développement de l’économie trinitaire. Elle exposera successivement la doctrine du Père, du Fils et du Saint-Esprit, tels qu’ils se révèlent à nous dans les œuvres de la création, de la rédemption et de la sanctification. Nous n’aurons donc qu’à suivre la voie que nous trace le vieux symbole apostoliquec.
c – Parmi les dogmaticiens modernes, on peut citer Marheinecke comme ayant eu le mérite de suivre la division trinitaire, et parmi les réformateurs, Calvin. On voit qu’en écrivant son Institution chrétienne, il avait sous les yeux le même plan.