Genèse 6.13 à 8.4 (Hébreux 11.7)
On se rappelle pourquoi Lémec avait donné à son fils le nom de Noé. Il voyait la corruption grandir ; il avait vu Adam mourir, Hénoc disparaître, et il n’osait espérer voir encore des temps meilleurs ; mais il comptait que son fils les verrait, et contribuerait à les faire arriver. En faisant le compte des années des patriarches, on trouve que Lémec, le père de Noé, est mort cinq ans avant le déluge, et que Méthuséla, son grand-père, a vécu jusqu’à l’année du déluge ; il est probable qu’il fut emporté par cette catastrophe. « Mais Noé trouva grâce devant l’Eternel. » Les pensées du cœur des hommes étaient déjà alors, dit l’Ecriture, « mauvaises dès leur jeunesse. » Noé ne fit certainement pas exception à cette loi commune ; mais il chercha et trouva grâce ; comme Abraham, il devint juste par sa foi. Il connaissait la prophétie d’Hénoc, et, tandis que la multitude se moquait de la Parole de Dieu, il la gardait avec respect dans son cœur. Aussi est-ce à lui que Dieu révèle ce qu’il se propose de faire ; il ne peut pas plus le lui cacher qu’à Abraham la destruction de Sodome (Genèse 18.17). Il lui parle comme à un ami, et Noé reçoit la mission d’annoncer au monde le châtiment qui le menace. Il devient le prophète de l’Eternel, le « prédicateur de la justice » (2 Pierre 2.5). Il ne se tait pas, il ne laisse pas ignorer au monde le conseil de Dieu ; il emploie les cent-vingt ans de grâce que Dieu leur laisse à convaincre les hommes de leur méchanceté et à leur parler de la justice et de la miséricorde de Dieu.
Mais prêcher n’est pas tout dans une pareille œuvre. Celui-là seul est un vrai« prédicateur de la justice », qui sait intercéder avec amour et fidélité. Le prophète Ezéchiel mentionne Noé, Daniel et Job comme les trois grands intercesseurs (Ézéchiel 14.14-20). Comme Job priait pour ses enfants, Daniel pour son peuple et pour la ville sainte, Noé pria donc aussi pour les siens et pour le monde aveuglé qui l’entourait. Son intercession en faveur de ce dernier ne fut, en apparence, pas exaucée ; mais sa famille fut sauvée, et aucun des siens ne périt. Lorsqu’un père, comme Abraham ou Noé, enseigne à ses enfants l’obéissance aux commandements du Seigneur, sa prière pour ses fils est agréable à Dieu et a une grande puissance.
La foi de Noé fut mise à une rude épreuve. Il annonçait un événement qui devait paraître incroyable et impossible au bon sens vulgaire. Rien de pareil ne s’était jamais vu. Les sages, les puissants, tout le monde devait être contre lui. Ses prédictions provoquaient la haine, et la construction d’un bateau sur terre ferme, les moqueries des hommes. A leurs yeux, Noé ne pouvait être qu’un orgueilleux ou un fou. Sans doute, on finit par se lasser de le railler et par ne plus parler de lui et de son arche. Cela paraît ressortir des paroles du Seigneur : « Dans les jours avant le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et donnaient en mariage, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et ils n’y prirent pas garde jusqu’à ce que le déluge vînt » (Matthieu 24.38-39).
L’épreuve de Noé ressemble à celle de Job ; elle fut surmontée par la foi. Par sa foi, il sauva sa maison et condamna le monde ; car il prouva, par son exemple, qu’avec l’aide de Dieu on peut demeurer fidèle et que les impies sont inexcusables. Il devint ainsi « un héritier de la justice qui est par la foi » (Hébreux 11.7).
Quel encouragement n’y a-t-il pas là pour nous ! Les jugements de Dieu nous sont annoncés, et sa grâce nous ouvre le chemin du salut. Heureux, si nous sommes du nombre de ceux qui respectent sa Parole, méprisée par la multitude ! Nous proclamons et nous attendons aussi des choses qui ne se sont jamais vues et que la raison humaine trouve inacceptables : le retour du Seigneur, la résurrection, la destruction de la mort par la vie de Christ. Ne soyons pas surpris si nous faisons les mêmes expériences que Noé ! L’Ecriture n’annonce-t-elle pas que dans les derniers temps viendront des moqueurs (2 Pierre 3.3) ? Mais nous avons pour nous la Parole de Dieu et le témoignage de son Esprit. Si notre espérance de voir Christ revenir et son règne s’établir est tournée en dérision, l’exemple des justes des anciens temps est là pour nous consoler. Ils ont, pendant leur pèlerinage terrestre, professé cette espérance qui est aussi la nôtre ; maintenant encore elle fait leur joie. Avec nous, ils soupirent après la venue de Celui qui doit être pour nous, comme pour eux, le parfait Rédempteur.
Comme le tabernacle construit par Moïse d’après le divin modèle qu’il avait vu sur la montagne (Exode 25.40), l’arche que Noé bâtit fut établie selon les directions d’en-haut et non d’après un plan humain [note 8]. L’un des traits les plus étonnants du récit, c’est l’entrée des animaux dans l’arche. Noé n’aurait pu les rassembler ni par la force, ni par la ruse. Il semble qu’ils aient été poussés par une sorte d’instinct et qu’ils se soient réfugiés dans l’arche sous l’empire d’un de ces pressentiments que les animaux éprouvent quelquefois à l’approche d’un ouragan ou d’un tremblement de terre [note 9]. Des créatures stupides entrèrent ainsi dans l’arche, pendant que les hommes, malgré les avertissements de Noé, restèrent dehors. Il en fut de ces derniers comme de Balaam, dont il est dit « qu’une ânesse muette censura la démence du prophète » (2 Pierre 2.16). Tant il est vrai que ni la raison ni la prudence charnelle ne nous font entrer dans le royaume de Dieu. On n’y parvient qu’en cédant à l’attrait intérieur de la vérité divine dont Jésus a parlé (Jean 6.44). Notre salut est à ce prix.
Des animaux purs et des animaux impurs entrèrent dans l’arche. Les animaux purs sont ceux que la loi de Moïse permettait de manger ; les impurs, ceux dont il était défendu de toucher (Lévitique ch. 11). Les animaux purs étaient sans doute destinés surtout à servir au sacrifice d’actions de grâces que Noé devait offrir après le déluge. Dans le tabernacle et dans le temple de Salomon n’entraient que des-animaux purs, propres à être sacrifiés ; dans l’arche se trouvent aussi des animaux impurs, qui ne peuvent servir de victimes. N’y a-t-il pas là un beau type de ce qu’est l’Eglise chrétienne ? Non qu’elle doive être un mélange de purs et d’impurs, de croyants et d’incrédules ; c’est bien à tort que l’on chercherait dans notre récit une excuse du triste état de la chrétienté. Elle devrait, selon la Parole de Dieu, être un peuple saint ; comme sanctuaire du vrai culte, elle ne devrait s’ouvrir qu’à ceux qui se donnent à Dieu en sacrifice vivant, saint et agréable (Romains 12.1). Mais, comme lieu de refuge, comme asile de miséricorde, elle s’ouvre aussi à tous ceux qui, quoique faibles dans la vie spirituelle et n’étant point encore parvenus à toute la hauteur de la vocation chrétienne, ont, à l’heure de l’angoisse, invoqué le nom du Seigneur et trouvé grâce auprès de Dieu.
Lorsque l’Eglise fut fondée, le monde païen était tout entier plongé dans le mal. Au sein de ce monde, le Christ, nouveau Noé, construit son Eglise, le refuge du salut. Ce type, familier aux premiers docteurs chrétiens, explique pourquoi Noé avec son arche figure si souvent dans les représentations symboliques des catacombes. Aujourd’hui, la chrétienté est bien déchue de ses origines ; elle se confond avec le monde. Sans doute il est dans les vues de Dieu que des Eglises particulières se forment, dans le sein desquelles sa grâce puisse se déployer sans entraves. Mais on se tromperait en ne voyant l’arche du salut que dans ces communautés, à l’exclusion du reste de l’Eglise. Il faut la reconnaître plutôt dans la grande Eglise, une, sainte, universelle, qui a été le refuge des âmes même aux plus tristes époques, alors qu’elle ressemblait à un dôme inachevé, surmonté seulement d’un, toit provisoire. Ce refuge, la fidélité de Dieu l’a conservé jusqu’à cette heure, et il doit subsister encore dans les mauvais jours de l’Antéchrist. C’est ainsi que l’arche de Noé est le symbole de l’œuvre de délivrance que Dieu poursuit de siècle en siècle et qu’il doit accomplir avec plus d’éclat encore dans ces derniers temps que le Seigneur a comparés aux jours du déluge.
Ce n’est point assez d’échapper au jugement, comme des tisons arrachés du feu ; nous avons, comme Noé, un sacrifice à offrir à Dieu : l’holocauste dont parle saint Paul lorsqu’il se dit « consacré au service de l’Evangile, afin que l’oblation des païens soit agréable à Dieu, étant sanctifiée par le Saint-Esprit » (Romains 15.16). C’est là ce que se propose tout vrai serviteur de Dieu. Mais il faut qu’il rencontre chez les fidèles une libre et entière consécration à Dieu pour le servir en la personne des frères ; nos cultes les plus solennels n’ont de valeur devant Dieu que si les cœurs lui sont joyeusement dévoués, et si l’adoration extérieure est l’expression vraie de celle du dedans. Nous n’en trouverons pas la force en nous-mêmes, mais par un regard porté sur le sacrifice de Jésus-Christ. Dans ce sacrifice parfait, nous puisons l’assurance que le Dieu qui a effacé nos péchés acceptera aussi notre culte. Jésus a remporté dans notre chair une pleine victoire sur le mal. Sa victoire nous donne la certitude qu’il réalisera en nous le bien et y détruira la puissance du mal. Quand nous regardons à lui, l’égoïsme et la timidité meurent, et notre âme s’éveille à une joyeuse consécration.
Dieu veut de tels adorateurs. Rendons-nous dans cet esprit aux saintes assemblées de l’Eglise, et comptons sur la promesse renfermée dans le vœu de l’apôtre : « Le Dieu de paix vous sanctifie lui-même parfaitement, et que tout ce qui est en vous, l’esprit, l’âme et le corps, soit conservé sans reproche pour l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Thessaloniciens 5.23) !