Le jour où tout germe sera parfait, Achamoth passera de l’état moyen dont nous avons parlé au bonheur du Plerum ; là, ce même Sauveur, dont le Père est dans toutes choses, deviendra son époux, et alors sera perfectionnée entre le Sauveur et Achamoth la mystérieuse union du mariage figurée dans notre monde par les noms d’époux et d’épouse ; comme la chambre nuptiale est parmi nous le symbole du Plerum, de même les êtres animés doivent un jour, par un acte incompréhensible, et dans une invisibilité mystérieuse, rentrer au sein du Plerum et se marier aux anges, satellite du Sauveur ; il ne leur restera de leur existence que l’intelligence. Demiurgos, à son tour, doit remplacer sa mère Sophia dans la sphère moyenne qu’elle habitait ; auprès de lui vivront dans le repos toutes les âmes justes ; mais rien de purement matériel n’entrera dans le Plerum. Quand les choses en seront arrivées à l’état que nous venons de décrire, le feu caché, et brûlant dans les entrailles du monde, ayant embrasé et dévoré toute matière, se dévore lui-même, et va s’éteindre dans le néant. Les valentiniens s’attachent en outre à démontrer qu’avant l’arrivée du Sauveur, Demiurgos ignorait toutes ces choses.
Quelques-uns même d’entre eux lui donnent seulement le Christ pour fils psychique, et ils s’appuient pour cela de l’autorité des prophètes ; il aurait traversé le sein de Marie comme l’eau le tuyau d’une fontaine, et sur ce Christ serait descendu, sous la forme d’une colombe, du sein du Plerum qu’il habitait, le Sauveur supérieur qui est né de l’effort réuni de toutes les puissances célestes. Le germe spirituel d’Achamoth se serait aussi reposé sur lui ; ainsi le type, la première quaternité, notre Seigneur, aurait été formé lui-même des quatre éléments suivants : de l’esprit, par l’émanation d’Achamoth ; de l’animation, par l’émanation de Demiurgos ; de la partie la plus parfaite de son être, par sa disposition céleste ; et enfin de cette vertu descendue sur lui sous la forme d’une colombe : pour le Sauveur supérieur, sa nature restait impassible ; comment, en effet, aurait souffert celui qui était invisible et incompréhensible ? De là l’enlèvement de l’esprit qu’ils prétendent avoir eu lieu lorsque le Christ parut devant Pilate ; de là encore l’impassibilité de cette partie de son être qu’il avait emprunté à Marie ; l’esprit dont Demiurgos lui-même ne pouvait avoir connaissance n’est-il pas, en effet, au-dessus de toute douleur ? En admettant cela, il faudra admettre avec eux que le Christ psychique tout seul, celui que les dons universels formèrent d’une manière mystique, ne fut pas à l’abri de la souffrance ; en sorte que par lui, grâce aux soins de sa mère, se trouve révélée l’image du premier Christ étendu sur la croix et formé de la substance d’Achamoth.
Disons encore que les âmes dont Achamoth a fourni le germe sont plus belles, plus nobles que toutes les autres : Demiurgos eut pour elles, sans s’en rendre raison, une prédilection particulière ; il en fit des prophètes, il en fit des prêtres, il en fit des rois ; et les valentiniens supposent que les prophètes ont fait l’éloge le plus complet de ces natures privilégiées : Achamoth elle-même ne put s’empêcher de leur applaudir, soit par elle-même, soit par le témoignage des âmes crées par Demiurgos. Voici donc les prophéties soumises à une triple division : les unes sont l’inspiration de la mère, les autres de son germe, les troisièmes enfin de Demiurgos ; ils soumettent aussi Jésus à une triple inspiration, celle du Sauveur, celle de sa mère et celle de Demiurgos. Nous reviendrons sur ce sujet.
Demiurgos, ignorant les secrets du monde supérieur, s’émut aux paroles qui se disaient ; il eut cependant le bon esprit de les mépriser, confondant entre elles les raisons et les prophéties, heureux d’avoir son influence propre sur l’homme, sa créature, et de pouvoir embrasser les choses d’un ordre secondaire : son ignorance dura jusqu’à l’arrivée du Sauveur. Celui-ci, dès son avénement, lui enseigna toutes choses, s’unit à lui, le rendit participant de sa puissance ; les valentiniens disent qu’il est ce centurion que l’Évangile fait parler ainsi au Sauveur : « Homme ! j’ai sous ma puissance des serviteurs qui exécutent ce que je leur commande. » Ce commandement, suivant nos hérésiarques, durera pour l’administration du monde jusqu’au temps où l’Église, connaissant la récompense préparée aux élus, n’aura plus besoin de ses services, c’est-à-dire jusqu’au temps où la sphère de sa mère deviendra la sienne.
Les trois espèces d’hommes spirituel, matériel, psychique, sont représentés par Caïn, Abel et Seth ; les valentiniens soumettent encore ces trois espèces à trois classifications générales : la matière, ce qui meurt ; l’animation, ce qui, en embrassant les choses les meilleures, peut s’élever à la sphère moyenne comme à son lieu de repos, mais ce qui va se perdre et s’anéantir dans le mal, si le mal est l’objet de son choix ; l’esprit enfin émané d’Achamoth, et dont l’existence doit se prolonger autant que durera le perfectionnement des âmes des justes, germe tendre dès le principe, mais destiné à parcourir tous les degrés de perfectibilités, pour arriver à la dignité d’épouses des anges, satellites du Sauveur, et au repos éternel auprès de Demiurgos. Nos hérésiarques soumettent encore ces âmes à une nouvelle division ; les unes sont naturellement bonnes, les autres naturellement mauvaises ; les bonnes reçoivent la semence des choses spirituelles, les mauvaises en sont incapables.