Exemple de l’Inconsidéré, du Paresseux et du Téméraire. – Les temps difficiles sont caractérisés par un mélange d’erreur et de vérité, par le formalisme et l’hypocrisie. – Moyens d’éviter les chemins périlleux.
Je vis ensuite qu’ils continuèrent leur chemin jusqu’à l’endroit où l’Inconsidéré, le Paresseux et le Téméraire s’étaient endormis lorsque Chrétien vint à passer par là. Voici, ils étaient maintenant pendus sur un gibet de l’autre côté de la route !
Ici, Miséricorde demanda à celui qui était leur protecteur et leur guide, quels étaient ces trois personnages, et pour quel motif ils ont été mis au supplice.
Grand-Cœur : – Ce sont des gens de basse extraction ; ils n’avaient pas la moindre intention de se faire pèlerins, et auraient fait tout leur possible pour empêcher d’autres de le devenir. Ils étaient amateurs de la paresse et de la folie, et cherchaient à se faire imiter de quiconque voulait les écouter. Nonobstant, ils portaient leurs semblables à présumer d’eux-mêmes, en leur insinuant que d’une manière ou d’une autre ils parviendraient facilement au but. Lorsque Chrétien arriva dans ce lieu, il les trouva plongés dans un profond sommeil, et maintenant, à votre tour, vous les voyez à la potence.
Miséricorde : – Mais réussirent-ils jamais à faire partager leur opinion à quelqu’un ?
Grand-Cœur : – Oui ; plusieurs ont été détournés par eux du bon chemin. Ils persuadèrent un nommé Lenteur qui se laissa aussi entraîner par leur exemple. Ils prévalurent encore sur quelques autres, tels que Courte-Haleine, Sans-Cœur, Aimant-la-Convoitise, Dormeur, et une jeune femme nommée Stupidité. Ils ont d’ailleurs rendu un bien mauvais témoignage à notre Seigneur en le représentant devant les autres comme un homme dur. Ils ont même discrédité le bon pays en disant qu’il n’a pas la moitié des avantages que quelques-uns lui prêtent. Enfin, ils n’ont pas craint d’avilir les serviteurs du Très-Haut, et de considérer les meilleurs d’entre eux comme des gens importuns et oisifs, qui s’ingèrent dans les affaires d’autrui. Ils auraient appelé, par exemple : le pain de Dieu, des gousses ; les consolations de son peuple, des illusions ; le travail et les combats des pèlerins, des niaiseries.
Christiana : – Ah ! S’ils ont eu une conduite si indigne, je ne les plains pas ; ils ont bien mérité ce qui leur est arrivé. De plus, je regarde comme une bonne chose qu’ils aient été mis en spectacle tout près du grand chemin, afin que ceux qui viendront à passer par là, prennent garde à eux-mêmes et profitent de l’avertissement. Mais n’aurait-on pas également bien fait de graver leurs crimes sur une colonne de fer ou d’airain, et d’en perpétuer la mémoire dans tous les lieux où ils commirent leurs méchancetés, afin que s’il y a encore des gens de leur espèce, ils soient amenés à réfléchir sur le danger qu’ils courent ?
Grand-Cœur : – C’est précisément ce que l’on a fait, et pour vous en convaincre vous n’avez qu’à avancer un peu vers la muraille.
Miséricorde : – Eh bien ! Qu’ils demeurent pendus, que leur nom périsse, et que leurs crimes témoignent à jamais contre eux ! Je crois que nous pourrons nous féliciter de ce qu’ils ont été exécutés avant notre arrivée dans ce lieu ; car qui peut dire tout le mal qu’ils étaient capables de faire à de pauvres femmes comme nous ?
Ayant dit cela, elle en fit le sujet d’un cantique dont voici les paroles :
Vous voilà donc tous trois à la potence ;
Par le péché vous êtes réunis.
Or, Dieu vous montre ici votre impuissance :
Vous fîtes mal, et vous êtes punis.
Et vous servez d’exemple aux ennemis
Du pèlerin qui vers Dieu s’achemine.
Vous qui voulez l’égarer en chemin,
Méchants esprits que le démon domine,
Si vous voulez fuir une triste fin
Ne faites plus la guerre au pèlerin.
Et toi, mon âme, à ces méchants prends garde ;
Car ils sont ennemis de toute sainteté.
Cours au Seigneur, il t’aime, il te regarde.
Par son amour le juste est abrité.
Puis, ils continuèrent leur chemin jusqu’à ce qu’ils arrivèrent au pied du coteau des Difficultés. Leur fidèle ami, M. Grand-Cœur, eut encore occasion de leur raconter les aventures de Chrétien en cet endroit. Il les conduisit d’abord vers la fontaine où Chrétien était venu se rafraîchir avant de monter la colline. À cette époque, dit-il, l’eau que vous voyez ici était limpide et bonne, mais aujourd’hui, elle est toute bourbeuse, comme si quelqu’un en y jetant de la terre avec les pieds, eût voulu la troubler à dessein pour empêcher les voyageurs de s’y désaltérer. (Ezéch. 34.18 : Est-ce trop peu pour vous de paître dans un bon pâturage, que vous fouliez de vos pieds ce qui reste à pâturer après vous, de boire les eaux limpides, que vous troubliez de vos pieds ce qui en reste ?) Sur quoi Miséricorde fit éclater sa surprise, et dit : Comment se fait-il qu’il y ait des gens qui portent l’envie à ce point ! – Mais tout ira bien pour vous, reprit le guide, si seulement vous avez le soin de mettre de cette eau dans un vase convenablement préparé, car il arrivera par ce moyen que la terre formera son dépôt de telle façon que l’eau en deviendra plus claire. Christiana et ses compagnons suivirent donc cette prescription, c’est-à-dire qu’ils puisèrent de l’eau, la versèrent dans un vase de terre, et la laissèrent s’y clarifier jusqu’à ce que toutes les impuretés eussent tombé au fond. Il résulta de ce procédé qu’ils purent tous se rafraîchir.
Il leur montra ensuite les deux sentiers détournés qui se trouvent au pied du coteau, et où le Formaliste, et l’Hypocrite s’étaient égarés. Ce sont là des chemins dangereux, dit-il, où vinrent se perdre deux individus qui avaient résolu d’y marcher quand Chrétien les y rencontra. Bien que ces chemins aient été depuis lors interceptés, comme vous le voyez, par des chaînes, des piliers et des fosses, cependant il y en a qui sont assez téméraires pour s’y engager plutôt que de se donner la peine de monter la colline.
Christiana : – « La voie de ceux qui agissent perfidement est raboteuse. » (Prov. 13.15 : Une raison saine procure la faveur, Mais la voie des perfides est rude.) C’est encore une chose merveilleuse qu’ils puissent s’y fourvoyer sans craindre de se casser le cou.
Grand-Cœur : – Ils s’exposeront au danger plutôt qu’ils ne le fuiront, et si même il arrive que l’un des serviteurs du Roi les aperçoive, les appelle, et cherche à leur montrer qu’ils prennent une fausse route, ils répondront par des railleries ou bien ils diront : « Quant à la parole que tu nous as dite au nom de l’Éternel, nous ne t’écouterons point, mais nous ferons assurément tout ce qui est sorti de notre bouche. » (Jér. 44.16-17 : Quant à la parole que tu nous as dite au nom de l’Eternel, nous ne t’écouterons point ;) Il y a plus : Si vous jetez les yeux un peu plus loin, vous remarquerez qu’indépendamment des signaux que nous avons indiqués, les chemins sont obstrués par une haie d’épines qui les bouche de tous côtés. (Osée. 2.6 : C’est pourquoi je vais te barrer le chemin avec des ronces ; j’élèverai un mur, et elle ne trouvera pas ses sentiers.) Malgré cela, il y a bien des gens qui préfèrent aller dans cette direction.
Christiana : – Ce sont des paresseux ; ils n’aiment pas se donner la moindre peine, le chemin par où il faudrait monter leur déplaît souverainement. Ici l’on voit encore s’accomplir ce qui est écrit à leur sujet : « La voie du paresseux est comme une haie de ronces. » (Prov. 15.19 : La voie des paresseux est comme une haie d’épines, Mais le chemin des hommes droits est aplani.) La vérité est qu’ils choisissent les mauvais chemins et se laissent prendre dans les pièges, plutôt que de gravir la colline et de suivre le chemin qui aboutit à la Cité céleste.
Nos pèlerins marchèrent donc en avant, et eurent bientôt gagné du chemin en suivant la montée. Cependant, ils n’étaient pas encore parvenus au sommet du coteau, que Christiana commença à être essoufflée. Holà, s’écria-t-elle ; c’est ici une rude, montée. Il n’est pas étonnant que ceux qui tiennent au bien-être matériel de cette vie plus qu’aux intérêts de leurs âmes, préfèrent suivre un sentier plus commode. – Il faut que je m’asseye, reprit à son tour Miséricorde. – Enfin le plus jeune des enfants se mit aussi à crier de fatigue.
Grand-Cœur les exhorta à prendre courage : Venez, dit-il ; ne vous arrêtez pas ici, car un peu plus haut nous trouverons une loge que notre prince a fait construire pour le repos des pèlerins. Il prit ensuite le tout petit garçon par la main afin de le conduire jusque-là.
Quand ils furent arrivés au lieu où était la loge, chacun fut bien aise de s’asseoir et de se reposer, car ils étaient accablés de lassitude et de chaleur. Ici Miséricorde se prit à dire : Que le repos est doux pour ceux qui sont fatigués ! (Matt. 11.28 : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et moi je vous soulagerai.) Et combien grande est la bonté du Prince des pèlerins qui leur fait trouver en cet endroit un repos si délicieux ! J’ai beaucoup entendu parler de cette haute retraite, mais jusqu’à présent je ne l’avais jamais vue. Gardons-nous bien, toutefois, de nous livrer au sommeil par ici, car j’ai appris qu’il en avait beaucoup coûté au pauvre Chrétien pour s’y être endormi.