Or Saul, respirant encore menace et meurtre contre les disciples du Seigneur, alla vers le souverain sacrificateur
Saint Luc raconte ici une histoire excellente et digne de mémoire de la conversion de saint Paul ; à savoir, que lors qu’il était enragé comme une bête sauvage et farouche, non seulement le Seigneur l’a assujetti sous son obéissance, mais aussi l’a rendu tout autre qu’il n’était auparavant. Mais pour ce que saint Luc poursuit chacun point par ordre en cette œuvre admirable de Dieu, il vaudra mieux suivre la déduction du texte ; afin que tout ce qui est utile d’être noté, soit trouvé en son lieu et ordre. Quand il dit, que Saul était encore enflammé de menaces, et tuerie, il signifie que depuis qu’il fut une fois abreuvé de sang innocent, il a toujours poursuivi une même cruauté, et depuis ce malheureux apprentissage, duquel saint Luc a fait mention en la mort de S. Etienne, il a été toujours ennemi enragé de l’Eglise. Par ce moyen tant moins était-il croyable qu’il peut être si soudainement apaisé. Or quant à ce qu’un loup si cruel non seulement a été converti en brebis, mais aussi a pris le naturel d’un pasteur, la vertu de Dieu s’est manifestement montrée en cela. En même temps saint Luc décrit que Saul était muni de force et puissance pour nuire, quand il dit qu’il obtint des lettres du souverain Sacrificateur, pour lier et amener en Jérusalem tous ceux qu’il trouverait faisant profession de Christ. Il fait mention des femmes afin qu’on connaisse mieux de combien grande cupidité il était embrasé d’épandre le sang humain, vu qu’il n’avait nul égard au sexe féminin, lequel les ennemis même armés ont coutume d’épargner, voire au milieu de la guerre enflammée. Il nous propose donc une bête farouche et sauvage, qui non seulement avait la bride lâchée à tout dévorer, mais aussi à qui on avait donné puissance et hardiesse de détruire et engloutir les pauvres fidèles, comme qui mettrait une épée entre les mains d’un furieux. Là où j’ai traduit Secte, saint Luc a le mot de Voie, qui est une similitude assez commune en l’Écriture. L’intention donc de Saul était d’éteindre le nom de Christ, en détruisant furieusement tous les fidèles.
et lui demanda des lettres pour Damas, à l’adresse des synagogues ; afin que, s’il en trouvait quelques-uns qui fussent de la secte, il les amenât, hommes et femmes, liés à Jérusalem.
Or, comme il était en chemin, il arriva qu’il approchait de Damas et tout à coup resplendit autour de lui une lumière venant du ciel ;
En demandant des lettres au principal Sacrificateur, il se ruait de son propre gré contre Jésus-Christ ; maintenant il est contraint malgré soi de rendre obéissance. Voici à la vérité une singulière miséricorde et bonté de Dieu, que Saul est ramené à la voie de salut contre sa délibération ; lui qui d’une ferveur si bouillante se précipitait en sa ruine. Quant à ce que le Seigneur permet qu’il prenne des lettres, et qu’il approche de la ville de Damas, nous voyons par cela comment il connaît bien les saisons et points, quand il est temps de faire quelque chose. Il pouvait venir au-devant de meilleure heure, s’il lui eût semblé bon, pour délivrer les fidèles de crainte et anxiété ; mais il donne beaucoup mieux à connaître son bénéfice par cela, qu’il ne serre point la gueule de ce loup affamé et enragé, sinon à l’entrée même de la bergerie. Nous savons aussi que par l’avancement, l’obstination des hommes croît merveilleusement. Par quoi, la conversion de saint Paul a été d’autant plus difficile, vu qu’en continuant sa rage il était déjà devenu plus obstiné.
Et soudainement une lumière, etc. pour ce qu’il n’était pas facile de dompter un si grand orgueil, d’amollir une impétuosité si cruelle, d’apaiser une ferveur si aveugle d’un tel zèle pervers, bref d’arrêter cette bête plus que fanatique, il a fallu que Jésus-Christ ait donné quelque signe de sa majesté, afin que Saul sentît qu’il avait à faire avec Dieu même, et non point avec un homme mortel. Combien que ceci a été fait pour un moyen de l’humilier, d’autant qu’il était indigne que Christ le conduisît tout incontinent à obéissance par le joug aimable de son Esprit ; et à grand-peine était-il capable d’une telle douceur et débonnaireté, jusques à ce que ce naturel farouche et cruel fut rompu par force. Il est vrai que le sens humain ne peut porter la gloire Divine de Christ telle qu’elle est ; mais comme Dieu a pris souvent des figures pour se manifester, ainsi Christ a maintenant manifesté à Paul sa Divinité, et le témoignage de sa présence qu’il a donné était propre pour effrayer Paul. Car combien que les fidèles tremblent au seul regard de Dieu, toutefois il a fallu que saint Paul ait été épouvanté d’une autre façon, quand il sentait que la puissance divine de Jésus-Christ lui était contraire. Et pourtant saint Luc dit qu’il tomba par terre. Car quelle autre chose peut advenir à un homme, sinon qu’il demeure là tout étendu, étant confus, et presque réduit à néant, quand il est accablé d’un présent sentiment de la gloire de Dieu ? Or c’a été le commencement de l’abaissement et humiliation de saint Paul, afin qu’il fut rendu docile à écouter la voix de Christ, laquelle il méprisait par grand orgueil lors qu’il était sur on cheval.
et étant tombé à terre, il entendit une voix lui disant : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?
Saint Luc compare la lumière qui resplendissait tout à l’entour de S. Paul, à un éclair. Combien que je ne doute point qu’on n’ait lors vu voler en l’air des éclairs. Mais la voix que Christ a fait retentir pour abattre du tout l’orgueil de celui-ci, pourrait être proprement appelée foudre, d’autant que non seulement elle l’a rendu stupéfait et éperdu, mais aussi l’a du tout abattu, en sorte que ce n’était plus rien que de lui, au lieu qu’il se plaisait tant auparavant, et présumait bien avoir le pouvoir d’exterminer l’Evangile. Saint Luc en ce passage met le nom de Paul en hébreu, à savoir Saul, Saul, d’autant qu’il explique les paroles de Jésus-Christ, qui sans aucune doute parla à lui selon la façon commune du pays.
Et il dit : Qui es-tu, Seigneur ? Et lui : Je suis Jésus, que tu persécutes.
Nous voyons ici saint Paul comme apprivoisé ; toutefois il n’est pas encore disciple de Jésus-Christ. L’orgueil est corrigé en lui, et sa cruauté domptée ; toutefois il n’a pas encore si bien rangé et avisé telle santé, qu’il obéisse au Seigneur Jésus. Seulement en lieu qu’auparavant il ne faisait que vomir blasphèmes, il est prêt d’entendre ce qui lui sera commandé. Par quoi cette interrogation est d’un homme stupéfait, et éperdu d’épouvantement. Car pourquoi ne reconnaît-il pas par tant de signes de divinité, que c’est Dieu qui parle à lui ? Ç’a été donc la voix d’un homme qui est en suspens et en doute. Ainsi Christ le presse de près pour l’amener à repentance. Quand il ajoute, Je suis Jésus, souvenons-nous que cette voix a retenti du ciel. Et pourtant elle devait percer le cœur de Paul, quand il considérait que jusques à présent il avait fait la guerre à Dieu ; elle le devait tout soudain fléchir à vraie soumission et humilité, quand il considérait, qu’il ne demeurerait impuni, s’il poursuivait de s’élever contre celui, la main duquel il ne pouvait éviter. Au surplus, ce passage contient une doctrine fort utile, voire utile en plusieurs sortes. Car en premier lieu, notre Seigneur Jésus montre combien il prise son Evangile, quand il prononce que c’est sa cause propre, de laquelle il ne veut rien avoir de séparé. Et pourtant il ne pourra jamais quitter la défense de celui-ci, non plus que se renier soi-même.
Puis après, les fidèles reçoivent de ceci une singulière consolation, que quand ils sont affligés pour le témoignage de l’Evangile, ils entendent ici qu’ils ont le Fils de Dieu associé avec eux pour porter une partie de leur croix, et lequel, par manière de dire, ploie ses épaules pour les soulager de la plus grande part de leur charge. Car il ne prononce point pour néant qu’il souffre en notre personne ; mais il veut que nous nous tenions pour tout assurés, qu’il est touché d’une même compassion, que si les ennemis de l’Evangile lui perçaient le côté, afin que le coup en vînt jusques à nous. Pour cette raison S. Paul dit que tout ce que les fidèles endurent aujourd’hui pour l’Evangile manquait aux passions de Jésus-Christ, Colossiens 1.24. Or cette consolation ne tend point seulement à ce but, que nous ne nous fâchions point d’endurer avec notre chef ; mais aussi que nous espérions qu’il fera la vengeance des outrages qu’on nous aura faits, lui qui crie du ciel, que tout ce que nous endurons, il l’endure aussi. Finalement, nous recueillons de ceci, quel horrible jugement est appareillé aux persécuteurs de l’Evangile, lesquels assaillent le ciel comme les géants, et dardent des flèches lesquelles tout incontinent retomberont sur leur tête, et même en troublant le ciel, embrasent la foudre de l’ire de Dieu contre eux-mêmes. Nous sommes aussi tous exhortés en général, que nul ne fasse tort à son frère, sinon qu’il veuille rencontrer le Fils de Dieu pour son juge ; et principalement que nul ne combatte témérairement contre la vérité, et ne lui fasse la guerre par une rage aveuglée sous couleur de zèle.
Il t’est dur de regimber, etc. C’est une sentence proverbiale, prise des bœufs, ou des chevaux, lesquels ne gagnent rien de regimber contre les aiguillons, ou espérons, sinon qu’ils redoublent leur mal. Christ accommode cette similitude fort bien à soi-même, d’autant que quand les hommes regimbent et bataillent contre lui, ils se font double mal ; car il faut, veuillent-ils ou non, qu’ils soient sujets à son commandement. Ceux qui de bon gré se soumettent au Seigneur Jésus, tant s’en faut qu’ils sentent aucune piqûre de lui, qu’ils ont en lui un souverain remède, prêt pour guérir toutes leurs plaies. Mais les méchants et réprouvés qui s’efforcent de darder contre lui tous leurs aiguillons ou pointes venimeuses, sentiront à la fin qu’ils sont des ânes ou bœufs, qui seront sujets à bastonnades et aiguillons. Ainsi il est un fondement ferme aux fidèles, sur lequel ils s’appuient ; mais aux réprouvés qui se heurtent contre lui, il leur est une pierre dure, laquelle les brisera par sa dureté. Or combien qu’il soit ici parlé seulement des ennemis de l’Evangile, toutefois cette admonition se peut étendre plus loin ; à savoir à ce que ne pensions qu’en rongeant notre frein toutes les fois que nous avons à faire avec Dieu, nous y gagnions rien ; mais étant semblables à chevaux traitables, nous nous laissions paisiblement gouverner sous sa main. Et si quelque fois il advient qu’il nous poigne, que ses aiguillons nous rendent plus prompts a nous ranger sous son obéissance ; afin qu’il ne nous advienne ce qui est dit en Psaumes 32.9, qu’on tient de court et en bride forte les chevaux farouches afin qu’ils ne ruent. Au reste, nous avons en cette histoire comme une figure universelle, ou patron général de cette grâce, que Dieu montre tous les jours en nous appelant tous. Il est bien vrai que tous ne s’élèvent pas d’une si grande violence et fierté contre l’Evangile ; toutefois tous sont naturellement orgueilleux et rebelles contre Dieu ; nous sommes tous pervers et cruels de nature. Ce donc que nous sommes convertis à Dieu, se fait contre notre naturel par une puissance admirable et secrète de Dieu. Les Papistes mêmes attribueront bien à la grâce de Dieu la louange de notre conversion ; mais c’est seulement en partie ; car ils imaginent que nous aidons à Dieu à travailler. Mais quand Dieu mortifie notre chair, il nous dompte ni plus ni moins que S. Paul, et notre volonté n’est de rien plus encline à rendre obéissance, qu’était celle de S. Paul, jusqu’à ce que la fierté de notre cœur soit rabattue à bon escient, et que Dieu non seulement nous ait rendus malléables, mais aussi volontaires à le suivre. Voici donc quel est le commencement de notre conversion, que Dieu sans être appelé ni cherché de nous, nous vient chercher le premier lorsque nous errons, et sommes vagabonds, afin qu’il change les affections obstinées de nos cœurs, et qu’il nous rende plus dociles.
D’avantage, cette histoire sert pour confirmer la doctrine de saint Paul. Si saint Paul eût toujours été un des disciples de Christ, les orgueilleux et malins esprits pourraient amoindrir le poids du témoignage qu’il a rendu à son maître. S’il se fût rendu facile et obéissant du premier coup, nous ne verrions rien qui ne fut humain. Mais vu que cet ennemi mortel de Christ, rebelle à l’Evangile, enflé de confiance de la sagesse, brûlant de haine de la vraie foi, aveuglé d’hypocrisie, plus qu’obstiné à détruire la vérité, est soudainement changé en un homme nouveau, par une façon non accoutumée, et non seulement de loup est converti en brebis, mais est devenu Pasteur, c’est autant comme si Christ produisent en avant de sa propre main un Ange envoyé du ciel. Car ce n’est plus ce Saul de Tharse, mais un homme nouveau formé par l’Esprit de Dieu, en sorte que maintenant, par manière de dire, il parle du ciel par la bouche de celui-ci.
Mais lève-toi et entre dans la ville, et l’on te dira ce que tu dois faire.
S’ensuit le fruit de cette âpre répréhension, par laquelle (comme nous avons dit) il fallait que la dureté de Saul fut amollie. Car maintenant il se présente, comme prêt à exécuter les commandements de celui, lequel il méprisait naguère. Car quand il demande à Christ, que c’est qu’il veut qu’il fasse, il lui donne toute autorité et puissance de commander. Il est vrai que les réprouvés mêmes sont atterrés des menaces de Dieu, en sorte qu’ils sont contraints de l’avoir en révérence, et de s’assujettir à son commandement ; mais cependant ils ne laissent pas de grincer les dents, et de nourrir dedans leurs cœurs de merveilleuses rébellions. Mais tout ainsi que Dieu a humilié S. Paul, aussi a-t-il travaillé avec efficace en son cœur. Car la bonté de nature qui fut en saint Paul, n’a pas fait qu’il se soumît à Dieu de plus prompte obéissance que Pharaon ; mais c’est pour ce que Pharaon par sa dureté a repoussé les fléaux, par lesquels il devait être dompté ; tout ainsi qu’une enclume repousse les coups qu’on frappe dessus ; au contraire le cœur de saint Paul, qui était comme un cœur de fer, a été changé tout en un moment en un cœur de chair, depuis que le saint Esprit lui eût donné cet adoucissement, lequel il n’avait nullement de sa nature. Et nous aussi expérimentons ceci même tous les jours. Il nous reprend par sa parole, il nous menace, il nous ébranle, il vient quelques fois jusques à battre, et nous dispose à soumission par divers moyens ; mais toutes ces aides ne pourraient jamais faire qu’aucun de nous parvînt à quelque bon fruit, si l’Esprit de Dieu n’amollit les cœurs au dedans.
Et le Seigneur lui dit. Après que Saul a plié son col dur sous le joug du Seigneur Jésus, il est maintenant conduit et gouverné par la main de celui-ci. Car le Seigneur ne nous met point tellement au chemin, qu’il nous délaisse là tout soudain à l’entrée, ou au milieu de notre cours ; mais il nous mène de degré en degré jusques au bout. Saint Luc nous décrit ici cet ordre continuel de la conduite et gouvernement de Dieu. Car celui qu’il a rendu docile, puis après il le reçoit pour enseigner. A cela n’est point contraire ce qu’il use du ministère d’un homme en cet endroit ; d’autant que l’autorité et vertu demeure néanmoins toujours par devers lui, quoi qu’il fasse son œuvre par un homme. Toutefois ceci pourrait sembler étrange, que le Fils de Dieu qui est la sagesse éternelle du Père, renvoie ailleurs cet homme étant déjà fait disciple, attentif pour entendre, et qui, par forme de parler, bataille après la doctrine pour la recevoir, et le tient comme en suspens. Mais je réponds à cela, que ceci n’a point été fait sans bonne cause. Car le Seigneur a voulu par ce moyen éprouver la modestie de S. Paul, quand il le donne à un de ses disciples pour être enseigné ; comme s’il ne daignait point encore parler à lui familièrement, mais le renvoyait à ses serviteurs, lesquels il avait en si grand mépris, et les dédaignait si fièrement, et persécutait par si grande cruauté. Et nous semblablement sommes exhortés d’être humbles à son exemple. Car si Jésus-Christ a assujetti et rangé saint Paul sous la maîtrise d’un disciple vulgaire ; y aura-t-il maintenant quelqu’un entre nous, qui se fâche de prêter les oreilles à quelque docteur que ce soit, moyennant qu’il soit ordonné de notre Seigneur Jésus, c’est-à-dire, qu’il se montre par vrai effet ministre de celui-ci ? par quoi quant à ce que saint Paul est renvoyé à Ananias, sachons que cela a été fait pour magnifier et autoriser le ministère de l’Eglise. Et de fait, ce n’est point ici un petit honneur de Dieu fait au genre humain, quand il choisit de nos frères du milieu de nous, qui soient envers nous expositeurs de sa volonté, quand il fait résonner ses saints oracles en la bouche d’un homme, laquelle est naturellement profane et adonnée à mensonges et vanité. Or cependant voici le monde qui montre ici une ingratitude vilaine et horrible, que nul ne peut porter d’entendre Dieu parler par la bouche d’un homme. Tous voudraient bien que des Anges volassent à eux ; ou bien que le ciel se fendît parfois, et que de là ils vissent sortir la gloire visible de Dieu. Vu que cette sotte curiosité procède de grand orgueil et d’un méchant mépris de la Parole, elle ouvre aussi la porte à beaucoup de rêveries, et rompt le lien de consentement mutuel entre les fidèles. Le Seigneur donc non seulement atteste qu’il lui plaît que les hommes nous enseignent, mais aussi nous recommande et établit cet ordre qu’il a mis. A cela aussi se rapportent ces témoignages, Qui vous écoute, il m’écoute, Luc 10.16 ; afin que Christ acquière une révérence à sa parole telle qu’il appartient.
Et là il te sera dit. Par ces paroles Jésus-Christ ordonne Ananias en sa place, quant à l’office d’enseigner ; non pas qu’il lui résigne son autorité ; mais pour ce qu’il doit administrer l’Evangile fidèlement et purement. Et pourtant il nous faut toujours garder cette modération, que Dieu soit seul entendu en son Fils bien-aimé Jésus-Christ, et Jésus-Christ aussi tout seul, parlant toutefois par ses ministres. Et se faut donner garde de deux vices, à savoir que d’un côté les ministres ne se glorifient point sous couleur de l’excellence de leur charge ; d’autre part aussi que la basse condition de leurs personnes ne déroge rien de l’honneur du à la sagesse céleste.
Or les hommes qui faisaient route avec lui s’étaient arrêtés muets, entendant bien la voix, mais ne voyant personne.
Il fait maintenant mention en passant de ceux qui accompagnaient Paul, expliquant qu’ils ont été témoins de la vision. Toutefois il semble qu’il y ait quelque différence entre ce récit et les paroles de Paul, que nous entendrons ci-après Actes 22.9. Car il dira là que ses compagnons furent épouvantés du regard de la lumière, mais n’entendirent point la voix. Il y en a certains qui pensent qu’il y a faute, et que la négation y a été transposée par l’ignorance de celui qui avait écrit l’exemplaire. Quant à moi, la solution ne me semble point être difficile. Car il se peut bien faire qu’ils aient entendu le son de la voix, et toutefois ne discernaient point ou celui qui parlait, ou les paroles qui étaient dites. Ils n’entendaient point, dit-il, la voix de celui qui parlait à moi. Certes il ne signifie autre chose, sinon que lui seul connut la parole du Fils de Dieu qui parlait a lui. Il ne s’ensuit pas pourtant que les oreilles des autres n’aient pu être touchées d’une voix ambiguë, ou d’un son obscur et non entendu. Quand saint Luc dit que la voix a été entendue, et que nul n’a été vu, il signifie que ce n’a point été un homme qui ait proféré cette voix, mais que c’est Dieu qui l’a proférée d’en-haut. Ainsi donc pour la certitude du miracle, les compagnons de Paul voient un resplendissement comme d’un éclair ; ils voient Paul abattu ; ils entendent la voix résonnante du ciel ; et cependant il n’y a que Paul qui soit enseigné que c’est qu’il doit faire.
Et Saul se leva de terre, mais, ses yeux étant ouverts, il ne voyait rien ; et, le menant par la main, ils le conduisirent à Damas.
Saint Luc ajoute maintenant que Paul fut tellement frappé de crainte et frayeur qu’il ne se pouvait relever ; et non seulement cela, mais il fut quelque temps qu’il ne voyait point. Quand il dit qu’ouvrant les yeux, il ne voyait personne, il semble que cela ne s’accorde pas avec les autres paroles que nous verrons tantôt après ; que ses yeux furent couverts, comme s’il y eût eu des écailles dessus. Mais le sens de ce passage est, que c’a été ici un vrai aveuglement, et qu’il avait perdu la vue durant ces trois jours ; tellement qu’ouvrant ses yeux il ne voyait rien. Quant à ce qu’il dit qu’il fut trois jours sans boire ne manger, cela est une partie du miracle. Car combien que les peuples Orientaux endurent mieux la faim que nous, toutefois nous ne lisons pas qu’ils se soient abstenus de boire et de manger par l’espace de trois jours ; sinon que d’aventure il y en ait eu aucuns a qui les vivres aient fait défaut, ou qui aient été pressés de quelque nécessité. Par quoi nous pouvons recueillir hardiment de ceci, que Paul a été étonné d’une merveilleuse façon ; vu qu’il fut trois jours entiers sans boire ni manger, semblable à un homme mort.
Et pendant trois jours il fut ne voyant point, et il ne mangea ni ne but.
Or il y avait à Damas un disciple nommé Ananias. Et le Seigneur lui dit dans une vision : Ananias ! Et il répondit : Me voici, Seigneur.
Nous avons dit ci-dessus que cet Ananias a été plutôt élu, qu’aucun des Apôtres, afin que Paul ayant ôté tout ce vent d’orgueil duquel il était enflé, apprît à écouter les plus petits, et que d’une trop grande hautesse, il descendit au plus bas degré. Or cette vision fut nécessaire à Ananias, afin qu’il ne refusât par crainte cette charge qui lui fut enjointe d’enseigner Paul. Car combien qu’il sache que c’est le Seigneur qui l’appelle ; nonobstant il recule encore, ou pour le moins il s’excuse. Par quoi il fallait qu’il eût un certain témoignage de sa vocation, que bonne issue fut promise à son labeur, afin qu’il entreprît d’un bon courage et prompte volonté ce que le Seigneur lui enjoignait. Au reste, tout ainsi que Christ confirme Ananias, et lui donne bon courage, lui apparaissant en vision ; aussi prépare-il Paul à tout faire, à ce qu’il reçoive Ananias avec aussi grande révérence qu’un Ange envoyé du ciel. Il est bien vrai que le Seigneur pouvait envoyer Paul droit à Ananias ; mais ceci a été plus propre pour le confirmer ; d’autant qu’il a beaucoup mieux connu que le Seigneur avait soin de lui. Et en même temps le Seigneur nous propose sa grâce ; que tout ainsi qu’auparavant il était venu au-devant de Paul ; aussi lui tend-il maintenant derechef la main le premier par son ministre. Cependant aussi nous sommes exhortés de notre côté, de chercher les brebis perdues et égarées, et que nous soyons plus prompts et soigneux à ce faire que nous ne sommes pas.
En vision. Cette vision signifie une figure mise devant les yeux pour rendre certain témoignage de la présence de Dieu. Car c’est-ci l’usage des visions, que la majesté de la Parole bien approuvée obtienne ceci envers les hommes, qu’ils y ajoutent foi. Et même Dieu a souvent usé de cette manière de confirmation envers les Prophètes ; ainsi qu’il dit : Qu’il parle à ses serviteurs par vision, ou par songe. Il est bien vrai qu’il a permis à Satan de décevoir les incrédules à leur vu même par fausses illusions ; mais comme les tromperies de Satan n’ont point d’efficace sinon au milieu des ténèbres ; aussi Dieu illumine les esprits des siens, afin qu’ils se tiennent pour assurés qu’ils ne sont point trompés. Et pourtant Ananias répond : Me voici, Seigneur, à savoir reconnaissant Dieu qui parlait à lui.
Et le Seigneur lui dit : Lève-toi, va dans la rue appelée la rue Droite, et cherche dans la maison de Judas un nommé Saul, de Tarse ; car voici, il prie ;
S. Luc montre que Paul fut attentif à prier durant ces trois jours. Et il est possible que ceci a été une des causes pourquoi il s’est abstenu de manger et boire. Toutefois, comme nous avons déjà dit, il est certain qu’il a enduré si longuement la faim, d’autant qu’il était comme perclus et privé de sentiment, comme il advient chez ceux qui sont ravis en extase. Il est tout notoire que Christ ne parle point ici d’une prière d’une heure ou d’un moment ; mais plutôt il signifie que Paul était continuel en cet exercice, jusques à ce qu’il lui fut octroyé d’avoir l’esprit en repos, et qu’il fut entièrement apaisé. Car outre les autres causes qui le pouvaient étonner, cette voix aussi pouvait retentir à ses oreilles, Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Et ne faut nullement douter que ce qu’il attendait en anxiété la pleine révélation du Seigneur, ne l’ait merveilleusement tourmenté. C’est la raison pourquoi le Seigneur a différé cette révélation trois jours, afin qu’il embrasât d’avantage l’ardeur de prier en Paul.
et il a vu en vision un homme nommé Ananias, entrant et lui imposant les mains, afin qu’il recouvre la vue.
On est en doute si saint Luc rapporte encore les paroles de Christ, ou s’il ajoute ceci du sien. Ceux qui prennent ceci en la personne de saint Luc, sont conscients d’une apparence d’absurdité ; d’autant qu’il n’est point vraisemblable que Christ ait usé de ces paroles. Toutefois on pourrait facilement résoudre ceci ; à savoir que Christ confirme Ananias par ce moyen. Comme s’il lui disait, il ne faut point que tu doutes qu’il ne te recueille volontiers, vu qu’il connaît déjà ta forme par la vision. Je lui ai aussi déclaré ton nom, et manifesté tout ce que tu dois faire avec lui. Néanmoins je laisse la liberté aux lecteurs d’élire lequel leur semblera le meilleur.
Mais Ananias répondit : Seigneur, j’ai entendu dire de cet homme, par plusieurs personnes, combien de maux il a faits à tes saints dans Jérusalem,
En ce qu’Ananias suggère au Seigneur le danger où il peut tomber, il montre l’infirmité de sa foi. Ainsi voyons-nous que les fidèles serviteurs de Christ peuvent bien tomber jusques-là, qu’ils craignent la mort, et que cela les retarde de faire leur office ; et qui pis est, les fait quelque fois chanceler. Ananias voudrait bien adresser son chemin ailleurs ; mais il a cela de bien, qu’il ne lâche tellement la bride à cette crainte vicieuse, qu’il se détourne cependant de rendre obéissance à Christ. Par ce moyen il montre ici un signe d’une révérence et crainte de Dieu excellente, qui, combien qu’il ait en horreur la mort, et qu’il fasse le paresseux du commencement, nonobstant s’oubliant soi-même tout soudain, il va promptement où Christ l’appelait. Et toutefois il ne refuse pas ouvertement par ces paroles de faire ce qu’il lui est commandé, mais il use d’une excuse oblique avec honte ; comme s’il disait : Qu’est-ce ce à dire, Seigneur, que tu m’envoies à un meurtrier et bourreau ? Nous pouvons ici voir un désir de rendre obéissance mêlé avec crainte.
Et ici il a pouvoir, de la part des principaux sacrificateurs, de lier tous ceux qui invoquent ton nom.
Nous recueillons de ces paroles, que la renommée de la persécution que Saul préparait, était répandue bien loin. Et pourtant sa conversion devait être plus renommée et magnifique. Cependant le Seigneur a permis que ses fidèles aient été misérablement tourmentés, afin que le bénéfice d’une si soudaine délivrance fût mieux connu puis après. Or cette façon de parler doit être bien notée, quand il dit que les fidèles invoquent le nom de Christ. Car soit que nous entendions qu’ils ont fait profession d’être de Christ, ils se sont donc glorifiés en lui ; ou bien qu’ils eussent coutume de recourir à son aide, l’invocation ne peut être sans confiance. Ainsi en toutes les deux sortes, non seulement est manifestement prouvée la Divinité de Christ, mais aussi si nous recevons la dernière exposition, qui semble être la plus naïve, nous sommes exhortés à l’exemple des fidèles, d’invoquer le nom de Christ, après qu’il nous est été annoncé.
Mais le Seigneur lui dit : Va ; car cet homme est un instrument que je me suis choisi pour porter mon nom devant les nations, et devant les rois, et devant les fils d’Israël ;
Ce commandement répété pour la seconde fois, et avec ce la promesse ajoutée de l’issue qui en adviendrait, a ôté à Ananias tout le doute qu’il pouvait avoir. Par quoi notre stupidité et paresse sera du tout inexcusable, si nous ne la corrigeons après que nous aurons été souvent aiguillonnés. Comme nous en voyons aujourd’hui plusieurs, lesquels combien que le Seigneur crie contre eux assiduellement, néanmoins non seulement demeurent paresseux et oisifs tout le temps de leur vie, mais aussi entretiennent leur oisiveté et nonchalance par toutes les flatteries de quoi ils se peuvent aviser. Pour cette cause tant plus diligemment nous faut-il observer l’exemple d’Ananias, qui au second commandement surmonte et rompt tous obstacles pour faire ce qui lui est commandé. Si quelqu’un objecte que le Seigneur ne parle point aujourd’hui en vision ; je réponds à cela, que vu que l’autorité de l’Ecriture nous est assez amplement confirmée, il nous faut entendre Dieu parler de là.
Or vaisseau d’élection, ou (comme Erasme a traduit ce mot) Organe élu, est pris pour un ministre excellent. Ce mot Organe, démontre que les hommes ne peuvent rien, sinon en tant que Dieu se sert de leur labeur selon son bon plaisir. Car si nous sommes organes ou instruments, il faut bien dire qu’il n’y a que lui seul qui soit auteur, et que lui seul a en ses mains la vertu et puissance de faire. Or ci ; que Christ dit ici de Paul, appartient indifféremment à tous. Par quoi, combien qu’un chacun travaille diligemment, et se porte vaillamment en son office, toutefois il ne faut point qu’il s’attribue aucune partie de la louange. Ceux qui philosophent sur ce mot de Vaisseau, montrent qu’ils n’entendent pas la langue Hébraïque. En lieu de vaisseau élu, saint Luc a mis vaisseau, ou organe d’élection ; mais cela est selon le commun usage de la langue Hébraïque. Au surplus, saint Luc a voulu ici exprimer une grande excellence ; comme s’il eût dit que ce ministre du Fils de Dieu ne serait point un ministre vulgaire, mais des plus grands et excellents, et doué de grandes grâces par-dessus les autres. Cependant il nous faut noter que s’il y a quelque vertu, s’il y a quelque excellence dans les hommes, tout cela dépend de la faveur gratuite de Dieu. Comme saint Paul lui-même enseigne en un autre passage, disant : Qui est-ce qui te discerne, à ce que tu sois plus excellent que les autres ? 1 Corinthiens 4.7. En somme, Christ prononce que Paul est choisi à faire grandes choses et excellentes.
Pour porter mon nom devant les Gentils. Celui qui auparavant s’efforçait d’opprimer le nom de Christ, a maintenant commission de le porter. Si le mot Grec est ici pris pour Vaisseau, la métaphore continuera toujours. Car le ministère de l’Evangile fait office d’un vaisseau à publier, ou porter le nom de Christ. Mais pour ce que selon les Hébreux il signifie plutôt toutes sortes d’instruments en général, je prends simplement porter le nom, pour l’élever en son honneur. Car, par manière de dire. Christ est placé en son siège royal, quand par la prédication de l’Evangile le monde est réduit sous sa puissance. Mais pour ce que Paul ne pouvait faire cela, en sorte que Satan se tint coi cependant, et que le monde y condescendit volontiers ; à cette cause saint Luc ajoute qu’il sera aussi conduit à porter la croix. Car le sens des paroles est : Je l’accoutumerai à endurer des fâcheries, à souffrir des opprobres, et à soutenir toutes sortes de combats ; afin que rien ne l’empêche ou retarde de faire son office. Or quand Christ se fait docteur de saint Paul en cet endroit, il nous exhorte que d’autant qu’un chacun aura profité en son école, autant sera-t-il idoine à porter la croix. Car nous résistons et bataillons à l’encontre de celle-ci, et la fuyons comme une chose grandement contraire, jusques à ce qu’il ait disposé nos cœurs a bénignité et douceur. Au reste, ce passage montre que nul n’est idoine à prêcher l’Evangile, quand le monde s’y oppose, si de tout son cœur il n’est disposé à souffrir et endurer. Afin donc que nous montrions que nous sommes serviteurs fidèles de Christ, non seulement il faut que lui demandions l’Esprit de science et prudence, mais aussi de constance et de force ; afin qu’en haletant et en travaillant nous ne perdions jamais courage, vu que telle est la condition de tous les vrais fidèles.
car je lui montrerai tout ce qu’il faut qu’il souffre pour mon nom.
Et Ananias s’en alla, et il entra dans la maison, et imposant les mains à Saul il dit : Saul, frère, le Seigneur m’a envoyé, Jésus, qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais, pour que tu recouvres la vue et que tu sois rempli d’Esprit saint.
Nous avons dit ailleurs que ceci était coutumier aux Juifs, et quasi ordinaire, que toutes les fois que quelqu’un était par eux recommandé à Dieu, ils mettaient les mains sur lui. Les apôtres ont transféré à leur usage cette coutume prise des sacrifices, ou quand ils conféraient les grâces visibles du Saint Esprit, ou bien quand ils ordonnaient quelqu’un pour être ministre de l’Eglise. Or maintenant Ananias impose les mains à saint Paul, en partie afin qu’il le consacre à Dieu, en partie afin qu’il lui obtienne les grâces et dons du saint Esprit. Or combien qu’il ne fasse ici nulle mention de la doctrine, si est-ce qu’on connaîtra ouvertement par la narration de saint Paul, qu’Ananias a eu aussi commission d’enseigner ; et même nous recueillons que puisque le baptême lui a été administré, lequel doit être le dernier en ordre, qu’il a été premièrement instruit en la foi. Si on veut voir quelle est l’efficace de la cérémonie à donner l’Esprit, il faut voir ce que nous avons dit au chapitre précédent. Au surplus, vu que Paul a reçu le saint Esprit par la main d’Ananias, les Papistes se montrent plus que ridicules, qui attribuent seulement aux Évêques l’imposition des mains.
Et aussitôt il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue ; et s’étant levé, il fut baptisé.
Comme il a été dit ci-dessus, l’aveuglement de Paul n’était point seulement advenu de crainte ou étonnement, mais aussi il a été par ce moyen exhorté de son premier aveuglement, afin qu’il dépouillât entièrement cette folle confiance, de laquelle il était enflé. Il se glorifie d’avoir été enseigné aux pieds de Gamaliel, Actes 22.3. Et ne faut nullement douter qu’il ne se plut grandement en sa subtilité, laquelle toutefois était un pur aveuglement. Ainsi il perd la vue l’espace de trois jours, afin de commencer à voir de l’Esprit. Car il faut que ceux qui pensent être bien sages, deviennent fols, afin qu’ils soient formés à la vraie sagesse. Car vu que Christ est le soleil de justice, hors lui nous ne voyons point, quelques yeux clairs que nous ayons. C’est lui-même aussi qui ouvre les yeux de l’entendement. L’un et l’autre a été montré à Paul, et nous est montré en sa personne. Car il a les yeux fermés d’écailles, afin que condamnant tout ce qu’il avait de subtilité d’Esprit ou intelligence, comme une pure ignorance et bêtise, il apprenne qu’il a besoin d’une nouvelle lumière, de laquelle il a eu faute jusques à présent. Et il est exhorté qu’il ne faut demander la vraie lumière à autre qu’à Christ, et qu’elle n’est donnée que par le moyen de celui-ci. Touchant ce qu’étant comme transi pour avoir jeûné par trois jours, il ne se hâte point pourtant de manger avant que d’avoir reçu le Baptême ; par cela est déclarée l’affection ardente qu’il a de profiter, puis qu’il n’a point réfectionné son corps, jusqu’à ce que l’âme a été renforcie.
Et après qu’il eut pris de la nourriture, les forces lui revinrent. Or il fut quelques jours avec les disciples qui étaient à Damas.
Et aussitôt dans les synagogues il prêchait Jésus, disant que c’est lui le Fils de Dieu.
Saint Luc poursuit maintenant combien grand fruit la conversion de saint Paul a apporté ; à savoir que tout incontinent après il s’est montré ; et que non seulement il s’est déclaré être disciple de Jésus-Christ ; mais aussi en maintenant constamment l’Evangile, s’est exposé à la haine et rage des ennemis. Celui donc qui naguère se ruait d’un furieux effort contre Christ, non seulement se soumet paisiblement sous l’obéissance de celui-ci, mais aussi comme porte enseigne combat jusques au danger extrême pour maintenir sa gloire. Il est certain qu’il n’a pas été si tôt façonné par l’œuvre d’Ananias ; mais après avoir appris les rudiments de la bouche d’un homme par révélation de Dieu, il est bientôt monté plus haut. Il touche en bref l’essentiel de la prédication, quand il dit que Christ ôtait le Fils de Dieu. A ce même sens il ajoute sitôt après, qu’il est le Christ. Or il nous faut entendre que comme ainsi soit que saint Paul traitât du vrai office du Messie selon la Loi et les Prophètes, aussi enseignait-il que tout ce qui était promis du Messie, et ce qu’on devait espérer de lui, est manifesté en Christ. Car les paroles signifient ceci, quand il dit qu’il prêchait que Christ est le Fils de Dieu. Ce principe était hors de tout différend entre les Juifs, que Dieu enverrait le Rédempteur, qui devait remettre toutes choses en bon et heureux état. Saint Paul enseigne que ce Rédempteur c’est Jésus de Nazareth. Ce qu’il ne peut faire, qu’il ne leur ôte ces erreurs grossières et lourdes, lesquelles ils avaient conçus en leurs esprits du royaume terrien du Messie. Il est donc certain que S. Paul a traité en quelle qualité le Christ avait été promis en la Loi, et à quelle fin. Mais pour ce que toutes choses tendaient à ce but, qu’il prouvât que celui duquel la Loi et les Prophètes avaient rendu témoignage, était le fils de Marie ; à cette cause S. Luc s’est contenté de ce seul mot.
Et tous ceux qui l’entendaient s’étonnaient et disaient : N’est-ce pas là celui qui persécutait à Jérusalem ceux qui invoquent ce nom, et qui était venu ici exprès pour les emmener liés aux principaux sacrificateurs ?
Ceci est ajouté, afin que nous sachions que la vertu de Dieu a été connue. Car comme ainsi soit que ce bruit courut par tout, que Paul brûlait de zèle contre l’Évangile aussi ils ne voyaient autre cause d’un changement si soudain, que la main de Dieu. C’est donc ici aussi un fruit du miracle, que tous sont étonnés qu’il était fait nouvel homme, afin que sa doctrine touchât plus vivement les cœurs. Or quant à ce qu’ils disent qu’il gâtait tout, et exerçait grande cruauté en Jérusalem, et que naguère il était venu à Damas pour continuer son propos ; ces circonstances servent à augmenter le miracle. Il nous faut aussi noter cette façon de parler, Ceux qui invoquaient ce nom ; laquelle témoigne que les fidèles avaient fait telle confession de Christ, qu’ils mettaient toute la foi de leur salut en lui ; selon ce qui est dit, Les uns se tient en leurs chariots, les autres en leurs chevaux ; mais nous, nous invoquerons et réclamerons le nom du Seigneur, Psaumes 20.7. En somme, tout ce que l’Écriture commande de l’invocation de Dieu, convient à la personne de Christ.
Mais Saul se fortifiait de plus en plus, et il confondait les Juifs qui habitaient à Damas, démontrant que Jésus est le Christ.
Saint Luc non seulement loue ici le zèle constant de saint Paul à faire confession de la foi de Christ, mais aussi montre qu’il a combattu par fortes et vives raisons, par lesquelles il confondait les Juifs, et les rendait convaincus. Il s’efforçait de plus en plus, dit-il ; c’est-à-dire, il les surmontait par disputes, et sa confession avait une force et grande véhémence conjointe ; car étant garni des témoignages de la sainte Écriture, et autres munitions du saint Esprit, il accablait, par manière de dire, ses ennemis. Car ce mot de Confondre, duquel use saint Luc, signifie que comme Paul les pressait outre mesure, ils se sentirent si vivement touchés, qu’ils ne savaient qu’ils devaient dire. Le moyen de les confondre est exprimé, que Paul affirmait que Jésus est le Christ. Car le sens est, que combien que les Juifs voulaient tant et plus résister, ils furent toutefois vaincus et confus. Ainsi Paul a montré par expérience, que ce qu’il prononce en ses écrits est très véritable, à savoir, que l’Écriture est utile pour convaincre, 2 Timothée 3.16. Il a montré aussi par effet ce qu’il requiert ailleurs d’un Évêque et d’un Docteur, Tite 1.7. Car il a été armé de la parole de Dieu pour maintenir la vérité. Et même saint Luc comprend deux, choses, à savoir que Paul a tellement obtenu victoire en disputant, qu’il a rendu confus les Juifs ; et que toutefois leur obstination n’a point été tellement amollie ni dompté qu’ils condescendissent à la vérité. Car leurs consciences ne laissent pas pour cela de bruire au dedans ; et combien qu’ils fussent convaincus et déboutés de leur opinion fausse, toutefois ils ne se soumettent nullement à Christ.
Et d’où vient cette victoire à saint Paul, sinon que l’Écriture lui a servi de glaive ? par quoi, toutes les fois que quelques hérétiques se lèvent pour combattre la droite foi, toutes les fois que les méchants s’efforcent de renverser toute la vraie religion, et que les malins résistent obstinément, souvenons-nous que c’est de l’Ecriture qu’il nous faut emprunter glaive et armes. Or pour ce que les Papistes ne trouvent nulle défense en l’Écriture, mais plutôt voient qu’elle leur est toute contraire, ils ont leur recours à cette misérable franchise, qu’il ne faut disputer contre les hérétiques ; et qu’on ne peut rien résoudre de l’Écriture qui soit certain. Mais quoi ? Si Satan lui-même est renversé par le glaive de la Parole, pourquoi est-ce qu’elle ne servira à détruire les hérétiques ? Non pas qu’ils viennent à y consentir, et qu’ils fassent fin de murmurer ; mais pour ce qu’étant convaincus en eux-mêmes, ils demeureront courts. Que si nous voulons éviter une telle confusion, n’émouvons point nous-mêmes de troubles contre Dieu, mais recevons d’un cœur paisible et bénin la paix que l’Ecriture nous offre.
Mais lorsqu’un assez grand nombre de jours furent accomplis, les Juifs se concertèrent pour le tuer.
Il explique que plusieurs jours passèrent, afin que nous sachions que quelque espace de temps fut donné à saint Paul, durant lequel il peut profiter envers les gens. Car combien que les Juifs lui résistèrent déjà dès le premier jour, néanmoins le Seigneur n’a point permis que le cours bien et heureusement commencé fut si tôt rompu. Ainsi par un conseil admirable il empêche les conseils des ennemis, il retarde leurs efforts, et réprime leur rage et malice, jusques à ce qu’il avance l’Evangile ; et en même temps nous voyons que c’est que fait la haine de vérité. Car quand les infidèles voient qu’ils ne sont assez forts pour résister, leur refuge est de montrer une rage et désir furieux de tuer. Ils mépriseraient volontiers la parole de Dieu s’ils pouvaient ; mais pour autant qu’ils sont contraints veuillent-ils ou non de sentir la vertu de celle-ci, ils sont transportés comme bêtes enragées d’une impétuosité aveugle, et d’une violence bouillante. Ainsi verrons-nous presque toujours bouillir une ardeur d’un zèle inconsidéré, et écumer jusques à une telle cruauté, sinon que les hommes se laissent gouverner par la parole de Dieu. voici vraiment un horrible aveuglement. Car pourquoi est-ce qu’ils sont ainsi enragés, sinon que la plaie de laquelle leurs consciences sont navrées, les tourmente ? Mais voilà comment Dieu se venge de l’hypocrisie de ceux qui ont en haine la pure et vraie religion, non pour autre raison, sinon qu’étant amis des ténèbres, ils fuient la lumière.
D’avantage, nous voyons combien ces beaux zélateurs se flattent doucement, et se permettent toutes choses, quand ils ont été une fois poussés par Satan à persécuter la vérité. Car combien qu’ils sachent que le conseil de meurtrir et tuer un homme soit plus que méchant, néanmoins sous couverture de zèle ils ne font nulle difficulté de l’entreprendre. Comme les Papistes aujourd’hui estiment qu’il n’y a rien qui ne leur soit permis, moyennant qu’ils éteignent la doctrine de l’Evangile. Non seulement ils montrent leur cruauté manifeste par feux et glaives, mais aussi ils tâchent de nous détruire par embûches, horribles trahisons, et moyens plus qu’exécrables. Or afin que ceci ne nous advienne, en premier lieu il nous faut bien donner garde que ne nous embrouillions point à maintenir mauvaises causes ; d’avantage, que nous démenions bien les causes, lesquelles seront bonnes. Or il est probable qu’ils dressèrent des embûches occultes à saint Paul ; et puis après quand ils virent qu’ils ne gagnaient rien par ce moyen, ils allèrent au prévôt ou gouverneur de la ville ; et qu’alors on mit des gardes aux portes, pour le surprendre en quelque sorte que ce fut. Car saint Paul explique qu’Aretas, lequel était pour lors gouverneur pour le Roi, donna ce mandement ; ce que saint Luc attribue ici aux Juifs.
Mais leur complot parvint à la connaissance de Saul. Or ils gardaient même les portes de la ville jour et nuit, afin de le tuer.
Mais ses disciples, l’ayant pris de nuit, le descendirent par la muraille, en le dévalant dans une corbeille.
On fait ici une question, à savoir s’il était licite aux disciples de sauver saint Paul par ce moyen. Et si aussi il était loisible à saint Paul d’éviter le danger en cette sorte. Car les lois prononcent que les murailles et portes des villes sont choses sacrées, et lesquelles il n’est loisible de violer. Par quoi il devait plutôt endurer la mort, que de permettre que pour l’amour de lui l’ordre public fût troublé. Je réponds à cela, qu’il faut considérer la fin pourquoi les lois défendent expressément de violer les murs des villes ; à savoir, afin que les villes ne soient exposées à pilleries et brigandages, et que les habitants et citoyens de celles-ci soient assurés contre toutes trahisons. Or quand il est question de délivrer un homme innocent, cette raison cesse. Et pourtant il n’a point été moins licite aux fidèles de dévaler saint Paul par une corbeille, qu’il sera licite à un homme privé de passer par-dessus les murailles de la ville pour repousser une course soudaine des ennemis. Cicéro traite ce dernier membre, et montre très bien que déjà soit que la Loi défende aux étrangers de s’approcher des murailles, toutefois celui qui montera sur les murailles pour garder et sauver la ville, n’offensera point ; pour ce que les lois doivent toujours être par interprétation convenable adoucies et réduites à équité. Par quoi, saint Paul est irrépréhensible en ce qu’il échappa secrètement, vu qu’il pouvait faire cela, sans émouvoir le peuple à tumulte. Cependant nous voyons comment le Seigneur a accoutumé d’humilier ses fidèles ; vu que saint Paul est contraint de dérober sa vie aux gardes de la ville, s’il veut échapper saint et sauf. Et pourtant il explique cet exemple entre ses infirmités, 2 Corinthiens 11.32. Voilà comme de bonne heure il a fait son apprentissage à porter la croix pour l’avenir.
Or étant arrivé à Jérusalem, il tâchait de se joindre aux disciples ; et tous le craignaient, ne croyant pas qu’il fût un disciple.
Ces commencements ont été bien durs et âpres à saint Paul, qui était encore apprenti et comme nouveau ; à savoir qu’à grand-peine était-il échappé des mains de ses ennemis, et voici les disciples font difficulté de le recevoir. Car ainsi il pouvait sembler qu’il était agité çà et là comme par moquerie, en sorte qu’il ne peut avoir pied ferme en lieu quelconque. Il avait acquis l’inimitié de toute sa nation pour l’amour de Christ, et maintenant il est rejeté des Chrétiens. N’est-il pas comme chassé de la compagnie des hommes ? et cela ne lui pouvait-il pas faire perdre courage, et repousser toute espérance ? Premièrement, que reste-il sinon qu’il se révolte de l’Eglise, vu qu’il n’y est point reçu ? Mais se rappelant sa vie passée, il ne s’étonne point si les autres l’ont en horreur. Et pourtant il endure patiemment, voyant que les autres frères ont juste cause de le craindre, et de ne le recevoir point en leur compagnie. Ç’a été une vraie conversion et grand changement, quand en lieu qu’il exerçait grande cruauté auparavant, maintenant il reçoit d’un grand courage et force les orages des persécutions ; et cependant voyant que place lui est refusée entre les fidèles, il attend patiemment et d’un cœur bénin, jusques à ce que Dieu lui fasse trouver amitié envers eux. Or il nous faut diligemment noter que c’est qu’il désire, à savoir d’être réputé entre les disciples de Christ ; et toutefois il ne peut obtenir cela. Il n’y a ici nulle ambition ; mais cependant il fallait qu’il fut ainsi conduit, afin qu’il prisât plus voire le dernier lieu entre les disciples de Christ, que toutes les maîtrises dans les synagogues des Juifs, où il n’y avait quasi que corruption et gens apostats. Et de cette humilité et abaissement il est parvenu à un haut degré d’honneur, d’être le principal docteur de l’Eglise jusques à la fin du monde. En somme, nul n’est idoine pour enseigner en l’Eglise, s’il ne se range volontiers et de son bon gré jusques-là, qu’il se rende disciple avec les autres.
Mais Barnabas le prit avec lui et le mena aux apôtres, et leur raconta comment, sur le chemin, il avait vu le Seigneur, et que celui-ci lui avait parlé ; et comment à Damas il avait franchement prêché au nom de Jésus.
C’a été par aventure une trop grande timidité aux disciples, de fuir ainsi saint Paul ; et toutefois il n’est point ici parlé de quelques gens communs, mais des apôtres mêmes. Mais une chose amoindrit ou bien purge la faute des apôtres, c’est qu’à bon droit ils l’avaient pour suspect, puis qu’ils l’avaient vu si enragé à persécuter l’Eglise, et si grand ennemi des fidèles ; et y avait danger qu’ils ne se fussent mis trop follement en péril, s’ils se fussent montrés si faciles. Et pourtant je ne pense point qu’on leur doive imputer à vice cette crainte qu’ils avaient conçue pour bonne et juste cause, ou que pour cela ils méritent d’être accusés. Car s’ils eussent été appelés pour rendre raison de leur foi, ils eussent hardiment dépité non seulement Paul, mais aussi toutes les furies d’enfer. Et de ceci nous pouvons recueillir que nous ne devons pas condamner indifféremment toute crainte, mais seulement celle qui nous contraint de nous détourner de notre office et devoir. La narration que saint Luc ajoute après, se peut rapporter tant à la personne de saint Paul, qu’aussi à celle de Barnabas ; toutefois il me semble plus probable, que saint Paul raconta aux apôtres ce qui lui était advenu. Toutefois le propos peut convenir à Barnabas, principalement en cet endroit où il est fait mention de la constance de saint Paul. Saint Luc dit puis après, que saint Paul sortait et entrait avec les disciples ; laquelle forme de parler signifie une conversation et fréquentation familière ; comme il est dit des habitant d’une ville, qu’ils entrent et sortent par les portes de la ville. Saint Paul donc loué par le témoignage de Barnabas, commença à être réputé du troupeau, afin qu’il fut entièrement connu de l’Eglise. Saint Luc ajoute conséquemment, que Paul parlait franchement. Par lesquelles paroles il loue sa constance à confesser hardiment Jésus-Christ, et faire profession de son Evangile. Car entre tant d’empêchements il n’eut jamais été si hardi même d’ouvrir la bouche, si son cœur n’eut été muni d’une constance admirable. Cependant la leçon est ici donnée à tous que c’est qu’ils doivent faire, à savoir qu’un chacun fasse selon la mesure de sa foi. Car combien que tous ne soient pas Paul, toutefois la foi de Christ doit engendrer si grande confiance en nos cœurs, que nous ne soyons du tout muets quand il est besoin de parler. Je prends ici le nom du Seigneur, pour la profession ouverte de l’Evangile, en ce sens, que saint Paul a hardiment et constamment maintenu la cause de Christ.
Et il allait et venait avec eux dans Jérusalem, s’exprimant avec hardiesse au nom du Seigneur ;
et il parlait et disputait avec les Hellénistes ; mais eux cherchaient à le tuer.
Erasme note bien à propos, que saint Luc n’appelle ici Grecs, des gens qui fussent descendus des Grecs ; mais plutôt des Juifs qui étaient pour lors épars par diverses contrées et régions du monde. Or plusieurs avaient accoutumé de partir de leurs provinces, et venir en la ville de Jérusalem pour y adorer. Et il est croyable que S. Paul disputa contre des forains et étrangers, plutôt que contre ceux qui étaient habitant en Jérusalem ; car les habitants ne l’eussent jamais souffert, et il n’eût pas été sûr qu’il se fut trouvé devant eux. Etant donc chassé de ceux qui l’avaient connu auparavant, il essaya s’il y aurait quelque espérance de profiter envers ceux qui ne le connaissaient point. Par ce moyen il fit actes en tout et par tout d’un vaillant et hardi champion.
Mais ils tâchaient de le mettre à mort. Nous voyons encore ici une rage et furie exorbitante en lieu de zèle. Et il ne se peut faire autrement que la superstition et hypocrisie ne soit cruelle et inhumaine. Il est vrai que les fidèles doivent bien être émus d’une sainte colère, quand ils voient que la pure vérité de Dieu est corrompue par doctrines fausses et réprouvées ; mais il faut que leur zèle soit cependant tellement modéré, qu’ils n’arrêtent et ne concluent rien qu’ils n’aient bonne connaissance de la cause ; et avec ce qu’ils tâchent de remettre au chemin ceux qui sont égarés ; et finalement quand il y aura une obstination désespérée, que toutefois ils n’empoignent pas le glaive d’eux-mêmes, d’autant qu’ils savent que le Seigneur ne leur a point donné commission de se venger. Mais les hypocrites sans connaissance de cause viennent du premier coup et de grande impétuosité à répandre le sang. Ainsi la superstition conduite d’un aveuglement furieux ne demande que le sang. Or saint Paul qui naguère courrait çà et là pour tourmenter les fidèles, ne peut maintenant trouver lieu ferme. Toutefois cette condition lui a été beaucoup meilleure, que si chassant les fidèles de leurs places, il eût par tout régné en paix et repos. Quant à ce qu’il est allé à Tharse, il ne faut douter que cela n’ait été fait pour y porter la doctrine de l’Evangile ; car il y avait espérance qu’il aurait quelque autorité, et acquerrait grâce en son pays, où il avait été renommé. Néanmoins les frères le menèrent, afin qu’ils le délivrassent des embûches.
Les frères, l’ayant su, l’emmenèrent à Césarée et le firent partir pour Tarse.
L’Eglise était donc en paix par toute la Judée, la Galilée et la Samarie, étant édifiée et marchant dans la crainte du Seigneur, et elle était multipliée par l’assistance du Saint-Esprit.
Saint Luc signifie que les ennemis de l’Evangile avaient été émus et grandement irrités par la présence de S. Paul. Car pourquoi fut-ce qu’incontinent après son département les Eglises eurent repos, sinon que sa présence incitait la fureur des ennemis ? Nonobstant ceci ne lui est point tourné à vice, comme s’il avait été (par manière de dire) une trompette de guerre ; mais plutôt S. Luc lui attribue ceci à grande louange, que par la seule odeur de sa présence les méchants ont été embrasés de rage. Car Christ a tellement voulu triompher en lui, qu’il n’apportait moins de fâcherie à son Eglise que d’honneur. Nous sommes donc exhortés par cet exemple, que nous ne devons pas du premier coup condamner ceux qui enflamment plus la rage des méchants que ne feront les autres. Laquelle admonition nous est nécessaire et grandement utile. Car comme nous sommes délicats plus qu’il ne serait de besoin, et aimons par trop notre aise et repos ; encore maintenant nous nous courrouçons, voire contre les plus excellents serviteurs du Fils de Dieu, si nous pensons que par leur véhémence et fervent zèle les méchants sont incités à nous nuire. Or en cette sorte nous faisons tort à l’Esprit de Dieu, duquel la vertu et le souffle allume toute cette flamme. Et quant à la paix que S. Luc dit avoir été aux Eglises, sachons qu’elle n’a point été perpétuelle ; mais pour ce que le Seigneur donna à ses serviteurs quelque relâche pour un peu de temps. Car il supporte ainsi notre infirmité, quand il adoucit ou apaise les tourbillons et orages des persécutions, afin qu’elles ne nous pressent outre mesure en continuant. Et c’est une bénédiction qui n’est à mépriser, ni de petite importance, quand les Eglises sont en paix. Mais S. Luc ajoute d’autres choses, lesquelles sont de beaucoup plus grand pris ; à savoir que les Eglises étaient édifiées, et cheminaient en la crainte du Seigneur, et étaient remplies de la consolation du Saint Esprit. Car comme nous avons accoutumé de nous répandre en dissolutions quand nous sommes en repos, aussi les Eglises sont souvent plus heureuses au milieu des grands troubles de guerres, que si elles jouissaient à leur souhait d’un repos gracieux. Que si la sainte conversation et la consolation du saint Esprit (par lesquelles leur état est maintenu) leur sont du tout ôtées, non seulement elles perdent leur félicité, mais aussi tombent à néant. Apprenons donc de n’abuser point du repos externe pour être oisifs et suivre les délices ; mais tant plus que nos ennemis nous donneront de relâche, prenons courage pour profiter en la crainte de Dieu et vraie religion. Que s’il advient quelque fois que le Seigneur lâche la bride aux méchants pour nous troubler, contentons-nous de la consolation intérieure du saint Esprit. Bref, tendons toujours d’un cœur joyeux à notre Capitaine, tant en temps de paix que de guerre.
Ce mot édification, se peut prendre en deux manières ; ou pour les accroissements, à savoir quand l’Eglise croît du nombre des fidèles ; ou pour l’avancement de ceux qui sont déjà au troupeau, à savoir quand ils croissent en nouveaux dons, et reçoivent plus grande confirmation en la crainte et religion de Dieu. En la première signification cela se rapportera aux personnes ; selon la seconde, aux dons et grâces du saint Esprit. De ma part, je comprend volontiers tous les deux ensemble ; que ceux qui étaient auparavant étranges de l’Eglise, étaient reçus en cette ; et que les domestiques mêmes de l’Eglise croissaient en la crainte de Dieu et autres vertus. Or la métaphore de l’édifice convient très bien, d’autant que l’Eglise est le temple et la maison de Dieu, 1 Timothée 3.15 ; et un chacun fidèle aussi est le temple du saint Esprit, 1 Corinthiens 3.16-17. Et certes ces deux choses qui suivent après, à savoir qu’elles cheminaient en la crainte du Seigneur, et qu’elles étaient remplies de la consolation du saint Esprit, sont parties de cette édification. Combien donc que les Eglises eussent paix, néanmoins elles ne s’enivrèrent point de délices ni de joie terrestre ; mais s’appuyant sur l’aide de Dieu, prirent plus grand courage et hardiesse à le glorifier.
Et il arriva que Pierre, visitant tous les saints, descendit aussi vers ceux qui demeuraient à Lydde.
Saint Luc raconte quels accroissements advinrent à l’Eglise par les miracles. Or il explique deux miracles, à savoir qu’un homme qui avait été huit ans détenu malade en son lit, voire paralytique, a été guéri tout soudain ; et qu’une femme a été ressuscitée des morts. Il dit en premier lieu, que comme Pierre passait par devers tous, finalement il vint à Lydde. Ce mot de tous, s’entend de tous les fidèles, et non pas des Eglises ; car il est masculin selon le Grec ; combien que cela ne sert pas de beaucoup quant au sens. Or il fallait que les apôtres qui n’avaient nulle certaine place assignée, allassent çà et là, selon qu’ils rencontraient quelque occasion. Cependant donc qu’un chacun était occupé en divers endroits, saint Pierre prit cette charge. Et de ceci la folie des Papistes est réfutée, qui recueillent la primauté de saint Pierre du droit de visiter. Comme si les autres apôtres eussent été oisifs en Jérusalem, et ne faisant rien comme étant hommes privés, cependant que S. Pierre visitait les Eglises. Mais encore que nous leur accordions que saint Pierre ait été le plus grand et premier entre les apôtres (ce que l’Écriture montre bien souvent) s’ensuivra-t-il pourtant qu’il ait été le chef en général de tout le monde ? Mais plut à Dieu que l’Évêque Romain, qui veut être réputé successeur de celui-ci, courut çà et là à son exemple, pour donner bon courage aux frères, et qu’en tous lieux il se montrât de fait être vrai apôtre de Christ. Maintenant celui qui opprime toutes les Eglises d’une domination plus que tyrannique, ne bougeant de son siège, se couvre de saint Pierre, lequel avec grand labeur a visité les Eglises qui étaient en Lydde.
Cette ville, laquelle puis après a été nommée Diospolis, était située assez près de la mer Méditerranée, et fort renommée tant pour son ancienneté, que pour plusieurs autres excellences. Joppe n’était pas loin de celle-ci ; en laquelle y avait un havre fort renommé, toutefois était plein de cailloux. La ville était située sur un haut rocher, et de celle-ci on voyait bien loin, voire jusques en Jérusalem. Maintenant on n’y voit rien que vieilles masures et ruines, sinon que le port est demeuré de reste, lequel on appelle Japhet. Quant à Saron, il semble bien que S. Luc la nomme ici comme une petite ville. Sain Jérome dit Saronas en lieu de Saron ; et pense que par ce mot est dénotée toute la plaine, qui est entre Césarée et Joppe. Or pour ce que saint Jérome n’amène point de raison pourquoi il change la lecture communément reçue de tous, je reçois volontiers ce que le texte de saint Luc me montre ; à savoir que c’était une petite ville voisine de Joppe. Nonobstant je ne veux débattre de ceci ; comme aussi je ne veux faire ostentation ambitieuse d’amasser tout ce qui pourrait servir à ce propos. Car les lecteurs fidèles se contenteront de savoir ce qui sert pour avoir le sens de saint Luc.
Et il trouva là un homme nommé Enée, couché sur un lit depuis huit ans : il était paralytique.
Et Pierre lui dit : Enée, Jésus-Christ te guérit ; lève-toi et fais ton lit toi-même. Et aussitôt il se leva.
Il est tout notoire que les Apôtres n’ont jamais entrepris de faire des miracles qu’ils ne fussent déjà certains de la volonté du Seigneur, de laquelle dépendait aussi l’effet. Car ils n’étaient pas garnis d’une telle vertu ou puissance du Saint Esprit, que cependant ils eussent liberté de guérir tous malades. Mais tout ainsi que Christ a usé de miracles par mesure, aussi il n’a point voulu que ses apôtres en aient plus fait qu’il connaissait être bon et expédient d’en faire. Saint Pierre donc ne jette cette parole hors à la volée ; d’autant qu’il se pouvait exposer à moquerie, si la volonté de Dieu ne lui eût été auparavant manifestée. Or il se peut bien faire qu’il ait prié à part ; tant y a que le Saint Esprit qui était auteur de tous les miracles, et lequel travaillait par la main de S. Pierre, conduisait aussi et gouvernait sa langue alors, et a poussé son cœur par un mouvement secret. Au reste, S. Pierre montre ouvertement par ces paroles qu’il est seulement ministre de ce miracle ; mais qu’il procède de la vertu de Christ ; afin que par ce moyen il magnifie seulement le nom de celui-ci.
Et te fais ton lit, etc Ces circonstances amplifient la gloire de ce miracle ; que non seulement ce paralytique recouvre vigueur pour se lever, mais aussi il a le pouvoir de faire son lit, lui qui auparavant ne pouvait nullement remuer un seul de tous ses membres. La longueur de la maladie tend à cela même. Car une paralysie de huit ans ne peut être guérie facilement. Pour cette même raison il dit qu’il était gisant au grabat, afin que nous sachions qu’il était perclus de tous ses membres. Car c’était une petite couchette, sur laquelle on avait accoutumé de dormir sur le jour. Touchant ce que Enée est si prompt d’éprouver ses membres, cela déclare l’obéissance de sa foi. Car combien qu’il ait bien senti en soi qu’il avait recouvré sa force et vigueur, tant y a que principalement il a été incité de se lever par la vertu de la Parole.
Et tous ceux qui habitaient Lydde et le Saron le virent, et ils se convertirent au Seigneur.
Il signifie que ce miracle fut connu par tout, et que le bruit en courut par toute la ville. Car quand l’Ecriture use de ce mot de Tous, elle ne comprend pas généralement jusques à un, tous ceux qu’elle dénote ; mais elle met tous, pour plusieurs ou pour le commun populaire, ou pour la plus grande partie. Le sens donc est : Que comme ainsi soit que les fidèles fussent là en petit nombre, l’Eglise fut recueillie de la plus grande partie du peuple. Au surplus, par cette précision le fruit du miracle est exprimé, qu’ils reçurent là Christ et son Evangile. Par quoi tous ceux qui s’arrêtent aux hommes, et qui ne convertissent point leurs yeux à ce seul but, à ce qu’étant enseignés de la puissance et grâce de Christ ils adhèrent à lui seul, ceux-là, dis-je, corrompent et abâtardissent les miracles. Cette démonstration et commencement que Christ donne de sa puissance, a servi de préparatif pour que l’on se convertisse à lui.
Or à Joppé il y avait parmi les disciples une femme nommée Tabitha, ce qui signifie Dorcas ; cette femme abondait en bonnes œuvres et en aumônes qu’elle faisait.
S’ensuit une plus manifeste épreuve de la vertu de Christ, d’autant plus qu’il est difficile de rendre la vie à un mort, que donner santé et guérison à un malade. Mais saint Luc en premier lieu loue la personne de Tabitha, en laquelle ce miracle a été fait ; et ce par deux titres ; à savoir qu’elle était disciple de Christ, et qu’elle a montré par bonnes œuvres et aumônes quelle était sa foi. Il a déjà mis quelques fois ce nom de Disciple, pour Chrétien ; afin que nous ne pensions pas que cela convienne seulement aux hommes, il l’attribue même à une femme. Or nous sommes exhortés par ce titre, que nous ne pouvons être Chrétiens sans doctrine, et que telle forme d’apprendre est ordonnée, que Christ seul soit maître de tous. C’est la première louange, c’est le commencement de la vie sainte, c’est la racine de toutes vertus, d’avoir appris du Fils de Dieu, quelle est la façon de bien vivre, et qui est la vraie vie. Après cela, de la foi sortent les fruits des bonnes œuvres. Or par les bonnes œuvres j’entends les devoirs de charité, par lesquels les prochains sont secourus. Et saint Luc met la principale espèce dans les aumônes. Vraiment c’est une grande louange de la bonté, d’autant que selon le témoignage du Saint Esprit, elle contient en soi la somme de la vie sainte et parfaite.
Nous entendons maintenant de quels titres Tabitha est ornée. Car la religion envers Dieu, ou bien la foi, obtient le premier lieu ; secondement, qu’elle s’est exercée a aider les frères, et principalement à subvenir à l’indigence des pauvres. Car la coutume a gagné ceci, que ce nom d’aumône, signifie tout ce qu’on donne pour les pauvres et souffreteux. Ce mot de Tabitha, est plutôt Syriaque qu’hébreu, lequel saint Luc a tourné en Grec, afin que nous sachions qu’il ne reflétait point les vertus d’une si sainte femme, et qu’en un nom peu honorable elle a été comme abaissée. Car Dorcas signifie une biche. Mais la sainteté de sa vie a facilement effacé la macule de ce nom peu honorable[a].
[a] L’adjudant Cruchot aurait été évidemment en désaccord avec Calvin sur ce point.
Mais il arriva, en ces jours-là, qu’étant tombée malade, elle mourut. Et après qu’on l’eut lavée, on la déposa dans une chambre haute.
Il fait mention expresse de la maladie, afin qu’il donne mieux à connaître la mort qui s’en est ensuivie. A cette fin même il dit que le corps fut lavé et mis en une haute chambre. Ces circonstances donc servent grandement pour faire ajouter foi au miracle. Quant à ce que le corps de Tabitha n’est point tout soudain porté au sépulcre, mais en une haute chambre, afin qu’il soit là gardé ; cela nous est pour un témoignage, qu’il ont eu quelque espérance que Tabitha recouvrerait la vie. Touchant la façon de laver de laquelle saint Luc fait mention, il est probable qu’elle était fort ancienne. Et certes je ne doute point que par continuelle succession d’âges elle n’ait été donnée par les pères de main en main, afin qu’en la mort même quelque image visible de la résurrection donnât quelque bonne espérance aux fidèles, à savoir d’autant que la vie bienheureuse n’était pas encore si ouvertement manifestée ; et pour mieux dire, d’autant que Christ qui est la substance et le gage de la vie éternelle, n’était pas encore manifesté, il a fallu par telles aides amender le défaut tant de l’obscurité de la doctrine, que de l’absence de Christ. Ils lavaient donc les corps des morts, afin qu’ils fussent présentés purs un jour devant le siège judicial de Dieu. Bref, il y avait une même raison dans les purifications des morts que des vivants. On était exhorté par les purifications ordinaires, que nul ne pouvait être agréable à Dieu, s’il n’eut été purgé de ses ordures. Ainsi Dieu a voulu qu’en la façon d’ensevelir il y eût un signe, par lequel les hommes fussent exhortés qu’ils partaient hors de ce monde étant souillés, à cause des infections et ordures qu’ils avaient amassées en cette vie. Il est vrai que le purification ne profitait non plus aux morts que la sépulture ; mais on l’appliquait pour instruire les survivants. Car d’autant que la mort a une apparence de destruction entière, afin qu’elle n’éteignît point la foi de la résurrection, il a été bon de lui opposer des signes contraires, lesquels représentassent la vie en la mort.
Les Gentils aussi ont tiré à eux cette cérémonie. Comme Ennius explique du corps de Tarquinius, qu’une bonne femme le lava et l’oignit. Mais ç’a été une sotte invention à eux en cet endroit, comme en toutes cérémonies, vu qu’ils n’en avaient point la substance et la doctrine. Les Chrétiens aussi ont inconsidérément et follement tiré à eux cet exemple, comme si l’observation de la figure de la Loi devait être perpétuelle. Car combien que la nécessité fut abolie dans les commencements de l’Evangile, toutefois l’usage était licite, jusques à ce qu’il s’abolît par succession de temps. Mais quoi ? Nos moines d’aujourd’hui ensuivent aussi bien la façon et cérémonie Judaïque, que faisaient anciennement les Gentils, sans aucune discrétion et jugement. Car ils lavent les corps morts, afin qu’ils ensevelissent Christ dans les ombres, lesquelles étant une fois encloses en son sépulcre, ne doivent jamais être révoquées en usage.
Or Lydde étant près de Joppé, les disciples, ayant appris que Pierre était à Lydde, envoyèrent vers lui deux hommes, lui faisant cette prière : Ne tarde pas à venir jusqu’à nous !
Le lavement du corps montre que les disciples étaient incertains de ce qui en adviendrait. Car par ce moyen ils préparent le corps pour l’envoyer au sépulcre. Nonobstant c’est un signe d’espérance, qu’ils le gardent en une chambre haute, et envoient chercher Pierre. Au reste, ils ne murmurent point contre Dieu, et ne crient point que c’est une chose mal faite ; mais requièrent l’aide du Seigneur en toute humilité. Non pas qu’ils veuillent rendre Tabitha immortelle ; mais seulement ils désirent que sa vie soit prolongée pour quelque temps, afin qu’elle fasse encore profiter l’Eglise.
Et Pierre s’étant levé alla avec eux. Lorsqu’il fut arrivé, on le conduisit à la chambre haute. Et toutes les veuves se présentèrent à lui en pleurant et en lui montrant toutes les tuniques et les manteaux que Dorcas faisait, lorsqu’elle était avec elles.
On est en doute si les hommes envoyés à S. Pierre lui exposèrent la cause pourquoi on le demandait. Toutefois il est plus vraisemblable qu’ils le. prièrent ouvertement de venir faire miracle. Mais là-dessus se présente une autre question, à savoir si S. Pierre connaissait la volonté de Dieu ou non. Car s’il se fut défié de l’événement, il eût entrepris follement ce voyage. Je réponds à cela, que combien qu’il ne fut encore certain de ce que le Seigneur voulait faire, toutefois on ne le peut blâmer de ce qu’il obtempère aux prières des frères. Il y allait aussi pour autres raisons ; à savoir pour adoucir la tristesse, pour les confirmer par saintes exhortations, afin qu’ils ne perdissent courage pour la mort d’une femme ; d’avantage pour fortifier l’Eglise, qui était encore tendre, et comme en enfance. Finalement, ceci seul lui devait suffire ; d’autant que s’il eût fait refus, il eût semblé avis qu’il eût méprisé les frères orgueilleusement. Cependant toutefois il nous faut entendre, que toutes les fois que le Seigneur avait délibéré de montrer sa vertu par quelque miracle qui dût être fait par les apôtres, il les a guidés par un mouvement secret de son Esprit. Et de fait, je ne doute pas que déjà soit que saint Pierre ne fût encore bien assuré de la vie de Tabitha, néanmoins il sentait bien que Dieu était guide et conducteur de son chemin, en sorte qu’il ne se mettait point en chemin à la volée, quoi qu’il fut en suspens et incertain de l’événement.
Et toutes les veuves se présentèrent. Saint Luc dénote ici la cause pourquoi Tabitha fut ressuscitée, à savoir que Dieu ayant pitié des pauvres, donna à leurs prières la vie à cette sainte femme. Il est vrai qu’il y a eu d’autres fins. Car quand elle obtient double vie, ces vertus lesquelles ont été louées ci-dessus par saint Luc, sont ornées en sa personne ; mais la fin principale de cette ressuscitation est que la gloire de Christ soit magnifiée. Car Dieu la pouvait bien garder longtemps en vie. Et certes il ne change point de conseil comme se repentant, quand il la remet en vie bientôt après sa mort ; mais pour ce qu’entre les disciples il y en avait plusieurs infirmes et novices qui avaient bon besoin de confirmation, pour cette cause Dieu déclare son Fils être auteur de vie, en la seconde vie de Tabitha. Par quoi Dieu a eu tellement égard aux pauvres et veuves, que subvenant à leur indigence, il les a fortifiés, et ratifie en leurs cœurs la foi de l’Evangile. Car il a donné en ce miracle ample matière de profiter.
Mais Pierre les ayant tous fait sortir, et s’étant mis à genoux, pria ; et, se tournant vers le corps, il dit : Tabitha, lève-toi ! Et elle ouvrit les yeux ; et voyant Pierre, elle s’assit.
Vu qu’il prend quelque loisir pour prier, il semble qu’il doute encore de ce qui en adviendrait. Quand il voulut donner guérison a Enée, il parla ainsi tout incontinent : Jésus-Christ te guérisse, Enée. Mais comme l’opération du Saint Esprit n’est pas toujours semblable, et d’une même façon ; aussi il se peut bien faire que déjà soit qu’il connut la volonté de Dieu, nonobstant il ait procédé par degrés à faire ce miracle. Toutefois ceci semble absurde, qu’il fait sortir tous les saints et fidèles de cette chambre haute, vu qu’il valait mieux qu’ils y eussent été présents pour en rendre plus certain témoignage. Mais pour ce que le Seigneur ne lui avait encore manifesté le temps ni le moyen de montrer sa vertu, il veut être seul, pour ce que le lieu solitaire est plus propre pour prier. Il pouvait aussi avoir une autre raison de faire ce qu’il a fait, laquelle nous est cachée. L’histoire sainte raconte que le Prophète Elisée fit le semblable. Car étant seul, il se coucha par trois fois sur le corps mort de l’enfant de la veuve, ne voulant point même que la mère y fut présente, 2&nbs;Rois 4.33. Car l’Esprit de Dieu a ses mouvements véhéments, lesquels si aucun veut rapporter à la façon commune des hommes, ou les mesurer selon le sens et raison de la chair, il fera follement et iniquement. Il nous faut bien entendre que quand saint Pierre comme étant en doute, cherche d’être seul, il remédie et prévient la superstition, afin que nul n’attribue cette œuvre Divine à sa vertu, de laquelle il est seulement ministre. Car celui qui avec anxiété d’esprit a son recours aux prières, se retirant de la présence des hommes, il déclare assez ouvertement que le fait n’est pas en sa puissance. Saint Pierre donc attendant ce que Dieu voudrait faire, a confessé que Dieu était seul auteur de cette œuvre. La cérémonie de se mettre à genoux, est un signe d’humilité, laquelle a double utilité ; à savoir à ce que toutes les parties soient appliquées à servir et rendre obéissance à Dieu ; et que l’exercice extérieur du corps aide à fortifier la faiblesse de notre esprit. Or toutes les fois que nous mettons les genoux en terre, il faut aviser que l’intérieure humilité et soumission du cœur soit correspondante à la cérémonie, afin qu’elle ne soit vaine et en dissimulation.
Et se tournant vers le corps, dit, Tabitha, lève-toi, etc. Ceci aussi semble bien être contraire à toute raison, qu’il parle à un corps mort qui n’a nul sentiment. Mais cette parole adressée à un corps mort, a été une partie de la véhémence, à laquelle l’Esprit de Dieu poussa saint Pierre. Que si quelqu’un désire la raison de ceci, telle forme de parler exprime plus clairement la puissance de Dieu à ressusciter les morts, que s’il était dit en tierce personne : Que ce corps reprenne son âme, et qu’il vive. Et pourtant Ezéchiel représentant la délivrance du peuple d’Israël sous la figure de la résurrection, parle ainsi : Os secs, recevez la parole du Seigneur, Ezéchiel 37.4. Et Christ dit : Le temps viendra que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, Jean 5.28. Car cette voix qui sortant de la bouche de saint Pierre, a rendu l’âme au corps de Tabitha, a été vraiment une voix de Christ. Les circonstances suivantes sont mises pour rendre le miracle plus certain. En la fin saint Luc répète derechef, qu’elle fut présentée en la présence des disciples. Dont nous recueillons qu’elle a été ressuscitée plutôt pour les autres que pour soi-même.
Aucuns esprits fantastiques, qui imaginent que l’âme d’un homme n’est autre chose qu’un souffle, qui s’évanouit jusques à la résurrection générale, empoignent ce passage pour prouver leur rêverie. Quel besoin était-il, disent-ils, que l’âme de Tabitha, si elle était reçue au repos bienheureux, fut ramenée en la prison du corps, où combattant contre un si grand nombre de misères, elle travaillât avec tant de difficulté ? Voire, comme s’il n’était pas permis à Dieu d’avoir égard à sa gloire, tant en la mort qu’en la vie. Comme aussi si ce n’était la vraie félicité, de mourir et de vivre à lui. Ou pour mieux dire, comme si Christ ne nous était point un excellent gain tant en vivant qu’en mourant, quand nous nous dédions ou consacrons à lui, Philipiens 1.24. Il n’y aura donc nulle absurdité, si Dieu a eu plus grand égard à sa gloire qu’à Tabitha ; combien que (comme les fidèles ont toujours leur profit conjoint avec la gloire de Dieu) ceci a été tourné à Tabitha en plus grand bien, qu’elle est retournée en vie, afin qu’elle fut un instrument plus clair et évident de la puissance et grande bonté de Dieu.
Et lui ayant donné la main, il la fit lever ; et ayant appelé les saints et les veuves, il la présenta vivante.
Or cela fut connu dans tout Joppé ; et plusieurs crurent au Seigneur.
On aperçoit maintenant que ce miracle a profité en beaucoup de sortes. Car Dieu a consolé les pauvres ; cette honnête et sainte femme a été rendue à l’Eglise, en la mort de laquelle on avait grandement perdu ; et finalement beaucoup de gens sont appelés à la foi. Car combien que saint Pierre eût été ministre d’une vertu si excellente, néanmoins il ne relient les hommes à soi, mais plutôt les adresse à Christ. Or quant à ce qui est dit que saint Pierre demeura chez un homme qui était corroyeur, on peut conjecturer par cela de quelles gens l’Eglise de Joppe était amassée. Car si les plus grands de la ville eussent été convertis a Christ, il ne faut point douter que nul d’entre eux n’eût recueilli Pierre, et hébergé en sa maison. Autrement c’eut été une trop grande inhumanité de ne tenir compte d’un tel apôtre de Christ. Ainsi donc le Seigneur s’amassa en Joppe une Eglise de gens du commun peuple, comme aussi il fait par tout, afin de rabaisser l’orgueil de la chair. En cela aussi Pierre montre son humanité, qu’il ne méprise point d’avoir pour hôte un homme de tel état et de si basse condition. Combien qu’il semble qu’il ait été marchant de moyen état, plutôt que simplement homme de métier et artisan. Car saint Luc expliquera ci-après, qu’en sa maison il y avait gens qui servaient à saint Pierre. Dont il apparaît qu’il fut traité bien à point et honnêtement.
Et il arriva que Pierre demeura un certain nombre de jours à Joppé, chez un certain Simon, corroyeur.