Tel était l’état des choses et des esprits au moment de la mort de Constance. Officiellement, l’acacianisme, c’est-à-dire l’imprécision doctrinale, avait le dessus ; une nouvelle erreur, celle des pneumatomaques, faisait son apparitionc et divisait les semi-ariens, alliés possibles des orthodoxes. Le nouvel empereur, Julien, ne tardait pas d’ailleurs à se déclarer contre le christianisme. La situation ne pouvait être plus fâcheuse. Cependant le mal était moindre qu’il ne paraissait. L’Occident n’avait pas été sérieusement entamé par l’hérésie : en Orient, les partis étaient lassés, et les semi-ariens, notamment, s’étaient trouvés, par leur défaite, rejetés du côté des nicéens, leur seul recours contre leurs adversaires de gauche. L’arianisme tirait sa grande force de la faveur impériale : cet appui venant à lui manquer, on le vit rapidement décliner et disparaître de l’empire.
c – Il faudrait signaler aussi l’apollinarisme qui se montre au même moment : on en parlera plus loin.
Il ne saurait être question de raconter ici en détail l’histoire de cette décadence et de la restauration parallèle de l’orthodoxie, fruit surtout de l’action persévérante, du zèle patient et magnanime d’Athanase et de ses amis : il suffira d’en noter les étapes principales.
En Occident, on vient de le dire, la tâche était relativement aisée. En 360, un concile de Paris, sans réprouver l’ὁμοιούσιος, susceptible d’un bon sens, se prononçait pour l’ὁμοούσιος, et condamnait en même temps le sabellianisme. En Italie, Hilaire, qui s’y était rendu, et Eusèbe de Verceil, malgré les entraves que leur suscitait l’intransigeance des lucifériensd, travaillèrent avec succès à la réconciliation des évêques faillis, à qui ils demandèrent, pour toute condition de réhabilitation, la reconnaissance du symbole de Nicée et la condamnation de l’arianisme. Bientôt l’évêque de Milan, Auxence, se trouva isolé dans son hérésie. A Rome, en particulier, quatre conciles successivement tenus sous Damase, le successeur de Libère, en 369, 376, 377, 380, renouvelèrent les décisions de Nicée, définirent la divinité et la consubstantialité du Saint-Esprit, et condamnèrent — avec Apollinaire — les sabelliens, les ariens et les macédoniens. En Pannonie, Ursace et Valens persistèrent dans l’erreur, mais Germinius de Sirmium souscrivit, en 366, à l’ὅμοιος κατὰ πάντα.
d – On appelait ainsi le parti schismatique de Lucifer de Cagliari, qui se refusait à toute communication avec les évêques compromis dans l’arianisme et à toute indulgence et pardon à leur égard.
En Orient, l’œuvre de relèvement et de réconciliation était plus ardue et plus délicate. Elle s’accomplit cependant à travers mille contrariétés. Athanase, dès 359, avait tendu, dans son traité De synodis, la main aux dissidents, en les assurant qu’il ne voulait pas disputer sur les mots, mais sur les idées qui le séparaient d’eux. Rentré à Alexandrie, le 22 février 362, il y tenait, cette même année, un concile important, dont il rédigea la lettre synodale, le Tomus ad Antiochenos. Le concile décida qu’on n’exigerait des arianisants, pour être réconciliés, que la reconnaissance du concile de Nicée et le rejet de l’arianisme ; condamna ceux qui prétendaient « que le Saint-Esprit est une créature et séparé de la substance du Christ » ; et refusa de se prononcer entre ceux qui disaient μία ὑπόστασις et ceux qui disaient τρεῖς ὑποστάσεις en parlant de Dieu, puisque d’ailleurs ils étaient d’accord sur le fond de la doctrine. Le tomus, envoyé à Antioche, reçut la signature de l’évêque Paulin. Un second concile, en 363, proclama encore la foi de Nicée et la divinité du Saint-Esprit. En 373, le 2 mai, Athanase mourait, et recevait pour successeur l’évêque Pierre.
A Antioche, la question doctrinale se compliquait d’une compétition de personnes qui prolongea longtemps la confusion. Mélèce, arien indécis, établi patriarche par Constance en 361, se prononça presque immédiatement pour l’ὁμοιούσιος, puis, en 363, souscrivit avec vingt-sept évêques, dont Acace de Césarée, au concile de Nicée, en ajoutant qu’ils recevaient l’ὁμοούσιος parce qu’on leur avait expliqué qu’il équivalait à l’ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ πατρός et à ὅμοιος κατ᾽ οὐσίαν. En 379, dans un grand concile de cent cinquante-trois évêques à Antioche, nouveau pas définitif. Mélèce signa, avec les évêques de sa province, une adhésion pure et simple aux formulaires romains. Malheureusement, les antécédents ariens du patriarche l’avaient, dès le principe, rendu suspect aux orthodoxes rigides, et ceux-ci avaient, depuis 362, reçu pour évêque, sacré par Lucifer de Cagliari, un de leurs prêtres, Paulin. Paulin fut soutenu par Rome et Alexandrie, Mélèce par les Orientaux, et l’église d’Antioche, malgré l’accord doctrinal des deux partis, ne retrouva l’unité qu’au siècle suivant.
Ce fut surtout à Constantinople et dans la péninsule de l’Asie Mineure que le retour fut long et difficile. A Constantinople, les ariens restèrent absolument les maîtres jusqu’en 379, année où saint Grégoire de Nazianze vint s’y installer dans le petit oratoire de l’Anastasis, et prononça ses célèbres discours théologiques sur la Trinité. Mais, en 380, Théodose rendit les églises aux orthodoxes, et en 381, fit tenir dans cette ville le second concile général. — Dans l’Asie Mineure, le relèvement fut, en grande partie, l’œuvre de saint Basile : il avait cependant commencé avant son épiscopat. Dès 364, un concile de semi-ariens, réunis à Lampsaque, avait condamné la formule de Nice, et était revenu à l’ὅμοιος κατ᾽ οὐσίαν. Il avait espéré l’approbation de l’empereur Valens. Repoussés par lui, ses délégués allèrent trouver le pape Libère. Sur leur assurance que, à leurs yeux, ὁμοιούσιος équivalait à ὁμοούσιος, le pape les reçut ; et les délégués souscrivirent le symbole, de Nicée avec cette observation qu’ils regardaient l’expression ὁμοούσιος comme ayant été choisie ἁγίως καὶ εὐσεβῶς pour traduire la foi de l’Église. La lettre du pape qu’ils emportèrent en le quittant, et qui accordait la communion aux soixante-quatre évêques leurs commettants, fut reçue avec joie au synode de Tyane, en Cappadoce (367). Il se produisit cependant des protestations en Carie.
A peine élu évêque en 370, saint Basile, devenu le chef effectif de l’épiscopat oriental, par suite du schisme d’Antioche et de l’arianisme régnant à Constantinople, se tourna vers Athanase d’abord, puis vers le pape, pour en obtenir un appui moral et des décisions fermes, capables de dissiper les préjugés et de concilier les esprits. Il désirait surtout que l’on condamnât l’apollinarisme, et que l’on reconnût la légitimité de Mélèce. Ses ambassades obtinrent un résultat partiel. En 377, une lettre de Damase condamna Apollinaire, déposa Timothée, son disciple, et définit encore la divinité du Saint-Esprit. Devant l’inlassable patience de saint Basile et les déclarations de l’Occident, les résistances faiblirent peu à peu, les préjugés s’atténuèrent. L’avènement de Théodose (379) apporta à l’orthodoxie la faveur impériale : on sentit que le dénouement était proche.
Il eut lieu deux ans plus tard. Théodose, dans l’édit publié en 380, après son baptême, avait déclaré d’abord s’en tenir à la foi de Damase et de Pierre d’Alexandrie. Arrivé en Orient, il comprit que ces deux noms ne pouvaient que froisser les susceptibilités de tous ces orientaux, orthodoxes sans doute, mais irrités au fond contre Alexandrie et Rome dont il fallait bien reconnaître la victoire. Aussi le pape ne fut-il pas invité au concile de Constantinople de 381. Cent quatre-vingt-six évêques seulement s’y trouvèrent, dont trente-six pneumatomaques sous la conduite d’Eleusius de Cyzique. Le concile fut présidé par Mélèce d’abord, puis par saint Grégoire de Nazianze comme évêque de Constantinople, puis par son successeur, Nectaire. Les pneumatomaques, invités à abjurer leur erreur, se retirèrent du concile. Celui-ci passa outre et rédigea un τόμος, c’est-à-dire un exposé détaillé de la doctrine trinitaire. Cet écrit est perdu ; mais il s’en est conservé peut-être la substance dans le premier canon du concile dont voici la teneur : « La profession de foi des trois cent dix-huit Pères réunis à Nicée en Bithynie ne doit pas être abrogée : elle doit conserver toute sa force, et l’on doit anathématiser toute hérésie, et en particulier celle des eunomiens ou anoméens, et celle des ariens ou eudoxiens, et celle des semi-ariens ou pneumatomaques, et celle des sabelliens, des marcelliens, et celle des photiniens et celle des apollinaristes. »
Outre les quatre canons certainement authentiques du concile, on lui attribua, dès 451 en Orient, vers 530 en Occident, un symbole reproduisant à peu près — il omet ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ πατρός — et complétant celui de Nicée. C’est le symbole encore en usage dans la liturgie latine. Mais, comme on en trouve déjà le texte dans l’Ancoratus de saint Epiphane (119), écrit en 374, et comme, d’ailleurs, le passage qui concerne le Saint-Esprit (συνπροσκυνούμενος καὶ συνδοξαζόμενον) est encore loin des définitions précises du concile de 381, on doit conclure que ce symbole n’est point l’œuvre de ce dernier concile. Il est certain qu’il représente un remaniement du symbole usité vers le milieu du ive siècle à Jérusalem, tel qu’on le dégage des catéchèses de saint Cyrille, mais sans qu’on puisse décider s’il est proprement le symbole de Jérusalem, ou celui de Constantia, ou celui de quelque autre église.
Le 30 juillet 381, Théodose confirma les décisions du concile, qui furent ratifiées encore par deux autres conciles tenus à Constantinople en 382 et 383 et un concile de Rome en 382. Le concile de 381 fut lui-même reconnu comme œcuménique en Orient vers 451, en Occident au vi° siècle. L’accord était fait sur la foi. On a prétendu (Harnack, Loofs) qu’il ne l’avait été qu’à la faveur d’un malentendu ou d’une équivoque, et que les Pères de Constantinople avaient compris la formule de Nicée et surtout l’ὁμοιούσιος autrement que ceux de Nicée, et dans le sens semi-arien de l’ὁμοιούσιος. C’est une question sur laquelle on reviendra à propos des Cappadociens, dont l’influence ici fut décisive. Mais, quoi qu’il en soit, si l’accord existait dans les croyances et les formules, les cœurs restaient aigris et blessés. Le concile et Théodose l’avaient bien montré par le soin de tenir le pape à l’écart de l’assemblée, par le choix de Mélèce comme président du concile, par les deuxième et quatrième canons dirigés, au fond, contre le patriarche d’Alexandrie, surtout par le troisième canon qui donnait le second rang, après le siège de Rome, au siège de Constantinople, parce que c’était celui de la nouvelle Rome. Des semences de schisme germaient déjà au fond des âmes, et la jeune Constantinople se dressait à côté de la vieille métropole de l’Occident, en attendant qu’elle se dressât contre elle.
Les événements que je viens de résumer mirent fin, dans l’empire officiel, à l’hérésie arienne. Mais, chez les peuples barbares où elle avait pénétré, elle survécut longtemps encore, et donna lieu, de la part des écrivains orthodoxes, à une polémique qui dura jusqu’au vie et au viie siècle. Vers 400, on trouvait encore dans l’empire des Goths ariens, devenus tels par l’apostolat d’Ulphilas (évêque en 341). Les Visigoths qui envahirent l’Italie, puis la Gaule méridionale et l’Espagne, restèrent officiellement ariens jusqu’au concile de Tolède de 589 ; les Suèves jusqu’en 550 ou même un peu plus tard. En Italie, la puissance des Ostrogoths ariens ne fut détruite qu’en 554. Les Lombards ne se convertirent que vers 671, les Burgondes qu’en 517, et c’est en 533 seulement que fut brisée, en Afrique, la domination des Vandales hérétiques et persécuteurs. Il y eut donc pendant deux siècles encore une littérature antiarienne, mais dont le thème d’ailleurs ne renchérit guère sur les idées et la doctrine développées par les premiers champions de l’orthodoxie. Ce sont ces idées et cette doctrine qu’il faut maintenant étudier de plus près dans leurs sources les plus anciennes.