Nous possédons, sous le nom d’Hermas, un écrit assez long, intitulé Le Pasteur, dont il existe deux manuscrits grecs, tous deux incompletsc, deux versions latines (l’une, la Vulgate, très ancienne), une version éthiopienne et quelques courts fragments de version copte. Le titre est emprunté au personnage qui joue, dans la seconde partie de l’ouvrage, le rôle principal, l’ange de la Pénitence à qui Hermas a été confié, et qui se présente à lui sous la figure d’un berger (Vision 5).
c – Le codex du mont Athos, du xive siècle, contient cependant le texte presque entier jusqu’à la similitude 9.30.2.
Qui est cet Hermas, auteur du livre ? Origène voyait en lui l’Hermas que salue saint Paul à la fin de son épître aux Romains (Rom.16.14). D’autres en ont fait un contemporain de saint Clément de Rome, d’après la vision 2.4.3. Mais l’opinion de beaucoup la plus probable, appuyée sur l’autorité du Canon de Muratori et du Catalogue libérien, croit qu’Hermas était un frère du pape Pie Ier, qui régna de l’an 140 à l’an 155 environ. « Quant au Pasteur, dit le Canon de Muratori, il a été écrit tout récemment, de notre temps, dans la ville de Rome, par Hermas, pendant que Pie, son frère, occupait comme évêque le siège de l’Église de la ville de Rome. » Ce témoignage paraît concluant.
Il ne donne cependant point de détails sur la vie d’Hermas lui-même. Mais celui-ci, dans son livre, en a donné. D’après cette autobiographie, Hermas, d’abord esclave et chrétien, aurait été vendu, à Rome, à une dame chrétienne nommée Rhodé, qui ne tarda pas à l’affranchir. Devenu libre, il s’adonna à l’agriculture et au commerce et fit fortune. Par contre, il négligea la direction morale de sa famille et surtout ne corrigea pas sa femme et ses enfants qui étaient vicieux. Survint la persécution. Pendant qu’Hermas et sa femme confessaient leur foi, ses enfants apostasièrent, dénoncèrent leurs propres parents et s’abandonnèrent à tous les désordres. La conséquence fut pour lui la ruine de sa fortune. Un petit domaine lui resta cependant sur la voie campanienne, qui suffit à ses besoins. Mais l’épreuve lui fut salutaire. De chrétien médiocre devenu chrétien fervent, Hermas s’efforçait de réparer le passé quand commencèrent les événements qu’il va raconter.
Il est difficile de démêler dans ces détails le vrai du fictif. La personne d’Hermas est certainement historique et certains traits le sont aussi probablement. D’autres ont pu être imaginés pour les besoins du livre. En somme Hermas a beaucoup inventé, comme nous l’allons dire, et il se peut donc qu’il ait arrangé sa propre histoire.
Le but de l’auteur, dans tout son ouvrage, est d’amener les pécheurs à faire pénitence. De graves désordres se sont glissés en effet, il le constate, dans l’Église romaine (Simil, 8.6-10 ; 9.19-31), et cela non seulement parmi les fidèles, mais jusque dans le clergé. Ces pécheurs doivent-ils faire pénitence ? Certains imposteurs le niaient (Simil., 8.6.5) : Hermas l’affirme. Cette pénitence nécessaire sera-t-elle utile à ceux qui la feront et leur vaudra-t-elle leur pardon ? Des docteurs rigoristes enseignaient que non, et que la seule pénitence salutaire était celle que l’on faisait au baptême (Mandat., 4.3.1) : Hermas annonce précisément de la part de Dieu qu’une pénitence après le baptême est possible et efficace au moins au moment où il écrit, et qu’il a mission expresse d’inviter les pécheurs à profiter de cette grâce. Et enfin, comment doit s’opérer la pénitence ? Hermas le dira au cours de ses développements. Ces trois idées, nécessité, efficacité de la pénitence, conditions générales de la pénitence forment tout le fond du Pasteur.
Mais ces idées, Hermas ne les présente pas comme siennes. Afin de les faire plus aisément accepter, il les a présentées comme des instructions morales reçues à l’occasion de manifestations surnaturelles dont il a été favorisé. Il s’est posé en voyant et en prophète, semblable à ceux des premiers temps de l’Église, et tout son livre n’est que la relation de ses visions et des révélations qui lui ont été faites.
A ce point de vue, qui est celui de la forme du livre, le Pasteur se divise en trois parties qui comprennent cinq Visions, douze Préceptes et dix Similitudes ou paraboles. Cette distinction est faite par l’auteur lui-même, mais ne doit pas être prise trop à la rigueur, « car les préceptes et les similitudes contiennent presque autant de visions que les visions proprement dites, comme aussi les visions et les similitudes sont bourrées de préceptes » (Lelong). En réalité, Hermas partage son livre en deux sections très nettes, suivant le personnage qui lui apparaît et lui parle. Dans les quatre premières visions, ce personnage est l’Église. Elle se montre à lui d’abord sous les traits d’une femme âgée et débile, ensuite et successivement sous une forme de plus en plus jeune et gracieuse. Puis, à partir de la cinquième vision, surgit un nouveau personnage qui tient la scène jusqu’à la fin du volume. C’est le Pasteur ou le Berger, c’est-à-dire l’ange de la pénitence à qui Hermas a été confié. Le Pasteur lui dicte d’abord les douze préceptes, puis lui fait écrire les similitudes ou paraboles.
Les douze préceptes sont un petit code de morale pratique où sont recommandées surtout les vertus et les bonnes œuvres que doit pratiquer le vrai pénitent pour que sa pénitence soit efficace : la foi, la crainte de Dieu, la simplicité, la véracité, la chasteté dans le mariage, la patience, la tempérance, la confiance en Dieu, la joie chrétienne, le discernement des vrais et des faux prophètes.
Les similitudes ou visions symboliques, au nombre de dix, reprennent, en le développant, le thème des visions, c’est-à-dire toujours la nécessité, l’efficacité et les conditions de la pénitence. Trois d’entre elles sont particulièrement importantes : la cinquième (parabole du vignoble et du serviteur fidèle) ; la huitième (parabole du saule) ; et la neuvième, qui revient sur la troisième vision et raconte la construction de la tour de l’Église.
Les travaux de Link et de Baumgaertener ont solidement établi que le Pasteur est l’œuvre d’un auteur unique ; mais il ne suit pas de là que cet auteur, Hermas, en ait écrit à la suite et d’un seul trait toutes les parties. Il est certain, au contraire, que des intervalles ont séparé la composition des quatre premières visions de celle de la vision cinquième ; la composition des similitudes 1 à 8 de celle de la similitude 9 ; et enfin la composition de cette dernière similitude de celle de la similitude dixième. Mais il est difficile de préciser la durée de ces intervalles : rien ne prouve qu’elle ait dépassé en tout quatre ou cinq ans.
C’est à Rome évidemment que le Pasteur a été écrit. Le canon de Muratori affirme que ce fut sous le pontificat de Pie Ier, de l’an 140 à l’an 155 environ. Le mieux est d’accepter cette date, qui se trouve confirmée par ce qu’Hermas dit des persécutions, de l’état de l’Église romaine, et des erreurs qui commençaient à se répandre à son époque.
Dès son apparition, le Pasteur semble avoir joui tant en Occident qu’en Orient d’une très haute considération, qui alla chez quelques auteurs (saint Irénée, Tertullien catholique, Clément d’Alexandrie, Origène) jusqu’à le faire regarder comme inspiré, bien qu’on ne le mît pas tout à fait sur le même pied que les Écritures canoniques. C’était l’œuvre d’un prophète authentique. Il fut copié dans les manuscrits de la Bible, à la suite du Nouveau Testament. Toutefois le canon de Muratori, Eusèbe et saint Athanase donnent une note plus juste, en remarquant que le livre d’Hermas est assurément excellent, mais ne saurait être assimilé aux livres reconnus par l’Église. Ce grand prestige d’ailleurs ne dura pas au delà du ive siècle. En 392, saint Jérôme (Vir. ill., 10) déclarait que le Pasteur était presque ignoré des Églises latines. Les Églises grecques le délaissèrent aussi peu à peu. Dans le décret de Gélase (496), il est mis au nombre des apocryphes.
Considéré en lui-même, l’ouvrage est d’un haut intérêt et parfois d’une lecture agréable. Ce n’est pas que l’auteur soit un lettré et un bien grand esprit : non. Il n’avait point fait d’études et ne semble pas avoir rien lu ni connu en dehors de la Bible et de quelques apocryphes juifs ou chrétiens. La philosophie lui était absolument étrangère. Son imagination est pauvre ; « sa grammaire est très fautive, son style gauche, diffus, plein de longueurs et de répétitions fatigantes… sa logique extrêmement défectueuse : il ignore l’art d’écrire correctement » (Lelong). Écrivain médiocre, Hermas n’est pas meilleur théologien, et il est clair que les spéculations sur le dogme chrétien dépassent sa portée. Mais ce petit bourgeois, s’il n’est pas très instruit, a beaucoup observé : il a l’esprit juste, le cœur compatissant et possède un sens pratique aiguisé. A ces titres, c’est un moraliste excellent. Il est plein de mesure et de modération : il ne demande à la faiblesse humaine que le possible et, par suite du sentiment profond qu’il a de la miséricorde divine, il se montre, dans l’ensemble, indulgent et optimiste. Son livre a certainement dû faire beaucoup de bien.