(Décembre 1517 à mars 1518)
Pécolat paraît devant ses juges – On le menace de la question – On prétend qu’il est ecclésiatique – Il est remis aux mains des prêtres – Le diable chassé de sa barbe – Il veut se couper la langue – Bonivard entreprend de le sauver – Appel au métropolitain – Citation de l’évêque par son métropolitain – Bonivard trouve un clerc pour la remettre – Effroi du clerc, vigueur de Bonivard – L’inhibition signifiée à l’évêque – Quatre-vingts citoyens demandent justice – Influence des amis de Pécolat – L’excommunication affichée à Genève – Consternation et émeute – Ordre de relâcher Pécolat – Lettres papales contre Pécolat – Délivrance de Pécolat – Il rentre en triomphe dans Genève – Pécolat dans la cellule d’Yvonnet – Ses récits par gestes – Le timide Blanchet
La condamnation de Pécolat devint la principale affaire de la cour de Turin, dans ses rapports avec Genève. L’archevêque Seyssel, qui avait alors une grande influence, n’était point pour le despotisme, il consentait à modérer la puissance royale ; mais il détestait les républiques, et voulait profiter du procès de Pécolat pour rompre cet esprit de liberté, qui se manifestait avec tant d’énergie dans Genève, et qui de là pouvait aller plus loin. Sentant l’importance de cette cause, pour combattre l’indépendance des huguenots, l’archevêque résolut d’enlever, si possible, le citoyen genevois à ses juges naturels, et il eut recours pour cela à une subtilité indigne d’un si grand homme d’État. Il représenta que le crime de lèse-majesté, dont Pécolat était accusé, n’était pas de ceux dont il était question dans les constitutions de la ville et que la connaissance n’en appartenait donc qu’au prince. Mais il ne put réussir : « Nous avons le pouvoir, répliquèrent les syndics, de connaître de toute cause criminelle. » Tout ce que Seyssel put obtenir fut que l’évêque eût dans la cour des délégués, qui donneraient leur avis, mais sans votera.
a – Registres du Conseil des 25 septembre, 30 octobre, 5, 6, 9, 10 novembre 1517. — Spon, Hist. de Genève, I, p. 279. — Savyon, Annales, p. 59. — Bonivard, Chroniq., Il, p. 299.
Les juges se réunirent dans le château de l’Ile, le 10 décembre 1517 ; ils étaient entourés des avocats fiscaux du duc et de l’évêque, du gouverneur de Vaud, d’autres partisans de Savoie. Parmi les six conseillers qui devaient juger avec les syndics (les juges étaient ainsi au nombre de dix), il se trouvait des ducaux prononcés, sur lesquels l’archevêque pouvait compter pour une sentence de condamnation. Le pauvre Pécolat, encore tout brisé, fut introduit par le vidame. La vue des syndics, de Lévrier père, de Richardet, de Porral, lui rendit courage ; il savait que c’étaient des hommes justes, ennemis du despotisme épiscopal. « Les confessions que j’ai faites à Thiez, dit-il, m’ont été arrachées par la torture ; le juge me disait les mots, et moi je les répétais après lui. Je savais que si je ne disais pas ce que l’on voulait, on me romprait les bras, et me les détruirait entièrementb. »
b – Galiffe, Matériaux pour l’histoire de Genève. Interrogatoire. II, p. 75, 77, 88.
Après cette déclaration, l’interrogatoire commença ; la clarté des réponses de Pécolat, sa douceur, sa candeur, firent comprendre aux assistants, qu’ils avaient devant eux un innocent, que des princes puissants voulaient perdre. Les syndics ayant déclaré qu’ils étaient obligés de l’absoudre : « Donnez-lui la question, dit l’évêque, et vous verrez bien qu’il est coupable. » Les syndics s’y refusèrent ; alors les deux princes, les accusèrent d’être partiaux et suspects. Le conseil épiscopal décida, en conséquence, que la ville et l’évêque nommeraient chacun quatre juges ; les syndics se soumirent à cette mesure illégale.
C’était le 20 janvier 1518, que le nouvel interrogatoire devait commencer ; mais Pécolat, brisé par la torture passée et épouvanté par la torture à venir, était tombé grièvement malade ; il fallut lui envoyer le médecin. Le médecin consentit à ce qu’on le transportât devant le tribunal. Les quatre juges épiscopaux demandèrent aussitôt la question ; les syndics s’y étant opposés, les délégués du prélat se mirent à étudier ce cadavre vivant. Après examen attentif : « Il offre encore quelque prise à la torture, dirent-ils ; on peut (c’est l’expression rapportée dans le procès-verbal), on peut l’examiner avec quelques tourments. » Nergaz se joignant aux docteurs savoyards, la torture fut décidée. Le pauvre Pécolat commença à trembler de tous ses membres ; il savait qu’il allait dénoncer tous ses amis et maudissait sa faiblesse. On lui lia les mains derrière le dos, on lui présenta la question, et on l’interrogea… Pourtant on ne le tourmenta pas, continue le procès-verbal, attendu la faiblesse de son corps et sa longue détention. » On pensait que l’effroi de la torture suffirait pour le faire parler ; on se trompait ; l’invalide (il faudrait presque dire le moribond), lié, garrotté, ayant devant les yeux l’instrument du supplice, répondit avec simplicité et droiture. Les juges même de l’évêque furent frappés de sa candeur, et deux d’entre eux, ayant la crainte de Dieu devant les yeux, dit Bonivard, plutôt que la crainte des hommes, dirent rondement : « On fait tort à ce pauvre homme. Non invenimus in eo causant. Nous ne l’avons point trouvé coupablec. »
c – Registre msc. du Conseil, 24 décembre 1517 ; 8, 9, 15, 20 janvier 1518. — Savyon, Annales, p. 60. — Bonivard, Chroniq., II, p. 300.
Cette honorable déclaration embarrassait d’autant plus le duc, qu’il avait bien d’autres soucis en tête. Les nouvelles du Piémont étaient mauvaises ; chaque jour on lui écrivait de revenir : « Le marquis de Montferrat, lui disait-on, nous fait tout plein d'esgarades (de dévastations). » Mais ce prince entêté, était prêt, pour avoir Genève, à perdre s’il le fallait ses États, ce qui lui arriva plus tard. Se voyant sur le point de trouver une bonne conspiration propre à effrayer les cardinaux, il résolut de ne pas céder. Ses créatures et celles du prélat avaient conférence sur conférence ; à la fin on trouva un moyen, — moyen diabolique, — de faire périr le manchot. Comprenant que les juges laïques ne valaient rien pour condamner cet innocent, on résolut de le faire juger par des prêtres. Pour mettre ce plan à exécution, il fallait transformer en ecclésiastique le laïque, l’ancien chaussetier, le bon vivant qui était de tous les banquets, de toutes les mascarades. On y parvint. Pour en faire à leur appétit, dit Bonivard, ils produisirent une lettre forgée, comme quoi Pécolat était clerc bénit… et comme quoi, par conséquent, sa cause appartenait non au juge séculier, mais au juge ecclésiastique. » Cette invention trouva, ou parut trouver créance dans le monde officiel. « Par quoi continue le chroniqueur, ils le transportèrent de l’Ile, qui était la prison des lais, en l’évêché, qui était la cour ecclésiasque, et il fut remis aux mains des pharisiens. » C’était un trait de génie digne d’un ordre célèbre, qui n’existait pas encore, mais qui allait naître pour combattre la Réformation. Maintenant plus de ces fades ménagements, de cette circonspection délicate, dont les laïques avaient usé. L’évêque devenu juge et partie délibérait de le bien manier. » Quelques personnes affirmant que Pécolat ne pourrait endurer la torture, des médecins examinèrent de nouveau ce pauvre corps ; les uns dirent oui, les autres non ; les juges arrêtèrent que les premiers avaient raison, et l’on prépara l’instrument du supplice. Ce n’étaient pas seulement des hommes héroïques comme les Berthelier, les Lévrier, qui par leur opposition courageuse au pouvoir arbitraire, élevaient alors l’édifice de la liberté, c’étaient ces juges pervers, ces princes tyranniques, ces bourreaux cruels, qui par leurs estrapades et leurs chevalets préparaient les temps nouveaux et plus équitables de la société moderned.
d – Bonivard, Chroniq., II, p. 300. — Savyon, Annales, p. 60. — Manuscrit des Archives de Genève.
Pécolat ayant appris la fatale résolution, ses terreurs recommencèrent. La perspective d’une torture nouvelle, la pensée des accusations qu’il allait porter contre ses amis troublaient sa conscience et le jetaient dans le désespoir… Son visage en était défiguré, sa barbe était en désordre, ses yeux devenaient hagards, tout en lui exprimait la souffrance et l’effroi. Ses gardiens, ne comprenant rien à cet état d’âme, crurent qu’il avait un démon. « Berthelier, dirent-ils, est un grand charmeur, il a un diable familier ; il aura charmé Pécolat pour le rendre insensible à la torture ; nous aurons beau faire, il ne dira rien ! » On croyait alors que les charmeurs logeaient de tels diables dans les poils des patients. La longue barbe hérissée du prisonnier inquiétait les officiers de l’évêque. Pourchasser l’esprit, il fut arrêté de faire raisre (raser) à Pécolat tous les poilse. C’eût été, catholiquement parlant, un exorciste, et non un barbier qu’il eût fallu chercher. Revêtu d’un surplis et d’une étole, le prêtre eût dû faire sur Pécolat le signe de la croix, lui jeter de l’eau bénite, et prononcer contre l’esprit malin des conjurations menaçantes. Mais non ; l’évêque se contenta (ce qui était beaucoup plus prosaïque) d’envoyer un barbier ; il se pourrait qu’à tous les vices le bâtard joignît celui d’être un esprit fort. Le barbier arriva et prépara son rasoir. Le démon que craignait Pécolat, c’était sa lâcheté. « J’inculperai mes meilleurs amis, se disait-il ; je confesserai que Berthelier voulait tuer l’évêque ; je dirai tout ce qu’on me fera dire… Et puis si je meurs pendant le supplice (cela était fort possible, vu l’épuisement de ses forces), je serai éternellement damné pour avoir menti au moment de la mort… » Cette pensée l’épouvantait ; une tempête agitait son âme ; il était déjà en agonie. Il vaut mieux, pen sait-il, se couper un bras, un pied, la langue, que de tomber dans la perdition éternelle. » En ce moment le barbier, ayant mouillé la barbe, sortit pour vider l’eau de son bassin ; Pécolat saisit le rasoir que cet homme avait laissé à côté de lui, sur une table, le porta sur sa langue ; mais la force morale et la force physique lui manquèrent à la fois ; il ne se fit qu’une coupure. Toutefois il voulait recommencer ; le barbier, qui rentrait, sauta sur lui tout effrayé, lui arracha le rasoir de la main et cria l’alarme. Le geôlier, sa famille, puis les chirurgiens des princes accoururent et trouvèrent Pécolat « gargouillant et jetant sang à grand rendon. » Ils l’empoignèrent et se mirent à étancher le sang ; ce ne fut pas difficile. La langue n’était point coupée, comme on l’a dit ; il y avait seulement une grave blessure. Les officiers de l’évêque et du duc se donnaient une peine inouïe pour le guérir, « non pour lui faire du bien, disent les Chroniques, mais pour lui faire une autre fois un plus grand mal, et afin qu’il employât sa langue à chanter tout ce qui leur plaisait. Tous étaient moult étonnés de ce mystère, dont il y eut un grand bruit par toute la villef. » Pécolat ayant été pansé, le bâtard demanda qu’on lui donnât la torture. Le juge des excès, Lévrier, convaincu que Pécolat était innocent et victime d’une procédure illégale, s’y opposa. L’évêque insistant sur la nécessité d’obtenir de lui quelques aveux : « Des aveux, répliqua le juge, il ne peut parler. — Eh bien, répliqua, non le bourreau, mais l’évêque, qu’on lui fasse écrire ses réponses. » Lévrier, aussi ferme quand il s’agissait de maintenir le respect dû à l’humanité, que l’obéissance due à la loi, déclara qu’une telle cruauté ne se ferait pas devant son tribunal. L’évêque dut céder ; mais il inscrivit cette nouvelle offense sur le compte de l’audacieux jugeg.
e – Bonivard, Chroniq., II, p. 201. — Savyon, Annales, p. 61, 62.
f – Bonivard, Chroniq., II, p. 301, 304. — Roset, Hist. de Genève, manuscrit, liv. I, ch. 81. Ce témoignage de deux auteurs contemporains ne laisse aucun doute sur la réalité de cette action de Pécolat. (Voir aussi Savyon, Annales, p. 61.) Cette action a été l’objet d’nne vive controverse archéologique, dont la solution est tout simplement celle-ci : Pécolat ne coupa pas sa langue, mais il se fit une coupure à la langue.
g – Lévrier, Chronologie des comtes de Genevois, II, p. 181.
Tout Genève avait pitié de l’infortuné, et se demandait s’il n’y aurait personne qui le délivrât de cette caverne de voleurs ? Un homme qui connut lui-même plus tard les horreurs d’une prison, Bonivard, ne cessait de penser aux moyens de le sauver. Il aimait Pécolat ; il avait souvent admiré cette nature naïve, toute d’élans, forte et faible à la fois, et surtout son dévouement à la cause des libertés de la ville. Il sentait que les droits divins et humains, la compassion due aux malheureux, ses devoirs envers Genève, « bien que je n’en sois pas natif, » disait-il, que tout l’obligeait à faire un effort. Il sortit du monastère, se rendit chez Aimé Lévrier, et lui exprima son désir de sauver Pécolat. Lévrier lui représenta que l’évêque défendait de procéder, et que les juges ne pouvaient agir sans son consentement. « Voici pourtant un moyen, ajouta-t-il. Que les parents de Pécolat me demandent justice ; je m’y refuserai en alléguant la volonté du prince. Alors qu’ils en appellent, pour déni de justiceh, à la cour métropolitaine de Vienne. » Bonivard, plein d’imagination, d’initiative, de ressources, dégagé, vigoureux, résolut aussitôt de tenter cette entreprise. Il se dit que l’archevêque de Vienne, toujours jaloux de l’évêque de Genève, serait charmé d’humilier ce puissant confrère. « J’ai des amis, des parents, du crédit en Savoie, dit-il. Je remuerai ciel et terre, et nous donnerons une bonne leçon au bâtard. » Il retourna à son monastère et envoya querir les deux frères de Pécolat. L’un d’eux, Etienne, jouissait de toute la confiance de ses concitoyens, et fut porté plus tard à des charges élevées ; mais la tyrannie des princes épouvantait tout le monde. « Demandez que votre frère soit enfin jugé, dit Bonivard aux deux frères. — Non, répondirent-ils ; il s’agit d’une trop grande affaire… » Enfin l’éloquence de Bonivard l’emporta. Ne voulant pas leur laisser le temps de la réflexion, il sortit aussitôt de Saint-Victor, avec les deux Pécolat, et les conduisit chez Lévrier. Les requêtes, réponses et appellations légales furent dûment faites, et Etienne Pécolat, qui au contact de ces deux âmes généreuses était devenu courageux, partit pour Vienne en Dauphiné, avec une chaude recommandation du prieur. L’Église de Vienne avait eu, dès les temps anciens, le titre de sainte, de maxima sedes Galliarum, et son métropolitain était primat des Gaules. Ce prélat, ravi de faire sentir son autorité à un évêque qui était alors plus puissant que lui, cita le fisc, le conseil épiscopal et l’évêque de Genève lui-même, à comparaître devant sa cour, à Vienne, en un certain terme, pour ouïr sentence. En attendant, il défendait à l’évêque de rien intenter contre la personne du prisonnier, sous peine d’excommunication. « Nous voilà en bon chemin, » dit Bonivard à Lévrier.
h – A denegata justifia. (Bonivard, Chroniq., II, p. 306.)
Mais qui signifiera cette audacieuse citation à Monseigneur ? Ces actes de Vienne étaient si peu estimés des puissants évêques de Genève, que la coutume était de payer les porteurs à coups de bâton. On pouvait prévoir que l’évêque et le duc mettraient tout en œuvre pour annuler la citation ou pour porter l’archevêque de Vienne à la retirer. En effet, il ne s’agissait pas d’un cas ordinaire. Si Pécolat était déclaré innocent, si ses dépositions contre Berthelier étaient déclarées fausses, que deviendrait le projet de Charles III et de Léon X, auquel connivait lâchement l’évêque lui-même ? Genève resterait libre… Les difficultés qui se présentaient ne refroidirent pas Bonivard ; il se disait que les pratiques mises en usage pour assujettir cette cité libre étaient odieuses, et que voulant y vivre et y mourir, il devait la défendre. « Et puis, ajoute un chroniqueur, le commandeur de Saint-Victor était un jeune homme plus hardi que sage. » Bonivard prit sa résolution. « Personne, dit-il, n’ose attacher la sonnette au cou du chat… eh bien ! j’essayerai le gué… » Mais sa qualité ne lui permettait pas « de passer seul la rivière ; » il fallait qu’un huissier épiscopal remît à l’évêque la citation métropolitaine. Il se mit en quête d’un tel homme ; et se rappelant certain pauvre clerc qui végétait dans une misérable chambre de la ville, il le fit appeler, lui mit deux écus dans la main et lui dit : « Voici une lettre du métropolitain qui doit être remise à l’évêque. Le duc et le prélat partent après-demain pour Turin ; demain matin, ils vont entendre la messe à Saint-Pierre ; ce sera la dernière heure ; plus tard, il n’est plus temps. Remettez ce papier à monseigneur. » Le clerc eut peur ; toutefois les deux écus le tentaient fort ; Bonivard le pressait : « Eh bien, dit le pauvre homme, je vous promets de faire la besogne, pourvu que vous m’assistiez personnellement. » Bonivard le promit.
Le lendemain le prieur entra avec le clerc dans la cathédrale. Les princes y étaient, entourés de beaucoup de pompe ; c’était la grande messe, une messe de congé ; personne n’y manquait. Bonivard, en sa qualité de chanoine, avait dans la cathédrale une place d’honneur qui l’eût rapproché de l’évêque ; mais il se garda bien de s’y rendre, et se tint à distance, derrière le clerc pour le surveiller ; il craignait que le pauvre homme effrayé ne s’évadât. La consécration, l’élévation, les chants, tous les rites somptueux du culte romain, tous les grands personnages prosternés devant l’autel agissaient sur l’imagination du malheureux huissier. Il commença à trembler, et quand la messe fut finie, que le moment d’agir fut arrivé, « voyant, dit Bonivard, que le jeu était à bon escient, » il perdit courage, fit furtivement quelques pas en arrière et s’apprêta à se sauver. Mais Bonivard qui l’observait s’avança soudain, saisit le pauvre homme par le collet, et portant l’autre main sur un poignard qu’il tenait sous sa robe, il lui dit à l’oreille : « Si tu ne tiens pas ta promesse, je jure de te donner un coup de poignard. » Le clerc était presque mort, et ce n’était pas sans cause, « car, ajoute Bonivard dans ses naïves Chroniques, je n’y eusse pas failli, ce que je ne dis pas à ma louange ; je connais bien maintenant que je faisais follement. Mais jeunesse et affection me transportaient. » Pourtant il ne tua pas le clerc, il se contenta de l’empoigner par le pouce bien étroitement, et de sa main vigoureuse le retint à côté de lui. Le pauvre homme, saisi d’effroi, voulait en vain s’enfuir : le poignard de Bonivard le tenait immobile ; il était comme une statue de pierrei.
i – Bonivard, Chroniq., p. 307, 808.
Cependant le duc, le comte son frère et l’évêque sortaient de l’église, entourés de leur magnifique cortège, et se rendaient au palais épiscopal, où il devait y avoir grande réception. « Maintenant, dit Bonivard au clerc, plus de répit, il faut que tu t’acquittes de ta commission ; » puis il lui mit la citation métropolitaine dans la main qu’il avait libre, et tenant toujours l’autre par le pouce, il le mena ainsi à l’évêché.
Arrivé près de l’évêque, l’énergique prieur lâcha enfin le pouce qu’il serrait comme daus un étau, et montrant du doigt le prélat, il dit au clerc : « Fais ton office. » L’évêque, entendant ces mots, fut moult effrayé, dit Bonivard, et devint tout pâle, croyant que je lui commandais de le tuer. » Le lâche prélat se tournant avec effroi vers le prétendu meurtrier jeta un regard de détresse sur ceux qui l’entouraient. Le clerc tremblait autant que lui ; mais rencontrant le regard foudroyant du prieur, et apercevant le poignard sous l’habit, il se jeta à genoux devant l’évêque, et baisant l’exploit, le lui présenta en disant : « Monseigneur ! inhibitur vobis, prout in copiaj. » Puis il lui mit l’acte dans la main et s’enfuit : « Alors, ajoute le prieur, je me retirai à Saint-Victor, mon prieuré ; j’avais telle juvénile et telle folle arrogance, que je n’y craignais ni évêque ni duc. » Bonivard ne possédait plus ses couleuvrines, mais il eût pourtant soutenu un siège s’il l’eût fallu pour mener à bonne fin cette affaire. L’évêque n’oublia jamais la frayeur que Bonivard lui avait causée et jura de la lui revaloir.
j – « Il vous est défendu, comme porte la copie. » (Bonivard, Chroniq., II, p. 309.)
Cet acte énergique donna courage à d’autres. Quatre-vingts citoyens plus ou moins impliqués avec Pécolat, dans l’affaire des poissons pourris, — « tous gens de bien, » — se présentèrent devant les princes, et demandèrent, que si eux et Pécolat étaient coupables, on les punît ; mais que s’ils étaient innocents, on le reconnût publiquement. Les princes, dont la position devenait difficile, ne se souciaient nullement d’avoir quatre-vingts procès sur les bras au lieu d’un. « Nous sommes sûrs, répondirent-ils, que cet empoisonnement est chose inventée par de méchantes gens, et nous vous tenons tous pour gens de bien. Mais quant à Pécolat, sans ce, il était un mauvais garçon : par quoi le voulons tenir un peu en prison pour le châtier. » Puis, craignant qu’on ne le délivrât de force, pendant leur absence, les princes de Savoie le firent conduire dans le château de Peney, ce qui était contraire aux franchises de la ville. L’impotent y fut mis sous verrou le 29 janvier 1518k.
k – Galiffe, Bonivard, Registres du conseil.
Une division dans l’Eglise de Genève, allait venir en aide à Pécolat. Depuis les luttes entre Victor et Polycrate au second siècle, entre Cyprien et Etienne au troisième, les discordes entre les évêques du catholicisme romain n’ont pas cessé ; et dans le moyen âge surtout, il y eut souvent de rudes combats entre des évêques et leurs métropolitains. L’archevêque de Vienne n’entendait pas céder à l’évêque de Genève, et au moment même où les thèses de Luther retentissaient dans toute la chrétienté, — 1517 et 1518, — l’Eglise romaine donnait sur les rives du Rhône un triste exemple de sa prétendue unité. Le métropolitain, voyant ses sommations inutiles, ordonna à l’évêque de relâcher Pécolat sous peine d’excommunicationl ; mais les officiers épiscopaux restés à Genève, ne firent que rire, comme leur maître, du métropolitain et de ses menaces.
l – Mandamus relaxari sub pœna excommunicationis. (Savyon, Annales, p. 63.)
Les amis de Pécolat prirent la chose plus au sérieux. Ils craignaient pour sa vie. Qui sait si le bâtard n’a pas laissé l’ordre de se défaire du prisonnier, si même il n’a pas quitté Genève pour échapper à la colère du peuple ? Ces appréhensions n’étaient pas sans motifs, et plus d’un homme de bien devait en effet être immolé dans le château de Peney. Etienne Pécolat et quelques amis de son frère se rendirent à Saint-Victor : « L’autorité supérieure métropolitaine, a ordonné qu’on relâche Pécolat, dirent-ils ; nous allons donc tout d’une main le querir. » Le fin Bonivard leur représenta qu’on ne le leur livrerait pas, que le château était fort, qu’ils échoueraient dans l’attaque ; que le peuple tout entier devait exiger la délivrance de l’innocent retenu par l’évêque dans ses cachots, malgré les franchises de la ville et les ordres de son métropolitain. « Un peu de patience, continua-t-il, le carême va commencer ; la semaine de Pâques s’approche ; l’interdit sera alors publié de par le métropolitain. Les chrétiens se voyant frustrés du sacrement, s’agiteront, se soulèveront, et contraindront les officiers de l’évêque à relâcher notre ami. Ainsi l’inhibition que nous avons signifiée au prélat en son palais, aura malgré lui son effet. » Cet avis fut trouvé sage, on s’y rangea, et chacun dans Genève attendit avec impatience Pâques et l’excommunication.
Antoine de la Colombière, officiai du métropolitain de Vienne, arriva pour exécuter les ordres de son supérieur, et s’étant entendu avec le prieur de Saint-Victor et le juge des excès, il ordonna, le 18 mars, que Pécolat fût relâché dans les vingt-quatre heures. Il attendit huit jours. Attente inutile ; les officiers épiscopaux continuaient à désobéir. Alors, le vendredi saint, les officiers métropolitains tenant en main la sentence d’excommunication et d’interdit, se rendirent à deux heures après-midi à la cathédrale, et là, en présence de Jean Gallatin, notaire, et de trois autres témoins, ils y affichèrent le terrible monitoire ; ils firent de même à quatre heures aux Eglises de Saint-Gervais et de Saint-Germain. Ce n’étaient pas sans doute les foudres du Vatican, mais c’était pourtant l’excommunication d’un prélat, qui, pour Genève, occupait la première place, après le pape, dans la hiérarchie romaine. Les chanoines, les prêtres et les paroissiens qui se rendaient à l’office du soir, s’étant approchés de ces pancartes et les ayant lues, en furent bouleversés. « Nous excommunions, y était-il dit, les officiers épiscopaux, et nous ordonnons de publier cette excommunication dans les églises, cloches sonnantes, chandelles allumées, puis éteintes. De plus, nous commandons, sous peine de la même excommunication, aux syndics et conseillers, d’attaquer les châteaux et prisons où Pécolat est renfermé, et de le libérer de force. Enfin, nous prononçons l’interdit contre tous les lieux où se trouvent lesdits excommuniés. Et si, semblables à l’aspic sourd, ils persistent dans leur malice, nous interdisons la célébration non seulement des sacrements, mais aussi du service divin, dans les églises de Saint-Pierre, de Notre-Dame-la-Neuve, de Saint Germain, de Saint-Gervais, de Saint-Victor, de Saint-Léger et de Sainte-Croixm. » Les chanoines et les prêtres ayant lu cet acte, s’arrêtèrent consternés sur le seuil de l’église. Ils se regardaient les uns les autres ; ils se demandaient ce qu’ils avaient à faire. Ayant tout bien considéré, ils dirent : « Voilà une barrière qui nous empêche de passer outre, » et ils se retirèrent.
m – Galiffe, Matériaux pour l’histoire de Genève, II, p. 91.
Le nombre des catholiques dévots était encore assez grand dans Genève ; ce qu’avait prévu Bonivard arriva ; la consternation fut générale. Plus d’offices, plus de messes, plus de baptêmes, plus de mariages… le culte suspendu, la croix voilée, les autels dépouillésn … Que faire ? Le chapitre s’était réuni ; plusieurs des citoyens s’y rendirent fort courroucés. « C’est vous, dirent-ils aux chanoines épouvantés, qui êtes cause de tout cela… » Ce ne fut pas tout. Les excommuniés des paroisses savoyardes du diocèse, venaient chaque année à l’approche de Pâques, demander à l’official de l’évêque des lettres de consentement, pour que leurs curés leur donnassent la communion. Or de telles gens, il y avait alors grosse multitude à Genève. — « Ouais, disaient-ils, en vain mettons-nous de côté un obstacle, voilà qu’il s’en dresse aussitôt un autre, par la coulpe des officiers épiscopaux !… » Ces Savoyards irrités, se joignirent aux Genevois, et toute cette foule agitée se réunit devant les portes de la cathédrale ; les hommes murmuraient, les femmes pleuraient, des prêtres même se joignaient aux laïques. Bientôt de grands cris se firent entendre. Le peuple avait perdu patience ; il prenait parti contre son évêque. « Au Rhône ! disaient les dévots, au Rhône les traîtres, les méchants qui nous empêchent de recevoir notre Seigneur ! » Il ne s’agissait de rien moins que de noyer les officiers épiscopaux excommuniés. Tout le diocèse se crut interdit, aussi le tumulte s’étendit-il hors de la ville. Les syndics accoururent, conjurèrent les citoyens de s’apaiser ; puis, se rendant au conseil épiscopal (l’évêque était toujours absent) : « Relâchez Pécolat, dirent-ils, sans quoi nous ne pouvons vous protéger contre la colère du peuple. » Les officiers épiscopaux voyaient ainsi l’évêque et le duc d’un côté, le métropolitain et le peuple de l’autre ; poussés en sens contraire, ils ne savaient à qui obéir. On vint leur dire que toute la ville était soulevée, que les plus dévots catholiques voulaient à tout prix communier le jour de Pâques, et que les regardant comme l’obstacle qui les empêchait de recevoir l’hostie, ils étaient décidés à les jeter pardessus les ponts. « Le premier d’entre vous qui sort y passera, » leur dit-on. Il leur prit une grande épouvante, et se croyant déjà presque noyés, ils écrivirent au châtelain de Peney de relâcher immédiatement Pécolat. Le messager partit, et les parents et amis du prisonnier, ne se fiant point à la cour épiscopale, l’accompagnèrent. Pendant les trois quarts d’heure que dura la marche, on se demandait dans cette foule, si le châtelain ne refuserait pas de rendre la victime ; si même des agents du bâtard ne l’auraient pas enlevée ? peut-être mise à mort ? Ni l’une ni l’autre de ces suppositions ne s’étaient réalisées. Au fond d’un cachot du château, le pauvre homme, enchaîné, ne voyant goutte, faible de cœur et de corps, se livrait à la plus noire mélancolie. Tout à coup un bruit se fait entendre. Il écoute ; il lui semble reconnaître des voix connues ; c’étaient ses frères et ses amis qui arrivaient bruyamment sous les murs du château, et poussaient à l’avance des cris de joie.
n – Altaria nudentur, cruces abscondantur.
Leur succès pourtant était moins certain qu’il ne leur semblait. En effet, des choses étranges se passaient dans ce moment à Genève. L’évêque et le duc n’avaient pas été si passifs qu’on se l’imaginait, et au moment où le messager porteur de l’ordre de la cour épiscopale, accompagné de la bande genevoise, sortait par la porte de France, un courrier, chargé d’un ordre de la cour romaine, entrait par la porte de Savoie. Celui-ci se rendit en toute hâte auprès des représentants de l’évêque, et leur remit des lettres pontificales que les princes avaient impétrées, et par lesquelles le pape annulait les censures métropolitaines. Ce messager romain apportait de plus des ordres de l’évêque, qui défendait sur la vie qu’on relâchât Pécolat. Le bâtard avait frémi en pensant que le malheureux qu’il avait si bien torturé, pourrait lui échapper ; il avait remué ciel et terre pour le retenir en prison. On peut s’imaginer l’émotion et l’effroi qui saisirent les conseillers épiscopaux à la lecture des lettres qui leur étaient remises. La coïncidence du moment où ces deux ordres contraires partaient de Genève ou y arrivaient, est si frappante, qu’on pourrait se demander si ces lettres de Rome et de Turin n’étaient pas supposées, inventées par les officiers épiscopaux eux-mêmes ; mais rien dans le récit n’indique une ruse. « Incontinent les lettres lues, les officiers épiscopaux en diligence contremandèrent sa délivrance. » Ces mots des Annales montrent la précipitation avec laquelle on s’efforça de réparer la faute commise. Il n’y avait, en effet, pas un moment à perdre, si l’on voulait garder Pécolat. Plusieurs officiers se mirent achevai, et partirent au galop. A peine ces porteurs de mauvaise nouvelle étaient-ils à mi-chemin, qu’ils aperçurent une troupe nombreuse, bruyante, jubilante, venant de Peney. Les amis de Pécolat, précédés des lettres officielles adressées au châtelain, s’étaient présentés devant cet officier. Celui-ci ayant lu et relu la dépêche, avait cru devoir obéir. Les amis de Pécolat s’étaient précipités sur les pas du geôlier, qui tenant à la main un trousseau de clefs, allait ouvrir le cachot ; ils y étaient entrés avec lui, en criant : Délivrance ! Ils avaient brisé les chaînes du prisonnier, et le voyant si chétif, ils l’avaient porté dans leurs bras et déposé dans la cour du château, à la lueur du soleil. Sans perdre de temps, ils l’avaient mis sur un char de paysan, et ils étaient tous partis pour Genève. C’était la troupe que rencontraient les officiers épiscopaux. Les Genevois ramenaient leur ami avec des cris d’allégresse. En vain les officiers épiscopaux arrêtèrent-ils cette bande joyeuse, et demandèrent-ils que le prisonnier fût reconduit à Peney ; en vain parlèrent-ils de l’évêque, parlèrent-ils même du pape ; tout fut inutile. Malgré les rogations du pape, du prélat et des messagers, le peuple ramena Pécolat comme en triomphe. Cette résistance opposée au pontife romain, dans le moment où il prêtait main-forte au bâtard pour opprimer un pauvre innocent, était un combat d’avant-poste ; et les Genevois se formaient ainsi à de plus notables batailles. — « En avant ! criait-on ; à la ville ! à la ville !… » et la foule laissant les officiers de l’évêque seuls au milieu de la route, se précipitait vers les portes.
Enfin, on approchait de Genève. L’émotion n’y était pas moins grande que sur la route. Le retour de Pécolat était le triomphe du droit sur l’injustice, de la liberté sur le despotisme ; aussi le célébrait-on avec enthousiasme. Le pauvre homme, muet (il ne pouvait encore parler), manchot, brisé par la torture, exténué par sa longue détention, regardait en silence tout ce qui l’entourait et éprouvait une émotion qu’il contenait à peine. Après tant de douleurs, il rentrait dans la vieille cité aux cris de joie de toute la population. Cependant ses amis n’oubliaient pas les ordres du pape et de l’évêque. Craignant que le vidame ne fît saisir de nouveau le malheureux, ils le conduisirent au couvent des Cordeliers de Rive, lieu d’asile, réputé inviolable, et l’établirent dans la chambre du moine Yvonnet, son frère. Le pauvre malade y trouva les soins affectueux dont il avait besoin ; il y demeura quelque temps sans beaucoup parler ; mais enfin il recouvra la parole « par l’intercession d'un saint, » dirent les prêtres, et à ce qu’il semble, Pécolat lui-même. Est-ce dévotement, est-ce en badinant qu’il parle de cette guérison soi-disant miraculeuse ? C’est ce que nous ne décidons pas. Seulement Bonivard, qui peut-être ne croyait plus aux miracles des saints, donna une autre raison : « Parce qu’il fut, dit-il, pansé de sa langue par les chirurgiens ; et il ajoute : Bien qu’il bégayât toujours un petit. » Si Bonivard doutait des saints, il croyait à la souveraine justice de Dieu. « Lors, dit-il, se passa une chose qui ne se doit oublier ; c’est que les docteurs qui condamnèrent Pécolat à la torture, moururent tous cette année, l’un après l’autre, ce qu’on ne peut présumer être provenu, fors par punition divine. »
Le souvenir de la torture de Pécolat demeura longtemps dans la mémoire des citoyens de Genève et contribua à leur faire repousser la domination des évêques romainso. En effet, l’intérêt que l’on portait à cette victime de la cruauté épiscopale se manifestait de toute manière. La cellule du frère Yvonnet, au couvent des Franciscains, ne désemplissait pas ; chacun voulait voir la victime de l’évêque. Le prieur de Saint-Victor fut l’un des premiers à y venir, accompagné de plusieurs amis. Le pauvre homme, empêché de la langue, racontait « le mystère de sa passion par les doigts, » dit Bonivard. Il n’y avait eu de longtemps dans Genève un spectacle plus intéressant. Les Genevois, assis ou debout autour de lui, ne détournaient pas leurs regards de sa pâle et maigre figure. Pécolat décrivait, par ses gestes et ses attitudes, les scènes de l’interrogatoire, de la torture, du rasoir, et au milieu de ces souvenirs qui lui faisaient venir les larmes aux yeux, il redevenait parfois le plaisanteur. Les enfants de Genève se regardaient, frémissaient, s’indignaient…, et puis quelquefois riaient, ce dont les officiers épiscopaux « enrageaient presque tout vifs. » Ceux-ci étaient en effet pleins de dépit et de colère. Quoi ! un ordre de l’évêque, un ordre du pape leur arrivent, et quelques minutes auparavant ils ont donné un ordre contraire… O fortune bizarre !… Ne sachant à qui s’en prendre, ils firent mettre en prison le châtelain, qui n’avait pourtant relâché Pécolat que par leur commandement, et pour couvrir leur responsabilité, ils se disposèrent à le mettre à mort.
o – Bonivard, Chroniq., II, p. 310, 315, 316. — Savyon, Annales, p. 65. — Spon, Hist. de Genève, I, p. 286. — Manuscrit de Roset.
Des citoyens timides et effrayés n’osèrent aller voir Pécolat ; l’un d’eux fut Blanchet, l’ami d’André Navis, qui avait assisté à la fameuse assemblée du Molard et au souper du momon, et qui bientôt tombant sous les coups de l’évêque, devait payer ses torts de la mort la plus cruelle. Blanchet est le type d’un caractère fréquent à cette époque. Ayant appris, peu après le fameux repas du momon, qu’un certain homme, dont il ne savait pas même le nom, mais qui, disait-il, « lui avait donné un démenti par la gueule, » était en Bourgogne, Blanchet y avait couru, lui avait donné un soufflet et était reparti. Il revint à Genève ; il alla de là en Faucigny, de là en Italie ; il prit part à la guerre du pape avec le duc d’Urbin (qui causa tant de terreurs à Léon X) ; il revint à Pavie ; il se rendit à Turin, puis de là à Genève. Son cousin Pierre, qui demeurait à Turin, lui avait dit que Pécolat avait été arrêté pendant ses voyages, pour un complot contre l’évêque. « Je n’irai pas lui faire visite, dit-il, de crainte de me compromettre. » Malgré ces craintes excessives, il n’échappera pas aux barbares vengeances du prélatp.
p – Bonivard, Chroniq., II, p. 316, 317. — Galifle, Matériaux pour l’histoire de Genève, II, p. 196, 197.