C’est dans son sermon sur l’Emploi de l’argenta, publié en 1760 (Luc 16.9), que Wesley énonça, pour la première fois, à notre connaissance, ces trois préceptes fameux : « Gagnez tout ce que vous pouvez, épargnez tout ce que vous pouvez, donnez tout ce que vous pouvez. » Chacune de ces maximes fait le sujet de l’une des parties de ce discours, que je voudrais d’abord résumer.
a – Traduit dans le deuxième volume des Sermons (Paris, 1888), page 329.
« Si les hommes, dit Wesley, avaient conservé leur innocence primitive, s’ils étaient pleins du Saint-Esprit, comme l’étaient les membres de la jeune Église de Jérusalem, où personne ne disait que ce qu’il possédait fût à lui en particulier, mais où toutes choses étaient communes, on en viendrait à abandonner l’emploi de l’argent. Nous n’imaginons pas, par exemple, que, dans le ciel, il existe quelque chose d’analogue à l’argent. Mais, dans l’état actuel de la société, l’argent est un don excellent de Dieu ; il répond à ses plus nobles desseins. Dans la main des enfants de Dieu, l’argent est du pain pour celui qui a faim, un breuvage pour celui qui a soif, des vêtements pour ceux qui sont nus ; il procure au voyageur et à l’étranger un lieu où ils peuvent reposer leur tête. Il nous permet, en quelque sorte, de tenir lieu de mari à la veuve, de père à l’orphelin. Il nous fournit le moyen de défendre l’opprimé, de ramener à la santé le malade, de donner du repos à celui qui souffre ; il peut suppléer aux yeux de l’aveugle, aux pieds du boiteux ; il peut aider à ramener le mourant des portes du tombeau.
Il est donc du plus haut intérêt, continue Wesley, que tous ceux qui craignent Dieu sachent comment employer ce précieux talent, afin de lui faire produire ces résultats magnifiques, dans la plus large mesure possible. Il me semble que toutes les directions nécessaires à cet effet peuvent se résumer en trois règles de la plus grande simplicité. »
La première règle est bien, d’après Wesley : « Gagnez tout ce que vous pouvez » ; mais il l’entoure de toutes les restrictions que la plus sévère morale chrétienne peut suggérer. Il ne faut pas, dit-il, « acheter trop cher les richesses, les payer plus qu’elles ne valent ». Il ne faut pas, pour gagner de l’argent, perdre sa vie ou ruiner sa santé. Il ne faut pas surtout y compromettre la vie de son âme. Il n’est pas licite de s’enrichir en dépouillant son prochain, directement ou indirectement. Le prédicateur condamne, à ce propos, l’usure, le prêt sur gage, la vente au-dessous du cours. Il est interdit de gagner en faisant tort au prochain dans son corps, comme, par exemple, en lui vendant des spiritueux. Wesley s’élève à la plus haute éloquence, en flétrissant cette façon de s’enrichir :
« Tous ceux qui vendent ces liqueurs à qui veut les acheter, sont des empoisonneurs publics. Ils tuent leurs concitoyens en masse, sans grâce ni pitié. Ils les poussent en enfer, comme un troupeau de brebis à la boucherie. Et que gagnent-ils ? N’est-ce pas le sang de ces hommes ? Qui donc leur envierait leurs vastes domaines, leurs somptueux palais ? Une malédiction repose sur ces demeures — la malédiction de Dieu s’attache aux pierres, à la charpente et au mobilier de leurs maisons. Maudits de Dieu sont leurs jardins, leurs avenues, leurs bosquets ; c’est un feu qui brûle jusqu’au fond de l’abîme. Il y a du sang, du sang partout. Les fondements, les planchers, les murailles, les toits, tout est plein de sang. Et peux-tu espérer, ô homme de sang, quoique tu sois vêtu d’écarlate et de fin lin, et que tu te traites somptueusement tous les jours, que tu pourras faire passer tes champs de sang à la troisième génération ? Certainement non ! car il y a un Dieu dans le ciel ; ton nom sera effacé comme le nom de ceux que tu as perdus corps et âme, ton monument périra avec toi ! »
La seconde règle de Wesley est : « Economisez tout ce que vous pouvez. » Gardez-vous de tout gaspillage, Ne dépensez aucune partie de votre avoir pour la satisfaction des convoitises de la chair, des convoitises des yeux ou de l’orgueil de la vie. Il condamne la sensualité de la table, le luxe de la toilette, de l’ameublement, des édifices, des tableaux, etc. Il recommande aux parents riches de ne pas se croire tenus de laisser toute leur fortune à leurs enfants, et même de ne leur laisser que tout juste ce qu’il leur faudra pour vivre, s’ils ont lieu de penser qu’ils en feront un bon usage.
La troisième règle est : « Donnez tout ce que vous pouvez. » Wesley part de ce principe : Tout ce que nous avons est à Dieu, qui nous le confie pour que nous en usions pour lui. Par conséquent, dit-il, « donnez à Dieu tout ce que vous avez. Ne fixez pas de limites : Vous êtes chrétiens, et non pas juifs. Ce n’est pas un dixième, un tiers ou une moitié que vous lui devez, mais tout. Vous avez, comme de fidèles économes, à vous servir des biens qu’il vous confie, d’abord pour vous-même et pour votre famille terrestre, puis pour votre famille spirituelle (l’Église) et enfin pour l’humanité. »
Ce sermon sur l’Emploi de l’argent, publié, pour la première fois, en 1760, donnait une formule saisissante, et un peu paradoxale, des devoirs du chrétien à l’égard des biens d’ici-bas. Wesley n’admettait pas que l’on prétendît isoler le premier de ses préceptes des deux autres. En disant aux chrétiens : « Gagnez tout ce que vous pouvez », il ne voulait pas encourager chez eux l’amour de l’argent et l’âpreté au gain, mais plutôt l’amour du travail et la mise en œuvre de toutes les énergies de l’intelligence et de la volonté. Les deux autres préceptes devaient servir de correctifs au premier : l’un en mettant les chrétiens riches en garde contre un emploi égoïste de leurs biens, et l’autre en leur rappelant qu’ils ne sont que les économes de Dieu, chargés de distribuer ses biens. Il disait aux chrétiens : Soyez riches, si vous pouvez le devenir par la plus stricte probité, non dans le but de satisfaire vos goûts de bien-être et de luxe, mais afin de subvenir aux besoins de vos frères pauvres.
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Wesley savait avertir les riches des périls auxquels l’amour de l’argent exposait leur âme. Son journal nous en fournit une preuve frappante, à la date du 28 octobre 1754 : « Aujourd’hui, dit-il, j’ai déchargé de nouveau ma conscience, en attirant l’attention de Sir X… (un magistrat) sur un sujet de la plus haute importance. » Dans une lettre adressée, le même jour, à ce magistrat, il résumait ainsi leur conversation :
« Voici la substance de ce que j’ai pris la liberté de vous exposer dans notre conversation de ce matin. Vous êtes, comme moi, au bord du tombeau. Nous comparaîtrons bientôt l’un et l’autre devant Dieu. Il y a quelques mois, pendant la maladie qui me mit à deux doigts de la mort, je fus troublé par la pensée que je n’avais peut-être pas été fidèle à votre égard. Permettez-moi de l’être aujourd’hui, sans aucune réserve, dans la crainte et en la présence de Dieu.
Je vous respecte. Monsieur, en votre qualité de magistrat : je vous crois un homme honnête et juste ; je vous aime à cause de la protection dont vous avez couvert des gens innocents contre leurs cruels persécuteurs. Mais cela même m’oblige à vous dire, sans vouloir vous juger (Dieu seul est juge), que je crains que vous ne soyez avare et que vous n’aimiez le monde, et que, si cela est, aussi sûr que la Parole de Dieu est vraie, vous n’êtes pas en état de grâce. »
Wesley rappelle ensuite quelle fut la substance de cet entretien, puis il termine ainsi sa lettre :
« Je dois, pour me résumer, vous supplier de penser à vous, en face de Dieu et de l’éternité. Vous n’êtes le propriétaire de rien au monde, pas même d’un shilling. Vous n’êtes que l’économe de ce que Dieu vous a confié, pour que vous en usiez, non selon votre volonté, mais selon la Sienne. Que penseriez-vous de votre intendant, s’il se servait de ce que vous appelez votre argent à son gré et pour son plaisir ? Dieu n’est-Il pas le seul propriétaire de toutes choses ? Et n’aurez-vous pas à lui rendre compte de l’emploi que vous aurez fait de tous ses biens ? Et combien terrible sera ce compte, si vous les avez administrés selon votre volonté et non selon la Sienne ! La mort approche pour vous, comme pour moi, et nous allons comparaître devant Dieu, dépouillés de nos biens terrestres. Pourrez-vous vous réjouir au sujet de l’argent que vous aurez laissé derrière vous, probablement pour être gaspillé, dans le luxe et la vanité ? Ô Monsieur, je vous en supplie, pour l’amour de Dieu, pour l’amour de votre âme immortelle, examinez-vous vous-même et demandez-vous si vous n’aimez pas l’argent ? Si vous l’aimez, vous ne pouvez pas aimer Dieu. Et si vous mourez sans aimer Dieu, vous serez banni pour toujours de sa présenceb. »
b – Wesley’s Works, t. II, p. 318.
Dans les dernières années de sa vie, Wesley revint plus fréquemment sur la question de la richesse et de ses dangers pour la piété. La situation des sociétés méthodistes, qu’il avait fondées en Angleterre et en Irlande, s’était modifiée très sensiblement. Les riches y étaient très rares dans les premiers temps ; le Méthodisme était alors « l’Évangile prêché aux pauvres ». Mais le niveau social des sociétés s’était élevé ; ces foyers religieux attiraient des personnes de toutes les classes qui y trouvaient la satisfaction de leurs besoins spirituels. D’autre part, la piété, qui a « les promesses de la vie présente, aussi bien que de la vie à venir », inculquait aux Méthodistes des habitudes de travail, d’ordre et d’économie, qui les faisaient passer de la pauvreté à l’aisance et souvent de l’aisance à la richesse. Il en résultait des périls très réels pour ces chrétiens. Au risque de déplaire à ses amis enrichis, Wesley traita donc fréquemment, dans ses sermons, le sujet de la richesse, des dangers qui l’accompagnent et des devoirs qu’elle impose.
En 1781, il publia un sermon sur le Danger des richesses, sur ce texte : « Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux, qui plongent les hommes dans la ruine et dans la perdition » (1Tim.6.9). Après avoir expliqué son texte, Wesley en fait l’application à ses auditeurs. Et il répond à l’objection qu’on ne devait pas manquer de lui faire :
« Vous me demanderez : Ne nous avez-vous pas conseillé de gagner tout ce que nous pouvons et d’économiser tout ce que nous pouvons ? Si, en le faisant, nous réussissons, comment n’amasserions-nous pas des trésors sur la terre ?
Je réponds : Il est parfaitement possible de gagner tout ce qu’on peut, sans préjudice ni pour son âme, ni pour son corps. Et il est possible d’économiser sans amasser des trésors sur la terre, sans avoir même le désir de le faire.
Permettez-moi de parler aussi librement de moi que je le ferais de qui que ce soit. J’ai gagné, par mes écrits, tout ce que j’ai pu, sans nuire ni à mon âme, ni à mon corps. J’ai économisé tout ce que j’ai pu, en ne gaspillant rien, pas même une feuille de papier ou un verre d’eau, et en ne dépensant inutilement pas même un shilling. Mais, en donnant tout ce que je puis, je me mets à l’abri du danger d’amasser des trésors sur la terre. Et j’en serai préservé, aussi longtemps que je donnerai tout ce que je puis. Tous ceux qui me connaissent, amis ou ennemis, peuvent témoigner que je dis vrai.
On me dira : Que vous le vouliez ou non, vous êtes riche, puisque vous avez plus que le strict nécessaire. Mais ce n’est pas le fait de posséder une certaine quantité de biens que l’apôtre condamne ; c’est le fait d’en posséder plus que nous n’en employons selon la volonté du Donateur.
Il y a quarante-deux ans, voulant fournir de bonnes lectures à bon marché au peuple, je composai plusieurs petits traités qui se vendaient généralement deux sous, et d’autres plus volumineux. Plusieurs eurent un débit considérable, auquel j’étais loin de m’attendre. Je devins ainsi riche, sans l’avoir cherché ni désiré. Mais je n’ai pas pour cela amassé de trésors sur la terre. Mon désir et mon effort consistent à joindre les deux bouts à la fin de l’année, et rien de plus. Quand Dieu me rappellera à lui, je laisserai après moi mes livres ; mais, pour tout le reste, ce sont mes mains qui seront mes exécuteurs testamentaires.
Permettez-moi, mes frères, qui êtes riches, de vous dire : Faites comme moi. Si vous me demandez : Que ferons-nous ? Faudra-t-il jeter dans la mer ce que Dieu nous a donné ? Je vous répondrai : Dieu vous en garde ! C’est là un excellent talent, qu’il faut employer à la gloire de Dieu. La route qui s’ouvre devant vous est très droite ; ayez le courage d’y marcher. Ayant gagné et économisé tout ce que vous pouviez, donnez tout ce que vous pouvez, sans vous laisser arrêter par la chair, par la coutume ou par la prudence mondaine. Je ne vous dis pas : Soyez un bon Juif en donnant un dixième de votre avoir. Je ne vous dis pas : Soyez un bon pharisien, en donnant un cinquième de votre avoir. Je ne vous demande pas de donner la moitié de ce que vous avez, ni les trois quarts, mais le tout. Elevez vos cœurs et vous verrez clairement dans quel sens cela doit être fait. »
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Trois ans après la publication de ce sermon, en 1784, Wesley en publia un sur la Sagesse et la Connaissance de Dieu, manifestées dans l’histoire de l’Église, et, en particulier, dans l’histoire du réveil méthodiste. Après avoir montré l’action de Dieu dans ce mouvement, il accuse les Méthodistes de n’avoir pas été fidèles, et il leur reproche, entre autres, de n’avoir pas su résister à la séduction des richesses.
« De toutes les tentations, dit-il, il n’en est aucune qui sape par la base l’œuvre de Dieu autant que la séduction des richesses ; j’en pourrais donner mille preuves dont j’ai été le témoin depuis un demi-siècle. Je n’ai pas connu, en soixante ans, soixante personnes, je devrais peut-être dire trente, autant que je puis en juger, qui n’aient pas été moins saintes que si elles eussent été pauvres. Et je ne parle pas seulement des grosses fortunes, mais de ceux qui ont au-delà du nécessaire.
Si, après avoir gagné et économisé le plus possible, vous ne donnez pas le plus possible, votre argent dévorera votre chair comme un feu et vous entraînera au fond de l’enfer. Oh ! prenez garde de ne pas amasser des trésors sur la terre ! Seigneur, je les ai avertis ; mais s’ils ne veulent pas m’écouter, que puis-je faire de plus ? Je ne puis que les abandonner aux convoitises de leurs cœurs et les laisser suivre leurs imaginations. En ne prenant pas au sérieux cet avertissement, plusieurs Méthodistes sont tombés ; d’autres sont sur la pente, et il est à craindre que beaucoup d’autres ne tomberont peut-être pour ne se relever jamais. »
Wesley était octogénaire quand il écrivait ces solennels avertissements. Et s’ils étaient urgents en 1784, ne le sont-ils pas beaucoup plus aujourd’hui ?
Dans un sermon sur La Voie la plus excellente, qui est de 1787, Wesley touche à divers sujets d’intérêt pratique, tels que l’habitude de se lever de bonne heure, la morale du commerce, la nourriture, la conversation, les amusements et l’argent. Nous devons nous borner à ce dernier sujet. Il y revient sur le devoir pour les chrétiens de ne pas amasser de trésors sur la terre. Il leur recommande de ne pas laisser à leurs enfants plus que le nécessaire. Il ne craint pas de dire que l’accumulation des biens est autant un péché que le meurtre ou l’adultère.
Mais, ajoute-t-il, même si elle était licite, comment pouvez-vous raisonnablement employer votre argent d’une façon que Dieu pardonnera peut-être, au lieu de l’employer d’une façon qu’il récompensera certainement ? Vous n’avez pas de récompense à attendre dans le ciel pour ce que vous amassez, mais vous pouvez en avoir une pour ce que vous dépensez. Chaque livre sterling que vous déposez dans une banque terrestre est perdue et ne porte aucun intérêt là-haut. Mais, chaque livre que vous donnez aux pauvres est placée à la banque du ciel et y portera un glorieux intérêt, et un intérêt composé, qui s’accumulera durant toute l’éternité. »
A mesure qu’il approche du terme de sa belle carrière, Wesley devient de plus en plus pressant sur cette question. Il sent que c’est là une question de vie ou de mort pour les sociétés qu’il a fondées et pour l’œuvre d’évangélisation qu’elles devront poursuivre après sa mort. Et il ne se lasse pas de signaler recueil, sur lequel risque de périr le vaisseau qui porte le réveil et son avenir. C’est surtout pendant les deux dernières années de sa vie qu’il multiplie ses appels et ses avertissements.
Dans son sermon sur les Richesses (1789), il dit aux riches :
« Oh ! combien pitoyable est votre condition ! Et d’où viendra le secours ? Plus que personne, vous auriez besoin qu’on usât de franchise avec vous, et c’est avec vous qu’on en a le moins. Où sont ceux qui oseraient vous parler aussi franchement qu’ils le feraient à l’un de vos serviteurs ? Ce n’est pas, en tout cas, ceux qui ont quelque chose à attendre de votre bienveillance et tout à perdre de votre déplaisir. Oh ! que Dieu me donne des paroles qui entrent dans vos cœurs ! Beaucoup, parmi vous, m’ont connu dès leur enfance. Vous m’avez fréquemment aidé, quand j’en avais besoin. Ne puis-je pas dire que vous m’aimez ? Et maintenant, le moment de notre séparation est proche. Mes pieds touchent aux collines de la mort. Je voudrais vous dire un dernier mot avant de partir, en espérant que vous vous en souviendrez après mon départ.
Oh ! que votre cœur soit tout entier du côté de Dieu ! Cherchez votre bonheur en lui, et en lui seul. Prenez garde de ne pas vous attacher à la poussière. Cette terre n’est pas votre place. Usez de ce monde, mais n’en abusez pas. Usez de ce monde, et jouissez de Dieu. Tenez aussi peu aux choses d’ici-bas que si vous étiez un mendiant. Soyez de bons économes des dons divers de Dieu, afin que, lorsque vous aurez à lui rendre compte de votre administration, Il puisse vous dire : Cela va bien, bon et fidèle serviteur ; entre dans la joie de ton Seigneur. »
Dans son sermon sur Les Causes de l’inefficacité du christianisme (1789), Wesley revient sur les trois règles qu’il avait données aux Méthodistes trente ans auparavant, et il constate que la première est généralement observée, que plusieurs observent aussi la seconde. Mais combien peu sont fidèles à la troisième ! Sur 50 000 Méthodistes que l’on comptait alors, en trouverait-on 500 qui donnent tout ce qu’ils peuvent donner ? Wesley paraît en douter : « Il est pourtant certain, s’écrie-t-il, que ceux qui observent les deux premières règles sans tenir compte de la troisième, sont deux fois plus enfants de la Géhenne qu’ils ne l’étaient auparavant. » Et alors, avec la véhémente éloquence d’un prophète, Wesley apostrophe ainsi ces riches prévaricateurs :
« Oh ! que Dieu me permette une fois de plus, avant que je ne m’en aille et que je ne sois plus, d’élever ma voix comme une trompette contre ceux qui gagnent et épargnent tout ce qu’ils peuvent et qui ne donnent pas tout ce qu’ils peuvent. Vous êtes de ceux qui contristent continuellement le Saint-Esprit de Dieu, et qui, dans une grande mesure, empêchent son influence salutaire de descendre sur nos assemblées. Beaucoup de vos frères, enfants de Dieu, n’ont ni pain à manger, ni vêtements pour se couvrir, ni un lieu pour reposer leur tête. Et pourquoi sont-ils dans une si grande détresse ? Parce que vous leur retenez, injustement et cruellement, ce que votre Maître, et le leur, a mis dans vos mains en vue de subvenir à leurs besoins ! Voyez ce pauvre membre de Jésus-Christ, souffrant de la faim, tremblant du froid et à moitié nu, alors que vous avez l’abondance de la nourriture et des vêtements. Au nom de Dieu, que faites-vous ? Ne craignez-vous point Dieu, et n’avez-vous d’égards pour aucun homme ? Pourquoi ne partagez-vous pas votre pain avec l’affamé, et votre vêtement avec celui qui est nu ? Avez-vous dépensé pour vous vêtir ce qui eût suffi à vêtir et vous et le pauvre ? Est-ce Dieu qui vous a commandé d’agir ainsi, et aurez-vous son approbation ? Est-ce qu’il vous confie ses biens (non les vôtres) pour agir de la sorte ? Et vous dit-Il : Cela va bien ! Vous savez bien qu’il vous désapprouvec. »
Le dernier sermon que Wesley ait publié est sur le même sujet : Le Danger d’accroître ses richesses, sur ce texte : « Si les richesses abondent, n’y mettez pas votre cœur » (Psaume.62.11). Il porte la date de « Bristol, 21 septembre 1790 », c’est-à-dire cinq mois avant sa mort et dans la 88e année de sa vie. Ce sermon a donc le caractère d’un acte testamentaire. Eh bien ! sur les périls auxquels sont exposés les chrétiens riches, le vieux prédicateur est aussi pressant, aussi saintement intransigeant que jamais. Nos lecteurs nous sauront gré de faire de copieuses citations de ce sermon, qui n’a pas été traduit en français.
« Mon frère, tu mets ton cœur à tes richesses, si tu entasses tout ce que tu as en sus des choses nécessaires à la vie, ajoutant argent à argent, maison à maison, champ à champ, sans donner aux pauvres même un dixième de ton revenu, comme les Juifs. Par quelque moyen que ce soit, que tes richesses s’accroissent, par ton travail ou sans travail, par le commerce, par héritage, ou autrement, à moins que tes charités ne s’accroissent en proportion, à moins que tu ne donnes au moins la dixième partie de ton revenu fixe ou occasionnel, tu mets certainement ton cœur à ton or, et il dévorera ta chair comme un feu.
Mais qui convaincra un riche qu’il met son cœur dans ses richesses ? Il y a beaucoup plus d’un demi-siècle que je parle sur ce sujet, avec toute la simplicité dont je suis capable, mais avec bien peu de succès. Je doute que j’aie, pendant tout ce temps, convaincu d’avarice cinquante personnes…
Vous, anges de Dieu, qui faites continuellement sa volonté, vous avez reçu de notre commun Maître des talents bien plus précieux que l’or et l’argent, afin que vous les mettiez au service des héritiers du salut. N’employez-vous pas chaque parcelle de vos talents dans le but pour lequel vous les avez reçus ? Et ne sommes-nous pas tenus de faire la volonté de Dieu sur la terre, comme vous la faites dans le ciel ? Mes frères, réveillons-nous pour imiter ces messagers de flamme ! Employons notre âme, notre corps, nos biens selon la volonté de notre Maître.
Le seul préservatif de l’avarice est celui-ci. Après avoir gagné et économisé tout ce que vous pouvez, ne dépensez pas une livre sterling, pas un shilling, pas un penny, pour satisfaire la convoitise de la chair, la convoitise des yeux ou l’orgueil de la vie, en un mot pour ce qui ne sert ni ne glorifie Dieu. Tout en évitant cet écueil, prenez garde à un autre. N’amassez rien, mais donnez tout ce que vous pouvez, c’est-à-dire tout ce que vous avez. Je défie les hommes et les anges de trouver un autre remède que celui-là au terrible poison de la richesse.
Permettez-moi d’ajouter encore quelques mots. Après vous avoir servis de soixante à soixante-dix ans, maintenant que mes yeux s’obscurcissent, que mes mains tremblent et que mes pieds chancellent, je vous adresse un dernier conseil avant de descendre dans la poussière… Donnez tout ce que vous pouvez. Vous qui avez cinq cents livres de revenu, et qui n’en dépensez que deux cents, donnez-vous le reste ? Si vous ne le faites pas, vous volez Dieu de ces trois cents livres. Si vous me dites : Ne puis-je pas faire ce que je veux de ce qui est à moi ? Je vous arrête, et je vous dis : C’est là votre erreur. Ces biens ne sont pas à vous, à moins que vous ne soyez le Seigneur du ciel et de la terre. Mais, dites-vous, je ne dois pas dépouiller mes enfants. Assurément, mais est-il nécessaire que vous les fassiez riches ? N’est-ce pas risquer d’en faire des païens, comme cela est déjà arrivé à plusieurs ? Que faut-il donc faire ? Seigneur, parle à leurs cœurs, afin que le prédicateur ne parle pas en vain ! Si vous avez des enfants, laissez-leur juste assez pour vivre, non dans la paresse et le luxe, mais par un travail honnête. Et si vous n’avez pas d’enfants, je ne vois pas au nom de quel principe scripturaire ou rationnel, vous laisseriez après vous, au-delà de ce qu’il faudra pour vos frais d’enterrement. Est-il plus raisonnable de laisser après vous dix mille livres sterling que dix mille paires de souliers ou de bottes ? Oh ! ne laissez rien après vous ! Envoyez tout ce que vous avez devant vous dans un monde meilleur ! Prêtez-le, prêtez-le tout à l’Éternel, et Il vous le rendra. Y a-t-il quelque danger que sa promesse défaille ? Elle est solide comme les piliers du ciel. Dépêchez-vous, dépêchez-vous, mes frères, de peur que vous ne soyez rappelés avant d’avoir fait ce bon placement. Quand vous l’aurez fait, vous pourrez dire : Je puis maintenant mourir en paix. Père, entre tes mains, je remets mon esprit. Viens, Seigneur Jésus, viens bientôt. »
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Je ne connais, dans tout l’ensemble de la littérature homilétique, ancienne ou moderne, catholique ou protestante, rien de comparable à la série de discours sur la richesse, ses dangers et ses devoirs, que je viens de résumer. Le dernier en particulier, prêché quelques mois avant la mort de Wesiey, a une éloquence touchante ; c’est bien son chant du cygne.