L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
10 Qu’il faut se garder de la superfluité des paroles
Fuis l’embarras du monde autant qu’il t’est possible ; Ces entretiens du siècle ont trop d’inanité, Et la paix y rencontre un obstacle invincible Lors même qu’on s’y mêle avec simplicité.
Soudain l’âme est souillée, et le cœur fait esclave Des vains amusements qu’ils savent nous donner ; Leur force est merveilleuse, et pour un qui les brave Mille à leurs faux appas se laissent enchaîner.
Leur amorce flatteuse a l’art de nous surprendre, Le poison qu’elle glisse est aussitôt coulé ; Et je voudrais souvent n’avoir pu rien entendre, Ou n’avoir vu personne, ou n’avoir point parlé.
Qui donc fait naître en nous cette ardeur insensée, Ce désir de parler en tous lieux épandu, S’il est si malaisé que sans être blessée L’âme rentre en soi-même après ce temps perdu ?
N’est-ce point que chacun, de s’aider incapable, Espère l’un de l’autre un mutuel secours, Et que l’esprit, lassé du souci qui l’accable, Croit affaiblir son poids s’il l’exhale en discours ?
Du moins tous ces discours sur qui l’homme se jette, Son propre intérêt seul les forme et les conduit ; Il parle avec ardeur de tout ce qu’il souhaite, Il parle avec douleur de tout ce qui lui nuit.
Mais souvent c’est en vain, et cette fausse joie Qu’il emprunte en passant de l’entretien d’autrui, Repousse d’autant plus celle que Dieu n’envoie Qu’aux esprits retirés qui n’en cherchent qu’en lui.
Veillons donc, et prions que le temps ne s’envole Cependant que le cœur languit d’oisiveté ; Ou s’il nous faut parler, qu’avec chaque parole Il sorte de la bouche un trait d’utilité.
Le peu de soin qu’on prend de tout ce qui regarde Ces biens spirituels dont l’âme s’enrichit Pose sur notre langue une mauvaise garde, Et fait ce long abus sous qui l’homme blanchit.
Parlons, mais dans une humble et sainte conférence Qui nous puisse acquérir cette sorte de biens : Dieu les verse toujours par delà l’espérance Quand on s’unit à lui par de tels entretiens.