Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

III
Arguments rationnel et historique

1. Valeur réelle, mais secondaire de ces arguments

Valeur réelle mais secondaire de ces arguments, portés en première ligne par les nouvelles directions théologiques. — Présentés à des points de vue très divers.

Le dogme de la rédemption par le sang de Christ a son fondement réel dans les déclarations et les déterminations scripturaires. La foi s’y attache et s’y tient parce que la Parole sainte le pose et l’impose. Nous ne connaissons, nous ne pouvons connaître que par la Révélation et l’existence supérieure de Jésus-Christ, et son œuvre de grâce, et l’ordre du salut qui est en lui. Ce sont, ainsi qu’il l’a dit lui-même, les mystères du Royaume des Cieux, et c’est la lumière des Cieux qui seule les dévoile et les certifie. Ils se légitiment ou se recommandent, sans doute, par bien des considérations rationnelles, morales, historiques, qu’il ne faut pas négliger, mais qu’il ne faut pas non plus surfaire en leur attribuant une importance excessive ; on l’a fait fort souvent ; on le fait aujourd’hui autant et plus que jamais. Il n’est pas rare qu’on les place en première ligne et qu’on y subordonne à divers égards l’enseignement sacré, qu’on reçoit moins pour lui-même qu’à cause d’elles : disposition aussi peu logique que peu chrétienne, qui peut ouvrir la porte à des illusions redoutables et à de graves aberrations. Elle est condamnée au tribunal de la raison comme à celui de la foi ; car, plaçant l’induction ou l’opinion humaine au-dessus de l’attestation divine, elle porte à préférer la simple présomption à la preuve véritable.

Les arguments qui se puisent en dehors des Écritures, dans la tradition, dans le raisonnement, dans le sentiment, ont une valeur considérable, surtout de nos jours, et nous regretterions de paraître les déprécier ; mais c’est une valeur apologétique plutôt que dogmatique. Ils sont pour chacun des dogmes constitutifs du Christianisme, ce qu’ils sont pour le Christianisme lui-même. Ils servent à dissiper les préventions qui en éloignent, ils lui préparent les voies, ils le légitiment à certains égards par les principes de la science ou par les. données de l’expérience ; mais ils ne sauraient l’établir à eux seulsa. Le Christianisme, comme chacun de ses dogmes, se réduit finalement à un fait ; et la réalité des faits ne s’établit pas a priori. C’est ce qu’on oublie, lorsqu’on attribue aux arguments dits rationnels une si haute portée dans la démonstration évangélique. Pour la rédemption, par exemple, de ce que le sentiment du péché en éveille le désir ou l’espoir, de ce que des croyances et des pratiques séculaires semblent la prophétiser, pouvons-nous conclure qu’elle s’est opérée telle que la représentent les Livres saints, par l’incarnation et la Passion du Fils de Dieu ? Aux faits, il faut le témoignage, quand l’observation directe fait défaut ; et aux faits divins, il faut un témoignage divin. La rédemption chrétienne étant un fait de l’ordre surnaturel le plus élevé, elle est conséquemment un fait de révélation ; et c’est à la Révélation qu’on doit demander ce qu’il est. Essentiellement objet de foi, la science tenterait en vain de le dériver de ses propres principes. Elle peut seulement en constater les rapports avec certaines données de l’histoire, de la raison spéculative, de la conscience religieuse ; elle peut montrer que ce fait correspond à des aspirations humanitaires, à des instincts ou à des pressentiments qui se sont fait jour partout ; elle peut par là lui concilier les esprits et les cœurs, et, certes, c’est beaucoup ; mais cela ne suffit point pour en assurer la vérité ou la réalité objective, qui est le point capital.

a – Voy. Introduction à la Dogmatique : Preuves internes et externes.

Ce sujet a donné lieu à des études d’un grand intérêt et d’un grand prix, mais tellement étendues et diverses qu’il serait difficile de les résumer ou même de les indiquer ici. On a mis, par mille côtés, le cœur de l’homme en contact avec ce qu’on pourrait nommer le cœur de l’Évangile, afin de montrer, par les étonnantes harmonies qui s’y découvrent, que le Créateur de l’un doit être aussi l’Auteur de l’autre. Tantôt on a représenté le grand dogme chrétien comme la révélation la plus haute et la plus profonde du caractère moral de Dieu dans ses rapports avec nousb ; tantôt on en a décrit l’action puissante pour le renouvellement de l’âme et de la viec ; tantôt, partant de notre état naturel de péché, on a fait voir dans la rédemption le postulat suprême de la conscience religieused.

b – Erskine : Evidence interne du Christianisme.

c – Diodati : Du Christianisme envisagé… etc. — Tholuck : Guido et Julius.

d – Quelques côtés des Pensées de Pascal ;L’Évangile compris par le cœur, de Vinet ; — et tout le mouvement dérivé de Schleiermacher.

Un exposé sommaire de ces travaux et de leurs résultats, un examen critique et sympathique de cette analyse raisonnée du dogme central du Nouveau Testament, au point de vue théorique et pratique tout ensemble, serait une œuvre aussi intéressante qu’utile, pour peu qu’elle fût bien exécutée. Nous ne saurions même en tenter une esquisse, faute de documents suffisants. Il y a là tout un cycle métaphysique et mystique où se mêlent, sous un fond commun, mille tendances diverses. Disons seulement, comme de dehors, qu’il y aurait bien des précautions à prendre pour ne pas identifier des choses fort différentes, quoique rangées d’ordinaire sous une même dénomination. Ainsi, il faudrait distinguer l’argumentation qui veut établir la doctrine générale d’une chute et d’une réhabilitation, de celle qui se propose spécialement de justifier la rédemption chrétienne ; car le premier point est loin d’impliquer le second et de le constater ipso facto, comme on semble se le figurer souvent ; il y incline, il ne le donne pas ; il le fait possible ou probable, il ne le fait pas certain. Il faudrait distinguer encore, dans ces essais de construction ou de démonstration philosophico-théologique, ceux qui sont fondés sur la spéculation ou la raison pure (dogmatique hégélienne, par exemple) de ceux qui prennent leur point de départ et d’appui dans la conscience religieuse (Schleiermacher), aussi bien que de ceux qui unissent les deux méthodes et les deux facteurs (M. Secrétan, qui suit à la fois Schelling et Schleiermacher). Dans l’école de la conscience elle-même, il faudrait distinguer les directions qui cherchent leurs prémisses dans la conscience naturelle ou immédiate, de celles qui les demandent à la conscience chrétienne, et de celles qui, dans le pêle-mêle de nos jours, confondant les deux termes, passent alternativement de l’un à l’autre, au gré de leur argumentation, comme s’ils ne faisaient qu’un.

Et puis, en supposant que nous eussions déterminé la valeur propre de chaque branche de cet immense travail et réussi à en extraire le fond substantiel et réel, il nous servirait fort peu, je le crains, au point de vue où nous nous trouvons placés. En général, la haute théologie s’est attachée à signaler dans la rédemption évangélique le moyen divin de la rénovation spirituelle de l’humanité, le nouveau principe de vie qu’elle a fait descendre du Ciel et fait pénétrer sur la Terre, s’arrêtant à l’un des grands côtés de l’œuvre de Jésus-Christ et y ramenant ou y absorbant à peu près tout le reste ; en sorte que, dans la plupart des cas, cela même qu’elle a de plus profond et de plus vrai, n’atteint pas ou touche à peine au point capital pour nous, je veux dire l’élément propitiatoire de l’œuvre du Sauveur. C’est la rédemption-régénération que cette théologie a essentiellement ou même uniquement en vue ; et c’est la rédemption-expiation qui est, à nos yeux, la donnée primordiale et fondamentale de l’Évangile de la grâce. C’est celle que nous avons établie bibliquement ; c’est, par conséquent, celle que nous avons à apprécier rationnellement et historiquement. Quoiqu’elle ait dans la seule Révélation sa preuve directe et formelle, l’argument métaphysique, éthique, historique peut pourtant s’y appliquer, sinon pour la constater (il ne saurait porter jusque là), du moins pour en montrer les raisons internes et, en quelque sorte, la nécessité providentielle.

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