Tandis que Spinoza repousse les miracles en s’appuyant sur le fait qu’il n’y a pas de place pour eux dans les lois immuables de l’univers, en répondant d’une manière négative à cette question : Sont-ils possibles (objectivement) ? Hume, disciple de Locke, formule son objection d’une manière un peu différente : Les miracles sont-ils (subjectivement) dignes de foi ? Hume, en sa qualité de sceptique, doute de la possibilité de parvenir à la vérité absolue ; il répond négativement à la question posée ; il est toujours plus probable, selon lui, qu’un miracle est faux, en sorte qu’on ne peut en déduire aucune preuve satisfaisante. Nous avons l’habitude, dit-il, en toute circonstance, de peser les raisons pour et contre les faits allégués, et d’admettre ce qui paraît évident. A propos de chaque miracle il y a conflit, quand il s’agit de sa réalité. En sa faveur, il y a l’évidence des témoins qui l’attestent ; contre lui, il y a le témoignage de l’expérience : or, il est toujours plus probable que les témoins ont été trompés ou voulurent tromper, que de ce qu’un miracle ait eu lieu. Ces témoins sont peu nombreux, quand on les compare aux multitudes qui attestent le contraire, à savoir la régularité ininterrompue d’un ordre naturel dans le monde ; ces quelques témoins peuvent avoir subi diverses influences, dont les autres sont exempts. En aucun cas, le témoignage en faveur d’un miracle ne peut contrebalancer l’évidence a priori qui repousse tout miracle.
Telle est la conclusion à laquelle Hume arrive. C’est un raisonnement purement sceptique ; Hume ne nie pas absolument le miracle en soi, mais il affirme que nous ne pouvons parvenir à la conviction de sa réalité. De deux affirmations qui peuvent être vraies, nous devons accepter celle qui nous paraît la plus probable ; aussi longtemps que nous ne voulons pas nous élever au-dessus du domaine de la nature, miraculeux et incroyable seront des termes synonymes. Mais si l’on s’élève dans une région supérieure, si l’on reconnaît un royaume de Dieu, dont les hommes doivent être les membres, l’argument perd sa force. — Au raisonnement tiré de l’expérience, qui repousse le miracle, il faut opposer non pas, comme Hume le prétend, l’évidence du témoignage, qui ne peut jamais suffire à elle seule, mais la considération suivante, à savoir que Dieu, appelant les hommes à s’élever au-dessus de la nature et des sens, se révèle ainsi comme le Maître de la nature. De plus, la nature et les caractères du miracle, ses rapports, comme acte rédempteur, avec la personnalité de son auteur, tout cela témoigne à notre conscience qu’il s’agit d’une œuvre divine. Hume a laissé de côté les considérations morales ; elles auraient entièrement ruiné son système ; son raisonnement est comme le géant de la fable, invincible aussi longtemps qu’il touchait la terre, mais facilement vaincu dès qu’il ne la touchait plus. C’est l’état moral de l’homme qui seul peut déterminer sa foi aux miracles ; celui qui admet l’intervention de Dieu pour le bien véritable de l’homme, celui qui croit qu’il existe un ordre de choses supérieur au nôtre et qu’il est désirable que cet ordre supérieur se manifeste dans notre monde assujetti au péché et à la mort, pour nous affranchir et nous faire connaître la vie véritable, celui-là ne trouvera pas difficile d’admettre le grand miracle, l’incarnation du Fils de Dieu, et sa manifestation comme tel par la résurrection ; son cœur a soupiré depuis longtemps après ce Libérateur. Admettant ce miracle, le plus grand de tous, il acceptera les autres, qui en sont comme les satellites. D’autre part, celui qui ne voit rien en dehors de ce monde, qui a perdu toute notion d’un monde supérieur, qui ne comprend rien aux choses du royaume de Dieu, repoussera le miracle par une théorie quelconque ou par instinct ; tout ce qui est en lui le prédispose à l’incrédulité. Pour celui qui nie les causes finales, qui ne croit pas que l’humanité soit dirigée par une volonté toute puissante vers un but certain et glorieux, les considérations morales n’existent pas ; il en résulte qu’il est parfaitement inutile de discuter au sujet de notre foi avec ceux qui refusent à la foi tout fondement quelconquea.
a – Augustin : « Car si la providence divine ne supervise pas les affaires humaines, il est inutile de se préoccuper de religion. (De Util. Cred. 16) »