Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

V.
Le trésor caché

Matthieu 13.44

Le royaume de Dieu ne doit pas être envisagé seulement d’une manière générale, mais aussi dans sa réalisation chez chaque individu. Il n’est pas seulement un grand arbre qui couvre la terre de son ombrage, ou un levain qui agit sur le monde, mais chaque homme doit posséder en lui-même, se l’approprier par un acte libre de sa volonté. Il peut bien se réfugier sous cet arbre, et y recevoir des bénédictions ; il peut habiter un monde qui a subi l’action du levain de la vérité ; mais cela ne suffit pas. Les deux paraboles qui suivent nous montrent la nécessité d’une approbation personnelle du royaume. Elles furent prononcées, non en présence de la multitude, mais dans la maison (v. 36), et dans le cercle restreint des disciples. La parabole suivante est une répétition de celle-ci, avec une différence toutefois ; elles sont le complément l’une de l’autre ; dans l’une et dans l’autre, chez ceux qui trouvent la perle ou le trésor, il faut voir tous ceux qui participent aux bénédictions de l’Évangile de Christ. Parmi eux il en est qui sentent qu’il doit exister pour l’homme un bien suprême, dans la possession duquel il sera béni et trouvera la satisfaction de tous ses désirs ; c’est pourquoi ils cherchent ce bien avec persévérance. C’est là le marchand qui s’est proposé de chercher et d’obtenir de belles perles. De telles personnes sont peu nombreuses, mais elles se montrent vraiment esclaves de la vérité.

Il en est d’autres qui ne comprennent pas qu’il y a un but proposé à chacun, ou qu’il existe une vérité digne de recherche, jusqu’à ce que cette vérité leur soit révélée en Jésus. Ils sont comparés à celui qui trouve le trésor caché, qui l’a rencontré par hasard sans l’avoir cherché. Il faut qu’ils le trouvent, pour en connaître l’existence ; leur joie est alors d’autant plus grande, tandis qu’il n’est pas parlé de la joie des autres. Hammond fait ressortir cette différence : « Il en est, dit-il, qui ne recherchent pas l’Évangile, et qui cependant le rencontrent, en sorte qu’il devient pour eux un sujet de grande joie ; c’est bien là ce trésor qu’un homme cache après l’avoir trouvé dans un champ, et qui, ensuite, vend tout ce qu’il a pour acheter ce champ. D’autres ont recherché la sagesse ; ils ont eu soif de lumière ; alors l’Évangile de Christ se présente à eux comme un perle de grand prix qu’un marchand trouve en cherchant de belles perles. » La plupart des Juifs cherchaient de belles perles, étant zélés pour la justice ; mais lorsqu’ils trouvèrent la perle de grand prix, ils ne voulurent pas « vendre tout ce qu’ils avaient », renoncer à leur propre justice, à tout ce dont ils se glorifiaient, pour acheter cette perle. Les Gentils, au contraire, trouvèrent par hasard le trésor. Christ fut trouvé de ceux qui ne le cherchaient pas, et le bienfait de sa vérité fut révélé à ceux qui n’en soupçonnaient par l’existence (Romains 9.30). La femme Samaritaine ne se doutait pas, le jour où elle vint au puits de Jacob, qu’elle trouverait le trésor caché. Il n’y a pas chez de telles personnes un manque complet d’intérêt pour la vérité ; seulement, le désir sommeillait en elles, et se manifeste plutôt comme amour de la vérité révélée, comme une joyeuse soumission à cette vérité. Dans les deux cas, nous remarquons la même promptitude à saisir la vérité, une fois connue, et à la retenir fermement, quoi qu’il puisse en coûter. Justin Martyr, dans son premier dialogue avec Tryphon, nous raconte qu’il a cherché pendant longtemps la satisfaction de ses besoins dans l’étude de la philosophie grecque, et que ses recherches ont toujours été vaines, jusqu’à ce qu’il rencontrât l’Évangile de Christ. La forme différente des deux paraboles confirme notre manière de voir. Dans la première, ce qui est important surtout, c’est le trésor : « Le royaume des cieux est semblable à un trésor ; » dans la seconde, c’est la personne qui cherche. En Orient, où la sécurité générale est moins grande, il était moins rare de découvrir un trésor caché que dans d’autres contrées. Un écrivain raconte qu’en Orient, à cause des changements fréquents de dynasties et des révolutions qui les accompagnent, beaucoup de riches divisent leur fortune en trois parts : l’une est placée dans le commerce, ou sert aux besoins journaliers, une autre est convertie en bijoux, afin de pouvoir l’emporter facilement, en cas de fuite ; la troisième partie est enfouie dans la terre. Comme ils ne disent à personne le lieu où elle se trouve, elle est perdue lorsqu’il ne reviennent pas, à moins que, par hasard, quelqu’un ne la découvre, en labourant son champ. Plusieurs récits de voyages attestent la croyance générale à l’existence de tels trésors cachés, en sorte que le voyageur qui recherche des antiquités court souvent de grands dangers à cause de la jalousie des gens du pays, qui craignent de le voir emporter de grandes richesses enfouies dans le sol. L’habileté d’un sorcier, en Orient, consiste souvent à savoir découvrir l’endroit où se trouvent des trésors cachés. On voit aussi des hommes qui n’ont d’autre profession que de chercher des trésors, dans l’espoir de s’enrichir (Job 3.21 ; Proverbes 2.4). La parabole ne parle pas toutefois de quelqu’un qui cherche un trésor, mais plutôt qui le découvre par hasard, en le heurtant de sa bêche. Quelques interprètes établissent une distinction entre « le champ » et « le trésor ». Le champ serait celui des Saintes Écritures ; le trésor serait le mystère de la connaissance de Christ qui y est renfermé, et pour lequel celui qui l’a découvert est prêt à sacrifier tout ce qu’il a, estimant que cette connaissance vaut mieux que toutes les richesses du monde. Mais, pour moi, « le champ » représente plutôt l’Église extérieure visible, par opposition à la vraie Église intérieure, spirituelle, qui serait alors « le trésor ». L’homme qui a trouvé un trésor dans un champ, apprécie ce champ, qui lui était autrefois indifférent, et cherche à l’obtenir à tout prix : de même celui qui envisage l’Église comme une institution divine, chargée de distribuer des dons spirituels, qui a reconnu que Dieu est au milieu d’elle, est convaincu dès lors qu’elle diffère absolument de toutes les sociétés terrestres, et leur est supérieure ; c’est pourquoi elle lui devient précieuse, à cause de la gloire qui y est renfermée, et qu’il a appris à connaître. Il voit aussi que la bénédiction en est inséparable. Ainsi que l’homme de la parabole ne peut avoir le trésor sans acquérir le champ, de même il est impossible de posséder Christ sans être dans l’Église ; on ne peut avoir Christ dans le cœur et, en même temps, séparer son sort de celui de l’Église de Christ, qui lutte et souffre. Le trésor et le champ sont inséparables, il faut les acquérir tous deux ou s’en passer.

« Lorsqu’un homme a trouvé le trésor, il le cache », afin de se procurer le champ. Cela ne signifie pas que celui qui a découvert les trésors de sagesse et de connaissance cachés en Jésus-Christ désirera de garder pour lui seul cette connaissance ; il se sentira plutôt obligé d’en faire part à tous. Il ira vers son frère, comme André alla auprès de Pierre, et lui dira : « Nous avons trouvé le Messie » (Jean 1.41), et cherchera à l’amener à Jésus. S’il cache le trésor, c’est afin de ne pas risquer de le perdre. Au moment où la vérité se révèle à une âme, il est naturel que cette âme craigne de la perdre ; elle prend alors toutes les précautions possibles pour la conserver. Mais après avoir caché le trésor pour quelque temps, celui qui l’a trouvé, « de la joie qu’il en a, s’en va et vend tout ce qu’il a, et achète ce champ ». Cette joie est précisément ce qui le rend capable de renoncer à tout, sans même qu’on le lui ordonne ; tout autre chose lui paraît de peu de valeur en comparaison de ce qu’il a trouvé. Augustin explique très bien cette partie de la parabole, en parlant de sa propre expérience. Il dit, à propos de sa conversion, que la joie lui rendit très facile un renoncement qu’il n’avait jamais auparavant envisagé sans crainte ; il s’écrie : « Quelle douce joie je ressentis alors, en me séparant de tout ce que je craignais de perdre ! c’est toi, ô ma vraie richesse, qui m’as dépouillé de tout le reste ; tu m’en as délivré, et tu es entrée chez moi, toi qui m’es plus précieuse que tous les plaisirs du monde ». Se séparer de toutes les joies coupables qui l’avaient enchaîné, fut réellement, pour Augustin, vendre tout ce qu’il avait, pour acheter le champ. Comparez Philippiens 3.4-11, passage dans lequel saint Paul raconte comment il vendit aussi tout ce qu’il avait, renonça à toute confiance en sa propre justice, à tous ses privilèges terrestres, afin de « gagner Christ, et d’être trouvé en Lui ». Lorsqu’un homme renonce à ce qu’il a de plus cher, afin de posséder les richesses de Christ, l’avare à sa convoitise, l’amateur de plaisirs à ses jouissances, le sage selon le monde à sa confiance en lui-même, chacun d’eux vend ce qu’il a, pour acheter le champ qui contient le trésor, et il le fait joyeusement, non point par contraintej.

j – Saint Augustin dit : « Voici, tu demandes à Dieu, et tu lui dis : Seigneur donne-moi. Que pouvait-il te donner, lorsqu’il voit que tes mains sont déjà pleines ? Dieu veut donner de ce qui est à Lui, et Il ne voit aucune place libre pour le recevoir. »

On a quelquefois trouvé une difficulté dans le fait que celui qui a découvert le trésor achète le champ sans dire au propriétaire ce qui en augmente la valeur, car alors ce dernier n’aurait pas consenti à le vendre ou l’aurait vendu à un prix beaucoup plus élevé. On a dit qu’il y avait là un manque de droiture, qui n’aurait pas dû être mentionné, même pour faire comprendre une vérité importante. C’est ce que l’on a dit également à propos de l’Économe infidèle. Olshausen affirme qu’il s’agit, dans les deux cas, d’une prudence nécessaire à l’égard des choses spirituelles. Au reste, il faut remarquer que la manière d’agir de celui qui a trouvé le trésor n’est pas absolument et en tout point proposée à notre imitation, mais seulement son zèle pour conserver ce trésor et pour se l’approprier coûte que coûte, ainsi que sa prudence, sans que la manière dont cette prudence se manifesta soit louée ou blâmée.

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