1. C'est un fait admis que depuis des siècles la philosophie n'a guère progressé. On reprend toujours les mêmes problèmes et les mêmes solutions, quoique sous de nouvelles formes et en termes nouveaux. Aux Indes, un bœuf, les yeux bandés, tourne toute la journée autour du pressoir à huile. Le soir, lorsqu'on lui enlève son bandeau, il découvre qu'il n'a fait que tourner en rond et qu'il n'a pas parcouru un long trajet, quoiqu'il ait produit de l'huile. Bien que les philosophes aient marché pendant des siècles, ils n'ont pas encore atteint leur but. Avec les matériaux recueillis ici et là, ils ont produit de l'huile qu'ils ont laissée après eux dans leurs écrits. Mais cette huile ne suffit pas à étancher la soif de l'humanité. Il appartient à la foi et à l'intuition de satisfaire les besoins profonds de l'homme, non à la philosophie. Si vaste que soit notre savoir, il a cependant ses limites.
2. Des philosophes se suicidèrent en constatant l'impuissance d'apaiser leur soif de connaissance ! Empédocle se jeta dans le cratère de l'Etna, afin d'apaiser sa soif de vérité ; il pensait parvenir ainsi à la communion avec les dieux, sans attendre de mourir de mort naturelle. Un astronome qui n'arrivait pas à comprendre les mystérieuses fluctuations des marées, se jeta désespéré dans les flots qui l'engloutirent. Ces hommes-là, au lieu de trouver le Créateur dans ses œuvres et d'être pleinement satisfaits en lui, perdirent le Créateur et se perdirent eux-mêmes dans sa création. Ceci prouve que quoique la philosophie s'efforce de s'emparer des réalités, elle n'y réussit pas ; nul ne peut saisir les réalités par l'intelligence. Si quelqu'un croit pouvoir discerner les réalités par le moyen de son savoir, il se trompe. En effet, connaître une chose parfaitement, ce serait connaître l'univers entier, car cette chose, quelle qu'elle soit, est apparentée à tout le reste de la création, de sorte que pour arriver à la connaître pleinement, il faudrait connaître de même tout ce qui a un rapport quelconque avec elle. Mais ici, il faut s'incliner devant les réalités et marcher par la foi.
3. L'Intuition, comme l'extrémité du doigt, est si sensible qu'elle sent immédiatement la présence de la réalité par son propre toucher. Elle peut être impuissante à fournir des preuves logiques, mais elle raisonne de la façon suivante : « je suis pleinement heureuse or une telle paix ne peut venir que de la réalité donc j'ai trouvé la réalité. » Le cœur a des raisons que l'intelligence ignore. Il faut du temps pour analyser une fleur, mais il ne faut qu'un moment pour jouir de son parfum. L'intuition procède de la même manière.