Un homme dans la tour

ÉCHEC

Depuis quelques jours, Jean-Paul observe le même manège, à la même heure. Bien avant que l’aube ne paraisse, les volets de la tour s’ouvrent sans bruit pour se refermer brusquement vers sept heures environ. Le jeune homme est de plus en plus intrigué. Il y a là quelque chose d’insolite ; plus que jamais il en est convaincu. Une constatation le frappe aussi : les volets restent hermétiquement clos pendant le jour. Jean-Paul qui ne comprend rien a mûri un plan de campagne. Demain matin, très tôt, il escaladera jusqu’en haut l’unique escalier de la maison. Alors il verra bien !


♦   ♦

Bien avant que le coq ne jette l’alarme dans le quartier, Jean-Paul saute hors du lit. Il fait encore très sombre, aussi doit-il mesurer tous ses gestes et veiller à ne pas heurter les chaises particulièrement bruyantes la nuit. Il enfile son pantalon et un tricot, passe ses pantoufles, s’empare de la lampe électrique – celle de papa qu’il n’a pas encore rendue – puis très doucement, retenant son souffle, il ouvre la porte qui grince un peu.

— Bah ! La maison dort solide.

Le garçon occupe la chambre de gauche, au premier étage. De l’autre côté du palier, en face, c’est la porte qui donne chez ses parents. Lentement, à pas feutrés, il gravit une à une les vieilles marches de pierre légèrement usées sur le milieu.

Ah ! Si quelqu’un le surprenait là, en cet instant, comme il serait gêné notre gaillard ! Cette pensée le préoccupe sérieusement : quelle explication donnerait-il ? Heureuse-ment, Jean-Paul a de l’imagination. Il répondrait que, ne pouvant dormir, il rôdait dans la maison pour tuer le temps. Il pourrait aussi passer outre, sans dire un mot, le visage figé comme les noctambules. Mais cette dernière solution est trop scabreuse pour la retenir, de tels procédés lui répugnent. Au fond, pense-t-il, le plus simple sera de dire tout bonnement la vérité.

Au deuxième étage, rien de spécial : une porte à gauche et deux à droite. Jean-Paul ne peut les ouvrir comme ça, à l’aveuglette, il risquerait de tomber sur Francine ou sur Grand-père. Ce serait du propre, alors ! Le petiot réfléchit, observe, braque sa lampe dans toutes les directions et demeure perplexe. Pourtant, c’est bien au deuxième étage, les volets bleus !

— Allons plus haut, nous verrons bien !

Au troisième étage, une seule porte de bois grossier. Jean-Paul devine sans peine que derrière se trouve le grenier, car la poussière et les toiles d’araignée abondent. Il ouvre sans bruit : Que risque-t-il à glisser un regard sous les toits ? Il se trouve dans un immense galetas qui occupe tout le sommet de la maison et qu’éclairent, le jour, de toutes petites lucarnes ovales sans carreaux, ménagées au ras du sol. Il fait froid dans ce grenier. Tout ce qu’on pourrait trouver sur un marché aux puces est là, éparpillé. On monte au grenier les choses inutiles qu’on ne redescendra jamais. La poussière règne partout. Sur le sol, gisent des caisses de toutes dimensions, des vieux livres ficelés en paquets, des piles de journaux qui s’écrou- lent. Que sais-je ? De quoi passer en cet endroit des heures inoubliables !

Jean-Paul fait quelques pas dans ce musée abandonné, mais il sent le plancher fléchir et craquer sous lui. Attention ! On pourrait l’entendre marcher à l’étage au dessous ; il n’est pas sage d’aller plus loin. Saisi de peur, notre garçon s’arrête, bat prudemment en retraite et referme la porte avec précaution. L’idée qu’on pourrait le trouver là, à quatre heures et demie du matin lui donne le frisson.

Il vaut mieux déguerpir au plus vite. Comme pris de panique, il descend quatre à quatre l’escalier et s’engouffre dans sa chambre. Ouf ! Il respire. Là, il est chez lui, c’est son domaine. On ne peut rien lui dire, même à cette heure indue.

Presque machinalement, il est allé à la fenêtre : les volets bleus sont grands ouverts, l’inconnu est à son poste. Décidément, que faire pour savoir ? Il regagne son lit, s’allonge dans les draps de grosse toile, puis, loin de s’endormir, il réfléchit longuement. Faut-il s’adresser à Grand-père ? Il n’en est pas question car Jean-Paul craint un peu ce vieillard si respectable. Quant à Francine, elle ne doit rien savoir ! Il n’y a que sa cuisine et ses poules qui l’intéressent. En définitive, il vaut mieux persévérer. Le proverbe a bien raison lorsqu’il affirme que « celui qui cherche trouve » !

Et puis, il y a du plaisir à arriver tout seul !

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant